Deux semaines après la rentrée en terminale, nous avons déjà commencé à être pressés de révision et de devoir. J’étais consciente qu’il était bientôt temps pour moi de m’affirmer comme une véritable adulte, en commençant d’abord par obtenir mon bac. Ainsi je passais la semaine entière ainsi que le samedi à étudier, m’inposant un emploi du temps conséquent et me laissait le dimanche pour me reposer. Quelque part, je savais que je n’allais jamais réussir à tenir le coup longtemps mais j’avais quand même décidé de m’en tenir à ça. La vérité, c’est que je voulais m’interdire de penser à Vincent, Alyssa et Ibrahim.
Mon meilleur ami avait tenu parole et durant ces premiers jours, notre relation n’avait pas changé et nous avons continué à entretenir la même que celle d’avant les vacances. Mais mon esprit se laissa envahir par la suspicion. Si autrefois cela n’avait absolument jamais traversé mon esprit, je me mis à observer, je dirai presque, espionner Vincent avec un peu trop d’attention. Pourquoi ? Tout simplement parce que mon instinct me l’a dicté. Le comportement de mon ami m’inquiétait de plus en plus. Je le connaissais, j’arrivais à peu près à deviner ce qu’il pensait ou ressentait. Malgré la déclaration qu’il m’a faite, mon rejet et notre réconciliation a la rentrée, rien de cela ne semblait l’affecter le moins du monde. Et même si il est vrai que c’était un assez bon acteur, j’étais la seule qu’il ne pouvait pas tromper. Alors j’ai vu. J’ai ai vu que, visiblement, il n’en avait finalement rien à faire de ce qu’il s’était passé. Je n’arrivais pas à savoir si il s’en était vite remis ou si au fond, il s’est rendu compte qu’il ne ressentait absolument rien pour moi. Ou alors mon imagination me jouait des tours….
Un dimanche, alors que je rentrais d’une petite balade matinale pour me détendre, mon père qui venait apparemment de se réveiller, m’informe que la librairie avait téléphoné pour me rappeler que je devais aller chercher un livre. J’avais complètement oublié le Loup des Steppes et dû reconnaître que je le faisais pour une seule personne… Ibrahim.
Décidément. Il m’ensorcelle vraiment.
Je me dirige vers ma chambre pour procéder à une inspection de mon physique mais mon père m’arrête tout de suite.
– Tu vas où comme ça ?
– Dans ma chambre me préparer.
– Mais tu es très bien comme ça.
– Je dois chercher des trucs.
– Quels trucs ? insiste-t-il.
J’observe mon père. Je le connais bien, et disons qu’entre mes deux parents, c’est plutôt lui qui a reçu le fameux 6e sens… quand je mijote un truc, il finit souvent par le découvrir. Mais les trois quart du temps, il me laisse faire, préférant me suivre de loin.
Je rentre rapidement pour éviter qu’il ajoute quelque chose. J’avais peur qu’il voit que je voulais plus impressionner qu’autre chose… en fouillant mes placard dans l’espoir de trouver un tube de rouge à lèvres, chose que d’ailleurs, je n’appliquais jamais, je tombe sur un vieux carnet ou je notais habituellement le numéro de mes amis. Je le prends et commence à le feuilleter jusqu’à tomber sur celui d’Alyssa.
Cela me rappelle ce que m’avait dit Hermine.
Alyssa lui a téléphoné pour moi…
Au final, elle n’avait rien lâché. Elle continuait à vouloir reprendre contact avec moi. Soudainement, je me suis souvenue d’un détail perturbant… selon Hermine, Alyssa lui avait dit qu’elle avait tenté de me joindre en vain.
Comment c’était possible ?
Le téléphone aurait sonné ou du moins, si c’est mon père qui répond, il m’aurait prévenu. Non ?
Peut être qu’Alyssa avait menti.
Peu importe, j’avais d’autres préoccupations en tête. Je range le carnet dans le tiroir de ma table de chevet et après avoir retrouvé du rouge à lèvres, je quitte précipitamment la maison sous le regard étrange de mon père :
– Tarde pas ! crie-t-il, au moment où je claque la porte.
Au moins, il ne sait pas pour le rouge à lèvres. Ce n’était pas là première fois que je le fais. J’avais l’habitude d’en mettre dehors quand je sors avec mes amis. Il y a même eut une époque où j’échangeais du mascara ou du fard à paupières avec Hermine.
Je pousse un soupire de soulagement et sors le rouge à lèvres de mon sac. Bizarrement, je me sentais pousser des ailes. Des ailes de liberté dans le dos. Je me mis à sautiller jusqu’au boulevard de la piété. Mais juste avant d’entrer dans la libraire, je m’applique une fine couche de rouge à lèvres et sors mon miroir de poche pour regarder le résultat. Je ne m’étais absolument pas ratée, et j’en étais fière. J’avais l’impression qu’il mettait en valeur mes yeux verts et surtout mon teint pâle.
Je pousse la porte et fut accueillie par le gérant qui mangeait – encore – un gâteau. Il avait un sourire béat au visage et s’exclama :
– Voilà l’une des seules lectrices assidue du village !
– Bonjour.
Je fis volte face et vit Ibrahim en train de trier des livres dans l’étagère. Alors que mon cœur s’affolait, mon ventre remuait et je dois avouer que c’était une sensation agréable. Il avait un énorme sourire au visage et me fit un petit signe de la main.
– Bonjour, répondis-je, béate en m’approchant de lui.
Mon ventre continuait à abriter des papillons qui faisaient la courses. Même si mes jambes tremblaient, j’arrive à sa hauteur et pu contempler son merveilleuse visage en me perdant dans son regard noisettes et ses yeux légèrement bridés transperçants.
– Savez-vous que vous m’empêcher de faire mon travail correctement ?
Je me met à rire, en essayant de ne pas être trop bruyante.
– Vous passez commande un jour et disparaissez complètement de la circulation pour apparaître, comme ça, comme une fleur.
Je me suis félicitée de ne pas avoir eu le temps de me rendre à la libraire. Peut être que quelque part, tout était là, dans l’évitement pour voir jusqu’à quand la personne est prête à nous suivre. Et si c’est moi qui m’emballais ? Et si je ne lui plaisais absolument pas et qu’il s’investit à ce jeu pour simplement passer le temps ? Je chasse ces mauvaises pensées de mon esprit et poursuis :
– Oh, aurais-je tâter un point sensible ?
Il se mit à rire et demanda :
– Il faut croire que le livre n’était pas si important.
– C’est vous qui croyez ça. J’ai eu des choses à faire, moi.
Et là, probablement prise d’une folie, je ne pus m’empêcher de lui faire un clin d’œil complice. Pour réponse, il se mit à rire, sûrement d’étonnement mais j’en étais fière.
– Et sinon, repris-je, revenant au sujet initial, et si nous parlions de la raison de ma venue ici ?
– Ah oui ! Suivez-moi.
Il marche en direction de la réserve qu’il ouvre.
– J’ai pas le droit normalement de faire entrer la clientèle.
Le gérant discutait avec quelqu’un, et semblait tellement pris par sa conversation qu’il ne nous regardait même plus. Ibrahim entre à l’intérieur et je le suis. Comme il ne me disait rien, j’estimais qu’il n’avait rien contre. À un moment, je me suis dit que pour faire comme dans les films, je pourrais fermer la porte pour qu’on se rende compte qu’on ne peut l’ouvrir que d’extérieur. On allait donc passer une bonne partie coincé dans la réserve à discuter, oubliant totalement le monde extérieur. Mon esprit a tendance à aller loin quand je ne le contrôle pas… c’était une cave plutôt accueillante au final ou grouillaient de partout des bouquins. Au sol comme sur les étagères. Une vraie caverne d’Ali Baba pour feru de lecture, quoi.
Il piocha un livre assez épais parmi ceux d’une caisse blanche. Ils semblaient tous neufs.
– C’est celui là, dit-il, en me le donnant. Je vous souhaite une très bonne lecture. C’est vraiment intéressant et constructif.
– Je pourrais vous faire part de mon avis quand je l’aurais finie.
– Je ne dis pas non.
Ainsi, il se mit à énumérer les bienfaits de la littérature et m’expliqua à quel point ce domaine était riche en ressource. Il se mit à me citer des œuvres et des idées dont j’ignorais totalement l’existence et je me suis dit qu’en fait, je paraissais bien idiote devant lui, alors que j’étais un véritable rat de bibliothèque. Quand il avait finie, j’avais une envie monstre d’applaudir. J’étais restée pendue à ses lèvres tout le long de son discours et ça me faisait bizarre, pour être honnête.
– Vous savez des tas de choses, dit donc, j’observe.
– Ce n’est que la faible étendue de tout ce qui peut exister dans ce monde.
– Vous avez pour ambition de devenir le prochain Voltaire ?
– Allez savoir.
On se fit un petit sourire complice et, entraînée par cette béatitude que me procurait ce moment pour me permettre quelques libertés…
– Vous avez étudié les lettres ?
– Non. J’aurai aimé faire de la littérature allemande, à l’université. Mais…
Il marque un temps de pause et je soutiens son regard pour l’inciter à continuer.
– Mais ça ne s’est pas fait. Je me suis rabattue sur des études de maths. Après j’ai un peu enseigné, et finalement, j’ai eu besoin de changement, donc je le suis rabattu sur des études de persan et… voilà.
– Vous êtes iranien ? j’ose.
– Pas tout à fait mais je connais bien l’Iran. Et vous, qu’est ce que vous étudiez ?
– Heu… je viens de rentrer en terminale ou je passe un bac A2. Mais même si j’aime beaucoup lire et écrire, je voudrais être pâtissière plus tard…
Il me regarde, non, m’observe un long moment, le visage perplexe. Sur le moment, je ne comprends pas ce qu’il lui arrive mais capte vite ce qu’il doit être en train de se dire… à cet instant, j’ai compris que je ne pouvais plus rien espérer de lui. Je me gifle mentalement pour m’être laissée emporter par ce petit jeu de flirt et surtout avoir penser qu’il pourrait s’intéresser à une gamine telle que moi. Au fond, j’étais consciente que cela mènerait nulle part mais j’avais tenté de me raccrocher à ça. Très mauvaise décision.
– Tu es encore en terminale ?
– Oui…
– Mais… pourtant, j’étais convaincue que tu avais environ la vingtaine…
– Je parais si vieille que ça ?
– Assez. Surtout… depuis que tu as changé de coupe, ça t’a donné un petit coup de vieux.
– Je ne sais pas comment le prendre…
– Y a pas de mal, tu sais.
– Je suis désolée…
– Poursuoi tu l’es ?
– Mon âge te déçoit ? Toi, tu en combien ?
– C’est une bonne question… parce que j’ai 28 ans.
– En janvier, j’aurai 18 ans.
Il ne dit rien et se contente de rouvrir la porte de la réserve en me faisant signe de sortir. Mais avant, je lui demande, perplexe:
– C’est moi où on vient de se tutoyer ?
– Je n’ai même pas fait attention.
– Ça… dérange ?
– Pas du tout, admit-il, avec un faible sourire.
Le vieux monsieur n’était plus là. Étrange. Apres avoir payé le livre, je voulais encore une fois m’excuser et lui avouer qu’il me plaisait énormément. Depuis que je lui ai dit que j’étais encore lycéenne, un fossé s’est creusé. Exactement comme avec celui de Vincent. Sauf que je n’étais pas sûre de pouvoir le combler… je lève mon regard vers lui alors qu’il me tendait le sac et mes yeux parlèrent pour moi.
– Attendez.
– Mercredi, celui qui arrive, ça te dérange pas qu’on se voit ? En dehors d’ici, je veux dire.
-Non, non, pas du tout. Au contraire, j’adorerai même…
Il reprend le sac pour en sortir le livre, armé d’un stylo, il griffonna quelque chose sur la première feuille.
– Là-bas, alors.
Le chef revient de dehors et s’excusant bruyamment auprès d’Ibrahim.
Je quitte précipitamment les lieux, en saluant les deux hommes et lis ce que est écrit. Une adresse. Et je connaissais l’adresse. C’était celle du jardin des enfants pas loin de l’église. Et du centre équestre.