*1ère Partie* CHAP. 01: Destruction

9 mins

        Je revins à moi.

       Ma joue ensanglantée collait sur le macadam fractionné. Mes yeux s’ouvrirent difficilement sur un paysage apocalyptique. Tout n’était plus que ruine.

Je refermai mes paupières comme pour retourner dans un rêve. Mon cerveau refusait d’accepter ce qu’il avait vu. Dans l’obscurité de mon esprit, j’essayai de construire une réflexion logique. Que s’était-il passé ? Ma mémoire refusait de m’ouvrir les portes de mes derniers souvenirs. Je me retirai plus loin dans le passé.

Le premier nom qui éclaboussa ma conscience était Syvanna.

Où était-elle ?

Je me redressai et m’adossai contre une benne à ordures renversée sur le côté dégueulant quelques déchets. Je tentai de reconstituer le décor qui était autours de moi. En face il y avait le lycée, à droite le gymnase, à gauche la cantine et la bibliothèque. Moi, j’étais assis contre les poubelles du lycée sur le bord de l’allée du parking des élèves. Tous ces bâtiments n’étaient plus que gravas, amoncellements de béton et de fer. Je ressenti une sensation de vertige. Le grand lycée moderne de Mantes la Jolie construit il y a à peine un an, fierté de la région Ile de France, avait complètement disparu. Mes tympans bourdonnaient dans un silence lourd. Plus de voiture, de bus, de téléphone mobile, de radio, de rien… Juste le vent, les pierres qui roulent des décombres et mon souffle grésillant dans ma tête.

Autrefois… Non ! Tout à l’heure, il y avait plus d’un millier d’âmes qui circulait au milieu de la cour, au centre de tous les bâtiments. Un millier d’élèves et un seul me manquait ; Syvanna.

Puis d’autres noms me revinrent à l’esprit ; Fabrice mon meilleur ami, Moïse et Fred mes deux autres amis d’enfance, Tania la sœur de Syvanna et Vanessa l’ami de toujours de Syvanna. Nous avions tous à peu près seize ans et en pleine transformation physique, mentale et hormonale.

Syvannah.

Elle ne me portait aucune attention. Nous étions dans la même classe mais pas de la même classe socio-adolescente. Elle appartenait au groupe des filles très jolies, inaccessibles et en plus elles était excellente en cours et cool. Moi et mes amis faisions partis des mecs banals. Nous n’étions pas du groupe des moches, des intellos ou des ringards, nous étions juste transparents, ni influents, ni souffre-douleurs. Nous n’étions pas membres de la cour royale des élèves cool, ni vraiment victimes de leurs sévices prépubères, des moqueries ou des violences condamnant des physiques ingrats d’adolescent. Difficile d’accéder à cette caste élitiste pour ceux qui n’étaient pas à la dernière mode et à ceux qui ne pensaient pas, comme la majorité, au consensus moyen du capitalisme adolescent, où l’apparence règne en maître.

Pourtant Syvanna était la première personne, après mes amis, que j’avais essayé de protéger. Ce sentiment refoulé d’attirance sexuelle m’avait poussé à risquer ma vie pour elle.

La première fois que je l’avais croisé dans les couloirs, elle avait détourné le regard, ou tout simplement elle regardait ailleurs. Ses pupilles noires incrustées tel des diamants dans ses yeux de formes félines, fuyaient mon regard abruti. Je rêvais glisser mes doigts entre ses longues tresses, de caresser sa peau mate. La courbe de ses seins avantageux et de ses reins me faisait frémir. J’étais tombé amoureux d’une forme, d’un physique comme beaucoup de jeunes mâles inexpérimentés. Le sentiment d’amour n’était pas clairement défini dans nos cerveaux soumis aux réactions chimiques provoqués par la découverte de notre corps, de celui de la femme et de leur croissance sexuelle et physique. Le caractère, la personnalité, la tendresse, le mental, la gentillesse étaient souvent gommés par nos hormones masculines qui pétillaient dans nos bas-ventres. Caractéristiques reprochées souvent à l’homme, mais la femme est soumise de la même manière à ses changements les rendant souvent cruelles aux yeux du jeune surpris par ce fait. La chute était souvent plus douloureuse, je pensai, à supporter pour le jeune garçon que pour la jeune fille. J’avais vécu cette terrible désillusion. Tout innocent que j’étais, j’avais déclaré ma flamme à la belle métisse. Aussitôt dit et elle m’avait renvoyé à mes affaires. Syvanna ne souhaitait pas être vu par un sans grade au sein du royaume scolaire en compagnie de sa coure de fidèles ; mecs et filles cool, aux normes de la société de consommation. Ah ! Si j’avais pu être musclé, habillé par les dernières marques à la mode, coiffé comme un acteur en vogue. Pourtant je pratiquais un sport à haut niveau, mes parents étaient financièrement aisés. Mais je préférais un bon livre à une paire de chaussures griffée. Et au fond de moi, je trouvais les coiffures branchées ridicules, même si cela plaisait aux filles.

A quoi bon se forcer à plaire à la gent féminine, si la fille ne t’aime pas pour ce que j’étais. C’était typiquement un argument de jeune puceau car c’était un sentiment que je rejetais moi-même à mon propos quand j’étais attiré par une fille sexy. De toute façon, moi et mes copains, nous avions aussi notre classement sur les filles à leur niveau. Syvanna et sa sœur étaient dans la catégorie des “Inaccessibles”. Nous nous réconfortions entre nous en nous racontant des histoires, en composant l’avenir où notre vie sexuelle serait l’extase avec les plus belles filles du monde en oubliant toutes notions de sentiments affectifs. Nous rions et jouions aux mâles accomplis et cela nous suffisait.

Pourtant dans un moment tragique, j’avais réalisé une partie de mon rêve. J’avais agrippé le bras de Syvanna et touché sa peau soyeuse. Dans un premier temps, ma main avait glissé sur la douceur de son avant-bras, puis je l’avais serré fermement au niveau du poignet jusqu’à la faire grimacer de douleur. Dans l’agitation, ses tresses cognaient contre mon visage.

Un énorme bloc de béton s’effondra sur lui-même à quelques mètres de moi m’égarant de ma pensée. Je pris conscience que ma mémoire récente se reconstituait lentement au fil de ma réflexion douloureuse. Je retournais au moment qui précéda le… Boum. Ma première vision ressemblait à une photo de classe. Je voyais en face de moi ; Syvanna, Tania, Vanessa, Carole ; les “Inaccessibles”, Karl, Jordan, Mike ; les “Mecs cool”, Anthony, Sébastien ; les “Brutes”, Jérémy et Cindy ; le “Couple”, Romain ; “l’Intello”, Léa et Collin ; les “Peureux”, Chris; “le nurd”, Sonia et Vladimir ; les “Chanteurs”, Edouard ; “l’Obèse sympathique” et nous, Fabrice, Moïse, Frédéric dit Fred et les autres de la classe ; les “Transparents”. Quelle idiotie de classer les camarades dans des catégories si simplistes pensai-je. La première idée que l’on se faisait d’une personne suffisait à définir sa personnalité. Et c’était cette vision réductrice qui provoquait toutes ses inégalités, ses injustices adolescentes propres au milieu scolaire.

Dans les couloirs du bahut, Anthony avait barré le chemin de Fred avec son pied. Déséquilibré, Fred chutait, je l’avais rattrapé de justesse. Mon sauvetage m’avait obligé à bousculer Syvanna présente sur la trajectoire. Les mecs cools et les brutes ricanaient de leur forfait. Je craignais la colère des Inaccessibles et bien sur la réaction de Syvanna envers moi. Elle me lança un regard noir, mais il se dirigea rapidement vers les mecs cool et les brutes.

« Ça vous amuse bande d’abrutis ? Vous ne pouvez pas laisser ces garçons tranquilles !

— Mais tu as vu leurs têtes, ils ne peuvent rien nous faire, s’esclaffa Anthony.

— En tout cas, eux, ils ne sont pas débiles comme vous.

Cette petite remarque sonna comme une victoire.

C’était la première fois que Syvanna lui prêtait une attention particulière. Elle les avait défendus contre les mecs cools. Mieux, en quelque sorte, elle m’avait placé moi et mes amis au-dessus des mecs cools. Certes maintenant, ils s’exposaient à des représailles, mais qu’importe. Syvanna avait un peu d’intérêt pour nous. Peut-être au contraire ; que cet intérêt serait une immunité contre les brutes et qu’ils étaient entrés dans la catégorie reine des “Mecs cool”.

Ces considérations semblaient dérisoires et ridicules après ce qui allait suivre.

Anthony essaya de se venger dans l’instant, mais une subite prise de conscience collective provoqua un changement de statut. Toute la classe présente émit un regard sombre vers l’agitateur. Anthony chercha main forte du côté de son acolyte Sébastien qui l’abandonna en détournant les yeux. La destitution de leur rang par la reine Syvanna avait sonné le glas des brutes.

« Laissez-nous tranquille bande de sauvages, intervint Romain à mes côtés.

— Vous êtes sans intérêt, allez-vous-en, continua Edouard un pas vers Fred.

Les Inaccessibles s’étaient retournées pour assister à la scène. Un groupe conséquent d’élèves faisait face aux brutes. Anthony partit sans un mot, les poings serrés.

Le souffle chaud et doux de la mélodieuse voix de Syvanna bouleversa mes sens.

« Tu devras quand même te méfier de lui à présent. On ne sait jamais, il est très susceptible, chuchota Syvanna au creux de mon oreille.

Le monde disparut, il n’y avait plus qu’elle et moi. Sa voix m’enchanta…

Quand un immense éclair traversa les cieux et déchira l’horizon dans un silence épais.

A une centaine de kilomètres devant le lycée, la terre se souleva pour former une lame de fond de poussières et de débris, toujours sans aucun son. Nous étions dans la cour proche de l’entrée du lycée. Tous les regards étaient fixés sur la vague de destruction qui se dirigeait vers nous. Tous les corps se figèrent de stupéfaction et d’horreur.

Soudain le bruit infernal de l’impact de l’explosion parvint à nos oreilles, meurtrissant nos tympans ce qui décristallisa les gens et conduisit à une énorme panique collective. La vague de mort grossissait à vue d’œil balayant tout sur son passage approchant vers nous, grignotant le paysage.

Le premier réflexe de tout le monde fut de s’abriter dans les bâtiments. J’eu le souvenir fugace d’une de mes lectures. Face au souffle d’une bombe atomique, c’étaient les petites structures qui résistaient le mieux. Plus la hauteur d’un bâtiment était grande par rapport à la diagonal de sa surface soumise à la force du souffle, plus il était fragile. C’est-à-dire, plus les dimensions du bâtiment se rapprochaient d’un cube, plus il résisterait. Après cela, tout dépendait des matériaux utilisés dans la construction. Le lycée était un ensemble moderne qui s’élevait en hauteur sur six étages avec une base de petite superficie fait d’acier et de verre. Je conclus rapidement qu’il s’effondrerait comme un château de cartes.

Le petit local à poubelles en béton derrière nous à côté du parking, bien ancré dans le sol paraissait un meilleur refuge. Il ne possédait aucune fenêtre qui éclaterait pour blesser ou résister aux contraintes du souffle provoquant le basculement de toute une façade comme le lycée. Certes, avec son absence de fermeture solide, ils seraient exposés à la violence sonore du souffle, à l’invasion de la poussière et à cette appréhension que sa vie ne tient qu’à la solidité d’une si petite cage de béton. C’était la raison pour laquelle tout le monde s’abritait dans le lycée. La grandeur de l’architecture rassurait. Plus le bâtiment était grand, plus l’homme se sentait en sécurité, ce qui était une idée absurde.

J’étais le seul à ne pas avoir bougé d’un pas. Fabrice me tira par la manche pendant que Moïse nous criait de nous hâter.

” Non ! Le lycée n’est pas un bon endroit. Moïse ! Fred ! Revenez ! Fab, le local à poubelles sera plus sûr.

— T’es malade mon vieux ! Allez merde ! Viens !

Je hurlai : ” Prenez un domino pour le lycée et un dé pour le local, d’accord ! Posez les deux sur une table ! Soufflez dessus ! Seul le domino tombera parce qu’il a plus de prise au vent.

Ma démonstration imagée agissait comme une évidence pour ceux qui l’avait entendue.

Fabrice resta avec moi. Après une brève hésitation Fred et Moïse nous rejoignirent.

Pendant que Romain, Chris et Edouard faisaient de même, je remarquai le groupe de fille. Vanessa essayait de convaincre sa meilleure amie et sa sœur de se réfugier sous le local. Syvanna me fixa de loin. Elle semblait pétrifiée de terreur, dans l’incapacité de prendre une décision. Vanessa et Tania commencèrent à s’approcher. Tania buta sur la rigidité du corps de sa sœur. Elle tira sa manche en hurlant. Rien à faire, elle était figée. Je me retournai répondant aux cris de ses amis. Il vit avec stupeur la vague de poussières et de décombres de l’onde de choc toute proche avalant des immeubles de vingt étages de la périphérie de la ville. Je me précipitai vers les trois filles.

” Allez-vous mettre à l’abri ! Je m’occupe d’elle criai-je.

Je tirai sur la manche de Syvanna jusqu’à déchirer le tissu. La jeune fille restait statique, dans son mutisme. Je commis un acte impensable, il y a cinq minutes à peine, je la giflai violemment pour la ramener à la réalité. Son visage rougissant ne montra aucun sentiment, seul ses pupilles se dirigeant vers moi révélèrent son retour parmi nous. Elle se laissa traîner vers le petit local. Je jetai Syvanna dans la benne à ordure où étaient réfugiés ses amis.

Je n’eus pas le temps de grimper dans la poubelle, je plongeai à ses pieds.

Et la vague de chaos passa, dévastatrice, assourdissante, d’une puissance qu’aucun homme ne pouvait s’imaginer sans l’avoir vécu. Le souffle traversa le local, renversa les poubelles. Le dépotoir, refuge des élèves avait décollé et rebondit aux quatre coins du local avant de se renverser contre une autre benne. Je reçus l’une d’entre elles sur le corps couché. Les bouteilles qu’elle contenait, m’assommèrent.

Comme prévu, les grandes vitres du lycée éclatèrent, crachèrent des corps et des meubles. La charpente en acier s’écroula comme un fétu de pailles pris dans une bourrasque. Les tôles du gymnase ployèrent comme du papier d’emballage d’aluminium avant de s’envoler pour s’écraser à plusieurs kilomètres. La bibliothèque implosa et se dispersa dans la vague de mort. La violence des sons retomba dans un silence funèbre.

Je venais de recouvrir toute ma mémoire récente.

Je me tournai vers la benne contre laquelle j’étais adossé. Un bras fin débordait de la boite. La poubelle fut prise de soubresauts, puis une immobilité de quelques secondes. Enfin Fabrice sortit de la benne, étourdi.

” Ils sont tous évanouis là-dedans, dit-il en s’asseyant lourdement à côté de moi. Va voir Syvanna, ça à l’air plus sérieux. Sinon tout le monde est indemne.

— En tout cas ici. En face, c’est la mort qui plane, dis-je en me levant. Je tapotai l’épaule de mon ami pour le rassurer.

Edouard s’extirpa avec Syvanna et Tania dans ses bras. Les têtes abasourdies, Vanessa et Fred dépassèrent de l’ouverture. Le petit groupe resta collé, les uns contre les autres en observant le paysage dévasté.

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4 Commentaires
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bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Un trésor d’inventivité, que de thèmes abordés dans ce récit. Tout est relatif, les forts ne sont pas ceux que l’on croit. Bravo pour ce texte, quel talent!

lune Marie
lune Marie
2 années il y a

Super!

DeJavel O.
2 années il y a

Apocalypse ! Okay, J’ai vu que tu as plusieurs chapitres de produits, donc ton projet avance ! Je te suis !

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