Vincent, Hermine, Maximilien et Charlotte devaient à l’heure actuelle être en train de souhaiter ma mort plus que n’importe quoi.
Avant-hier, Salomé et papa sont rentrés à la maison fous de joies. Ils ont réussis à acheter le pur-sang ! Papa a trinqué à Salomé. Il estimait que tout était grâce à elle et je n’avais eu aucune difficulté à le croire. Claude s’est joint à nous dans la soirée et nous avons tout les 4 fêté ça, comme il se doit. En discutant allègrement, je laisse échapper le projet de Salomé pour pâques. Bien que Claude ne soit pas le type à l’apparence la plus commande qui soit, il invita Salomé à en parler et fut plutôt content de l’idée. Du coup, il a promis de nous donner une réponse le lendemain.
Ainsi, mardi est arrivé, et Salomé m’a appelé a la fin de sa journée pour me dire que Claude donnait son feu vert. Après avoir fêté ça au téléphone, mon père m’a appelé pour dîner et j’ai tout de suite penser que mes amis seraient d’accord pour prendre part au projet. Je lui ai promis d’amener “des types sympas et prometteurs” pour nous aider. Elle accepta volontiers et nous nous sommes données rendez vous au standard demain à 15 heures, après les cours. Avant de passer à table, je me suis mise à passer des coups de fil pour avertir mes amis que nous allions devoir gérer une crise dès demain. Je fixe avec chacun le rendez vous et je dois reconnaître que j’éprouvais une immense satisfaction.
Après manger, après avoir fait la vaisselle et assemblé toutes mes affaires pour la journée de demain, je retourne dans ma chambre pour me préparer à dormir. En me déshabillant pour enfiler ma chemise de nuit, mon regard tombe sur mon bureau, là où était posé Le Loup des Steppes. Bien que je ne l’avais pas encore commencé, il m’évoqua tout de suite Ibrahim. À la première page, il avait écrit l’adresse d’un endroit où il voulait qu’on se voit. Se voir, sûrement pas pour parler de la puit et du beau temps. Non, il voulait qu’on parle de lui et de moi. Mais je n’en avais certainement plus envie. Plus depuis que j’ai appris qu’il avait une famille. Après avoir mis ma chemise de nuit, je prends le livre entre mes mains et regarde son écriture. Belle et soignée. Et elle lui ressemblait. Je souffrais en vérité, mais je ne voulais pas l’admettre. Ce n’était pas possible. Je ne le connaissais même pas, nous avions flirté à seulement deux reprises et je ne connaissais ni son nom de famille, son âge, ni l’endroit où il vivait.
Je sors de ma chambre après avoir rangé le livre, afin ne plus le revoir, pour souhaiter bonne nuit à mon père. Il était assis sur la table à manger, au salon, me faisait dos et… parlait tout seul ?
– Eh, papa ?
Il se retourne vivement et me fait un grand sourire :
– Oui, Elza ?
– Je voulais te souhaiter bonne nuit… mais ça va ?
– Oui, tout va bien, j’étais juste fatigué.
– Vas dormir alors.
– Oui, je dois juste finir quelque chose.
– Et c’est quoi ?
– C’est pas le plus important, viens là.
Il me prend dans ses bras et me souhaite aussi bonne nuit. Comme je savais qu’avec mon père, je ne devais pas insister, je retourne dans ma chambre, sous mes draps. Je me mit à penser à Ibrahim.
J’ai souvent entendu parler de liaison que des hommes mariés entretenaient avec de jeunes adolescentes de mon âge. Pourtant, quand il a appris que je n’avais que 17 ans, il avait eu l’air perturbé et n’avait apparemment pas envie de continuer ce qu’on avait commencé. Enfin, il en était dubitatif.
Mais quoi qu’il en soit, il avait quelqu’un et avait une fille. Je ne pouvais pas m’engager dans une telle histoire. Surtout avec quelqu’un aussi malhonnête que lui.
Demain, j’irai à son rendez-vous. J’écouterai ce qu’il a à dire. Après tout, il ne sait pas que je suis au courant de ce qu’il m’a caché. Et ensuite, je couperai définitivement les liens avec lui. Ça ne me semble pas impossible. Ensuite, je reprendrai ma vie insouciante sans tracas, ni rien.
Alors pour revenir à nos moutons, nous sommes arrivés à mercredi, 15 heures. Tout mes amis étaient au centre équestre avec Salomé, dans le bureau du standard, après une matinée de cours, tandis que je balayais l’écurie, et qu’Esprit, un étalon, à la magnifique crinière noir, à parfaite robe marron, qui s’amusait à me donner des coup de museau à l’épaule pour visiblement attirer mon attention. Je lui caresse en retour son chanfrein jusqu’à son toupet, en l’affublant de plusieurs surnoms affectueux. Mon beau, champion, chouchou. De tout les chevaux du centre où travaille papa, Esprit est celui avec qui j’ai le plus d’affinité. Je continue de le cajoler quand je vis quelqu’un arriver. Je m’approche et reconnais tout de suite la silhouette de Charline, la sœur de Charlotte. Je l’accueille d’un petit geste de la main et elle me fait à son tour un petit signe. Quand elle arrive a ma hauteur, je constate qu’elle portait sa tenue de cavalière et avait un sac dans le dos.
– Bonjour… j’ai cours mais… il n’y a personne ?
– Mon père est à l’étage et il t’attend justement. Vas voir Salomé qui te dira qui monter. Attends, je viens avec toi.
Nous nous dirigeons, avoir rangé le balais dans l’armoire, toutes les deux vers l’intérieur où mes amis venaient de sortir de la salle du standard.
Quand les deux sœurs se remarquerent, elles se firent un vague sourire. Mais Charline était plutôt étonnée de voir Vincent qu’elle observe un petit moment et réciproquement.
– Vous vous connaissez ? intervient Charlotte.
– Oui, repondit Vincent.
– On est choeur, ensemble, à l’église, ajoute Charline.
– Oh.
Elle ne repondit rien d’autres et alla s’asseoir quelques part, ignorant complètement sa sœur. Nous nous en sommes tous rendu compte et cela jeta un énorme malaise que Salomé essaya de briser en déclarant à la jeune sœur :
– Tu vas prendre… Princesse.
Charline se contente de la remercier et s’en va rapidement, sans rien dire à personne. Quand on était sure qu’elle n’était plus là, Maximilien lança :
– Franchement Lotte, t’es pas très diplomate avec ta sœur…
– Ne parle pas quand tu ne sais pas c’est quoi.
– Eh ! J’ai des sœurs. Deux même. Et elles ont entre 3 et 7 ans. La tienne a 14 ans, alors autant te dire que t’as passé l’âge des catastrophes.
– Et quand c’est ta sœur elle-même la catastrophe ? s’emporte Charlotte.
– Si t’as des comptes à régler avec Line, c’est pas la fuite et les insultes dans le dos de l’une de l’autre qui va les régler, intervient Hermine, à son tour. Elle ne t’a jamais rien fait si ce n’est être ta demie sœur.
– Et changer de sujet, ça vous dit ? s’invite Vincent, qui ne voulait pas de dispute.
– Bon ! On revient sur ce pourquoi on a décidé de se réunir ? propose Maximilien.
– Oui, j’ai beaucoup aimé l’initiative, dit Hermine. Et on participe au projet avec plaisir.
– Merci beaucoup, les amis, dit Salomé, complètement émue.
On se concerte tous ensemble sur ce fameux projet, en s’attribuant tous des tâches. Même Charlotte qui faisait la tête dans son coin finit par nous rejoindre. Hermine et Maximilien devront gérer le budget que Claude voulait bien nous accorder, pour les jeux, les œufs en plastique, les costumes, les ballons, absolument tout, mais surtout les chocolat. Il était assez restreint alors nous devions être très organisés. Pour ma part, j’ai promis de m’occuper de la nourriture et Vincent, qui avait la fibre en dessin se chargeait de créer des prospectus assez alléchants afin de pousser au mieux les gens à venir. Salomé et Charlotte, devaient se charger de l’organisation en général et de la balade avec les chevaux à la fin de l’après midi. Nous avons blablaté un long moment à propos de notre projet et une heure plus tard, le coucou retentit de la pièce, nous faisant sortir de notre bulle. Je jette un œil à l’horloge.
– Les gars, je dois partir. J’ai un truc à faire mais on lâche rien.
– Je dois partir aussi, dit Hermine, je dois garder mes frères, ma mère doit bientôt partir pour son service.
– J’ai des révisions à rattraper aussi, explique Maximilien.
– Et dans une heure, j’ai violon, dit Vincent.
– J’ai rien à faire, lâche Charlotte, mais je dois partir aussi.
– Et moi, je dois retourner à mon poste, fit Salomé, sinon Claude va me faire une attaque.
Comme nous avions tous quelque chose à faire, on quitte le centre équestre tous ensemble pour rentrer. Nous passons devant la carrière et je ne pu m’empêcher de regarder Charline, sur le dos de Princesse, s’entraîner à du saut d’obstacle, sous les consigne de mon père.
– Elle travaille dur ta sœur, observe Hermine.
– Oui, dit Charlotte. Elle passe le galop 3 en décembre et sa mère va lui faire la misère si elle l’a pas.
Nous n’avons pas besoin de dessin pour savoir ce qu’elle voulait dire par là et on se contente de lui souhaiter bon courage.
– Je transmettrai, répondit simplement Charlotte.
Après avoir passé le grillage, nous partons tous de notre côté après s’être salué. Je marchais avec Hermine quand elle me dit :
– Elle est dure Charlotte avec sa sœur.
– Tu connais Charlotte. Je suis sûre qu’elle tient à elle. Mais elle est trop fière pour l’admettre.
– Oui mais… elle a l’air de vraiment… la mépriser.
– Je t’avoue que les relations fraternelles c’est pas mon truc. Je suis fille unique, alors…
– J’imagine. Mais tu ne te sens jamais seule ?
– Pas vraiment non. J’étais le centre du monde de mes parents, enfin quand ma mère était là. Donc la solitude je ne connaissais pas trop ça. En plus, je vous êtes là, vous êtes comme des frères et sœurs pour moi.
– T’es bien gentille toi !
Elle se mit à rigoler en me tapotant l’épaule.
– Je dois sûrement me faire trop de film, après tout, qui aime bien, chatie bien.
– Oh, ça tu l’as dit.
Nous arrivons devant un escalier qui menait vers le centre du village. De là où nous étions, nous avions une vue magnifique sur le village et je regrettais de ne pas avoir d’appareil photo sur moi, à ce moment là.
– Je rentre mais tu as bien un truc à faire ?
– Oui, je vais continuer à droite jusqu’au jardin des enfants.
– Ça marche, alors au revoir, à demain.
– Oui, à demain.
Elle me fit une bise et nous partons chacune de notre côté.
Plus je m’approchais du jardin, et plus j’avais l’impression que mes jambes allaient me lâcher. Mon cœur battait la chamade et j’avais beau faire quelques pauses pour reprendre mon souffle, je n’y arrivais pas. Le chemin étroit semblait infini et je decide de me mettre à courir jusqu’au lieu du rendez vous. Enfin arrivée, je regarde les alentours. Je passais rarement par là et remarque quelques d’enfants en train de jouer tous ensemble dans le jardin. Mais aucune trace d’Ibrahim. Il m’avait posé un lapin ? Et si il était juste caché et se faisait une joie de me voir l’attendre comme une imbécile. Je me sentis terriblement mal en une fraction de seconde. Je m’apprêtais à rebrousser le chemin quand je l’entendis m’appeler.
– Elza !
Je me cripse automatiquement et tente de rester calme. Après tout, nous n’allons que discuter. Pas besoin de m’affoler. J’enfile mon masque et me retourne, souriante jusqu’aux oreilles. Je ne devais pas lui monter que j’étais au courant, cela devait venir de lui même.
– Tiens, vous êtes là, vous ! lancé-je, en me forçant de paraître amicale.
– Je suis content que tu sois venue. J’ai pensé que tu allais me déposer un lapin, avoua-t-il. Tu peux me tutoyer, ça ne me gêne pas.
– J’ai pensé que tu ferais pareil, admit-je.
– Tu… tu veux bien qu’on s’assoit sur un banc ?
– Non, allons nous-en, le raffut des mômes va nous gêner je pense.
– Elza…
– Oui ?
– Je peux pas.
– Oh et je peux savoir pourquoi ?
Mes phrases sonnaient trop fausses, je n’arrivais pas à me montrer aussi sympathique que je l’aurais voulu. Décidément…
– Écoute, je comprends que tu as eu l’impression que j’allais te laisser tomber pour ton âge mais ce n’est pas ça qui m’a… dérangé.
– Oui, c’est le fait que tu sois déjà mariée et que tu ais une gamine. Tiens, elle est sûrement là, on fait les présentations ?
Je n’avais eu aucune envie de lui dire ça, mais tout était sortie tout seul. J’étais en colère maintenant. Parce qu’il essayait clairement de me prendre pour une conne. Il se mit à me regarder dans le blanc des yeux, sincèrement choqué de ce que je venais de dire. Ses yeux s’étaient tellement élargit que je croyais qu’ils allaient sortir de leur orbite.
– Qui t’a raconté ça ? demanda-t-il, hébété.
– Ah mais parce que tu croyais que je n’allais pas le découvrir ?
– Je suis sérieux, je veux savoir qui t’a raconté ça.
– On s’en cogne franchement, Ibrahim. Donne moi ta main.
– Quoi ?
– Donne ta main.
Je la prends sans lui demander son avis. Ce contact m’electrisa aussitôt. Sa main était douce et chaude. Elle demandait à être caressée jusqu’à la fin des temps… je me reprends vite et inspecte sa main gauche. Aucune alliance en vue.
– Ah t’es le type de mec qui retire son alliance le temps d’aller tirer son coup ailleurs.
Il s’énerva cette fois et me repoussa brutalement.
– Arrête ! Je ne suis pas “le type de mec” dont tu m’accuse.
Nous nous fixons un long moment sans ne rien dire et il reprit quand cela commença a devenir gênant :
– Tu n’y es pas du tout, je t’assure et je peux tout t’expliquer depuis le début.
– Tu aurais du le faire depuis le début, justement.
– On était de pauvres inconnus l’un pour l’autre.
– Alors pourquoi tu m’as regardé ce jour là ?
– Elza… j’ai pas d’excuse, je sais. Mais tu me plais, réellement. Je t’assure. Je n’ai jamais voulu te blesser. Et ce jour là, au début de l’été, c’était une pauvre coïncidence. Mais après quand je t’ai vu à la libraire… j’ai cru que tu étais une adulte, qui a entre 20 ou 21 ans. après… il s’est passé, tout ce qu’il s’est passé.
Plus aucun de nous ne cherche à parler. Nous voulions sûrement profiter de cet instant de calme. Je remarque une chose. Régulièrement, il s’était frotté frénétiquement le sourcil avec le pouce. Intéressant. Voilà ce qu’il fait quand il est anxieux.
Ce qu’il m’avait dit m’ébranla complètement et sans que l’on soit maître de nos mouvements, nos deux corps se mirent à se rapprocher petit à petit. Rapidement, il finit par poser ses mains sur mes épaules et les passe le long de mon bras.
– Ça va ? il me chuchote à l’oreille.
Une sensation d’extrême-bien être remuait dans mon ventre et… qu’est ce que j’aurai pas donné pour qu’elle dure ! Alors que j’osais poser mes miennes sur son cou, nos souffles se mirent à s’entremêler. Nous n’étions plus dans le jardin des enfants d’un village paumée au milieu de nulle part, à Poitiers mais dans notre bulle, derrière l’univers, rien qu’Ibrahim et moi.
Des papillons faisaient du ballet dans mon ventre et je sentais mon corps entier, de la tête au pied, vaciller.
Nous nous fixons un long moment, prêts à sceller nos lèvres, probablement jusqu’à ce que ma conscience hurla : “t’es qu’une pute, briseuse de couple”. Ni une, ni deux, je le repousse et lui crie dessus :
– Ne me touche plus ! Espèce de sale con !
Je pars en courant, essoufflée alors que ma course venait à peine de commencer. Je sentis mes larmes piquer mes yeux et comme descendre l’escalier me fit peur, au vu de mon état, je me réfugie dans les buissons. A peine quelques secondes plus tard, j’entendais quelqu’un en train de courir. En m’appelant. C’était Ibrahim. Et il ne lâche pas, lui. Je tente de rester silencieuse alors que mes joues étaient infondées de larmes. J’étais déçue, en colère et triste. Pourquoi de tout les hommes qui existent sur terre, c’était sur lui que j’ai jeté mon dévolu ? Pourquoi c’était seulement les personnes avec qui tout allait foirer à coup sûr, sur qui je tombais. Je le vis descendre les marches puis rapidement les remonter pour retourner sur ses pas. Une dizaine de minutes plus tard, j’avais alors décidé d’attendre qu’il revienne, j’entendis encore des bruits de pas et des bribes de conversation. Je regarde à travers ma cachette et le vit accompagnée d’une gamine de 4 ou 5 ans, brune, portant des nattes et une robe qui lui donnait des airs de poupée. Elle était vraiment adorable… mais surtout, l’innocence marquée de son visage me rappela celui d’Ibrahim. C’était donc elle, sa fille. Et sa femme, ou elle était ? Sûrement chez elle, à attendre son mari et son enfant pour ensuite passer une soirée allègre avec eux. Je les entendais discuter dans une langue inconnue mais qui semblait douce. C’était sûrement ça le persan. La fillette avait l’air heureuse avec son père et parlait avec beaucoup d’entrain et il lui repondait d’une voix douce et rassurante. Et cela me fendit le cœur…
C’est là que je me suis rendue compte qu’après à peine 4 conversations, je m’étais lamentablement laissée tomber amoureuse de lui.
Un bon moment après, quand j’ai réussit à dompter mes émotions, je suis sortie de ma cachette pour rentrer chez moi.
Depuis, deux mois ont passé et novembre et son froid arrivèrent plus rapidement que prévu. Je n’ai plus revu Ibrahim, du moins, j’ai tout fait pour et la douleur de cette journée s’éloigna de plus en plus. Jusqu’à ce que deux événements consécutifs viennent tout perturber.