Le loup des Steppes m’a tenu en haleine, 230 pages de lecture, durant. Depuis que j’ai commencé sa lecture, dès les premiers mots, la journée avait passé comme toutes les journées passent…, et ce, jusqu’à la toute fin. J’ignore si cet engouement avait été dû au fait que ce soit auprès d’Ibrahim que je l’ai obtenu ou le fait que ce soit Vincent, qui me l’a chaudement conseillé mais quoi qu’il en soit, je comprends enfin le sens des mots « la plus belle œuvre au monde ». Quand je lève enfin mes yeux du bouquin, je jette un œil à la fenêtre et constate qu’il commence à faire jour. J’etteints ma lampe de chevet et, complétement saturée par cette longue nuit, je m’allonge dans mon lit et plonge enfin dans les bras de Morphée. A peine deux heures après, je suis parvenue à me réveiller, mais totalement défaite. Sans me faire prendre par Alyssa ou mon père, je rejoins la salle de bain où je me passe une bonne poignée d’eau au visage. En me regardant par le miroir en m’essuyant, je me répète plusieurs fois que tout ce qui s’est produit hier appartient au passé et que je devais tout oublier pour me concentrer sur le jour d’aujourd’hui, ainsi faire m’efforcer à faire passer à Alyssa, le meilleur week-end de sa vie. Après être retournée dans ma chambre pour m’habiller convenablement, en sortant, je vois mon amie, postée devant ma porte.
– J’allais frapper… me dit-elle.
– Bonjour, Alyssa. T’as bien dormi ?
Elle fait mine de s’étirer.
– Impec’, alors ! Et toi ?
– Pas trop pour être honnête.
– J’imagine… je…
Elle s’approche de moi avoir observé un moment l’entrée de la maison.
– Ton père est sortie faire des courses de ce qu’il m’a dit.
– Tu es levée depuis longtemps ?
– Non, à peine une demie heure. Ca nous laisse le temps de… discuter.
– Tu as pris un café ?
– Non pas encore. J’ai dit à ton père que je t’attends.
– Bah viens.
Je lui prends la main pour la guider jusqu’à la cuisine où je commence à faire bouillir de l’eau. Comme je sais qu’Alyssa est une adepte du café bien fort, je commence à préparer la poudre pour elle et une infusion pour moi. Mon amie reste dans l’étroite cuisine avec moi, alors que je lui ai conseillé de m’attendre dans le salon. Une fois nous être servie, et nous être assise derrière la table à manger, Alyssa boit une grande gorgée, se racla la gorge et dit, d’une voix claire :
– A nous deux !
Je n’ose même pas entamer mon thé et réponds :
– Tu veux qu’on parle de quoi..? Hier soir..?
– Mon dieu, mais tu es tellement intelligente !
– Arrêtes de te moquer de moi… dis qu’est ce qu’il y a ?
– Je veux juste des explications.
– Y a rien à dire. Ce que tu as vu parle pour lui…
– Ça ne m’intéresse pas. C’était qui ce mec dont Vincent parlait ?
– Rien, juste un mec lambda avec qui je m’entends bien.
Mouais… il est tout sauf lambda à mes yeux.
– Un peu trop bien visiblement…
– J’étais bourrée hier.
– Je connais tes habitudes mieux que les miennes ; tu ne bois pas.
Ma boisson, alors que je suis une véritable adoratrice du thé – particulièrement au fruit de bois ! – , me parut tout d’un coup immonde. Mes ongles me paraissaient d’un coup, plus appétissants… jamais je n’aurai le courage de tout avouer à Alyssa. Comment parler à une personne avec qui on a été en couple de nos dernières aventures amoureuses ? C’est complétement stupide et inutile. Certes, quand tout ceci est arrivé, Alyssa et moi avions à peine 15 ans, nous étions des gamines, en plein apprentissage, on ne savait rien à la vie. Certes, elle m’a parlé de cette fameuse Aïley hier. Mais je suis, en temps normal, une personne qui se confie peu, voire pas du tout. Alors même devant celle qui, a été pour une période de 6 mois, ma petite amie, j’avais encore du mal à me confier sur tout. Mais qu’est ce que j’y perdrai à tout lui dire ? Et Alyssa s’est tant confiée à moi dans le passé… je me laisse alors aller, à demi-mot :
– C’est un homme marié, voilà.
Elle ne répond rien, mais je sais très bien à quoi elle doit penser…
– Seulement, je reprends, il m’a dit quelque chose hier… apparemment c’est un malentendu et il n’y a plus rien entre eux… enfin ils vivent encore ensemble mais il paraît que c’est temporaire.
– Et toi, tu le crois ? Tu ne penses pas qu’il a dit ça… dans le feu de l’action ?
– Il ne veut plus me voir.
– Elza, je te jure que je ne comprends rienn à ce que tu me raconte. Et si tu reprenais depuis le début ?
Je pousse un soupir. Et même moi, je ne comprends rien à ce qu’il se passe… je passe une main sur mes cheveux en songeant qu’en fin de compte, toute cette histoire, j’en ai touché un mot à personne. Ni à Salomé, Hermine et encore moins à Alyssa et mon père. Alors que ce sont sûrement les personnes en qui j’ai le plus confiance. Pourquoi ? Parce que j’ai honte ? Peur de les déranger ?
Je n’en ai aucune idée et alors que la culpabilité me démange, je commence :
– Au début de l’été, Vincent m’a demandé de sortir avec lui.
– Lui ? Sérieux ? Mais nan !
– Tu viens bien me laisser terminer ?
– Oui, pardon…
– Donc, je te disais que Vincent m’a demandé de sortir avec lui. J’ai refusé, parce que franchement, je me sens mais alors absolument pas attirée par lui, et ça a jeté un froid entre nous, tu penses bien. A la rentrée, il est venu s’excuser… sauf qu’entre temps, j’ai rencontré le type d’hier. Et… il me plaît vraiment.
– Mais te ne m’as rien dit hier quand je t’ai demandé si justement quelqu’un te plaisait un peu. je croyais qu’on se disait tout, moi…
– C’était compliqué…
– Mais… Elza, le simple fait qu’il te plaise est compliqué.
J’étais entourée par les réincarnations de philosophes des Lumières, à ce stade là… Ibrahim qui parle comme Voltaire, mon père qui redéfinie le sens de la vie, comme Descartes et Alyssa qui se renomme Rousseau. Décidément…
Mais au fond, je savais bien qu’elle avait raison. Le simple fait d’aimer quelqu’un était compliqué. Toute la charge de bouleversement physique et moral que cela apporte est une véritable énigme…
– Je sais… mais il faut que tu sache que j’ai appris par le plus grand des hasards qu’il avait une femme. Et une fille. Le problème c’est que je croyais qu’il se passait quelque chose entre nous, on s’est… dragué mutuellement.
Je me cache le visage avec mes mains et passe mes mains sur le début de la chevelure. Mon dieu, quelle honte d’avouer tout… j’ai envie de disparaitre sous terre, maintenant.
– Sans déconner..!
Elle avale son café d’une seule traite, sans me quitter des yeux, les yeux écarquillés. Pas que je passe pour une sainte nitouche auprès d’Alyssa et mes amis mais… si, en fait, c’est totalement le cas. Mes connards de potes ont même parié sur le fait que je n’étais clairement pas le type de fille qui laisse un mec regarder sous ma jupe avant le mariage. Oui, en fin de compte, papa a raison quand il dit que je devrai revoir mes fréquentations.
– Il a essayé de me fournir des explications mais je ne l’ai même pas laissé en placer une et finalement, on a failli s’embrasser. Sauf que je me suis barrée à la dernière minute et je l’ai plus vu deux mois jusqu’à la fête d’hier. Je suis sortie pour me rafraichir tellement j’avais chaud. Il est aussi sortie alors, on a même pas discuté, je me suis littéralement jetée sur lui, Vincent nous a surpris et… tu connais la suite.
Je pousse un long soupir, presque de soulagement. Mon thé avait refroidi, il ne devait même plus avoir de goût mais je prends le verre et fini ma boisson, devenue imbuvable, d’une seule traite.
– On peut dire ce qu’on veut mais se confier, y a pas meilleur remède.
Elle me fait un sourire compatissant en murmurant « n’est ce pas ? ». Après un court instant de silence des plus reposant, Alyssa reprend :
– Tu sais quoi ? Ce qui t’est arrivé me rappelle quelque chose. Tu te souviens du livre qu’on a lu toutes les deux, l’été dernier ?
– Laisse-moi réfléchir… Jane Eyre, non ? Si c’est ça, tu me déçois Alyssa…
– Arrêtes ! Tu sais que j’ai raison. En plus, ne le nie pas, tu as adoré ! je l’ai vu dans tes yeux. Raconte-moi l’histoire, voir.
– Jane vit chez sa famille adoptive chez qui elle est maltraitée mais-
– Non ! Je parle de la VRAIE histoire.
– Quand elle est au service de Mr. Rochester ?
– Oui.
– Je sais plus moi… elle vit avec lui, comme gouvernante pour la gamine dont Mr. Rochester s’occupe, après multiples péripéties, ils sont sur le point de se marier mais elle apprend, à l’autel, qu’il est déjà marié mais qu’il a enfermé sa femme qui est folle dans les sous-sol du château…
– Et ensuite ?
– Elle le quitte et s’installe chez des gens qui sont en fait sa famille et finalement, elle revient auprès de Rochester, après avoir entendu des voix, mais sa femme a mis le feu dans la maison. Du coup, elle est morte et Rochester est devenu aveugle, en essayant de faire sortir des gens qui y sont. Finalement, ils se marièrent, vécurent heureux et eurent un enfant qui a les yeux de son père. Rochester a même retrouvé la vue, je crois.
Elle m’invite à pousser le raisonnement, jusqu’au bout, bien que je ne vois pas trop où elle veut en venir, en haussant les sourcils.
– Alors désolée de te décevoir mais Ibrahim n’a pas enfermé sa femme dans le sous-sol de chez eux parce qu’elle est cinglée…
– Non mais… c’est le fond qui compte ! Ton Ibrahim, c’est monsieur Rochester, toi, t’es Jane. Dans tous les cas, ça se finit bien. Celle qui est contre eux meurt (comme on dit, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire…), Jane se marie avec son homme, tout et bien qui finit bien, et ils eurent beaucoup d’enfants, enfin un seul. D’ailleurs, ça fait comment de coucher avec quelqu’un de plus âgé, tiens..?
– Alyssa…
– Pardon, enfin, bref, tu as compris l’idée. A mon avis, il faut que tu sois honnête avec Ibrahim, comme il a voulu l’être. Rochester a failli la perdre parce qu’il n’a pas été honnête. Comme quoi, la clef d’un couple réussit, c’est la communication. Si on dit rien, on accumule, on accumule et un moment… pouf, ça explose.
Elle mime le geste avec ses bras.
– S’il t’a dit ça, si il a tenu à te fournir des explications c’est qu’il doit aussi vouloir quelque chose avec toi. Tu ne crois pas ?
Je hoche simplement la tête, au bord des larmes. Elle constate que des gouttes salées, coincées dans mes yeux menacent de bientôt perler le long de mes joues…
Elle se lève pour me prendre dans ses bras. Je me lève et me blottit contre elle. Alyssa me tapote gentiment mon dos, tout comme je l’ai fait hier et sur un ton blagueur, elle me dit :
– C’est moi la pleurnicheuse de service, d’habitude ! Me vole pas mon rôle parce que je te préviens, je ne m’en remettrais pas !
Je ne peux m’empêcher de rire doucement, alors qu’elle continue ses petites caresses.
– Merci, Alyssa…
– Essuies-moi cette eau sale, toi maintenant,
Je passe négligemment ma manche sur mes yeux en reniflant bruyamment.
– Je suis désolée, Elza. J’ai l’impression que c’est moi qui t’ai mis la pression, ces derniers mois.
– Non, dit pas de bêtises.
– J’ai eu du mal à t’oublier, Elza. J’avais l’impression que si je tombais amoureuse d’une autre fille que toi, je te trahirai et j’avais surtout peur de t’oublier.
Je ne trouve rien à répondre. Elle vidait à son tour son sac et je n’avais pas à lui donner mon avis…
– Mais en fait, quand j’ai rencontré Aïley, j’ai réalisé que c’était un passage obligé. J’ai déjà longtemps cru que j’étais folle parce que les hommes ne m’ont jamais intéressé mais maintenant, je réalise à quel point ce qu’on a vécu est unique, que cette première expérience était importante. Le premier amour nous forge en partie, on en tire des leçons, qui nous aide dans le futur, alors tu devrais faire de même.
Je lui fais un sourire sincère et réponds, la voix encore brisée par les larmes :
– Merci.
Nous nous fixons un long moment à l’issu duquel elle prend son visage entre mes mains pour déposer un bisou sur le front avant de nouveau me serrer contre elle.
– Tu es la personne la plus forte et courageuse que je connaisse, Elza. Ne l’oublie jamais, hein.
Elle me refait face et je hoche la tête. Tant pis si je ne parviens pas à nommer ma relation avec Alyssa, elle m’estprécieuse un point c’est tout.
– Je suis désolée d’avoir cherché à trop m’imposer dans ta vie. Je ne le ferai plus.
On se sépare et je me rassois. Elle me refait face et après un silence assez pesant, je décide de lui avouer :
– Tu sais… si je me suis mise à pleurer… c’est parce que ce qui me chiffonne en vérité, c’est le choix que je vais devoir faire…
– Quoi donc ?
– Je vais être obligée de choisir entre Vincent et Ibrahim.
– Comment ? Pourquoi ?
– Parce que Vincent a persuadé Ibrahim qu’on est en couple. Alors si je choisis Ibrahim, Vincent va se sentir trahi, parce que je crois qu’il essaye de se convaincre que ce qu’il ressent est réciproque. Et par erreur, on s’est embrassé sans parler du fait qu’il… je crois qu’il a peur de toi aussi. Mais si je choisi Vincent, pas d’être avec lui, d’être son amie, déjà qu’Ibrahim me prend pour une menteuse, je peux tirer une croix sur lui. On choisit qui entre son meilleur ami qui est carrément un frère et un autre qu’on vient de rencontrer mais dont on est amoureuse ?
Alyssa est aussi dubitative que moi et je comprends sa réponse : elle n’en a aucune idée.
– Il n’y a que toi, qui peux chosir.
– Ça me fait mal de voir Vincent comme ça… mais je peux pas lui faire de faux espoir non plus.
– Je pense que tout ça, tu le sauras au moment venu. Les réponses finissent toujours par arriver, crois moi.
Je songe un moment à ses paroles et admet qu’elle n’avait absolument pas tort. Alyssa se lève pour déposer nos tasses dans la cuisine pour les nettoyer et alors que je la rejoins, elle finit d’essuyer la vaisselle et me dit :
– Je ferai mieux de m’en aller. Tu as assez de problèmes comme ça, je ne dois pas te déranger.
– Non, Alyssa, tu ne me gêne absolument pas, je t’assure.
– Non, ce n’est pas ça… il vaut mieux que tu te reconcentre sur toi. Je ne vais qu’être un poids ce week-end. Et tu as assez pris soin de moi, il est temps que tu penses à toi.
Elle a pris sa décision, je ne peux pas l’empêcher de faire marche arrière… elle va donc récupérer toute ses affaires et une fois prête, devant l’entrée de chez moi, elle me fait jurer de l’appeler quelques fois pour avoir des nouvelles et surtout, quand j’aurai besoin d’elle. Je promets et après une énième et longue étreinte, elle s’en va seule, malgré mes proposions répétées pour que je l’accompagne jusqu’à la gare, non sans m’avoir longtemps tenu la main…
***
Alyssa avait donc préféré plier bagage. Et par chance, elle quitta la maison avant l’arrivée de papa. Même si j’étais contente et soulagée d’un certain d’avoir eu cette discussion et par-dessus tout, avoir remis les points sur les i, avec mon amie, me disant que nous allions enfin reprendre notre amitié là où elle s’est arrêtée, c’est à dire, quand nous avons décidé de nous mettre ensemble, j’appréhende le retour de papa qui allait sûrement profiter qu’on soit de nouveau seuls pour mener sa propre enquête…
Je m’apprête à sortir mes affaires de cours pour commencer mes devoirs quand le téléphone sonna. C’est pas possible… pas moyen d’être tranquille un instant dans cette maison !
Je pousse un râle d’agacement et décroche en lâchant, non sans couvrir mon irritation :
– Magnez-vous de dire ce que vous voulez parce que j’ai pas votre temps !
– Bonjour, je m’excuse du dérangement occasionné mais nous avons une commande qui vient d’arriver pour vous.
Putain de bordel de merde…
– I… Ibrahim
– Elza ?
J’adore ce chapitre, tout est dit sur l’imbroglio des relations d’amitié et d’amour. La comparaison avec Jane Eyre est bienvenue, j’avais un peu (enfin totalement) oublié l’intrigue.
Un texte fort,bravo!
Merci de ton retour !
Oui, maintenant que tout a été démêlé, il faut trouver la solution.
J’adore Jane Eyre, il m’arrive souvent de me reprendre et relire un passage au hasard