– Monde Réel
Ils ne peuvent plus faire la guerre, à cause de la puissance de leurs armes. Alors ils se sont rabattus sur d’autres uniformes. Comme les doudounes canada goose pour les richards, ou les pauvres et leurs uniformes de chez macdo.
Moi, je préfère la Prêtresse des Lianes, elle et son corps nerveux. Elle a été fabriquée pour vivre nue sous les canopées des Régions Sauvages. Sa fonction est la raison de sa sangle abdominale marquée. Elle ressent l’amour des arbres, elle les entoure de ses bras et pose sa joue dessus. Elle est l’amie de tous les animaux à sang chaud. A ses côtés hors des chaînes de prédation, ils viennent chercher un peu de douceur, un peu de repos.
Coincé dans cette dimension et dans cette peau, j’en suis réduis à endosser le rôle de crivain. Un crivain de merde, je dirais. Loin de mon cœur, si loin de mon regard, demeure la tour de grosses pierres, en ruine à moitié effondrée. Et sa Prêtresse de la Guerre à son sommet, qui vocifère sous la pleine lune, exhortant ses guerriers à revêtir leur forme cynocéphales… Si loin est ma fonction magique, si loin sont les Territoires Invisibles…
Ils ont dit que l’écologie de la planète était désormais foutue, d’une façon irrémédiable, et les mêmes gens on dit un peu plus bas que canal + a produit une série télé à propos d’un psychologue à la con qui écoute les problèmes minables de quelques tocards modernes. C’est une série à destination des salariés et des ménagères je suppose, même si l’on peut craindre quelques références à je ne sais quel mouvement bourgeois ou post-moderne, et… Ne cherche pas de connexion entre ces deux choses, la fin de la planète et la série de canal +, car ce ne sont pas des informations, mais du flux, tendu, pas autre chose…
Je préfère les Prêtresses Anciennes aux hommes et même aux femmes. La Prêtresse des Lianes, ou la Prêtresse des Flammes, la Prêtresse des Eaux Marécageuses ou la Prêtresse des Fonds Marins, La Prêtresse du Ciel Bleu et du Vent Éternellement Froid – aussi connue sous le nom de la Prêtresse Aérienne… Oh oui je préfère les Prêtresses ! Gloire à la Déesse Unique ! Et Gloire à ses filles sacrées !
Tu vois les arbres, qu’ils ont mis dedans les villes ? Les Hommes ont fait en sorte que ce ne soient même plus des arbres, et jusque dans le détail de la crasse nous pourrions louer leur génie moderne ! Un peu comme l’ours du zoo à qui le dresseur a coupé les dents et les griffes, et qui n’a connu que du bâton, un peu comme l’ours qui n’est plus un ours mais autre chose – les arbres des villes n’en sont plus. Ils plongent leurs racines dans une terre morte et stérile. Cette terre a été bitumée sur des milliers de kilomètres à la ronde, la terre ne peut plus se nourrir des morts – leurs morts, les hommes les mettent dans des boites en acier parfaitement hermétiques pour que la nature n’ait rien ! Pour être sûr qu’aucun de leurs atomes ne retourne dans le grand Tumulte Cosmique ! ” Après moi le déluge “, putain, voici ce que disent les prêtres de leur petit dieu soi-disant unique ! As-tu vu la gueule de leurs prêtres ? Des putains de travestis qui ressemblent à des vieilles femmes ! Par la Déesse, je t’assure qu’il faut voir tout ça pour le croire ! Même les eaux de pluie ne reviennent plus à la Terre ! Ils ont fabriqué un tas de systèmes complexes tu sais, ils ont mis au point toute une ingénierie durant des siècles. Les hommes séparent les eaux, il y a les eaux “usées”, et les eaux “consommables”, mais peu importe cette distinction, aucune eau ne retourne à la Terre, elles sont évacuées à travers des conduits gigantesques, dans un tumulte et une vitesse folle ! Les arbres des villes sentent de leurs racines cette eau qui court sous eux, mais la Terre ne peut s’en nourrir. Les arbres… Ressemblent à des épouvantails vaincus. Ils ne sont plus rien, ils ne pulsent de plus rien. La Prêtresse des Lianes ne s’arrête même pas sur ces arbres-là, comme si elle ne les voyait pas. Et moi parfois, moi devenu crivain de merde pour un peuple d’apeurés et de civilisés connards, je me sens comme ces arbres des villes, parfois, je pense que… Notre Tour Effondrée théâtre de la Prêtresse de Guerre me parait trop loin.
Mondes Invisibles
I – Une Histoire de la Prêtresse de Guerre et de son peuple cynocéphale.
Ils surent l’ennemi proche, au visage de la campagne brutalement changé.
Une épaisse fumée noire s’élevait lourde dans les horizons, tout avait brûlé.
Les fermes, les masures, des villages entiers les champs, la suie recouvrait ce monde, il y neigeait des cendres. Parfois, les légions défilaient devant de funestes badauds, les oripeaux de romains ou de leurs complices, leurs restes cloués à des arbres. Des troncs humains sur des troncs végétaux, des membres tranchés pour macabres branchages, des cadavres de femmes nues, éviscérés, et des têtes d’enfants plantées sur des piques, un peuple de l’enfer qui les observait avancer.
La colonne regardait droit devant. Les soldats progressaient dans un silence seulement rythmé par les cliquetis du métal de leurs armures et le bruit lourd des pas dans la boue. Les fanions de l’empire, inconscients, bourdonnaient triomphalement aux vents.
Passé deux jours et deux nuits de marche forcée, la nourriture et l’eau commencèrent à manquer.
Le pays incendié par ses propres habitants n’offrait aucune subsistance, les campagnes avaient été vidées de leurs troupeaux. Un bruit courrait à propos des nombreux éclaireurs qui partaient, et qu’on ne revoyait jamais plus – les éclaireurs auraient trouvé un havre de paix, un endroit caché, quelque part dans la forêt, avec de la nourriture en quantité, et des femmes…
Les puits empoisonnés par les cadavres gonflés qui y avait été balancé renseignèrent la légion sur le sort véritable de ses éclaireurs.
La troupe affamée construit un camp militaire en rondins.
« Ils ont des druidesses », confia un soldat à un autre, « ils ont des druidesses capables d’utiliser des magies sombres… »
Fiévreux et mort de faim, le second légionnaire observait les jambes de ses camarades.
Émaciées, chairs blafardes étrangement luminescentes sous la lune pâle, le soldat se demanda quel goût pouvait avoir de la viande d’humain.
Un centurion passant par là entendit les propos craintifs à propos des druidesses, il hurla :
« C’est une campagne comme n’importe quelle autre, et j’en fis plein ! »
Le regard du centurion s’alluma d’une inquiétante lueur, il ajouta :
« Personne n’a besoin d’entendre ces superstitions. Nos ennemis sont à peine des hommes. »
Dehors, tout autour du camp, retentirent comme toutes les nuits des milliers d’aboiements fous furieux, des aboiements qu’aucun chien n’aurait pu pousser.
Les cynocéphales n’ont jamais fantasmé l’amour, ils ne l’ont jamais écrit, ou éprouvé le besoin d’en faire des histoires, car comme la rage, le sentiment d’amour était en eux, ils étaient littéralement l’amour. L’amour et la rage emplissaient le corps du peuple à tête de chien, au même titre que leur sang, leurs chairs, ou leurs os.
Alors en un sens, la guerre que leur menèrent les hommes constitue une preuve flagrante d’un genre de génie humain. Car pour provoquer une haine si totale des cynocéphales, Rome dut élever son infamie aux plus hauts niveaux.
Hormis le Romain, une seule chose avait le pouvoir d’enrager les cynocéphales, il s’agissait de la mort. Lorsqu’un cynocéphale mourrait, son village entier entrait dans un état de fureur intense, le corps du défunt était alors saccagé, chaque homme, femme, ou enfant du village qui le connaissait et l’aimait – c’est-à-dire le village en entier – frappaient, griffaient, déchiraient le cadavre, jusqu’à ce qu’il n’en reste rien !
Les cynocéphales ne le mordaient jamais mais continuaient si longtemps et avec tant de force que ce corps autrefois aimé finissait éparpillé, au hasard de l’endroit où la rage des vivants l’avait emmené.
En réalité, il ne s’agissait pas du défunt que les cynocéphales détruisaient, mais la Mort elle-même, en répondant au message qu’elle leur envoyait à travers les traits figés d’un cadavre autrefois Homme à Tête de Chien. La Mort transformait l’amour en objet inanimé, et les cynocéphales ne pouvaient le supporter.
Hormis les Romains, les cynocéphales haïssaient donc cette mort, qu’ils considéraient comme une créature incarnée. Même s’ils ne pouvaient la voir, les cynocéphales sentaient son odeur de putréfaction, et tous espéraient pouvoir la combattre un jour, puis la vaincre, pour eux, pour tout ce qui vivait, pour le monde entier.
Cette nuit-là dans la tour effondrée, un invisible signal retentit. Un instinct, au comble de l’excitation les cœurs de tous les cynocéphales se mirent à battre d’un coup à l’unisson.
Un hurlement si incroyable que la terre en trembla.
L’onde de rage résonna vingt kilomètres plus loin, jusqu’aux premières lignes des soldats de Rome, où même les plus braves se mirent à trembler.
« Les meilleurs partent les premiers », il s’agit d’une rare pensée cynocéphalienne qui survécut à la modernité. L’armée des hommes-chien n’obéissait à aucun général, ne suivait aucun plan de bataille, il s’agissait d’une grande charge sauvage où chacun courrait nu de toutes ses forces, afin de démontrer sa bravoure en atteignant l’ennemi en premier.
Les premiers arrivants sur les humains étaient donc les individus les plus puissants, les plus rapides, il s’agissait aussi de ceux qui mourraient les premiers.
Pendant de longues minutes, la première ligne de l’armée romaine entendit un cri unique se détacher de la rumeur en approche. L’expression de la rage animale qui approchait, de plus en plus près. Les premières lignes firent claquer leurs lances contre leurs boucliers afin de se donner du courage, bientôt imitées par les trois cent mille hommes en armes qui s’étendaient sur le champ de bataille. Lorsque le bruit de leurs armes recouvrit enfin les cris des cynocéphales, les Romains reprirent courage…
Soudain, un boulet jaillit dans la nuit et s’écrase, enfonçant boucliers et cages thoraciques.
Le premier homme-chien a le temps d’en tuer cinq et d’en blesser grièvement quatre avant d’être mis à mort par les glaives romains.
Une autre forme jaillit, éloignée de cent mètres du premier contact.
« Il faut réagir plus vite ! » crient les capitaines, car ce second guerrier, une femme-cynocéphale, vient de tuer douze soldats avant qu’une lance ne la stoppe !
La nuit d’attente n’en finit plus, rythmée par les cynocéphales surgissant de plus en plus vite, semant la mort de plus en plus fort. Afin de maintenir une défense compacte, la première ligne romaine se reconstitue sans plus prendre la peine d’évacuer les mourants vers l’arrière. Les soldats marchent sur leurs frères d’armes gisant au sol.
Et puis une légère accalmie, étrange, pendant laquelle aucun guerrier-chien ne bondit plus de la forêt. Les animaux nocturnes comme le vent se sont tus, l’œil d’un cyclone est maintenant sur eux, une illusion, ou quand la violence des hurlements devient si intense que les cerveaux humains ne la perçoivent plus. Les soldats du fond ne participant pas encore aux combats n’arrivent plus à communiquer avec leurs voisins, pas même en hurlant.
Quand brutalement…
Les arbres se couchent…
Et cent mille cynocéphales fondent sur les trois cent mille soldats de Rome.
Le combat est bref, la sauvagerie obscure, les cynocéphales acculent d’instinct les hommes contre le flanc d’une colline, aucun romain ne réussit à fuir. Une fois le carnage accompli, la chasse sauvage continue. Au petit matin les Hommes-chiens entrent dans Rome.
Les femmes sont systématiquement violées, démembrées, souvent les deux et de manière simultanée, leurs bébés dévorés vivants comme dernières images emportées. Du plus jeune au vieillard le plus âgé, chaque habitant de la capitale est massacré. Les cris de souffrance répondent à ceux de rage, ils résonnent à travers la ville, rebondissent sur les terrasses, montent les marches, un feu noir illumine les temples. Pendant sept jours et sept nuits, Rome devient la ville qui inspira celle de Pandémonium.
C’était il y a longtemps, à une époque où certains hommes portaient des têtes de chiens et marchaient librement sous la lune. Une ère où la Grande Prêtresse de la Guerre écartait ses bras en haut de la tour, et hurlait à la lune.
C’était avant l’Empire de Rome, avant que la lâcheté n’envahisse tout.
***
2 – Une rupture
– Pourquoi tes lèvres bougent sans arrêt ? Tu chuchotes des choses à des personnes se trouvant dans la chambre, mais que je ne vois pas ?
– Non. Il me faut me concentrer pour exister, à chaque respiration. Je répète que j’existe, je répète sans fin que tu existes, je décris tes cheveux dans l’invisible, ton visage, et ainsi je reste là, avec toi.
– Que se passerait-il si tu arrêtais ?
– Je disparaîtrais. Jje ne pourrais plus jamais venir te voir.
« Les sentiments obéissent au chaos propre des sentiments, l’amour n’existe pas réellement. Il est le symptôme d’une peur, la peur de l’inconnu, un futur qui se dérobe aux yeux mortels. »
« Mes sentiments pour toi n’existent pas, c’est ce que tu prétends ? »
« L’amour n’est qu’une illusion, mais tu y crois sincèrement, je ne le nie pas. Tu ne peux voir l’avenir, c’est la raison pour laquelle tu penses m’aimer. L’amour né de la peur du devenir. Les Hommes l’inventèrent pour enraciner les sentiments de deux êtres, afin qu’ils poussent, tel un arbre unique leurs racines enchevêtrées, et qu’ils traversent le temps. Mais ce n’est qu’une illusion, rien d’autre. Une alchimie dont le but est de transformer la peur de l’inconnu en douceur, et nier les ténèbres qui s’étendent par-delà le cœur qui bat. Je suis la seule à savoir ce qu’est réellement l’amour, parce que je le vis une fois il y a longtemps. Les moments où je le ressens, c’est lors de ces instants, lorsqu’un accident percute nos destinées, et désintègre toutes les probabilités. Il ne reste alors que des ténèbres, je ressens la peur, je te vois, et je t’aime, comme tu m’aimes. Malheureusement cela ne dure jamais au-delà d’un battement. »
Ses paroles tournaient en boucle dans mon esprit.
Je lui avais fait remarquer qu’elle maîtrisait parfaitement le français parlé et écrit, seulement quelques jours après que nous nous soyons rencontrés. Elle m’avait alors expliqué :
« Dans un futur lointain, dix, ou peut-être vingt ans, j’aurai lu des milliers de livres dans ta langue, je ne fais que profiter aujourd’hui d’une connaissance lointaine qui n’est pas encore mienne. »
« Et si tu ne lisais rien, si tu n’apprenais jamais rien, demain ? »
« C’est impossible puisque je parle ta langue ! »
« Mais si tu la parlais aujourd’hui tout en refusant de te plier à cette obligation d’apprendre plus tard ? »
« C’est impossible, je te le répète. Tout ce que je vis est directement issu non du passé, comme toi, mais du futur. L’avenir est pour moi aussi concret que ton passé l’est pour toi. Le futur est un amant toujours là, qui se dévoile sans pudeur, et je n’y peux rien. A la différence de toi ou de l’humanité, je vis à la fois aujourd’hui, et demain. »
J’enrageais, je le refusais, je voulais lui prouver qu’elle se trompait.
Rien n’existait, ni futur, ni passé ni présent, rien d’autre que mon amour pour elle, et son amour, qu’elle tentait de nier. Et puis un jour je le réalisais…
– Tu es belle je t’aime, mais tu es la Mort.
– Quoi ?! Tu oses…
Elle refusait, hébétée, ses yeux se mirent à briller, elle commença des sanglots dans la voix :
– Beaucoup m’ont aimé, des seigneurs, des princes et des princesses, des rois et des reines, tu n’as pas idée… A chaque fois que l’incertitude d’un destin m’attirait, ce fut pour m’apercevoir que je n’avais qu’une fonction, être un instrument ! Des royaumes et des nations périrent sous mes yeux et j’ai vu, des multitudes de navires sur des océans recouverts de flammes, et j’ai entendu, le cri d’hommes transformés en bêtes ou d’autres, que l’on jetait dans des feux. On construisit des temples à ma gloire, partout dans le Monde, en m’offrant des chants, et des offrandes, que je n’avais jamais demandé ! Les mêmes qui prétendaient m’aimer tuaient celle et ceux sur le visage desquels se reflétaient mes traits. Leur… Leur liberté… Et voici mon drame, car pour chaque homme ou femme que je crus aimer, je n’existais jamais vraiment. Je n’étais qu’un médium permettant d’asseoir leurs grandioses destinées, c’est seulement ça en moi, qu’ils aimaient. Et pour quoi ? Quelles furent leurs grandes œuvres ? Un monde ancien transformé en cimetière ! Mon cœur brisé et mon âme apprirent au fil du temps ce nouveau pouvoir à force de peines, démasquer le vrai visage de l’amour, de celui du menteur ! Dis-moi, est-ce ma main ou la tienne qui porta la mort ? Ai-je contraint ta volonté de quelque manière ? T’ai-je demandé une seule fois de m’aimer ou de me tuer ? Non, c’est toi ! Toi, qui exigea mon amour, toi que je crus différent des autres, toi !
Tu t’évertuas par les sentiments à m’attacher et j’ai pensé un instant que tu pouvais me comprendre, que rien n’avait d’importance hormis nous, et que je pouvais simplement exister à tes yeux. Mais voici ma faute, espérer un instant de répit dans cette terrible existence, trouver quelqu’un capable de m’aimer malgré ce que je suis. Tu m’as trompé, comme tous les autres, et de tous, tu es bien le pire ! Car tes rêves ne vont vers aucune grandeur, tu ne souhaites pas devenir l’égal des dieux, seulement libérer tes pulsions abjectes ! Des millions ont déjà souffert en mon nom, et je t’interdis ! Je t’interdis de vouloir faire reposer sur mes épaules TON fardeau !
JE SUIS COMME JE SUIS ET TOI TU ES UN MONSTRE ! ASSASSIN !
Elle finit en larmes, haletante, je ne trouvais rien d’autre à lui dire que ce reproche :
– Tu parlas toujours français, tu parlas toujours ma langue. Aucun apprentissage futur ne t’attend.
Elle se baissa péniblement pour ramasser son sac et ses affaires, elle enfila ses converses en les laçant à moitié, se traîna vers la porte, l’ouvrit, et murmura avant de disparaître…
– Je parle toutes les langues jamais parlées. Je t’ai menti, j’essayai de nous protéger. Je ne connais pas la mort, et je suis depuis trop longtemps fatiguée.
***
3 – Faery
Peut-il exister une haine si intense qu’elle serait capable de porter la désolation jusqu’au royaume de l’imaginaire ? Existe-t-il un amour à ce point puissant, qu’il pourrait anéantir tout le mal terrestre ? On dit que rien au monde ne peut dépasser la nature ni la rendre folle, ou la mettre à genoux, mais que se passerait-il si une haine ou un amour à ce point intense existait ? Et qu’arriverait-il si cette haine et cet amour cohabitaient ? On penserait alors que les forces s’équilibrent, parce que rien au monde ne peut dépasser la nature. La nature veille à tout, la nature veille sur nous.
« Je leur ferais du mal, je leur ferais du mal je leur ferais du mal ! Leur magie fondra sous l’intensité de ma haine comme neige immaculée exposée aux rayons du puissant soleil ! A chaque seconde, je peux ressentir leur terreur par-delà les dimensions. Oh oui, ils connaissent les supplices que j’ai déjà infligés, et ils tremblent, en imaginant ceux bien plus terribles que je leur destine une fois que je les aurais tous trouvé ! »
[ C’est un royaume où tous les rêves se réalisent.]
– Le mal excite sa cruauté en priorité contre les celles et ceux enfermant en eux de la beauté. Cette beauté lui rappel tout ce à quoi il a tourné le dos, il y a longtemps. La vision confuse de l’innocence le poignarde de douleur, il ne peut le supporter.
– Je l’ai compris. Les créatures de Faery s’attaquent aux meilleurs d’entre nous, c’est pour ça que je t’ai sauvé. J’ai consacré ma vie à cette tâche, les détruire pour vous protéger.
– Faery, dis-tu ? Mais aucun mal n’existe à Faery ! Faery est le royaume où les rêves se réalisent ! Je te parlais du seul Mal, l’unique. Celui qui vit caché dans le cœur de l’humanité.
Il existe un couple qui n’est pas un couple, c’est un couple qui ne s’aime pas. L’homme rit souvent, ses cheveux sont roux, son regard est à la fois cruel et rieur. Il accompagne une fille longue et brune aux lèvres toujours serrées, les rares fois où elle sourit, son regard reste grave. Ce sont des assassins, d’odieux tueurs, qui traquent sans relâche et tuent de bon cœur les créatures fragiles venant de Faery. Une loi est toujours imbéciles, l’important est de savoir qui cette loi veut servir, ces deux-là ne respectent que celle-ci :
” Ne jamais douter en l’existence des créatures de Faery, y croire ardemment, puis les détruire. »
On parle d’un cavalier homme dont le cœur se serait transformé en celui d’un démon, on dit que son regard est de glace, et lorsqu’il sourit, ses lèvres découvrent des dents à la blancheur d’une lame.
Ce cavalier dont l’armure de cuir arbore des pointes sent l’hiver et la tombe, il chevauche son coursier à la robe sombre, et parcourt la frontière séparant les mondes. Ce cavalier ne ressent jamais ni fatigue, ni remords.
Assoiffé par le meurtre, affamé par la destruction, il vit pour faire souffrir les délicates créatures ailées. Ma belle, ma princesse bien-aimée je t’en supplie… Ce cavalier te recherche et s’approche en ce moment !
S’il te trouve, tu seras sa prisonnière, et il te fera un mal dont l’atrocité ne porte aucun nom ! Nous n’avons plus aucun temps, dis tout de suite adieu à ton monde, et suis-moi à travers la porte ! Car de l’autre côté s’étend le royaume de Faery, et tous tes sujets t’y attendent ! Tous sont pressés de te voir, et de s’agenouiller afin de louer ta vision ! Un prince magnifique est impatient d’orner ton front d’une couronne de fleurs… Là-bas je t’en fais la promesse, tu ne ressentiras plus ni peines, ni douleurs. A Faery tu ne vivras plus jamais seule. Car Faery est le royaume où les rêves se réalisent et durent jusqu’à la fin des temps ! Je le sens il arrive, viens avec moi ! Pour cela il te suffit de me répondre ” oui je le veux ». Suis-moi, belle princesse, suis-moi à travers cette porte maintenant… MAINTENANT ! “
Le cavalier sombre à l’armure ornée de piques lui saisit un bras et la tira violemment vers lui. La jeune fille se débat, hurle, du moins c’est ce qu’elle pense, car dans l’autre dimension, son corps enlisé dans la boue, immobilisé par les racines pourrissantes du vieil arbre, restait là, étendu, amorphe. Le cavalier sombre interrompt sa besogne pour contempler la voûte souterraine faite de couches végétales, de roches hideuses et d’asticots. Il s’agit de la demeure des crapauds, un temple pour insectes à carapaces, une cathédrale pour les serpents, et toutes les créatures à sang froid qu’il est possible de trouver, dans cette partie du monde. Son regard se trouble, une torpeur l’emporte au-delà, alors que les dimensions se superposent.
La jeune-fille horrifiée assiste impuissante à l’anéantissement du palais des fées à mesure que l’homme l’arrache à la porte ; l’immense tenture, les chandeliers, les lustres, les tapis au sol, tout se désagrège tandis que ses magnifiques sujets courent en tous sens, terrifiés.
Dans ses cheveux ornés de pétales, sur sa robe délicate brodée de dentelle blanche, dans ses cheveux hirsutes de terre et de feuilles pourrissantes, sur ses habits en lambeaux qui découvraient sa nudité maculée de crasse, il pleuvait des cendres.
« Vous détruisez ce bel endroit » gémit-elle entre les deux mondes.
« Cet endroit ne fut jamais beau », répondit-il toujours absent.
La fille ne pesait plus grand-chose, pourtant l’homme a l’impression devoir soulever une tonne.
Elle le supplie et hurle dans les deux espace temps à une milliseconde d’intervalle, elle lui répète vouloir rejoindre le Royaume…
Essoufflé par l’effort, l’agent spécial 223 grinçe :
« Peu importe si je dois tuer tes rêves et plonger ton existence dans la noirceur, peu importe que tu me maudisses, et qu’à chacune de tes nuits la lune soit témoin de tes pleurs. Je l’empêcherai. Tu resteras vivante. »
***
– Monde Réel, Fin.
Ils traitent leurs semblables comme les eaux, aucun ne revient à la Terre, ils sont balancés à travers des canalisations, à des vitesses folles. Tout comme les eaux, les humains sont classés en deux catégories. Les humains sales, et ceux propres à la consommation.