Objets inanimés, avez-vous donc une âme…

7 mins

Depuis que je suis ici je me sens mieux je respire, j’ai acheté cette maison assez loin de la ville, passer à autre chose, ne plus penser à elle ce n’est pas encore gagné, mais j’y travaille encore.

Je suis dans le jardin a regarder le sol, j’ai des progrès a faire quand je vois ce que j’ai voulu planter, des squelettes d’arbustes, des trous dans le gazon, ça ne ressemble pas du tout à la photo sur le sac de semences, j’ai raté quelque chose quand je regarde à coté derrière chez mon voisin, il ne fait pas grand chose assis sur sa terrasse, j’ai toujours l’impression qu’il parle dans le vide à coté d’une belle plante, mais chez lui tout est vert tout est beau, je le vois quelquefois un tuyau à la main arroser son parterre, j’en étais arrivé à surveiller ses sorties, me mettre à faire de même, je n’avais pas le rythme c’était peut être ça alors je fais pareil, j’arrose quand il arrose.

En soirée il s’assied à coté de sa plante, j’ai l’impression qu’il parle, qu’il caresse l’arbuste, quelques mots me parviennent quand l’air se fait mouvant et se dirige vers moi, j’avais entendu dire qu’il fallait leur parler mais je ne vais pas oser me sentir ridicule, parler à mon parterre et mes plantes décharnées, l’engrais que je leur donne est largement suffisant.

— Bonjour voisin, il fait chaud aujourd’hui, elles ont soif les pauvres, ce soir elles auront de l’eau.

La première fois qu’il me parle, on m’avait dit quand j’ai acheté ici, vous allez habiter à coté d’un original, on croit qu’il a été malade, mais il n’en parle pas vous le verrez tout de suite il a le teint cireux comme l’écorce d’un arbre, ça doit bien faire dix ans qu’il est venu s’installer, il semble difficile de lui donner un âge, mais il est très gentil même s’il n’est pas causant.

— Bonjour Monsieur, vous savez je viens juste d’arriver, j’avais des plantes en pots alors ça me change un peu.

— Monsieur, Monsieur, appelez moi Helix, puisque nous sommes voisins, à moins que cela ne vous gêne.

— Pas du tout, je vous en prie, enchanté Alix, je m’appelle Michel, content de vous connaitre.

— Pas Alix, Helix avec un H, ce n’est pas très commun, mais au moins on retient. Allez venez faites le tour, on va faire connaissance, je vois que vous avez des problèmes avec votre jardin, j’ai bien vu que vous sortez quand je sors arroser, je connais un peu la terre si ça peut vous aider.

Et c’est ainsi que, plusieurs fois par semaine, il n’est jamais venu chez moi, j’étais dans son jardin attablé à un petit guéridon, juste à coté d’un arbuste magnifique qui était dans un pot. Il m’expliquait le sol, il me contait les plantes, le rythme des saisons et l’amour des cultures, il n’était pas du coin, il venait de la ville d’après ce que j’ai compris, mais il s’y connaissait, de toute façon pour moi, tout le monde était meilleur, tout au moins dans ce domaine. Il était de mon âge, pas plus de cinquante ans, je m’étais habitué, mais je n’ai rien demandé, sa peau était veinée de sillons qui tiraient sur le vert, il devait être malade, on m’avait averti, je n’ai rien demandé.

— On se connait un peu depuis que tu viens me voir, je vois que ton jardin avance, je vais te raconter une histoire, tu connais un peu mieux les plantes maintenant, et je vois bien que tu te poses des questions.

On n’était pas intime juste en bon voisinage, je lui ai conté mes raisons qui m’ont fait m’installer dans le coin,  l’accident de ma femme, la peine qui a suivie, mais je n’ai rien su de lui, ce n’était pas important on n’était pas amis, juste une bonne compagnie.

— C’est vraiment grâce à toi si mon jardin avance, un bon dérivatif c’est vraiment reposant j’en avais vraiment besoin, mais vas-y je t’écoute.

— Et le pot qui est là, en-dessous de l’étal, je n’y connais pas grand chose, mais on dirait du lierre enroulé au tuteur.

— Ah oui, je l’avais oubliée, mais elle n’est pas à vendre, c’est quelqu’un de chez nous qui à dû l’oublier.

— Vous oubliez des plantes ?

Cela faisait des mois que je n’étais sorti hormis l’alimentaire, je me suis enfermé, je suis resté cloitré à ruminer ma peine, toutes les plantes ont séchées, tout ce qu’elle avait apporté, j’ai regardé s’étioler depuis qu’elle est partie depuis son accident,  j’ai tout laissé mourir, je me suis réveillé avec le besoin d’elle, mais elle n’était plus là, je n’ai envie de personne, quelques jolies plantes vertes me feront penser à elle, c’est tout ce qu’il me reste.


— Ce n’est pas tout à fait ça, c’est un stagiaire qu’on avait, originaire d’une île j’ai oublié le nom, il avait ramené quelques graines qu’il a voulu planter, la direction n’a pas aimé et il a disparu, c’était avant mon arrivée, peu de ses plantes ont germées, j’avais oublié celle-là.

— Mais pourquoi elle est dessous ?

— Je crois qu’elle était au milieu des autres, mais comme le lierre que vous devez connaitre, elle s’accroche aux autres et les fait s’étouffer, c’est le cas de celle-ci, on l’a mise de coté et on l’a oublié, je vais la mettre au rebut.

— Et si je vous la prends, avec le pot là-bas, vous allez me faire un prix ?

— Je peux vous la donner, de toute façon un lierre c’est invendable, je vais vous faire un mot pour la caisse.

Il se penche sous l’étal pour attraper le pot.

— Aie. Ça ressemble à du lierre, mais il y a des épines, je ne sais pas ce que c’est, tenez faites attention.

J’étais parti pour une plante, quelque chose de joli, je ramène un cactus et un truc à épines, on verra ce que ça donne.

Tous les jours un petit peu, je regardais mes plantes, et je pensais à elle, j’avais lu quelque part qu’il fallait leur parler et le soir en rentrant, j’ai repris le boulot, je contais mes journées, les gens que je croisais, mes déboires au bureau et mes coups de téléphone, je devenais sans doute fou, un cactus et un lierre qui vont pouvoir entendre ce que je pouvais dire, je leur ai raconté l’histoire de mon amour, avec des détails quelques peu graveleux, elles ne pouvaient comprendre mes histoires de graines et de sève qui monte, mais c’est l’amour humain pour celle qui est partie, j’ai raconté ma vie et de celle qui me manque, je suis devenu fou en paraissant normal dès la porte franchie pour sortir dans le monde. Une belle plante est partie, il me reste deux pots pour pouvoir converser et me souvenir d’elle.

Un jour j’ai ramené, j’avais comme l’impression que la terre des pots avait besoin de vigueur un peu de sang séché, j’avais lu quelque part cet engrais coup de fouet, mes plantes dépérissaient malgré que je les soigne comme elle qui savait faire, le cactus n’a pas vraiment évolué, par contre le lierre prenait de la vigueur, il semblait s’affaisser il penchait de coté au bout de son support et prenait du volume.

Tous les soirs un petit peu, je racontais ma vie, le lierre m’écoutait le cactus s’en foutait, je continuais ma folie en racontant ma vie en parlant souvent d’elle, elle me manque tellement je n’ai plus que ces plantes pour me souvenir d’elle.

J’ai changé le tuteur quelque chose de plus grand, je me suis fais griffer je n’ai pas fait attention j’avais oublié les épines, j’avais les mains en sang, j’ai taché quelques feuilles et je n’y ai plus pensé, ce n’est que le lendemain en voulant nettoyer, le lierre n’avait plus aucune trace, j’ai trouvé ça étrange, je me suis piqué le doigt volontairement cette fois, une petite goutte de sang s’est posé sur une feuille, je l’ai vue disparaitre absorbée par la plante. Depuis ce fameux soir, je continue de raconter et je clos mes histoires en me faisant piquer comme une espèce de rite, elle me manque tellement.

Un soir je suis rentré, le lierre qui devenait énorme était tombé de son support, je l’avais mal attaché sans doute, et comble de malchance juste sur le cactus, épines contre épines, je n’ai pas vraiment compris, mais le plus petit des deux était tout transpercé et comme absorbé par la grosse plante. J’ai redressé ce que j’ai pu, m’occasionnant encore quelques blessures, j’étais trop fatigué, je suis allé me coucher.


— Ce n’est pas la fin de l’histoire ou alors tu la finis tout seul, mais je suis fatigué je m’absente une semaine,  en attendant je te laisse cette plante, je n’ai pas de pot sous la main, je te mets du papier pour la terre et les racines.

Je suis rentré chez moi, je n’ai pas bien compris, je crois qu’il allait mal même s’il n’en parlait pas, sans doute un traitement qu’il partait faire pendant une semaine.

Je suis allé chercher un pot, vu mon taux de réussite bien que je m’améliorais, il m’en restait encore. Je ne sais pas ce qu’il m’avait donné, et pourquoi il me l’avait donné, c’était une drôle de plante avec de fines épines, j’ai failli me faire piquer en la sortant du papier, je suis allé me coucher, j’étais également fatigué et j’avais quelque chose qui me tournait en tête, mais je ne savais pas quoi.

Réveillé vers huit heures, j’avais toujours le pot et sa plante sur la table de la cuisine, je le poserai tout à l’heure dehors sur la terrasse après mon déjeuner, le temps de débarrasser et de jeter le papier, je l’ouvre par hasard et je déplie les feuilles, on dirait un journal ou bien un quotidien, je lis machinalement.

La Dépêche du midi – Toute l’actualité du Tarn et ses 319 communes

Fait divers : Un homme d’une quarantaine d’années a été agressé a son domicile. D’après les services de police qui ont trouvé des traces de lutte, des pots de fleurs cassés et de la terre partout, il aurait été torturé et griffé sur tout le corps, mais les services scientifiques ne s’expliquent pas son corps vidé de toute substance. Nous vous informerons dés que nous en sauront plus.

Fait divers : Encore une profanation dans un petit cimetière. Sans aucun doute le fait d’une de ces sectes morbides qui a ouvert une tombe et fait disparaitre le corps, les recherches sont en cours. Notre journal s’associe au désespoir et à la peine de la famille.


Je suis sorti d’un coup sur la terrasse, j’ai regardé la sienne, il me semblait parti, mais ses volets n’étaient  clos comme s’il était encore là, d’habitude il reste assis dehors à parler à sa plante, à son joli arbuste, mais cette fois on dirait qu’il a pris du volume, comme si deux plantes en une, on aurait dit un lierre ou quelque chose qui ressemble avait poussé pendant la nuit et s’était enroulé. Je suis sorti dans la rue, couru jusque sa porte, je n’ai pas osé frapper, pour une fois je regarde le nom, je n’avais jamais fait attention : Hedera helix.

Je crois que je vais finir son histoire.



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