Madame Bélanger et sa grande perte

12 mins

L’histoire d’un deuil affligeant, d’un chagrin atroce mais aussi d’un espoir en la vie.

Madame Bélanger était une femme seule qui demeurait dans une maison de retraite pour personnes semi-autonomes. « Maison de retraite pour personnes semi-autonomes » Madame Bélanger devenait sarcastique à chaque fois qu’on utilisait ce terme. Dans « son » temps, on aurait dit un hospice. Mais de nos jours, on cachait les choses (et les gens!) que l’on ne voulait pas voir sous un épais vernis lustré. « Tout cela pour masquer la réalité et se donner bonne conscience! », pensait madame Bélanger. « Voyons ! », se disait-elle, « Un hospice, c’est un hospice : une place pour les p’tits vieux comme moi ! »

Madame Bélanger y vivait depuis le décès de son époux, son tendre amoureux, Léopold. Il était parti sans prévenir. Cet homme, à qui elle avait été mariée pendant 57 ans, avec qui elle avait partagé ses joies et ses peines. Cet homme, son homme, l’avait quittée sans dire « Au revoir » … Elle aurait tant aimé avoir pu l’embrasser, le cajoler, le sentir contre elle juste une dernière fois. Son chagrin et ses pleurs furent incessants à la suite de son départ. Par moment, elle pensa même qu’elle en mourrait tellement la douleur était oppressante. Madame Bélanger implorait le Bon Dieu de prendre sa vie afin qu’elle puisse être au paradis aux côtés de son Léopold. Inlassablement, elle priait. Mais rien n’y fit. Elle était toujours et encore en ce bas monde!

Quelques temps après le décès de son mari, sa famille reprit ses activités laissant madame Bélanger seule à elle-même. Le temps passait lent et morose…Un jour, les larmes de madame Bélanger cessèrent comme si un vent glacial avait balayé son cœur et son âme. Son sourire contagieux et ses yeux rieurs d’antan disparurent laissant place à un regard sévère et grave. Ce jour-là, Madame Bélanger enfouit son chagrin au plus profond d’elle-même. Ainsi, arriverait-elle à retrouver une vie « normale »? Elle voulait croire que oui.

Quelques mois après le décès de son mari, ses enfants décidèrent qu’elle ne pouvait plus demeurer seule dans sa grande maison. « Trop dangereux », pensèrent-ils. Ils craignaient pour sa sécurité et sa santé mentale. Madame Bélanger avait l’impression de ne pas avoir été consultée mais à quoi bon s’interposer ? Chaque recoin de la maison lui rappelait son Léopold… C’est ainsi qu’un matin gris de novembre, elle déménagea dans un hospice. Au fil des six années où elle y vécu, sa froideur, son caractère irascible et colérique firent fuir les gens autour d’elle. Ses enfants et petits-enfants avaient « leur » vie et il semblait à madame Bélanger qu’elle en faisait rarement partie… Quant aux autres résidents, elle ne socialisait pas avec eux. Madame Bélanger les jugeait beaucoup. Ils n’étaient jamais assez bien pour elle. Trop de ceci, pas assez de cela… Résultat? Madame Bélanger était seule et aigrie. Elle avait réussi à survivre au départ de son tendre amoureux mais pour cela elle avait dû frigorifier son cœur. En n’aimant plus, elle n’aurait plus à subir ce mal insupportable, pensait-elle. Intérieurement, elle se sentait comme morte, sans émotions, froide. C’était le prix à payer pour être en vie… Comme le Bon Dieu n’était pas venue la chercher, elle devait respecter Sa volonté.

C’est ainsi qu’un matin sombre et pluvieux d’octobre, comme tant d’autres avant, madame Bélanger se leva à 5h45 précises pour prendre son petit-déjeuner à la cafétéria de la résidence. Son repas était frugal : une rôtie sans beurre et un café noir. Elle ne mangeait pas par appétit mais plutôt par obligation. Petit-déjeuner était une activité prévue à sa journée qui était réglée comme un métronome de son réveil jusqu’à son coucher à 21h15 précises. Avoir des activités et des obligations prévues tout au long de la journée soulageait madame Bélanger. Cela lui évitait de penser et de devoir sonder son for intérieur. Trop dangereux que les valves de son chagrin refoulé s’ouvrent à nouveau… Ainsi, après s’être levée, madame Bélanger se vêtit avec sa blouse crème et ses pantalons marron en laine. Comme elle frissonnait, elle prit sa veste de velours noir car elle avait horreur de geler. Elle devenait alors plus fragile aux microbes et autres virus. En cette période de l’année, il n’y avait aucune chance à prendre. Puis, elle rinça légèrement son visage, l’épongea et sortit sa petite trousse de maquillage afin d’ajouter un peu de fard à ses joues et du rouge à ses lèvres. Elle brossa enfin ses longs cheveux blancs et les peigna en un chignon qu’elle attacha avec quelques pinces.

Elle sortit de sa chambre en clopinant vers l’ascenseur qui la mena au rez-de-chaussée où était située la cafétéria. En y pénétrant, elle sentit une odeur de bacon et d’œufs frits qui lui leva le cœur. « Pourquoi les gens mangeaient-ils de tels aliments ? C’est répugnant! », maugréa-t-elle en se dirigeant vers sa table. A chaque repas, elle utilisait toujours la même table : celle située à droite un peu en retrait. Avec les années, c’était devenu sa table. Elle allait s’y asseoir quand elle vu qu’un homme l’occupait déjà! « Mais qui était-il? Et comment osait-il s’asseoir à sa table? En plus, il lui souriait! Quelle arrogance! », pensa madame Bélanger. Au lieu de laisser imploser la colère qui s’embrasa en elle, comme toujours madame Bélanger refréna ses émotions et se dirigea plutôt vers l’employée responsable de la cafétéria.

Marie-Pierre Gauthier était une femme dans la trentaine, employée de la résidence depuis peu. Elle adorait son travail auprès des personnes âgées. Elle mettait un point d’honneur à élaborer des menus variés et toujours délicieux pour elles. Ces dernières appréciaient, en plus de ses repas savoureux, sa jovialité et ses sourires avenants.

Lorsque Marie-Pierre vit madame Bélanger venir dans sa direction, elle observa immédiatement son expression sévère. Elle avait eu peu d’occasion de lui parler depuis son entrée en poste; cette dernière étant toujours fermée sur elle-même et peu encline à converser.

Arrivée à l’entrée des cuisines, madame Bélanger apostropha Marie-Pierre sans même daigner la saluer : « Qui peut se permettre de s’asseoir à ma table Madame? » Marie-Pierre resta figée quelques secondes par le ton glacial de madame Bélanger. Puis, elle essaya de comprendre quel était le problème car aucune table n’était réservée à la cafétéria.

Pierre Vanier, le concierge de la résidence, passait par là lorsqu’il entendit madame Bélanger. Voyant la gentille Marie-Pierre prit avec l’acariâtre madame Bélanger, il interrompit son travail et fit comprendre à madame Bélanger que Paul-Henri de Bournival était un nouveau résident arrivé hier et qu’en conséquence, il dut choisir une table au hasard ne connaissant pas les pratiques informelles ayant cours à la résidence. Puis, il l’encouragea à socialiser avec ce nouveau résident; après tout, la fameuse table avait quatre places!

Madame Bélanger le toisa. « De quoi se mêlait-il celui-là? », pensa-t-elle en retournant vers la salle à manger. Ne sachant où s’asseoir, elle ralentit le pas et regarda à la ronde. Malheureusement, aucune table n’était complètement libre et faire la jasette en mangeant était hors de question. Elle se résigna donc à petit-déjeuner à sa table. Elle s’assurerait que ce Paul-Henri de Bournival ne prenne plus jamais sa table. « Et quel nom il avait! De Bournival! » Les noms pompeux, elle n’aimait pas.

Après avoir pris ses rôties et son café au centre de la cafétéria, elle marcha en direction de sa table son plateau en mains. Lorsqu’elle s’assit sur la chaise opposée à celle de M. de Bournival, ce dernier, trop content d’avoir quelqu’un avec qui partager son repas, salua madame Bélanger en lui offrant un sourire chaleureux empli de sincérité. Surprise, et quelque peu décontenancée par la bonté qui se dégageait de cet homme, elle lui répondit par un sourire feint et se détourna complètement. Stupéfait par la froideur de cette femme, M. de Bournival n’insista pas. Le silence régna durant tout leur repas.

Lorsqu’il eut terminé, M. de Bournival se leva sans mot dire, regarda madame Bélanger – qui lui tournait toujours le dos – et quitta la cafétéria. « Bon débarras! Et ne reviens plus à ma table! », pensa madame Bélanger en le voyant partir. Toutefois… Elle devait admettre que cet homme, grâce à son sourire authentique et ses yeux brillants, lui avait transmis, l’espace d’un bref instant, une chaleur humaine réconfortante et douce ; chaleur qu’elle n’avait pas ressentie depuis tellement longtemps qu’elle en avait oublié les bienfaits… À cette pensée, elle se ressaisit quasi-immédiatement. « Voyons! Que m’arrive-t-il? » s’interrogea-t-elle. Après tout, elle n’était plus une gamine qui se pâmait devant chaque garçon qui était moindrement gentil…Ce devait être ce nouveau médicament que lui avait prescrit son médecin pour son anxiété. La posologie ne devait pas être adéquate et devait affecter ses capacités d’analyse et son jugement. Elle ne devait pas oublier de lui en parler lors de sa prochaine visite… À ses pensées, elle avala sa dernière gorgée de café et se leva.

En sortant de la cafétéria, elle passa devant l’accueil de la résidence adjacent au hall d’entrée. Ce hall était grandiose avec son lustre digne des châteaux européens et ses grands fauteuils de cuir bourgogne orientés vers un immense foyer où le feu crépitait durant tous les mois d’hiver. Madame Bélanger estimait que les propriétaires auraient dû investir plus dans les chambres au lieu de construire cet imposant hall d’entrée. « Mais l’image aujourd’hui c’est tout ce qui importe », se disait-elle. À son passage dans le hall, l’employée de la réception l’interpella d’un signe de la main. Elle devait lui remettre une petite enveloppe lui étant adressée. Madame Bélanger pris la missive et repris son chemin vers sa chambre.

Arrivée, elle déposa distraitement l’enveloppe sur sa petite armoire de bois. Madame Bélanger y gardait là quelques livres et, dans les tiroirs du bas, elle conservait quelques boîtes qui contenaient ses albums-photos. Certaines photographies dataient de l’époque où Madame Bélanger avait connu son Léopold : lorsque celui-ci l’invitait à prendre une molle à la crèmerie du quartier ou encore lorsqu’il l’avait demandée en mariage au coin du quai de la baie. Que de souvenirs étaient enfouis dans ses vieilles boîtes de carton !!!… Depuis la mort de Léopold toutefois, elle n’avait pas ouvert ses boîtes, trop douloureux. Lorsqu’elle déménagea à la résidence, madame Bélanger avait voulu les jeter mais son fils aîné avait insisté pour qu’elle les garde. Voulant éviter des obstinations inutiles, elle avait renoncé à les jeter mais s’était jurée de ne plus jamais revisiter cette partie révolue de sa vie. C’est pourquoi les albums étaient dans les derniers tiroirs de l’armoire; toujours fermés.

Madame Bélanger alla nettoyer méticuleusement son dentier comme elle le faisait toujours après chaque repas. Puis, elle lava l’évier et le comptoir de la salle de bain à l’aide d’un petit chiffon bleu qu’elle accrochait sous la vanité. Elle termina ce ménage dans la pièce principale de sa chambre en frottant et récurant des meubles pourtant exempts de poussière. Malgré tout, madame Bélanger s’astreignait à ce rituel matinal à tous les jours à l’exception du dimanche où elle devait assister à la messe dominicale. Ses rituels journaliers la sécurisaient et lui évitaient de trop penser.

Elle poursuivit ainsi sa journée en respectant son agenda : marche à pieds à l’extérieur, lecture, dîner à sa chambre, participation à la messe eucharistique à la chapelle de la résidence, quelques mots croisés pour garder son esprit vif, souper, quiz télévisés, téléromans, prières du soir, etc… Elle se coucha à 21h15 précises à la fin de cette journée qui lui avait semblée être aussi insipide que les précédentes des six dernières années. Pourtant… Le lendemain, elle se leva à 5h45 précises pour prendre son petit-déjeuner à la cafétéria comme elle le faisait toujours. Mais comme le matin précédent, une surprise l’attendait à la cafétéria : M. de Bournival avait eu le toupet de s’asseoir encore à sa table! « Quelle insolent cet homme! », fulmina madame Bélanger. Elle s’avança d’un pas qu’elle aurait voulu ferme et décidé mais il était plutôt lent et lourd bien malgré elle. Dans ces moments, madame Bélanger maudissait de vieillir et de perdre ses capacités. Néanmoins, elle était déterminée à se réapproprier sa table afin de pouvoir manger seule en toute tranquillité comme elle le faisait avant la venue de cet outrecuidant.

Arrivée à sa hauteur, elle l’apostropha : « Cette table est déjà prise. Merci de vous attabler ailleurs ». C’est à ce moment qu’elle constata les assiettes qui trônaient au centre de la table. Sur le plateau de service, deux assiettes étaient posées dont l’une contenait deux rôties sans beurre avec un café noir dans une petite tasse. Elle regarda à nouveau M. de Bournival ne comprenant pas comment celui-ci avait pu deviner ce qu’elle mangeait le matin. L’interrompant dans ses pensées, M. de Bournival répondit d’un ton jovial : « Mais bien sûr Belle Dame! Je ne voudrais aucunement vous importuner! » Il récupéra son assiette et devinant son interrogation, l ajouta : « J’avais remarqué ce que vous mangiez hier. Je me suis donc permis de vous apporter votre petit-déjeuner lorsque je me suis servi ce matin. » Il la salua en fléchissant légèrement la tête et rejoignit d’autres résidents à quelques tables de là. « Bon débarras! », pensa-t-elle. « Et cette fois-ci, laisse-moi seule. », lui ordonna-t-elle alors que M. de Bournival ne pouvait plus l’entendre.

Satisfaite et réjouie d’avoir atteint son objectif et d’avoir ainsi retrouvé sa solitude, madame Bélanger s’assit et entama son repas le sourire aux lèvres, un sourire teinté de méchanceté. La satisfaction qu’elle ressentie au départ se transforma toutefois rapidement en remords, laissant un goût aigre dans sa gorge. Après tout, « qu’avait fait cet homme de si méchant pour mériter ses manières cavalières et impolies? » se demanda-elle. « N’avait-elle pas exagéré un peu?… Mais il avait pris sa table! », se répondit-elle intérieurement. « Mais comment pouvait-il savoir que cette table était sa table? Était-ce vraiment sa table?» …Ce discours intérieur dura quelques instants. Madame Bélanger tenta de trouver des justifications à ses comportements mais elle dut finalement reconnaître et s’avouer qu’elle avait mal agi envers cet homme. Il n’avait été que gentillesse et courtoisie à son égard. Elle se sentit alors affreusement coupable et honteuse. Elle ne voulait pas le blesser mais le trouvait trop engageant et elle ne savait pas comment le tenir à distance sans user d’agressivité et de méchanceté. Ces réflexions lui coupèrent le peu d’appétit qu’elle aurait pu avoir ce matin-là. Elle décida donc de partir, se leva, prit son assiette et aperçu ors une petite enveloppe lui étant adressée en-dessous de son assiette. Cette enveloppe lui rappelait quelque chose. Mais quoi?… Elle réfléchit pendant quelques instants et… Oui! Elle s’en souvenait : l’enveloppe que lui avait remise l’employée de l’accueil la veille! Même format d’enveloppe et même écriture toute en rondeur! Elle avait complètement oublié de regarder le contenu de la première enveloppe hier. Voilà qu’elle en recevait une deuxième…Cela l’intrigua au plus haut point. De quoi s’agissait-il? Ou plutôt de qui s’agissait-il? Bien qu’elle mourût d’envie d’obtenir les réponses à ses questions en ouvrant l’enveloppe, madame Bélanger la rangea plutôt dans la poche droite de sa veste de laine. Elle ne pouvait pas se permettre de l’ouvrir en public ne sachant pas de quoi il s’agissait. Elle devait absolument prendre connaissance de son contenu dans l’intimité de sa chambre ne sachant qu’elle serait sa réaction. Ainsi, en apparence du moins, elle contrôlait ses émotions et son image.

Elle se hâta vers sa chambre après avoir rangé son plateau à la cafétéria. On aurait dit à madame Bélanger que ses jambes étaient plus légères qu’à l’habitude. Ses pas étaient moins lourds. Arrivée dans ses quartiers, elle oublia son rituel matinal et récupéra directement la première enveloppe qui trônait toujours sur son armoire en bois. Puis, elle s’assit sur sa chaise berceuse. Sa chaise préférée. C’est dans cette chaise qu’elle avait calmé les pleurs de ses enfants il y a tellement longtemps, qu’elle leurs avait donné à boire, qu’elle les avait vu dormir soigneusement emmaillotés dans ses bras… tellement de beaux souvenirs qui resurgissaient sans crier garde! Mais que se passait-il? Madame Bélanger prit une grande inspiration. Puis, elle expira profondément. Son Léopold, ce père aimant et protecteur, revenait aussi à son souvenir. Comme il était beau et qu’elle l’aimait tant encore! D’un amour infini! Ses yeux s’embuèrent et de grosses larmes coulèrent doucement sur ses joues ridées. Elle inspira à nouveau. Pourquoi l’avait-il abandonnée? Elle se sentait tellement seule, perdue sans lui. Madame Bélanger ouvrit la première enveloppe et sut que la résurgence de ses souvenirs n’était pas étrangère à ces enveloppes qu’elle avait reçues. Qu’allait-elle y découvrir?…

Dans la première, un petit bout de papier parchemin s’y trouvait avec un court message manuscrit : « Le malheur de l’avoir perdu a-t-il fait oublier le bonheur de l’avoir connu? » Aucune signature, rien de plus que ces quelques mots. Mais quels mots! Elle relut le message. Elle reconnut que ce grand malheur, que fut le départ de son époux, avait complètement effacé le bonheur et l’amour partagés durant leurs 57 années de mariage. Son affliction avait annihilé les heureux souvenirs. « Mais comment pouvait-il en être autrement? » se questionna-t-elle. La peine était accablante, invivable. « Une stratégie de survie », voulut-elle croire. Cette réflexion en tête, son regard se posa en direction de la fenêtre de sa chambre. Comme si celle-ci était un miroir à voyager dans le temps, elle crû y revoir les traits du visage de son mari avec ses yeux doux et son sourire chaleureux. Que de moments merveilleux elle avait vécu avec cet homme! Puis, tranquillement, cette image se dissipa laissant place aux oiseaux qui chantaient perchés sur la grande branche du chêne situé dans la cour extérieure de la résidence. L’image de son amoureux, apparue durant quelques brefs instants, comme venue du ciel, l’avait curieusement apaisée et emplie d’une chaleur douce.

Son esprit revint au message qu’elle avait toujours en main. Qui lui avait-elle écrit? Puis, elle vit la deuxième enveloppe…Elle l’ouvrit. « Quelqu’un meurt, et c’est comme un silence qui hurle. Mais s’il nous aidait à entendre la fragile musique de la vie? de Benoît Marchon. » À la lecture de ces mots, les larmes déferlèrent sur ses joues sans qu’elle ne puisse refouler sa peine. Oui! Ce silence hurlait toujours en elle une douleur oppressante. Ce silence glacial dans lequel elle s’était enfermée l’avait empêchée de voir les belles choses que la vie lui offrait depuis : les rayons du soleil, les oiseaux qui chantaient, le sourire d’un étranger croisé dans ses marches à l’extérieur, les petites attentions des employés de la résidence, etc. Madame Bélanger avait cessé d’entendre la musique de la vie, comme le disait cet auteur français cité sur le message qu’on lui avait transmis. Cet expéditeur la connaissait vraiment intimement…Mais qui était-il? À nouveau, il n’y avait aucune information supplémentaire dans cette deuxième enveloppe… « Serait-ce monsieur de Bournival? », se questionna-t-elle. Mais comment pouvait-il connaître son vécu? Qui était-il et d’où venait-il?

Elle décida de questionner l’employée de l’accueil. Celle-ci pourra lui dire qui lui avait remise la première enveloppe la veille. Elle se leva et en se préparant à descendre au rez-de-chaussée, elle aperçût le ciel par sa fenêtre. Curieusement, il lui semblait plus lumineux qu’à l’habitude… Mais que lui arrivait-il?…

En quittant sa chambre, elle remarqua sur le seuil extérieur de sa porte… une autre enveloppe! Elle la prit et l’ouvrit sur le champ. « Si longue que soit une nuit d’hiver, le soleil la suit. Proverbe Touaregs » Toujours le même papier parchemin, la même écriture manuscrite. Était-ce le Bon Dieu qui lui écrivait? Devenait-elle folle? Elle était déconcertée ne sachant ce qui se passait. Elle poursuivit tout de même son chemin vers l’ascenseur qui la mènerait à l’accueil. En marchant, elle vit à quelques mètres d’elle, M. de Bournival avec un bouquet de marguerites! Ses fleurs préférées! Elle vacilla légèrement et dut s’appuyer sur la rampe accrochée au mur. Trop d’émotions en même temps! Celui-ci s’avança doucement vers elle, lui offrit les fleurs et lui proposa de l’accompagner pour aller manger une molle à la crèmerie du quartier… exactement comme le faisait son Léopold 60 ans auparavant! À cet instant précis, un rayon de soleil lumineux transperça la baie vitrée et madame Bélanger crut voir passer un ange dans le ciel. Elle sut alors que son Léopold était à l’origine de tout cela, qu’il la voyait d’en-haut, qu’il pensait toujours à elle, qu’il était toujours là pour elle. À ce moment, elle sut qu’elle ne pouvait plus le perdre. Qu’il resterait toujours en elle. Qu’elle devait chérir le bonheur vécu avec lui comme un précieux trésor. À ce moment, son cœur comprit. Elle sut aussi qu’elle pouvait poursuivre son chemin de vie. Ce parcours serait différent des années passées avec Léopold mais Dieu lui avait donné la chance de vivre, elle devait en profiter pour Lui rendre grâce. Le soleil allait réapparaître dans sa vie malgré la peine et le chagrin. Elle pouvait espérer.

Elle accepta l’invitation de M. de Bournival en s’accrochant au bras qu’il lui offrit. Une larme coula silencieusement sur sa joue. Elle fit cependant l’effort de sourire sincèrement et marcha courageusement vers l’avenir tout en chérissant ses doux souvenirs. Et qui sait? Peut-être pourrait-elle en créer d’autres?…

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3 Commentaires
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Cécile Henourt
4 années il y a

Très bel écrit Catherine,
tu m’as emmenée dans ton univers !

Christian Vial
4 années il y a

Texte très émouvant, « la fin », surtout.

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