Partie II – Les Glaïeuls et les Chardons
1.
«…en effet, la rune n’assiste pas le sort, elle est un portail vers l’Ether. Elle permet de manier et de modifier la magie qui se trouve dans le chaos qui passe autour d’elle pour accomplir le sort en question.
Il est donc possible de créer une rune simplement pour créer un lien avec l’Ether et pas que pour lancer un sort spécifique ou invoquer un démon.
Dans ce chapitre, nous verrons la structure de la rune et comment la tracer pour ainsi créer une connexion à l’Ether. La rune que nous vous présentons ici est une rune basique. Toutefois, il vous sera possible de la modifier si vous souhaitez effectuer des sorts connus pour puiser beaucoup dans le lot, tel que la Vague de Division ou la Poussée de Dispersion (cf. graphique dans le chapt 5). Cela demande beaucoup de pratiques et une connaissance accrue des symboles démoniques. Nous pourrons explorer cette possibilité plus tard dans le chapitre 18… »
Astrée se laissa tomber contre le dossier de sa chaise et soupira. Elle regarda autour d’elle pour constater que les autres étudiants étaient plongés dans le livre. La majorité était en train de prendre des notes. La mage, enfin future mage, commençait à perdre patience. C’était sa première année à l’université et elle savait d’avance qu’elle allait s’ennuyer pour ces quatre années obligatoires.
Inconsciemment, elle passa sa main sous son bras, là où il y avait la cicatrice qui liait Uriel à elle. Astrée savait ce qu’était une rune, même celles interdites. Elle avait trouvé la Rune de la Corne dans le grimoire de sa mère, caché sous son lit au rez-de-chaussée. Il était courant que des sorts et des runes interdits soient cachés dans des grimoires anciens que les gens reçoivent en héritage, celui de sa mère ne faisait pas exception. Quand le Duc la laissait dans cette chambre après l’avoir violenté, elle avait pris l’habitude de le lire pour retrouver un semblant de décorum et cesser ses larmes. C’était ainsi d’ailleurs qu’elle avait eu l’idée d’invoquer un démon dans la fameuse Rune de la Corne. Elle se souvint d’avoir donc consulter le livre qu’elle avait sous les yeux pour apprendre à maîtriser une rune. Il y avait même une trace d’une de ses larmes sur le coin de la page.
Sans s’en rendre compte, Astrée passa le doigt sur ce petit plis salé qui montrait un moment douloureux de son passé. Elle prit sa plume, la trempa dans de l’encre et raya la page entière pour cacher ce reliquat désagréable. Elle n’avait plus besoin de ce livre de toute façon.
Une fois qu’elle lisait quelque chose, cela restait dans sa tête. Elle le comprenait, l’exploitait et malheureusement n’arrivait pas à l’oublier. Après avoir lu tous les livres qu’on lui avait demandé d’acheter ou d’amener pour ses années d’études, elle avait tout de suite compris qu’elle allait s’ennuyer ferme. Lorsqu’elle eut terminé son exploit de mise en page, elle soupira à nouveau et s’alluma une cigarette.
– Etudiante Astrée ! Êtes-vous si ennuyée par nos leçons que vous ne jugez pas bon de prendre des notes comme je vous l’ai ordonné ? Vous en aurez besoin quand vous tracerez votre première rune !
La jeune femme regarda devant elle. Elle était dans un grand amphithéâtre. Ceux de première année avaient les deux premiers rangs, ceux de deuxième année, les deux suivants et ainsi de suite jusqu’à la septième année, si les étudiants souhaitaient poursuivre après les quatre premières années obligatoires. Elle entendit des rires et des moqueries derrière elle. Agacée, Astrée répondit.
– Je l’ai déjà lu Professeur Macta. Ce dernier, un vieux mage, spécialisé dans les runes et connut pour ses sautes d’humeur, se racla la gorge. Sans aucun doute vexé qu’une de ses étudiantes ose lui répondre.
– Ho ! Vous l’avez lu ! Merveilleux ! Il lui lança une craie qu’elle rattrapa juste avant qu’elle ne lui éclate au visage.
– Montrez-nous donc cela ! D’autres rires s’élevèrent. Astrée soupira. Elle avait attiré l’attention sur elle et elle devait maintenant aller jusqu’au bout si elle ne souhaitait pas être humilier, c’était plus fort qu’elle. S’il y avait une chose qu’elle détestait après perdre le contrôle d’une situation, c’était qu’on la ridiculise. Elle se leva et descendit les quelques marches qui la séparait du tableau noir.
Sans réfléchir, elle tendit sa cigarette à un étudiant qui était au premier rang. Ce dernier surprit, sourit et l’attrapa volontiers. Il en prit même une bouffée tout en gardant un petit rire amusé. Astrée eut le temps de voir qu’il ne portait pas de vêtements très riches ou élégants. Sa robe d’étudiant avait été certainement donnée, elle était usée et délavée. Tous les mages pouvaient venir à l’Université, peut importait leur rang sociale, c’était une obligation pour l’établissement d’accueillir tout le monde. Les plus pauvres n’avaient pas à payer leur internat, obligatoire pour tous, ainsi que les cours. Cependant, le matériel et tous les frais à côté étaient à leur charge. Ce qui expliquait que si peu de mages issus des quartiers pauvres devenaient de grands Mages.
Ils pouvaient être mages, mais pas reconnus par l’Université et le gouvernement. Cela ne faisait pas d’eux des parias, seulement, ils n’intéressaient personnes. Leur carrière de mage était souvent très courte et peut intéressante puisqu’ils ne maîtrisaient pas la magie correctement.
Contrairement aux autres étudiants qui voyaient Astrée comme une femme qui n’avait pas sa place ici, il y avait très peu de mages femmes qui allaient jusqu’au bout de leur études à cause des comportements élitistes et sexistes de tous, le jeune homme qui fumait avec amusement sa cigarette, semblait juste réjouit. Son sourire était sincère et avenant.
La mage se reprit et sous les yeux de tous les étudiants, allant jusqu’aux septièmes années, elle releva un peu sa robe pour pouvoir mettre un genou à terre. En se concentrant, elle commença. Elle suivit l’ordre imposé par le livre que les premières années étaient en train de lire, même si elle avait trouvé d’autre version plus facile. Le premier cercle fut vite dessiné suivit d’un deuxième, puis d’un troisième. Elle écrivit quelques symboles démoniques et enfin termina le tout avec une incantation.
Quand elle eut fini, essoufflée, elle se redressa et croisa le regard ébahis de son enseignant. Puis il chaussa ses petites lunettes rondes pour mieux regarder la rune.
– Il faudrait l’activer pour prouver qu’elle fonctionne réellement, je …
Avant qu’il ne puisse en dire plus, Astrée tapa sur le sol de son pied deux fois et la rune s’activa. Elle devint lumineuse et ouvrit un lien avec l’Ether rapidement, ne gâchant que très peu de son lot. Elle put sentir la magie en sortir et couler dans l’amphithéâtre. La mage sourit en repensant à ce qu’Uriel lui avait montré dans les Archives, elle savait à présent que cette sensation de magie qui flottait autour d’elle était vrai et qu’elle la caressait. L’idée était agréable.
Elle se tourna ensuite vers l’étudiant et tendit la main, il glissa sa cigarette entre ses doigts. Elle la posa sur le coin de sa lèvre et retourna s’asseoir. Le Professeur Macta la convoqua après les cours pour lui demander l’étendue de ses connaissances. Bien que vieux bougon, il était un passionné et il appréciait le talent quand il le voyait. A partit de ce jour-là, la majorité des enseignants dans l’enceinte de l’Université surent sa puissance, son aisance à apprendre des choses, mais également qu’elle était simplement doué dans la maitrise de la magie.
Il lui restait à être maintenant plus sociable, ce qui n’était pas une mince à faire. Après l’incident dans l’amphithéâtre, la majorité la prit en grippe, la catégorisant comme une « miss-je-sais-tout » et autre insultes beaucoup moins ragoutantes. Elle se retrouva seule, elle l’était déjà, mais encore plus maintenant qu’elle était admirée par ses enseignants.
2.
Cela faisait presque un an qu’Uriel était coincé dans la Rune de la Corne et qu’il vivait comme le cousin éloigné d’Astrée. L’ensemble aurait été intéressant s’il n’avait pas été aussi coincé dans ce monde. L’Ether lui manquait, bien qu’il n’ait pas besoin d’y avoir accès autant que d’autre.
Sa vie semblait vide et au ralenti. Durant l’été, il avait aidé Astrée à se préparer. Elle avait tout appris, tout lu. Elle était plus que prête et le démon s’était senti bien inutile durant ses différentes sessions d’entraînement. Au moins cela lui permis de passer le temps. Dès qu’elle fut partie à l’Université, il se retrouva seul. Elle ne pouvait revenir que certains week-ends et durant les congés des fêtes religieuses du pays. En attendant, il s’ennuyait ferme.
Lorsqu’il se retrouva dans son appartement privé, prétendant être un humain avec la bague qu’elle lui avait donné, il tournait en rond. Puis un jour, son valet l’informa qu’il y avait une course de chevaux qu’il apprécierait peut-être de voir. Trouvant l’idée absurde, mais comprenant que son servant souhaitait qu’il sorte afin qu’il puisse nettoyer l’appartement correctement, il y alla donc. Ce fut une révélation pour lui.
Avec le nom d’Astrée et les connexions du Duc qui étaient encore biens présentes malgré sa mort, il fut accueilli avec respect et de nombreux humains le saluèrent et l’intégrèrent dans leurs discussions. Très rapidement il se trouva un faible pour un jeu de carte et pour la boisson. Le soir même, il était au White Horse avec un groupe d’humains et de mages, ronds comme des cochons à chanter des chansons grivoises.
Après cela, il fut invité et le bienvenu dans de nombreuses soirées organisées par les épouses de ses camarades de boissons. Son talent de danseur, son élégance et son charme attiraient le regard de toutes les femmes. Ils prenaient toujours le temps d’être respectueux avec elles et il avait toujours un mot ou un trait d’humour avec les hommes sur place. Il eut également une belle collection de maîtresses, des veuves pour la plupart qui cherchaient de la compagnie.
Il apprit à aimer la vie avec les humains et les mages. Leur mortalité les rendait capables de faire des choses extraordinaires et il respectait et appréciait cela. Il avait toujours aimé les humains, depuis que l’Ether et ce monde étaient connectés. Vivre avec eux, confirma ce qu’il savait déjà, ils étaient fous et prodigieux à la fois.
Toutefois, il était toujours disponible les week-ends où Astrée rentraient. Il y avait des moments où elle l’appelait ou d’autres où elle n’avait pas besoin de lui. Cependant, il venait toujours lui rendre visite, même quand elle ne le sollicitait pas. Ce fut ainsi qu’ils discutaient souvent autour d’une tasse de thé. Il lui racontait ses escapades, ses parties de chasse avec ses amis et elle lui parlait de ses cours et de ses progrès.
Uriel n’était pas dupe, il pouvait percevoir qu’elle était seule. Elle ne mentionnait jamais d’ami et quand elle sortait lors de soirée mondaine, elle était souvent dans un coin à attendre que le temps passe.
Un jour, alors qu’ils buvaient une tasse de thé dans leur salon en ce début de deuxième année d’étude pour elle, il s’était installé derrière le grand piano qui n’avait pas été touché depuis des années et il jouait un air qu’il connaissait bien. Il osa alors lui dire.
– Dites-moi, Mage. Quel est le poste que vous souhaitez obtenir ? Quel poste visez-vous après tout cela ?
Astrée réajusta le long châle qu’elle avait enroulé autour de ses épaules et fronça les sourcils.
– J’aimerai être responsable des Archives. Uriel fit une fausse note et il reprit le morceau en retenant un sourire.
– Comment comptez-vous faire ? La jeune mage le dévisagea et il pouvait voir qu’elle était agacée par sa question.
– En travaillant dur. Je pense que si j’obtiens un poste dans l’Université et que je montre que je suis compétente, je réussirai à… S’en fut trop pour Uriel qui explosa de rire. Il continua à jouer et il dit.
– Mais Mage Astrée, vous pensez sincèrement que ce sont des personnes compétentes qui sont dans les postes les plus intéressants ?
Elle rougit. Le démon ne l’appelait pas par son prénom souvent, quand il le faisait c’était pour la perturber ou bien lui dire quelque chose d’important. Sa déclaration à moitié condescendante et agaçante cependant lui frappa en plein cœur. Il avait raison, elle avait constaté que de nombreux mages et hommes étaient à des postes élevés non pas parce qu’ils étaient doués. Elle soupira et fut submergée de honte de ne pas avoir compris plus tôt. Elle aurait dû le savoir, prendre du recul, s’ils étaient arrivés aussi haut ce n’était que parce qu’ils avaient joué de leur influence. Or elle n’en avait aucune. Sachant qu’elle n’était pas aimée par ses confrères à l’Université et que sa puissance gênait de nombreuses personnes, elle aurait beaucoup de mal à atteindre son but. De plus, elle n’avait pas de parents pour assurer sa place dans le monde, elle allait devoir se débrouiller seule.
Elle, la jeune et ingénue mage pouvait à cet instant choisir d’envoyer paître Uriel et de lui dire de sortir de chez elle. Ou bien, elle pouvait l’écouter et voir ce qu’il avait à lui apporter. Astrée se fit la remarque qu’elle n’était pas obligée de suivre ses conseils si elle les trouvait inintéressants.
Il continua de jouer son morceau, un air simple et pourtant un peu mélancolique. Astrée se leva et s’approcha de l’instrument, se demandant où et quand il avait appris. Elle demanda en évitant son regard.
– Que suggérez-vous ?
– Moi ? Rien, je n’oserai pas vous dire quoique ce soit, je ne suis qu’un simple démon après tout.
– Uriel.
Ce dernier arrêta et leva la tête vers elle. Il fronça les sourcils et il vit qu’elle était réellement en détresse. Chose qu’elle n’avait jamais fait jusqu’à présent, montrer la moindre faiblesse volontairement. Être la responsable des Archives semblait être son objectif, elle qui ne vivait que pour la magie et ses livres. Il ne fut pas étonné de la voir viser un tel but. Il repensa à l’enthousiasme qu’elle avait montré quand il l’avait aidé à voir la magie. Elle lui avait fait entièrement confiance en s’appuyant contre lui et il s’était senti flatté. Il soupira, comprenant qu’il ne pourrait pas la taquiner plus longtemps. La savoir heureuse à un poste signifiait également qu’il pouvait encore utiliser de son influence et de son nom. Par ailleurs, curieusement, il voulait qu’elle réussisse. Il avait appris à l’apprécier au fil du temps, elle méritait d’obtenir ce qu’elle voulait après ce qu’elle avait vécu.
– C’est avec votre nom et vos relations qu’il faudra que vous montiez les échelons. Vous ne pourrez pas obtenir le poste de chef des Archives tout de suite. Par ailleurs, je sais que le poste de second est toujours tenu par un humain, pas par un mage. Il faudra que vous trouviez une alternative. Un poste dans l’Université, mais pas trop spécifique pour que vous puissiez changer de département facilement. Le problème est que vous êtes une femme. Tant que vous restez la meilleure durant vos études, cela pourra être oublié un temps. Il faudra que vous organisiez des événements dans votre demeure aussi. Vous êtes mage, mais vous êtes également Duchesse.
Il continua à expliquer ce qu’elle devait faire et il put voir du coin de l’œil qu’elle prenait tout en compte. Elle ne l’interrompit aucune fois et de temps en temps elle fronçait les sourcils quand il suggérait de faire quelque chose qui ne lui plaisait pas. Cependant, elle sembla être d’accord avec tout ce qu’il lui disait. Lorsqu’il eut terminé, elle se laissa tomber sur le canapé et soupira.
Astrée ne s’était pas attendue à ce qu’il lui donne un plan d’action aussi complexe. Elle avala un biscuit et en relevant la tête, elle demanda.
– Où avez-vous appris à être un spécialiste en influence mondaine ? Uriel haussa les épaules et elle vit son regard devenir un peu froid et distant.
– Ce n’est pas si différent qu’un plan de bataille.
– Vous avez été dans des batailles ? Uriel se remit à jouer et ne répondit pas.
Astrée préféra ne pas creuser, comprenant que cela devait être douloureux. Cependant, sa curiosité était attisée, elle redemanderait peut-être plus tard.
A partir de ce week-end, Uriel, dû jouer les tristes cobayes lorsqu’elle apprit à danser. Ses orteils s’en souvenaient encore. Mais après un certain temps, sa grâce naturelle aidant, elle avait réussi à se mouvoir sur les pistes de danse de manière presque féline, lui valant admiration de la part de nombreux hommes et jalousie de la part des femmes. Elle avait appris à faire la conversation, à être élégante et à danser pour pouvoir être intégrer dans la société. C’était purement politique. Elle s’en serait passée si Uriel ne le lui avait pas conseillé.
Puisqu’elle était Duchesse et que sa famille était importante, elle fut invitée plus de fois qu’elle ne le crut à des soirées mondaines malgré son jeune âge. Etant donné qu’elle était mage, elle n’avait pas besoin de chaperon comme les autres femmes. Elle n’avait pas cette pression et Uriel posant comme son cousin était suffisant pour éviter des scandales. Ce dernier lui fit assister à presque toutes les soirées lorsqu’elle était disponible. Elle n’arriva jamais à y prendre goût malheureusement, même si elle faisait croire le contraire. Les seuls moments où elle se distrayait, était quand Uriel venait à ses côtés et lui parlait.
Elle était surprise de voir avec quelle aisance elle pouvait lui dire ce qu’elle pensait. Par ailleurs, il ne semblait jamais ennuyé, même quand elle parlait sans s’arrêter de ses découvertes et de ses études. De temps en temps, ils dansaient ensembles et elle se sentait toujours plus à l’aise dans ses bras. Il était très élégant et se mouvait très bien, ce qui était reposant, certains des partenaires d’Astrée était gauche et parfois ridicules.
A chaque fois qu’ils dansaient, Uriel ne pouvait s’empêcher de sourire en repensant à son air surprit quand il lui avait fait la remarque, précisant qu’il était aussi important de savoir bien danser que de savoir discuter avec les bonnes personnes. Elle avait accepté et avait même poussé le vice jusqu’à apprendre le piano pour être une femme « accomplie ». Il lui apprit et à la grande surprise du démon, elle maîtrisa l’instrument rapidement mais n’en éprouva aucun plaisir. Seule la magie semblait la combler.
En à peine une demi-année, elle réussit à se faire remarquer auprès des bonnes personnes. Cependant, elle était toujours aussi rejetée auprès de ses confères étudiants à l’Université. Ce qui était un autre problème.
3.
Astrée était habituée à être seule. A présent qu’elle s’était faite remarquée dans la haute société, ses camarades de cours l’évitaient comme la peste et n’hésitaient pas à l’insulter quand ils la croisaient dans les couloirs. Cela ne la gênait pas tant que ça. Cependant, pour sa carrière, elle devait essayer de se créer des liens avec des jeunes de son âge, bien que cela l’agaçait prodigieusement.
Trois mois avant les examens finaux de sa deuxième année, Astrée se réfugia dans la bibliothèque. Elle avait une cigarette au coin des lèvres et elle lisait un livre très intéressant sur les symboles démoniques. Plongée dans sa lecture, elle fut perturbée par la présence d’un groupe de deuxième et troisième année derrière elle. Ils se plaignaient de ne pas y arriver et qu’ils ne réussiraient jamais puisqu’ils ne faisaient pas parti de la gentry.
La mage, n’arrivant pas à ne pas les entendre, comprit que la majorité du groupe derrière elle était des jeunes issus de familles très modestes et qu’ils avaient du mal à suivre les cours tout en travaillant hors de l’Université pour gagner suffisamment d’argent et payer ce dont ils avaient besoin pour vivre ainsi que le matériel pour suivre les cours, livres de notes, ou de cours, encre et autres. L’un d’eux avoua qu’il n’avait pas mangé aujourd’hui. Elle les entendit tous lui dire qu’il ne devait surtout pas parler de nourriture et qu’ils étaient affamés. Sans le vouloir, elle tourna la tête vers eux, ils étaient six et elle reconnut le jeune mage à qui elle avait confié sa cigarette lors de ce fameux cours où elle avait officiellement acquis une réputation de tête d’œuf. Leurs regards se croisèrent et elle se retourna, gênée de les avoir écoutés.
Puis elle entendit l’un d’eux presque crier un « NON ! » et un autre dire « tu plaisantes ? » et enfin un « Non ! Reviens ! » jusqu’à ce qu’elle sente la présence de quelqu’un à ses côtés. Astrée déglutit et leva la tête, quelle insulte allait-on lui dire cette fois-ci ? A sa grande surprise c’était le jeune étudiant à la cigarette. Il lui sourit de ce sourire franc et sincère qui lui avait attiré l’œil en première année.
– Bonjour… enfin bonsoir. Je suis l’Etudiant Rod et c’est notre groupe de travail. Il pointa vers la table derrière elle. Astrée, trop surprise, leva un sourcil et ne suivit pas son geste. Gêné, il ajouta en se frottant la nuque.
– Heu… On voulait savoir si, heu… vous pouviez nous aider avec nos révisions. Notre groupe est doué pour beaucoup de choses, mais malheureusement la lecture des symboles démoniques et les runes… Aucun de nous n’y arrive. Astrée écrasa sa cigarette et se tourna vers le groupe. Elle pouvait voir qu’ils étaient tous mortifiés par l’initiative de leur camarade. Elle se pencha vers lui et murmura.
– Je n’ai pas l’impression d’être la bienvenue. Il rit et fit discrètement les gros yeux à ses camarades.
– Ils sont un peu timide, mais vous verrez, ils sont très sympas. La mage allait refusée quand elle se rappela qu’elle avait promis à Uriel de faire des efforts pour se sociabiliser. Elle considéra que les aider à comprendre quelque chose comptait. Sans rien dire, elle agrippa son sac et fit grincer sa chaise jusqu’à la table de ses camarades. Un peu gênés, ils se focalisèrent sur leur cahier quand elle s’assit.
Rod s’installa à ses côtés et lui sourit d’un vrai sourire, même ses yeux étaient rieurs. Elle ne comprenait pas comment il pouvait être aussi sincère dans sa joie, sachant qu’il était celui qui avait dit qu’il n’avait pas mangé de la journée. Elle se rappela soudain de quelque chose et elle fouilla dans son sac. Elle posa sur la table un sachet de papier marron.
– Si ça vous tente. Tous regardèrent le sachet et froncèrent les sourcils. Rod, cependant, fut le premier à l’ouvrir et elle put voir qu’il saliva à la vue des biscuits qu’elle avait ramenés de chez elle. Il en attrapa un et l’avala tout rond. Les autres firent de même.
– Il n’y a que les Duchesses qui se baladent avec des trucs pareils dans leurs sacs ! Dit l’un d’eux en laissant échapper un râle de plaisir gourmand. Astrée sourit malgré elle et répondit sur le même ton.
– Tout juste à côté de mon livre sur les runes et dans la bonne édition. Ce sont vraiment des abrutit complets ceux qui vous ont donné ces livres – Elle sortit son propre livre et le posa devant eux. – Bon… on révise ? Ils éclatèrent de rire et la bouche pleine ils sortirent de quoi prendre des notes.
Plusieurs sessions de révisions, des biscuits et des sorties dans le pub du coin plus tard, Astrée se retrouva malgré elle inclut dans ce groupe d’amis. Elle avait eu peur que sa position soit un frein, mais elle comprit vite qu’en réalité, si les pauvres n’aimaient pas les riches, c’étaient bien les riches qui détestaient et méprisaient les pauvres le plus. Elle fut acceptée rapidement, surtout quand elle offrit la première tournée de pintes.
Rod fut un de ceux qu’elle apprécia le plus. Il avait toujours quelque chose de positif et d’agréable à dire. Quand il la voyait le matin, il lui faisait toujours un compliment tantôt sur son apparence, tantôt sur ses talents de mage. Elle était toujours surprise et ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir. Lorsqu’elle demanda à Jaime, le meilleur ami de Rod, pourquoi il agissait ainsi avec elle, ce dernier avait explosé de rire et lui avait dit que pour quelqu’un d’intelligent, elle était bête.
– Comment allez-vous ? Vous êtes prête pour votre examen ?
– Oui. Je dois vous laisser, je rejoins d’ailleurs un groupe de révision…
– …Tient ? Un groupe de révision ? Vous ne m’avez jamais parlé de groupe de révision ?
– Ce n’est rien.
– Dites-moi ? La mage soupira.
– Je n’ai pas vraiment besoin de réviser. Ce sont eux qui ont besoin, mais au passage je pense m’être fait quelques amis – Il y eut un silence et Astrée crut qu’Uriel avait décidé d’arrêter de lui parler. – Uriel ? Vous êtes encore là ?
– C’est une belle nouvelle Mage ! Alors quel effet cela fait ? Elle sourit et répondit sur le même ton moqueur.
– Bizarre. Il rit et répondit en accentuant chaque syllabe.
– Vous êtes une véritable héroïne. Courage et prenez garde à votre pire ennemi: Rire et plaisantez avec des gens ! Elle répondit avec un ton sarcastique.
– Ha. Ha. Ha. Très drôle. L’héroïne des temps modernes est fatiguée et aimerait vite terminer la séance de révision et aller se coucher.
-Voyons ! Vous ne souhaitez pas m’en dire plus ? Comment s’appelle votre ami préféré ? Je suis certain que c’est un rat boutonneux qui vous aime en cachette.
-Bonne soirée Uriel.
-Je ne suis pas jaloux, bien au contraire, mais rassurez moi, il est beau au moins ? Vous n’êtes pas… Elle coupa la connexion entre eux et alla retrouver son groupe de soutien, le sourire aux lèvres.
Au matin, Astrée se réveilla en sursaut et retint un cri de surprise. Des plantes avaient poussé partout dans sa chambre. C’étaient de longues tiges avec des fleurs en leurs bouts, en rangées. Elles étaient toutes blanches ou rouges. Il y en avait tellement qu’elle ne pouvait pas voir l’autre bout de sa chambre. Elle reconnut la plante comme un glaïeul.
Après que son cœur se soit calmé dans sa poitrine, elle soupira et alla jusqu’à son petit bureau. De là, elle vit un mot avec une des fleurs posée dessus sans son brin. Elle l’ouvrit et éclata de rire.
« Une fleur de héro pour l’héroïne des temps modernes, je me suis permise d’en mettre plusieurs pour être sûr de vous apporter suffisamment de force pour votre examen. U.»
Bien sûr que cette mauvaise farce était celle d’Uriel. Elle se rappela que le glaïeul était un symbole de force et de victoire. La fleur était destinée aux personnes exemplaires et aux héros. Elle posa le mot et alla se préparer du mieux qu’elle put en slalomant entre les plantes. Elle ne put s’empêcher de pouffer de rire et de préparer sa vengeance.
Alors qu’elle était en train de terminer de faire son chignon, quelqu’un toqua à la porte de sa chambre et elle s’ouvrit.
– Etudiante Astrée! Prêtes pour… Rod ne termina pas sa phrase, surprit de voir toutes les fleurs, dont le parfum enivrant commençait à envahir la pièce. Les yeux ronds, il regarda Astrée qui terminait de se coiffer en enfonçant une épingle dans ses cheveux.
– Etudiant Rod ! Je me sens prête pour l’examen et vous ?
– Heu… Je…
– Parfait ! Nous y allons ? Rod semblait paralysé, il toucha une plante comme pour vérifier qu’elle était bien réelle. Avant qu’il ne reprenne ses esprits, la mage l’attrapa par le bras et le sortit dans le couloir. Astrée ne put s’empêcher de sourire un peu pendant que son camarade essayait tant bien que mal de formuler une question.
Quelques jours plus tard, Uriel retourna chez lui après une journée aux courses avec quelques amis. Il s’immobilisa en voyant sur son bureau un bouquet de chardons. Se demandant quelle maîtresse, ou amant, aurait pu lui envoyer une plante aussi peu attirante, il attrapa la carte qui était plantée dedans et commença à l’ouvrir tandis qu’il s’installa. Soudain une sensation de piqûre fort désagréable lui lança au postérieur et il sauta en hurlant, plus de surprise que de douleur.
En mettant la main aux fesses, il constata qu’un de ces fameux chardons avait été posé sur son siège et était à présent planté sur son pantalon. Il l’enleva doucement et alors qu’il envisageait de se déshabiller pour retirer tous les piquants et enfin aller hurler sur son valet, il leva la tête vers sa main où la lettre y résidait encore. Il termina de l’ouvrir et y lut qu’un seul mot.
« Vengeance. A. ».
Le démon leva un sourcil et il se rappela que le chardon était le symbole de l’Ecosse, origine d’Astrée, mais il symbolisait aussi la vengeance. Il se figea.
Le fait qu’Astrée l’ait mis suffisamment à l’aise pour lui faire une farce et qu’elle réplique était déjà cocasse. Mais personne n’avait jamais osé répondre à ses blagues jusqu’à présent. Soit parce qu’ils n’osaient pas, soit parce qu’ils ne voyaient pas l’intérêt ou bien par manque d’imagination. Uriel posa la lettre et tandis qu’il retirait ses bottes debout, il ne souhaitait aucunement se piquer d’avantage en s’asseyant, il explosa de rire. Chose qu’il n’avait pas faite depuis des années, voir des siècles.
4.
– Uriel ?
– Oui ?
– J’ai besoin de vous.
– Vous m’avez interdit de venir vous voir à l’Université.
– C’est urgent, ça ne peut pas attendre.
Entendant l’inquiétude dans la voix de sa maitresse, Uriel se transforma en air et rejoint la mage dans sa petite chambre d’internat. Il se transforma ensuite en chat noir et s’installa sur le bureau. Il put voir qu’Astrée faisait les cent pas, elle n’était pas du genre à rester immobile, toutefois, elle était plus agitée que d’habitude.
– Que puis-je pour vous ? Je suis surpris que vous m’appeliez aussi tôt dans l’année.
Astrée, après avoir validée sa deuxième année, avait passé l’été avec lui en Ecosse pour gérer ses terres. Elle avait ensuite été très occupée à entretenir ses relations en prévision de son future poste. Le temps était passé à une vitesse folle et elle était retournée à l’Université pour commencer sa troisième année dès le début de l’automne.
– Rod n’est pas revenu. Ni Jaime.
– Pardon ?
– Rod et Jaime. Ce sont des membres du groupe de soutien de l’année dernière et mes amis. Nous avons tous validés notre année et ils ne sont pas revenus cette année. Je suis inquiète. Nous le sommes tous.
Uriel prit une grande inspiration et se transforma en humain pour pouvoir être face à elle. Il s’appuya contre le bureau et fronça les sourcils.
– Rod ? Est-ce le rat boutonneux qui vous aime en cachette ? A ces mots le démon vit la mage rougir. Il retint un sourire, il s’était demandé ce qu’était toutes les lettres qu’elle avait reçu durant l’été. C’était donc ce jeune mage.
– Parlez-moi de lui. Dites-moi tout ce que vous pouvez.
– Je…
– Cela m’aidera peut-être à le retrouver. Vous avez un sens de l’observation très prononcé, il y a des détails qui ne vous auront pas échappé.
La mage mordit sa lèvre et soupira. Uriel avait raison et elle lui dit tout ce qu’elle savait. Rod, de son vrai nom, Roderick Smith, était un fils d’ouvriers qui vivait dans le quartier lugubre de Whitechapel. Il était le premier mage de sa famille à aller à l’Université, ses parents avaient économisé durant toutes ses quinze premières années pour pouvoir couvrir les frais que l’Université ne couvrait pas. Avec Jaime, ils étaient amis depuis l’enfance, ils avaient aidé leurs familles en travaillant et accumulant des petits boulots le temps de partir et rejoindre les bancs de l’Université.
Astrée avoua même à Uriel que lors des derniers jours, après leurs examens, ils avaient passé des moments intimes ensemble, très intimes. Il lui avait écrit tout l’été et ils avaient commencé une relation épistolaire, se promettant de se retrouver lors de la troisième année. Cependant, au retour des cours, lui et son ami Jaime étaient absents. Les autres du groupe lui dirent qu’ils avaient besoin d’argent pour l’année et que depuis qu’ils étaient partis pour un « coup » ils n’avaient pas donné de signe de vie. Quand elle envoya une lettre chez lui pour lui demander des nouvelles, elle n’avait eu aucune réponse.
Elle s’assit après avoir terminé son récit et Uriel put voir qu’elle souffrait. Elle qui avait été brisée par le Duc, elle avait réussi à passer outre et se plonger dans les bras d’un jeune mage de son âge. Sa maîtresse avait mérité ce répit, même si ce n’était qu’un amour de jeunesse, il le savait et elle aussi n’était pas dupe. Elle avait bien le droit de s’oublier quelques temps auprès de quelqu’un.
Il sentait son inquiétude et elle tenait à ce jeune homme ainsi qu’à ce Jaime. Elle pensait toujours aux autres, malgré elle. Elle qui n’arrivait pas à créer de liens avec les autres, elle qui ne montrait presque pas d’émotions en public, elle faisait toujours attention à ce que son personnel aille bien, elle s’assurait toujours que les gens qu’elle côtoyait passe un bon moment. Il se garda d’en faire la remarque, elle nierait tout en bloc.
Uriel racla sa gorge et dit.
– Bien, est-ce que je peux avoir son adresse ? Je pourrais partir de là ? Astrée se leva et écrivit aussitôt l’adresse de Rod et de Jaime sur un papier, ils étaient dans le même quartier. Dès qu’il les lut, il regarda la mage dans les yeux et lui dit simplement.
– Je reviens vers vous dès que j’ai trouvé quelque chose. Il disparut.
Quelques jours plus tard, Uriel alla de salle de cours en salle de cours pour retrouver Astrée. Il connaissait son odeur et il se laissa guider par son effluve. Lorsqu’il entra dans un amphithéâtre il leva les yeux au ciel en voyant que c’était une lecture de démonologie. Sa maitresse n’avait pas besoin de ce genre de leçon. Elle n’avait besoin d’aucune et il trouvait cela idiot qu’elle ait à suivre ces cours alors qu’elle était la plus douée de tous et pouvait très bien surpasser ses propres enseignants.
« … c’est pour cela que lorsque l’on invoque un démon par le biais d’une rune, c’est le démon le plus proche qui est choisi. Ce n’est pas que le hasard, selon votre puissance, mais également votre exigence et la mission que vous avez, le démon sera de la première ou de la septième génération. Bien entendu, il faut faire attention à ne pas invoquer un démon trop puissant dans une rune qui n’est pas adaptée, vous risqueriez d’utiliser beaucoup de votre lot, ce qui n’est pas recommandable… »
Uriel grogna et regarda autour de lui jusqu’à ce qu’il aperçoive le beau profil de la mage. Il s’approcha et se transforma en souris blanche et trotta sur le bureau devant elle. Astrée ne sembla pas perturber et elle lui dit.
– Vous pourriez au moins prendre une souris de ville et pas une souris aussi exotique qu’une souris blanche. Uriel ne put s’empêcher de rire un peu malgré sa remarque et il réussit même à répondre.
– Vous m’avez reconnu ?
– Qu’avez-vous trouvez ? Le démon nettoya son museau avec ses pattes avant et il répondit.
– Votre rat boutonneux et Jaime se sont retrouvés mêlés à un trafic de magie.
Il vit Astrée retenir sa respiration, elle était surprise et l’inquiétude transforma son visage. Le démon n’aima pas la voir ainsi, il détourna le regard et poursuivit.
– Il est courant dans les quartiers pauvres que des jeunes mages vendent un peu de leur magie à des gens peu recommandable en échange d’argent ou de nourriture. Beaucoup se font avoir et sont capturés pour être exploités.
– Exploités ?
– Comme des mages de voyage, ils doivent faire des sorts pour aider des personnes durant des missions, rarement légales. Ils n’en reviennent pas car ils ne maitrisent pas encore assez bien la magie et ils vident leur lot. Ou bien, ils sont simplement vidés de leur magie contre leurs grés. On la revend à prix d’or.
Astrée comprit ce que cela sous-entendait. Si jamais, par inadvertance ou par choix, le lot d’un mage se vidait, il mourrait. Les mages ont besoin de magie comme un humain a besoin de sang pour vivre, la magie était leur force vitale. Lorsqu’ils font un sort, il le vide, d’où l’importance de se connecter à l’Ether par le biais de runes pour avoir un accès illimité à de la magie.
Uriel frémit, il savait qu’il existait des trafics où on vidait les démons de leur magie aussi, elle était plus chère, car plus dangereuse et difficile à obtenir et de meilleure qualité. Il put constater qu’Astrée n’aimait pas ce qu’il venait de dire.
Elle tapota sur son bureau et semblait réfléchir.
– Bien. Donc Rod et Jaime sont quelque part, capturés en attente d’être envoyé en mission.
– J’ai bien peur que non. Elle tourna la tête vers lui et fronça les sourcils.
– Uriel ?
– Venez avec moi…
La mage sans réfléchir se leva et sortit de la pièce, le professeur qui faisait sa lecture ne s’arrêta pas lorsqu’il constata que c’était Astrée qui venait de partir. Elle était la plus douée de tous, elle pouvait bien rater un ou deux cours.
Le démon et la mage prirent une voiture et furent déposés à Whitechapel. Ils ne s’étaient rien dit durant le voyage, Astrée n’avait pas envie de savoir ce qu’il avait à dire. Elle avait compris et elle espérait qu’il se soit trompé. Ils marchèrent le long des ruelles et elle eut l’occasion de voir dans quelle misère ses camarades vivaient. Elle n’avait pas imaginé à quel point tout était lugubre et délabré. La mage garda en tête son objectif et suivit Uriel.
Ils se retrouvèrent devant un bâtiment où des enfants jouaient par terre. Ils portaient des vêtements abimés qui avaient été rapiécé plus d’une fois. Elle leur fit un signe de tête et leur sourit. Ils partirent à l’intérieur et Uriel les suivit. Sans se demander si cette demeure était privée, elle entra aussi sans s’annoncer.
Dès que ses yeux s’ajustèrent à la pénombre, la mage manqua d’hurler. Rod et Jaime étaient allongés sur ce qui ressemblait à une table à manger. Ils étaient pâles et leurs lèvres avaient commencé à tourner bleus. Uriel attrapa Astrée avant qu’elle ne tombe au sol sous le choc, il lui prit la main et l’aida à s’avancer vers eux. Elle lui en fut reconnaissante et sans réfléchir, elle toucha le visage de Rod et remit une de ses mèches de cheveux derrière l’oreille. Il n’avait plus de magie en lui, il n’était plus qu’un corps sans vie. Uriel put voir qu’elle ne le reconnaissait pas, ce n’était pas étonnant. Un mage mort, sans sa magie était assez étrange à voir, c’était comme si on voyait un humain sans sa tête. C’était incongru et inquiétant.
Les enfants s’étaient réfugier autour d’une vieille femme qui était près d’un poêle, elle fumait une cigarette et écossait des petits pois. Elle toussa, puis cracha au sol et dit d’une voix rauque.
– Vous leur voulez quoi ? Vous ne croyez pas que vous en avez assez fait ! Astrée sursauta et la dévisagea. Ce fut Uriel qui parla.
– Je vous avais dit que je reviendrai avec Madame. Elle souhaitait dire au revoir à ses amis.
– Pah ! J’aurai préféré que vous ne les trouviez pas ! Au moins leur disparation nous permettait de garder un espoir.
Uriel allait rétorquer mais il s’interrompit, Astrée tremblait. Par réflexe et sans réfléchir, il la serra contre lui et lui murmura.
– Souhaitez-vous que l’on s’en aille ?
– Qu’est-ce qui s’est passé ! Le démon guida la jeune femme dehors et il lui expliqua tout.
Pendant plusieurs jours il avait pris plusieurs formes pour s’infiltrer dans un réseau de trafiquants de magie. Il avait entendu les parents de Jaime en parler et s’inquiéter. Lorsqu’il avait compris que les deux jeunes mages avaient été capturés, il avait tout fait pour retrouver leur trace, et les ramener vivant. En vain, quand il les avait enfin retrouvés, ils étaient déjà morts, vidés de leur magie. Il les avait ramenés ici, chez les parents de Rod et il était vite venu la retrouver.
Il s’attendait à ce qu’Astrée pleure, s’évanouisse. Cependant elle ne fit rien de tout ça. Elle tremblait toujours par contre. Il dit son prénom et elle leva la tête vers lui. Il lâcha ses épaules qu’il avait jusqu’à présent agripper pour lui offrir un soutien. Le regard de la mage était sombre et emplit de colère. Elle l’attrapa par le col de sa chemise.
– Où est ce réseau, je vais… je vais tous les tuer !?! Uriel attrapa les mains de la mage. Il ne l’avait jamais vue aussi en colère. Elle n’arrivait pas à voir autre chose, tout son corps criait justice et vengeance et il ne put s’empêcher de penser aux chardons. Cette mauvaise herbe qui poussait là où on ne s’y attendait pas, qui avait pour légende d’avoir repoussé les ennemis d’Ecosse, celle qui symbolisait la vengeance et qui donnait une fleur si sauvage et curieusement belle. Comme elle.
Uriel plissa les lèvres et répondit.
– Vous serez heureuse d’apprendre que les autorités locales ont trouvé une dizaine d’hommes morts dans un hangar. Ils n’avaient pas assez aéré dans cet endroit sec et un feu s’est déclaré. Quel heureux hasard n’est-ce pas ? Curieusement, ils étaient recherchés par tous pour leur trafic de magie. – Uriel prit une grande inspiration et ajouta. – Ils sont vengés, je me suis débarrassé de leurs assassins sans avoir à laisser mon sigle. Astrée, concentrée vous sur votre souffrance et le deuil et honorez les correctement.
La mage essuya les larmes qui avaient coulé le long de ses joues et elle regarda le démon. Il eut peur qu’elle lui en veuille de lui avoir empêché de se venger. Il savait trop bien ce besoin de représailles, il vous consumait, vous brûlait de l’intérieur. Uriel frémit, il n’aimait pas penser au feu ou aux brûlures. Il tenta de dévier son esprit vers autre chose et vite avant que des pensées noires viennent l’envahir ou bien qu’Elle n’arrive devant ses yeux et emplisse son esprit de tristesse et d’angoisse. Il fut sauvé quand la mage le fit redescendre sur terre en disant simplement « merci ».
Surprit de sa réaction, il la regarda murmurer quelque chose et créer entre ses mains deux brins de glaïeuls. Les fleurs étaient blanches et détonnaient par leur pureté dans ce lieu triste. Ils se regardèrent en silence et le démon hocha la tête. Il comprenait. Une fleur dédiée aux personnes exemplaires pour des mages exemplaires. Elle entra à nouveau dans la maison et les posa sur la poitrine des deux jeunes mages, le démon derrière elle. Puis elle donna une bourse d’argent à la petite vieille, lui demandant de partager entre les deux familles.
5.
– Duchesse ! Votre soirée est un succès. Ma famille et moi-même sommes honorés d’avoir été invité.
– C’est moi qui suis honorée de votre présence Sir Desmond. J’ai pu voir tout le monde, sauf votre frère, Henry, se porte t’il bien ?
– Il est en vadrouille à la recherche d’un nouveau grimoire sur Lilith. Il n’arrête pas !
– Bien, je suis contente pour lui. Comment se passe les affaires ?
– Très bien ma Lady, nous avons réussi à obtenir de nouveaux clients, grâce à vos bonnes recommandations. Sachez toutefois que nous vous resterons toujours fidèles !
– Je ne m’inquiète pas, votre famille et la mienne sont liées depuis si longtemps, cela serait bien étrange de ne plus vous avoir à nos côtés. Sir Desmond sourit et repartit avec son épouse pour danser.
Astrée afficha son plus beau faux sourire et elle fit le tour de la salle de bal pour aller dans celle des jeux. Après réflexion elle confirma ce que son notaire venait de lui dire. Sa soirée était un succès. La première qu’elle ait organisée. Normalement, selon la tradition, elle devait attendre ses 19 ans, cependant, elle avait préféré organiser cette fête au printemps de ses 18, durant sa troisième année à l’Université. Etant donné que le motif de cette soirée n’était pas son introduction au monde mais celui d’une charité, elle considéra qu’elle ne brisait pas vraiment la coutume.
Elle regarda quatre jeunes mages qu’elle connaissait bien, s’occuper des tables de jeux. Elle avait été allée voir ceux qui restaient du groupe de soutien. Après leur avoir expliquer ce qui était arrivé à Rod et Jaime, elle leur avait proposé de venir l’aider à voler de l’argent de la gentry pour une noble cause. Après quelques cours d’étiquettes et de règles de jeux, elle fut heureuse de voir qu’ils étaient enthousiastes à l’idée de l’aider et surtout qu’ils passaient un bon moment. Elle n’hésita pas à circuler parmi les tables et à glisser un bon mot pour ces camarades auprès des bonnes personnes. Après cette soirée, elle savait qu’ils auraient des postes plus intéressant à la fin de leur quatrième année que le voulait leur rang sociale.
Astrée sentit une présence contre elle et elle sourit quand elle sentit un souffle chaud contre son oreille.
– Arnaquer des personnes riches pour prendre leur argent et c’est moi le fourbe? La mage se retourna pour croiser le regard moqueur d’Uriel.
– C’est une soirée de charité, ils savent qu’ils vont perdre. Ils sont là pour se donner bonne conscience et j’en profite en prenant leur argent. Vous êtes en retard. Uriel ignorant sa remarque poursuivit.
– Vous êtes plus machiavélique que je ne le pensais. Astrée sourit et haussa les épaules.
– Voyons, cousin, c’est pour la bonne cause. Ces jeunes mages issus des quartiers pauvres ont besoin de toute l’aide que l’on peut leur donner. Ils seraient dommages qu’ils se retrouvent à faire des choses extrêmes et dangereuses pour réussir. Non ?
– En effet. Il regarda autour de lui. La grande salle de bal ainsi que la salle de jeux avaient été décoré entièrement avec des glaïeuls de toutes les couleurs. L’odeur enivrante s’ajoutait à celle du champagne et des cigarettes. L’ambiance festive ne semblait pas comprendre la symbolique lourde de ces plantes.
Uriel observa sa maîtresse. Il la trouva rayonnante entourée de ces fleurs héroïques. Son port de tête, sa grâce, son comportement auprès de ses invités et son habile jeu politique, lui donnaient une aura royale qu’il trouva intéressante. Elle ressemblait à une Reine qui divertissait sa cour, tous semblaient converger vers elle. Le plus amusant, aux yeux du démon, était qu’elle ne se rendait pas compte de l’attirance et influence qu’elle pouvait avoir sur les gens. Elle était encore jeune et il était pressé de la voir grandir et de voir comment ce talent se développerait.
Il l’entendit soupirer en regardant elle aussi autour d’elle. Il lui prit la main et l’emmena sur la piste de danse où ils commencèrent une valse.
– Il serait tellement honoré et fière.
– Ce ne sera jamais assez pour lui et Jaime. J’aurais dû vous contacter plus tôt.
– Il n’y avait rien que l’on pouvait faire. C’était trop tard et vous le savez.
– Si seulement les mages avaient un accès illimité à l’Ether dès le départ, nous n’aurions pas ce genre de problème.
– Cela n’est pas possible et ceux pour deux raisons. La première est très simple, l’esprit des mages est certes puissant mais vous n’arriveriez pas à supporter un tel flot de magie chaotique. Deuxièmement, pour l’équilibre. Si trop de magie entrait de ce monde, le chaos le détruirait, il n’est pas fait pour supporter autant de puissance.
Astrée plissa le nez, frustrée et agacée que les choses soient ainsi. Ils dansèrent en silence, appréciant la compagnie et le contact de l’autre. Puis Uriel se racla la gorge et dit avec un ton léger.
– J’aimerai que vous m’éclairiez sur quelque chose.
– Dites-moi ?
– J’ai entendu dire, que les autorités de la ville aurait arrêté un Lord qui serait soi-disant responsable d’un grand réseau de trafic de magie. Une partie de son réseau a d’ailleurs périt dans un terrible incendie il y a quelques mois. Cela vous dit quelque chose ? Astrée retint un sourire et mordit sa lèvre inférieure.
– Curieux. Quel étrange hasard. Il se pourrait qu’une lettre anonyme ayant toutes les preuves pour arrêter le responsable d’un des plus grands réseaux du pays se soit trouvée comme par hasard entre les mains des bonnes personnes.
– Je suppose que cette lettre n’aurait pas eu toutes ces preuves sans une recherche digne de ce nom ?
– Vous devez supposer correctement.
– Je suis donc profondément vexé.
– Ho ? Il put voir la mage se figer par la surprise.
– J’aurai aimé faire partie de cette équipe de recherche. Je suis après tout quelqu’un de très doué pour trouver des preuves. – La musique s’arrêta et Uriel guida la mage hors de la piste. Il retint sa main et murmura. – A l’avenir, ne me laissez pas de côté, je suis là pour vous.
Elle sourit et il put voir dans son regard un changement. Elle avait eu sa vengeance, à sa façon. Il aurait aimé être de la partie mais il comprenait. C’était quelque chose qu’elle avait voulu faire seule, se le prouver à elle-même. Dans ce regard, il y avait la vengeance qui l’avait consumée tous ces derniers mois, mais également une entente entre lui et elle. Ils hochèrent la tête tous les deux et ils se comprirent sans avoir à se parler.
Il fouilla dans sa poche et lui tendit un petit cône de papier. La mage, surprise, le prit entre les mains et ouvrit la base. Elle laissa échapper un petit hoquet de surprise et un léger sanglot sous l’émotion. Elle déchira un peu le papier et découvrit un chardon. Elle le prit délicatement entre ses doigts et l’enfonça dans ses cheveux, dans son chignon. Uriel hocha son approbation et il ne put s’empêcher de repenser à sa réflexion plus tôt sur son aura royale. Elle portait la fleur comme une couronne.
Ils se regardèrent dans un silence complice et ils ne furent interrompus que par des amis d’Uriel qui vinrent l’arracher à elle pour une partie de carte. Il s’excusa, entraîné malgré lui et Astrée rit d’un rire sincère et profond.