Industrie sylvestre est le nom correct pour désigner tout traitement à grande échelle du bois brut en matériaux travaillés. Nous, les nains, pouvons le faire à très grande échelle grâce à nos usines. Les humains en sont encore à un stade pré-industriel malgré leur maîtrise des cours d’eau. Les elfes par contre, continuent de tout réaliser à la main et ne peuvent donc espérer concurrencer qui que ce soit que par la profusion de bois rare sur leurs terres.
-Extrait de la demande d’importation de bois brut par la compagnie frontalière du clan Litik
* * *
Iad 42 de l’ère impériale, dix-septième dan de Mely
Deux dano s’étaient écoulés depuis la mésaventure dans le village et la troupe de Steshin n’était parvenue qu’à parcourir qu’une trentaine de kilometro, ce qui représentait moins de la moitié de la distance théorique qu’un groupe pourrait parcourir dans des conditions décentes. Malheureusement pour eux, la neige, le froid, les chemins sinueux et le manque de provisions constituaient des problèmes de premier ordre d’autant plus qu’ils devaient se coltiner un cheval de guerre de la Mona d’argent qui s’était enfui durant les combats dans le village et que Kin était parvenu à récupérer par chance après leur départ.
Présentement, la troupe s’était installée dans une ravine au milieu des bois. Les cultistes montaient le camp tout en préparant le déjeuner.
-Seigneur Steshin ? Seigneur Steshin !
-Hum… Qu’y a-t-il, haut maître ?
-Vous êtes particulièrement pensif ces derniers dano, seigneur Steshin.
-Navré, haut maître. Je réfléchissais à notre situation.
-Est-elle si mauvaise, seigneur Steshin ?
-Quand une patrouille de la Mona d’argent arrivera au village, elle retrouvera notre trace sans aucune peine grâce à l’aide des villageois, haut maître. Nous avançons trop lentement et les provisions manquent même si Krat est un bon chasseur.
-Effectivement. Notre situation n’est pas bonne, seigneur Steshin.
-Et Kin ne nous dit pas tout, haut maître. Il prétend que ces trois elfes n’étaient que des brigands ayant fauché l’équipement de la Mona. Je doute que de simples coupe-jarrets puisse venir à bout d’un paladin. Surtout après les pertes que nous avons subies et ça fait aussi beaucoup de brigands déguisés dans la région…
-Je me souviens de la nash où il nous est tombé dessus. Il disait déjà être poursuivi par ce genre d’individu, seigneur Steshin. Votre raisonnement fait sens et je dois vous avouer que je le trouve très étrange depuis le départ.
Si même toi, tu le trouves étrange, c’est qu’il en tient une sacrée couche.
-Je garderai un œil sur lui, seigneur Steshin.
-Merci, haut maître.
-C’est tout-à-fait normal, seigneur Steshin. Mon rôle ne se résume pas qu’à répandre votre parole. Je dois également vous prévenir de tout danger.
Une telle dévotion fit sourire Steshin pour la première fois depuis plusieurs dano. Néanmoins, ce ne fut que pour un court instant étant donné qu’il entendit Kin s’approcher et l’interpeller.
En parlant de chose étrange, je n’avais pas remarqué avant mais il est assez bien bâtit pour un type qui a passé sa vie dans les bouquins.
-Qu’y a t-il, Kin ?
-C’est pour vous prévenir que le repas sera bientôt prêt.
Timy ne le quitte plus d’une semelle, même une fois Sonse couché… C’est plutôt l’autre qui ne le quitte plus tant qu’il a encore de la vigueur à revendre. C’est peut-être mieux pour ce gamin. Il risque moins de mourir bêtement dans une énième mêlée générale.
Steshin et Toldaka se joignirent aux autres autour d’un repas comprenant la dernière prise de l’orque qui se permit un petit dessert personnel à base de cavaliers elfes de la Mona d’argent massacrés brutalement lors d’une traque dans un village perdu. Un met de choix pour celui-ci.
* * *
-Hela… Voyageurs ! La bourse ou la vie !
Les quatre bandits de grand chemin avaient surgi sans crier gare de derrière un chariot abandonné en espérant prendre par surprise des passants voire un riche marchand. Ils ne s’attendaient pas à tomber sur une vingtaine d’individus armés plus ou moins correctement dont un orque varvarish assoiffé de sang.
-Que faisons-nous, seigneur Steshin ?
-Eux faibles, pas puissance.
-Haut maître, désigne un adepte. Qu’il en élimine un. Pour montrer ses progrès.
-Bien, seigneur Steshin. Adepte Banut, élimine-en un.
-Avec plaisir, haut maître.
L’adepte Banut s’avança hors de la troupe avant de commencer ses incantations et son enragement en hurlant face à des bandits amusés par le spectacle qu’il donnait. En réalité, ils ne savaient pas réellement pas à quoi s’attendre jusqu’à ce que cet adepte se jette sur l’un d’entre eux en évitant un coup de sabre rouillé. Bien qu’en réalité, ce fût le bandit pris pour cible qui n’eut le temps de porter correctement son coup.
Ses compères se tournèrent dans sa direction pour lui venir en aide mais leurs jambes refusèrent de faire plus que deux ou trois pas en voyant la scène d’horreur qui s’offrait à eux. Le cultiste de la rage se montrait si brutal avec leur compagnon de crime qu’après quelques instants seulement, le corps tomba au sol si défiguré qu’ils parvinrent à peine à le reconnaître.
L’adepte Banut s’acharnait avec tant de sauvagerie sur le corps que le sang se répandait abondamment sur la neige. Celle-ci prit une couleur rosâtre au départ puis elle s’assombrit jusqu’à devenir rouge écarlate. Elle était creusée par les bras et les jambes de la pauvre victime mais il ne s’agissait plus de réactions conscientes mais simplement de spasmes dû aux impulsions électriques envoyés par le cerveau, ou ce qu’il en reste, au travers du réseau nerveux à chaque fois qu’il comprenait recevoir un coup. Le massacre dura plusieurs minuto, de très longues minuto dans un silence assourdissant entrecoupé de hurlements enragés et de bruits de sang éjecté de force du cadavre. Une fois ce terrible spectacle terminé, l’adepte Banut retourna auprès du culte, ses vêtements entachés abondamment de sang et ses mains couvertes des restes de ce qui fut un temps un œil. Il rendit hommage à Steshin en s’inclinant devant lui avant de lui dédier cette sanguinaire performance.
Les trois bandits restants ne se contrôlaient plus, ils ne parvenaient plus à bouger, leur genoux tremblaient tant que l’on pouvait presque les entendre s’entrechoquer.
-Si vous tenez à la vie, vous pouvez toujours me rejoindre ! Vous n’aurez plus jamais rien à craindre, je prendrai soin de vous !
Les trois voleurs de grand chemin tournèrent la tête en direction de la voix pour apercevoir un Kin bien confiant mis en avant du groupe. Ils lâchèrent leurs armes avant que leur jambes ne se dérobent sous leur propre poids et qu’ils tombent à genoux dans la neige. L’un d’entre eux était un archer et à présent, il se vidait l’estomac de tout son contenu. Ce qui semblait être le chef de cette bande, quant à lui, regardait le sol sans être capable de retenir ses larmes. Et, enfin, le dernier s’était coupé du monde extérieur et il s’imaginait être un écureuil ayant une vie paisible dans sa cachette. Kin s’approchait d’eux assis sur son cheval comme si cette victoire était la sienne, comme s’il venait de triompher d’une armée entière à lui seul.
-Allons, je n’ai pas entendu votre réponse…
Il s’y croit vraiment…
Le chef de la bande releva la tête et eu un hoquet de peur en voyant le visage de Kin paré d’un sourire cruel en contre-plongée. Il eut l’impression que son bourreau lui demanda s’il désira vivre ou mourir. Il préféra vivre et de loin.
-Oui… Ou… Oui, messire.
-Je t’entends mal. Parle, plus distinctement.
-Ou… Oui, messire ! Nous vous servirons avec plaisir.
Le demi-elfe et l’elfe qui n’avaient pas encore abandonné la réalité se prosternèrent face contre terre en direction de l’érudit.
-À la bonne unia.
Le chef de la bande se demanda si, au final, la mort n’aurait pas été préférable. Il entendait comme une petite voix le lui répéter sans cesse mais il préféra la faire taire pour le moment. Il sourit instinctivement lorsque Kin lui caressa la tête, il fit le beau devant son nouveau maître.
Celui-là n’est absolument pas ce qu’il prétend être. Il y prend clairement trop de plaisir pour n’être qu’un simple érudit. Peut-être qu’il n’en est pas un du tout…
Steshin et Toldaka se jetèrent l’un l’autre un regard lourd de sens que chacun compris sans mal.
* * *
-La ville la plus proche est Piefna.
-Je ne la connais pas.
Steshin et le chef de la petite bande de coupe-jarrets étaient assis près du feu de camp, discutant de leur prochaine destination.
-C’est le siège d’une baronnie spéciale, y a deux barons.
-Comment ça ?
-Bien, ben vous savez que le duché de Tvod est à la fois en Plenovny et en Forishny ?
-Oui, Solek.
-Ben, cette baronnie est un peu pareille. Elle est à la fois dans le duché de Tvod et dans le duché de Tabeny.
L’étonnement se lut sans difficulté sur le visage de Steshin qui n’avait jamais entendu parlé de ce genre de bizarrerie.
-Comment ils en sont arrivés là ?
-Faut demander à Kenta. Ce demi-elfe vient de là-bas.
L’elfe fit signe au demi-elfe de s’approcher en accompagnant le geste par la parole.
-Hé ! Kenta ! Ramène-toi un peu par là !
-Merci, Kenta.
Le demi-elfe laissa Timy pour s’approcher du feu de camp avec une légère hésitation.
-Qu’est-ce qu’il y a, Solek ?
-Dis à messire Steshin ce que tu sais sur Piefna.
-C’est juste Steshin.
-Vous voulez savoir quoi ?
-Comment se fait-il qu’il y ait deux barons ?
-C’est les ducs de Tvod et de Tabeny qui ont préféré régler ça entre eux. Comme ça ils se partagent les taxes et les impôts de la ville. Et personne se fâche.
-En somme, chaque baron représente son duc.
-C’est ça.
Steshin montra clairement qu’il avait compris la situation mais un détail le chiffonna tout de même.
-Et leur comte respectif n’ont rien dit ?
-Respect quoi ? Je sais pas s’ils sont pleins de respect mais ils ont pas trop eu leur mot à dire. Après, ils prennent leur part aussi alors ils doivent être contents.
-Je comprends mieux. Merci Kenta.
-De rien, messire. Vous nous avez épargné aussi.
Notre prochaine destination est donc Piefna, une ville mi-impériale, mi-elfe…
-Scuzez-moi messire mais mon oncle tient une auberge en ville. On pourrait aller s’y reposer.
-Merci Kenta, c’est une excellente suggestion.
Kenta retourna à ses occupations précédant son interpellation par Solek.
-Dis-moi, Solek.
-Oui, messire ?
-D’où viens-tu ?
-D’un petit village plus au Sud nommé Giny.
-Dans le duché de Tvod ?
-C’est ça.
-Et… Glostak ?
Steshin montra du menton le dernier brigand qui semblait s’être presque remis de son choc bien qu’il conservait un certain air d’animal. Solek posait sur lui un regard attristé.
-Lui aussi… Mais d’un aut’e coin.
-Ça explique votre accent quand vous parlez en commun.
-Ça c’est parce que Kenta nous a appris à… Glostak et à moi. Ils parlent comme ça dans les villes. Dans nos villages, on parle surtout elfe et on y mélange du commun des fois quand on en connait.
-Ça s’entend. J’ai l’impression que tout le monde parle au moins un peu le commun, même dans les villages les plus reculés.
-C’est parce que tous les villages ont donné des guerriers pour la guerre. À force de beaucoup voyager, ils ont souvent appris quelques mots par-ci par-là.
-Je vois.
Un adepte leur apporta chacun un bol contenant un maigre mélange de ce qui avait pu être trouvé aux alentours et ils mangèrent leur dîner en silence jusqu’à la fin et jusqu’à ce que Steshin soit pris d’une certaine curiosité.
-Tu es parti pourquoi, Solek ?
-Vivre l’aventure, devenir riche, tout ça. Mais les choses ont tourné au vinaigre et je suis devenu bandit.
-Je comprends. Des déconvenues me sont également arrivées lorsque j’ai décidé de partir, moi aussi.
-Vous venez de loin, messire ?
-Très.
-Et vous ne pensez pas à y retourner un de ces dan ?
Steshin marqua une pause significative avant de répondre sur un ton plus grave montrant que quelque chose de sombre lui trottait dans la tête.
-Non.
-Pourquoi ?
-La guerre. Seule la guerre m’y attend.
-Il y a encore des régions en guerre ? Dans l’empire ?
-De temps à autre mais je viens de bien plus loin.
-De Varvary ? Non, vous n’avez pas l’air de l’un de ces sauvages comme l’orque.
Le démon ne put réprimer un petit rire discret. La remarque de l’ancien bandit l’avait amusé de par le naturel avec lequel il l’avait prononcée.
-En effet mais je ne pourrais pas te dire où placer cet endroit sur une carte. J’ai beaucoup trop erré au hasard au départ.
-Je vois. Moi, notre rencontre et… La mort… De… De…
Il avait énormément de mal à parler de cet événement. La mort brutale de son compère l’avait visiblement beaucoup affecté et il put à peine prononcer son nom au travers d’un son étranglé.
-…Bref… Ça… m’a fait repenser mon départ et je me demande si j’vais pas rentrer en fait.
-Ce sera peut-être l’occasion ou jamais.
-Mais je veux quand même pas rentrer les mains vides comme un âne.
-Et pas avoir l’air d’un idiot.
-C’est ça.
-Comme tu voudras, Solek.
-Je partirai quand j’aurai trouvé quelque chose de bien à montrer aux autres.
-D’accord.
-Merci, messire.
Steshin lui sourit en réponse ce qui sembla remonter le moral de l’ancien bandit. Un grand bruit attira leur attention, les adeptes étaient visiblement parvenus à remettre le chariot sur la route. Ils s’attelaient déjà de le charger de matériel et des blessés les plus lourds ainsi qu’à lui attacher le cheval de la Mona récupéré par Kin au village.
On pourra revendre le bois au moins. Ça fera quelques sous en plus.
* * *
Iad 42 de l’ère impériale, dix-huitième dan de Mely
Le dan suivant, la troupe eut à déplorer deux morts à cause de leurs blessures. Après avoir levé le camp, elle troqua les sentiers tortueux de forêt pour la sympathique voie pavée d’une route royale rejoignant Piefna par le Nord. Steshin estima qu’avec le chariot de bois et la dégaine miséreuse de ses adeptes, personne ne viendrait soupçonner quoi que ce soit.
Par ailleurs, les deux dano les séparant encore de la ville ne connurent fort heureusement aucun déboire particulier et ils eurent même le plaisir de pouvoir séjourner au sein d’auberges pour voyageur. Néanmoins, ils furent “priés” de ne jamais revenir et en particulier Krat qui sut “négocier” habilement des boissons gratuites.
Iad 42 de l’ère impériale, vingtième dan de Mely
Finalement, ils arrivèrent à Piefna peu avant la clôture des portes et donc de la ville. Kenta mena le groupe jusqu’à l’auberge tenue par son oncle, “Zao shurmu tancedi“. Les retrouvailles entre les deux demi-elfes furent pour le moins chaleureuses au point que le tenancier leur offrit le séjour en remerciement de la protection offerte son neveu qui se garda bien de lui parler de ses actes de banditisme sur les routes du duché voisin.
* * *
La petite troupe de Steshin passa deux dano de repos dans l’auberge “Zao shurmu tancedi“. Krat descendit une quantité impressionnante de bières de tous genres, ce qui ne manqua pas d’inquiéter Vanya, l’oncle de Kenta. Cependant, il ne pouvait pas se dérober à son rôle d’hôte particulièrement reconnaissant, surtout face à un orque capable de le broyer d’une main et de le manger de l’autre.
Kin et Timy passèrent leur temps comme professeur et élève, l’érudit distribuant des leçons sur tout en partageant des banalités comme si c’étaient des secrets exceptionnels. Steshin, de son côté, se reposa tranquillement tout en planifiant les prochaines étapes de son voyage tout en estimant les mouvements de ses poursuivants de la Mona d’argent.
Le culte prit également du repos mais il alla tout de même répandre la parole de leur divinité incarnée afin de regarnir leurs rangs. Cela fut un grand succès car ils purent presque remplacer tous ceux tombés au combat ou à cause du paladin en armure. Le culte atteignit ainsi le nombre de dix-sept adeptes.
* * *
Iad 42 de l’ère impériale, vingt-troisième dan de Mely
-Nous ne voulons pas abuser de votre hospitalité.
-Ne vous en faites pas pour ça. Vous devriez plutôt en profiter pour gagner quelques pièces pour vot’e voyage. Ça coûte cher les voyages.
-Merci pour votre aide.
-Vous m’avez ramené mon petit Kenta en bon état. C’est ma sœur qui va être contente, vous savez. Elle se faisait un sang d’encre. Elle a eu bien du mal avec ses petits depuis qu’leur père est mort après la naissance du dernier.
-Mes condoléances pour votre beau-frère.
-Vous en faites pas pour ça, ça fait déjà longtemps. Même Kenta n’a pas eu le temps de vraiment le connaître. Vous devriez plutôt vous inquiéter de ce que j’vous ai dit.
La façon dont l’oncle Vanya avait écarté le sujet fit penser à Steshin qu’il n’avait pas forcément très envie d’évoquer le sujet de son beau-frère.
-Dans ce cas, sauriez-vous où nous pourrions trouver du travail ?
-Mmm… Il y a plein de choix mais le seul dont je sois sûr, ce sont les scieries.
-Les scieries ?
-Oui, ce sont des sortes d’ateliers où on découpe les rondins de bois.
-Je sais ce que c’est… Je suis étonné que vous en ayez en Forishny. Je croyais que vous autres les elfes préfériez ce qui est fait à la main.
-C’est humain. Le duc en a fait venir pour apporter la modernité au duché comme il dit. C’est sûr que c’est moins joli que la méthode traditionnelle mais c’est drôlement plus rapide.
-J’imagine.
-Les scieries cherchent toujours des gens. C’est dur comme boulot et tout justement payé mais c’est sans compter les blessés ou les morts.
Steshin resta pensif quelques instants, s’imaginant la situation et sa brutalité apparente.
-Pas étonnant qu’ils cherchent dans ces conditions.
-Mais ils trouvent. Il faut bien payer sa pitance, vous comprenez.
-Chaque ville a ses miséreux prêts à tout pour une assiette de soupe.
-Exactement.
Les deux se regardèrent en silence, pensifs. L’un se disait qu’il était triste de devoir vivre en risquant sa vie pour si peu. L’autre pensait à son neveu qui était parti pour ne pas vivre ça.
-Où est-ce qu’elles se situent ? Les scieries…
-Oh ! Oui… Elles sont dans les faubourgs du Sud, près de la rivière. Le baron du Nord en a pas voulu.
-Ah ! C’est comme ça que vous les différenciez, vos barons.
-C’est plus simple que baron Xrazodoxivu et baron Cheracholoam. Ou encore baron de Piefna et baron de Chdotio vu que les deux sont la même chose mais l’une en humain et l’autre en elfique.
-Pas bête. Et je remarque que vous préférez humain à commun.
-Hé hé ! L’impératrice peut bien dire que c’est notre parler commun à tous mais on sait tous les deux que c’est vot’e langue à vous.
L’aubergiste appuya sa remarque d’un clin d’œil complice que Steshin n’eut aucun mal à comprendre.
Ce n’est pas vraiment la mienne mais ce n’est pas bien utile de le relever…
-Par contre, comment savez-vous qui est qui ? Vu que vous utilisez ces surnoms…
L’oncle Vanya haussa les épaules avec un sourire amusé tout en levant les yeux au ciel.
-Oh… Quelle importance ? Les deux doivent être d’accord pour tout et ça nous concerne rarement tout de suite.
-C’est compris. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. Je pense emmener ma troupe au travail de ce pas.
-Bon courage. Vous en aurez besoin.
* * *
Steshin emmena avec lui l’intégralité de son groupe à l’exception de Kin et Timy qui préférèrent passer leur temps ensemble, dans un endroit plus calme. Il n’eut aucun mal à trouver les scieries dans les faubourgs étant donné qu’elles étaient toutes amassées le long de la rivière, un peu à l’écart des habitations. Le seigneur démon parvint à faire recruter tout son culte, Krat ainsi que lui-même en dispersant les effectifs au sein de toutes les scieries.
Les contre-maîtres étant des humains, ils furent ravis de voir se présenter à eux autre chose que des oreilles pointues aux petits bras. Bien que ce soit pour un dan ou deux, c’était une belle occasion pour accroître la productivité avec moins de risque d’accident mortel tout en gardant une production stable si jamais cela devait se produire. Et tout ça pour le même prix.
Toute la troupe se mit rapidement au travail non pas en suivant la cadence générale mais en imposant la leur grâce à leur magie impie de la rage. Très vite, un groupe de quatre cultistes fut responsable d’un accident, un rondin tomba d’une pile directement sur un demi-elfe.
Il aurait pu s’en sortir avec seulement le corps gravement mutilé mais Parveny, déesse du malheur et du désespoir, en voulut autrement. Ses organes vitaux furent écrasés par l’impact et il mourut rapidement, non sans quelques gémissement et hurlements.
Deux ouvriers de la scierie prirent son corps pour le déposer dans une charrette qu’ils tirèrent en direction des habitations. Steshin avait assisté à l’intégralité de la scène sans rien pouvoir faire.
Il laisse sans doute derrière lui une veuve bientôt éplorée et peut-être quelques enfants. La vie n’était déjà pas simple pour eux et elle va brutalement empirer d’un seul coup…
Et tout le monde se remit au travail, au même rythme effréné, comme si de rien n’était.
* * *
À la fin du dan, chacun reçut une poignée de pièces de bronze de Tvod de la main de son contre-maître avant de rentrer chez soi se reposer ou de dilapider une partie de leur salaire en boissons à la taverne afin de pouvoir recommencer ce cycle quotidien de repos, travail, repos. Toute la troupe de Steshin ainsi que ce dernier retournèrent à l’auberge de l’oncle Vanya. Ils prirent tous un repos bien mérité avant de recommencer le même dan de labeur.
Iad 42 de l’ère impériale, vingt-quatrième dan de Mely
Le lendemain, Steshin put prendre un peu de temps pour discuter avec les deux travailleurs qui avaient emporté le corps la veille. Il apprit la réaction de sa veuve qui s’était effondrée en larmes, ne sachant comment elle allait faire pour s’en sortir avec trois enfants en trop bas age pour les faire travailler. L’un des deux ouvriers précisa que c’était une elfe et une très séduisante qui plus est. Il rajouta qu’elle était encore assez jeune pour donner naissance à une nouvelle descendance en séduisant quelqu’un d’autre qui pourrait maintenir son mode de vie.
L’autre lui répondit qu’à ce compte là, elle pouvait tout aussi bien faire commerce de son charme d’autant plus qu’elle a l’avantage sur les humaines ou les demi-elfes de n’être fertile qu’une fois par iad. Les deux furent d’accord que dans cette situation, s’ils pouvaient fausser compagnie à leur épouse au coucher de Sonse et rentrer avant son lever, ils ne seraient pas contre le fait d’aller profiter des services de la veuve. Mais ce serait pour l’aider à survivre, bien évidemment.
Le reste du dan se déroula sans problème majeur et put se terminer de la même manière que le précédent pour le plus grand plaisir des contre-maîtres qui pourront profiter de cette production accrue. D’ailleurs, seulement deux cultistes furent blessés cette fois-ci et assez légèrement.
* * *
Toute la troupe profita d’un repos bien mérité dans l’auberge de l’oncle Vanya après le travail lorsque Kin entra dans la salle principale avec une certaine hâte suivi de Timy qui avait le regard pétillant. L’érudit s’assit à la table de Steshin, ce dernier sirotant tranquillement une chope d’hydromel les yeux fermés et un sourire béat sur les lèvres, tout du moins jusqu’à ce qu’il remarque le nouvel arrivant.
Pfff… J’étais si bien à penser à… Qu’est-ce qu’il a à sourire comme ça, celui-là ?
Une fois que Kin fut certain d’avoir toute l’attention de son interlocuteur, il se lança.
-Je suis allé aux chroniques de la ville ce matin avec Timy pour apprendre les événements qui ont égayé cette ville et qui doivent être particulièrement intéressants…
-Va à l’essentiel, je t’en prie. Le dan a été épuisant.
-Hum… J’y viens. À la fin de mon dan de recherche, un vieil elfe est venu à ma rencontre pour me faire part d’une grande nouvelle…
Je sens venir une histoire à dormir debout…
-Celui-ci est venu quérir les services de notre troupe pour une mission des plus simples et il m’a remis une missive de la part de son maître.
Kin tendit le rouleau de parchemin scellé par une simple cordelette à Steshin qui le prit sans entrain.
Pas de sceau à proprement parlé ? Ça sent mauvais… Soit cet érudit a été pris pour un idiot, soit je vais servir d’outil à un noble de plus…
Le démon déroula le parchemin en affichant une mine peu enjouée avant d’en lire le contenu avec attention.
* * *
À l’auguste individu menant la troupe de malandrins qui, de par ses exploits physiques, est parvenu à accroitre de façon exceptionnelle la productivité des scieries de notre bonne ville de Chdotio.
Mon maître, le baron Cheracholoam, premier seigneur de Chdotio, plus connu sous le nom de Baron Sud, vous fait quérir au plus vite pour une mission de la plus haute importance.
Veuillez vous présenter à son manoir ni trop tôt après le lever de Sonse ni durant les uniao de repas. Mon maître a en horreur d’être dérangé lorsqu’il festoie. Cela le met de si mauvaise humeur qu’il pourrait vous faire écarteler.
Bien entendu, l’apport de votre aide aura pour conséquence une large rétribution.
Par ailleurs, il est inutile que vous vous présentiez à sa personne dans une quelconque tenue d’apparat. Mon maître souhaite voir de ses propres yeux vos qualités. Enfin, inutile d’apporter une offrande, mon maître n’en aurait cure.
Présentez-vous à la porte des cuisines et faites-moi quérir par l’un de nos serviteurs.
Xidi, chambellan du baron Cheracholoam, premier seigneur de Chdotio, souverain légitime de Chdotio, plus connu sous le nom de Baron Sud.
* * *
Ça sent les ennuis à plein nez, son histoire… Ils ne savent pas qui on est mais ils ont remarqué que nous étions nombreux et pas trop mal équipés. D’un autre côté, si l’on s’en sort, la récompense nous aiderait bien mais s’il veut d’illustres inconnus, c’est sûrement pour que notre disparition n’émeuve personne. Il va donc peut-être essayer de nous tuer une fois le travail fini…
-Alors ? De quoi cela parle-t-il ?
-Le maître du coursier veut nous confier une mission en échange d’une récompense.
-Quel genre de mission ?
-Ce n’est pas précisé mais je pense que ça va se résumer à trancher quelques gorges ou quelque chose du genre.
-Tant que nous sommes payés à la hauteur du service rendu. Et puis, ce sera l’occasion de rencontrer quelqu’un d’important.
Steshin se contenta de hausser les épaules en signe d’approbation peu enthousiaste.
-En tout cas, ça ne coûte rien d’aller voir de quoi il retourne.
-Et quand irons-nous ?
-Demain, après le déjeuner. Ce qui va être certainement être vers le milieu d’après-midi.
-Parfait.
Le seigneur démon fit signe de la main à l’un de ses cultistes pour lui signifier d’approcher.
-Oui, seigneur Steshin ?
-Préviens tout le monde que nous n’irons pas à la scierie demain et que Sonse sera déjà bien haut lorsque nous nous lèverons, adepte Spenia.
-Compris, seigneur Steshin. Est-ce tout ?
-Et dit leur de profiter de la soirée, adepte Spenia.
-À vos ordres, seigneur Steshin.
-Non, ce n’est… Trop tard…
Il ne put terminer sa phrase tant l’adepte fut prompte à obéir, sûrement trop.
L’adepte Spenia semble avoir reçu une éducation. Sans doute auprès d’un prêtre.
La soirée se déroula sans incident et dans le calme pour le plus grand plaisir de Steshin qui put la terminer dans un bain d’eau chaude, un véritable luxe pour un voyageur tel que lui, surtout en cette fin de Mely où la fraicheur humide reprenait ses droits une fois Sonse couché. Il dut payer ce moment de détente mais ce n’était au final pas grand chose à côté de ce que l’oncle Vanya offrait à son groupe.
La Mona était bien haute dans le ciel nocturne lorsqu’ils allèrent tous se coucher.