Lettre d’outre-temps

3 mins

Novalaise le 23 mars 1917

Mon Amour,

Quel choc hier quand le facteur est venu m’apporté ta lettre. Ma tête s’est mise à tourner quand j’ai reconnu ta chère écriture sur l’enveloppe. Mon coeur s’est mis à battre et mes mains tremblaient tellement qu’on aurait dit que je me brûlais en tenant un tison ardent. Pour te lire, j’ai dû m’asseoir. J’ai augmenté la flamme de la lampe et j’ai déchiffré la missive barbouillée par la censure. Et je n’ai retenu qu’une chose. Tu disais que tu m’aimais.

Combien d’heures, combien de nuits me suis-je consumée à douter de nos sentiments. Toutes ces nuits lumineuses que j’ai passé en conjectures enflammées, j’ai imaginé te redire mon brûlant amour et te demander pardon. Pardon, mon Amour, pour cette dispute idiote au moment de ton départ.

Jusqu’à il y a six mois, je me réchauffais à l’espoir de reprendre la vie comme elle était avant. J’étais portée, chaque matin, par cette folle idée que ton retour joyeux serait comme un feux d’artifice pour mon coeur. Je regardais passer l’employé des Postes à travers la fenêtre. Son pas inaudible comme ton ombre dans la maison, évitait toujours notre porte. Alors je brisais le silence assourdissant de la guerre invisible à coups de rêves éblouissants. Les combats seraient finis et tu arriverais dans ton bel uniforme, pour me prendre dans tes bras. Tu serais à nouveau un fanal dans ma vie et plus jamais je ne te quitterais des yeux. J’offrirais tout mon corps à ton désir dévorant, tes caresses marqueraient ma peau comme un fer rouge. Nous brûlerions nos jours et nos nuits à cet amour incandescent, fanfaronnant de caresses, de baisers et de regards complices.

Et puis les gendarmes sont venus.

Ils ont jeté mes rêves dans un bûcher éternel. J’ai arrêté l’horloge du salon. J’étais pétrifiée par l’écho immobile de ton absence. De notre appartement, comme un sépulcre, je voulais faire mon territoire solitaire. J’ai oublié de manger bien souvent, et mon regard, comme la cuisinière, s’est éteint. Prostrée sur mon fauteuil de lecture dans le salon, je n’ai pas vu passer les nuits et les jours mutiques de deuil. Je n’ai pas entendu la voisine entrer chez nous, inquiète de ne pas me voir. Elle a crié quand ton chat, affamé par ma négligence, s’est enfui. J’ai vu la frayeur sur son visage quand j’ai levé les yeux sur elle. Mon coeur hurlait en secret tandis que mon âme se recueillait devant la dépouille de notre bonheur. Il paraît que le prêtre est venu. Je ne me souviens pas. Ma seule obsession hallucinait mon existence, ma douleur de ce coeur calciné et refroidi, bientôt réduit en cendres. Insensible et sourde, j’ai senti parvenir jusqu’à moi , un froid matin de janvier, comme les pépiements d’un oiseau. Des cris stridents m’ont tiré de mon rythme monacal et m’ont amené jusque sur le perron. Là se tenait la petite fille de la voisine, tu sais, celle que tu trouvais adorable. Les mains sur les hanches, les sourcils froncés, je pris en pleine figure la copieuse engueulade qui sortait de sa bouche. Tu me pardonneras cette familiarité du paradis où tu te trouves, mon Amour, mais aujourd’hui quand j’y repense, je ne peux m’empêcher de sourire. La petite Eugénie secouait ses boucles brunes et tendait parfois un doigt menaçant vers moi pour me dire ce qu’elle pensait du traitement inacceptable que j’infligeais à ton chat. Laisser mourir de faim et de froid le chat adoré de mon mari mort à la guerre, le Bon Dieu me le ferait payer.

Je sais que tu ne liras jamais ces mots mais j’avais besoin de te les écrire. Entre les petites mains d’Eugénie et les pelotes de Bastet, mon coeur est revenu à la vie. Et quand j’ai reçu ta carte, datée du jour qui a précédé ta mort, j’ai su que le Bon Dieu, compatissant, m’avait tendu la main.

         A tout jamais ton aimée,

         Victorine.

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