Patience

4 mins

Le bras posé sur l’encadrement de la fenêtre, il attend. Une mouche, stupide, comme toutes les mouches qui rencontrent un carreau, s’entête. Le vrombissement effréné de ses ailes et le bruit sourd de son corps tout entier chaque fois qu’elle essaie de passer outre les plus ordinaires lois de la physique, brise le silence de la pièce. Il regarde l’insecte avec la plus parfaite indifférence et ne fait pas un mouvement. Peut-être ne respire-t-il plus. Sa silhouette noire se découpe dans la lumière du jour et seuls ses yeux bougent au rythme des mouvements du diptère abruti. Il pourrait s’en débarrasser du plat de la main mais refuse cette brusquerie. Il fait chaud pour une matinée de printemps. Il n’a pas enfilé sa chemise mais seulement son marcel blanc sur lequel est tendue une paire de bretelles qui se croisent dans le dos et pince la ceinture de son pantalon de coton marron. Il devrait être en train de bêcher le potager mais il ne peut s’empêcher de venir à la fenêtre et bêtement il attend. Parfois il tend le cou quand il entend des pas dans la rue. Il cherche à voir plus loin le trottoir presque jusqu’à la bifurcation avec la rue du 11 novembre. Si la personne marche sur le trottoir d’en face alors il la voit distinctement. Pour l’instant, il n’a rien vu d’intéressant.

Pour voir le trottoir qui longe son perron, il faut qu’il se penche. Il entend des escarpins claquer sur le bitume mais ne voit rien alors il ouvre la fenêtre. Une jeune femme passe, avec une robe blanche à fleurs rouges. Sa tête est couverte d’un petite chapeau rouge et ses escarpins sont rouges. Elle semble un peu pressée. Sa taille fine se balance à chacun de ses pas amorçant le mouvement de ses jupes de coton, plus ample.

Lui s’impatiente. Il rentre son torse dans la maison et se retourne vers le buffet. En faisant claquer les portes des placards, il se sert un grand verre d’eau. Il avise le journal sur la table de la cuisine. Il l’ouvre, le feuillette rapidement puis le referme d’un mouvement sec. Il s’assoit en soupirant. Les poignets posés sur le haut des cuisses et le regard perdu dans le vide il ressemble à une allégorie du désespoir. Il se relève brusquement et se poste à nouveau à la fenêtre. Il a ouvert les deux battants en grand et a posé ses coudes sur les bords. Le bâtiment d’en face, baigné de soleil l’éblouit. Il cligne des yeux.

Le temps lui paraît long, sans fin, il s’étire comme de la guimauve. Il sait qu’il lui faudrait s’occuper pour mettre un terme à ce supplice mais il ne parvient à se concentrer sur rien. Il constate que le silence est écrasant à présent dans la cuisine. Il cherche la mouche des yeux. Elle s’est enfui quand il a ouvert la fenêtre. La rue est trop calme. En tendant l’oreille, il perçoit au loin la rumeur du boulevard. Parfois, un klaxon retentit, étouffé par la distance.

Soudain, au fond du couloir, une sonnerie déchire l’ambiance étouffante de l’appartement et manque de faire exploser son coeur. Il a sursauté puis il a posé la main sur sa poitrine. A l’intérieur son coeur bat si fort qu’il lui semble sentir une onde jusque dans sa gorge. Il se dirige d’un pas rapide vers l’appareil qu’il décroche. A l’autre bout, on réclame une personne qu’il ne connaît pas. C’est une erreur. Il repose le combiné doucement. Il laisse ses doigts crispés sur la bakélite et plonge dans ses pensées. Il revit intérieurement la peur qu’il vient d’avoir. En relevant la tête, il croise son regard dans le miroir accroché au mur. L’espace d’un instant il détaille son visage comme si ce n’était pas le sien : ses traits sont tendus, il semble vieillit. Et d’un coup il part dans un fou rire nerveux. Ses traits se détendent instantanément, ses yeux pétillent et il se retrouve.

Il pousse un profond soupir et retourne à la fenêtre. Un peu plus loin sur la gouttière deux moineaux se disputent à grands cris. Ils sautillent, battent des ailes et se poursuivent sur les tuiles puis disparaissent derrière l’arête du toit. Les sourcils froncés, le cou tendu il regarde le ciel intensément bleu. Il pense à ses yeux à elle qui sont si bleus. Comme il voudrait qu’elle soit là.

Maintenant il perçoit le bruit d’un moteur qui se rapproche alors il se penche encore davantage. Au bout de la rue, un véhicule de La Poste est arrêté le long du trottoir. A nouveau il perd son sang-froid et l’excitation le gagne. Il sait qu’il faudra un peu de temps au véhicule pour arriver jusqu’à sa boîte aux lettres mais il lui semble que le facteur est plus lent que d’habitude. Il le regarde remonter dans son véhicule et s’arrêter devant un autre immeuble. Il tape du plat de la main sur le bord de la fenêtre et lâche des “allez” comme s’il encourageait un sportif poussif, un brin agacé.

N’y tenant plus, il décide d’aller attendre l’employé de la Poste sur le trottoir. Il enfile une chemise qu’il boutonne à la va-vite. Il ne s’aperçoit pas que les pans de sa chemise sont décalés et il les fourre d’un geste rapide dans son pantalon. Il cherche dans le tiroir de la table du téléphone les clés de la boîte aux lettres. Il ne les trouve pas. Il s’invective quand il réalise que s’il accueille le facteur il n’aura pas besoin de cette clé. Il ouvre la porte d’un grand geste et se lance dans les escaliers qu’il dévale quatre à quatre. Quand il arrive dans la cour intérieure, il n’y a personne. En quelques enjambées, il ouvre la grande porte qui donne sur la rue et manque de faire tomber le facteur qui arrive en sens inverse. Il le retient du bout des manches de sa veste et lui fait de plates excuses. Ensemble, ils éclatent de rire.

– Hé ben mais qu’est-ce qu’il vous arrive Monsieur Artaud?

– Je suis désolé, j’attends un courrier important.

– Ah oui, je vois, et il lui tend un petit paquet d’enveloppes avec un regard malicieux.

Tandis que le facteur distribue le reste du courrier dans les trois autres boîtes, il fait passer rapidement les enveloppes dans sa main jusqu’à la blanche couverte d’une belle écriture ronde. Il déchire l’enveloppe avec précipitation et en tire une lettre manuscrite. Un immense sourire lui fend la figure. Il remet le papier dans son emballage sans le lire et remonte les escaliers. Il n’a pas entendu le facteur partir en le saluant.

Dans l’appartement, il se jette sur son fauteuil et ressort la lettre. Doucement, avec un plaisir de gourmet il déchiffre la chère écriture. En quelques secondes il avait déjà fini sa lecture car le texte ne fait pas plus d’une dizaine de lignes. Ce n’est pas grave, il la relira des dizaines de fois jusqu’à samedi. Elle viendra. Elle arrivera par le train de onze heures. Il ne reste plus que quatre jours à attendre. 

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