<< Attention ! … >>
Où suis-je ? Debout, les bras le long du corps, je me découvre planté face à un mur…enfin, je crois. Ce dernier est scindé en deux de haut en bas, la partie de droite est entièrement blanche, alors que la partie gauche, elle est totalement noire. Je m’écarte un peu et tourne la tête pour observer autour de moi. Je constate que je suis au centre d’un couloir relativement large, je dirais dans les trois mètres. Avec le recul, je comprends donc que ce n’est pas le mur qui est divisé en deux coloris, mais le couloir entier. D’un côté, le noir absolu. De l’autre, un blanc immaculé. Je regarde au loin d’un côté puis de l’autre pour essayer de comprendre où je me trouve.
Les deux parties, hormis la couleur, semblent similaires, le couloir ne possède pas d’issues intermédiaires avant l’extrémité visible et une lumière éblouissante règne au fond de chaque côté, empêchant ainsi de discerner ce qui se trouve le plus éloigné.
D’où je suis, je pense qu’une centaine de mètres me séparent des deux sources lumineuses. Puis, en observant plus attentivement, petit à petit, je finis par m’apercevoir que la lumière du côté blanc commence à vaciller, je n’ai pourtant rien fait depuis mon arrivée ici qui justifie ce changement.
Ignorant la raison de ma présence en ces lieux, je m’efforce de récapituler ce que j’ai bien pu faire avant de me retrouver là. Si nous sommes le même jour, c’est-à-dire dimanche, je suis parti me promener en famille au Parc des Songes, un parc situé au sud de la ville. Je me souviens avoir choisi ce parc, parce que ma femme adore cet endroit et que le canal qui le traverse est des plus charmants.
Je me souviens des chamailleries des enfants dans la voiture. Le trajet n’a pas été long, vingt minutes tout au plus. Une fois arrivés, nous avons sorti les affaires pour le pique-nique et deux trois accessoires de jeux pour Lucas et Maxime. Ophélie, la sœur aînée, ne participe plus aux activités familiales depuis longtemps, mais j’ai réussi à la convaincre grâce à la force du porte-monnaie : « Si tu tiens à améliorer ton argent de poche… ». Oui, ce n’est pas très élégant, mais face à la pleine crise d’adolescence, on fait ce qu’on peut, comme on peut. Alice, ma femme, m’a aidé à porter le repas, pendant que les garçons portaient leurs jouets, Ophélie, comme toujours, porte son téléphone portable et c’est déjà pas mal.
Midi et demi, on s’est installés dans un coin entre quatre arbres qui tamisaient les rayons d’un soleil brûlant. L’endroit était paisible, on percevait même le bruit de l’eau qui coulait doucement. Le repas fini, nous avons tous aidé Alice à ranger notre déballage, pour ensuite faire une petite promenade. Je voulais profiter de l’instant pour lui parler de ma promotion qui allait nous contraindre à déménager dans une ville située de l’autre côté du pays…
À partir de ce moment-là, je n’ai plus aucun souvenir. Je ressens comme un coup de fatigue fulgurant qui me contraint à appuyer mon dos contre le mur, mais à peine arrivé à son contact, une lueur surgit de celui-ci. Surpris, je m’en écarte en allant me placer contre celui d’en face, me retournant dans la foulée pour comprendre ce qui vient de jaillir dans mon dos. Toujours aussi incompréhensiblement, deux textes viennent d’apparaître, enfin, je suppose, parce que je n’ai pas vraiment prêté attention à cette partie du mur jusqu’à présent. Ils sont écrits dans une calligraphie aux ornementations plutôt médiévales, pas vraiment faciles à lire, mais, par chance, c’est du français, ça va. …Enfin, je ne sais pas si c’est de la chance, mais en tout cas j’arrive à décrypter.
Je commence par le texte de droite, il est écrit en blanc sur la partie du couloir qui est totalement noire : “Sur ce chemin, tu rencontreras mille douleurs et mille frayeurs, mais au bout du compte ton courage t’assurera le Paradis.” Quoi ? Sous le choc, mes jambes se dérobent, me laissant tomber lourdement sur le sol. Je regarde mes mains tremblantes et glacées. Serais-je mort ? Non, ce n’est pas possible, je n’y comprends rien…
J’ai des sensations bizarres, mes yeux sont clos et mon corps est engourdi. J’ai probablement dû m’endormir. Je ne veux pas ouvrir les yeux par peur de ce que je pourrais voir, le sol est dur et lisse, rien à voir avec la douce herbe du parc. Je ne m’y trouve donc plus et ne suis pas non plus dans mon lit. Mes derniers souvenirs ne sont donc pas un rêve. Je ne sais pas combien de temps a duré mon assoupissement, je ne sais même pas combien de temps s’est écoulé entre le moment où je me trouvais en compagnie de ma famille et le moment où je me suis retrouvé ici. Je n’ai plus la notion du temps qui passe. Mais, puisqu’apparemment je suis mort, l’un dans l’autre, il semblerait que j’aie tout mon temps. Je ne peux pas rester ici éternellement non plus.
J’ouvre donc les yeux et je relève la tête, constatant que les deux textes sont toujours là. Je tourne le regard vers le deuxième, celui écrit noir sur blanc : “Ce chemin est sûr, une paisible route agréable t’accompagnera pendant des jours, mais l’entrée du Paradis se jouera avec les Dés du Destin.” Est-ce par folie, angoisse ou épuisement, mais, dans cette situation, je ricane avant de me replonger dans mes réflexions…
Coincé ici, depuis je pense …un certain temps maintenant, c’est le temps lui-même qui semble disparaître. Je commence à me résigner à ce qui m’arrive, j’imagine que beaucoup de temps s’est écoulé depuis mon arrivée ici. Malgré tout, j’attends encore que quelque chose se passe…
J’ai l’impression d’être ici depuis une éternité, si bien qu’il me semble que le temps de mon existence a été bien éphémère. Il faut que je me fasse une raison, de toute façon, je ne gagnerai rien à attendre plus longtemps, il va falloir que je prenne une décision.
Si je comprends bien, deux choix s’offrent à moi, mais j’avoue ne pas savoir pour lequel opter. La tentation de s’assurer le Paradis est tentante, mais combien de temps vont durer les multiples souffrances ? Sans parler des frayeurs ! Ne vais-je pas être gagné par la folie, si cela dure trop longtemps ? L’autre chemin semble évidemment plus facile, mais si les dés dont il est question ne m’ouvrent pas la porte, que vais-je devenir ? Tomber en Enfer, juste disparaître…
D’un autre côté, que vais-je trouver au Paradis ? Et, est-ce que je mérite vraiment d’aller dans cet endroit ? De toute façon, sans ma femme, tout cela n’a pas vraiment d’intérêt. C’est drôle, je n’aurais jamais pensé dire ça un jour, particulièrement ces derniers temps, j’en étais même à me demander si nous étions encore un couple amoureux. Il aura fallu que la mort m’emporte, pour que je me rende compte que c’était le cas. Cette situation est ridicule. De plus, je ne sais même pas si cela est réciproque…
Le temps continue de passer, mais je progresse dans ma réflexion. Déjà, je comprends à peu près comment c’est arrivé. De plus, maintenant que j’ai le temps de penser à autre chose qu’à moi-même ou à mon travail. Je me rappelle ou plutôt je prends conscience de tout ce que ma femme a fait pour moi pendant toutes ces années, toutes ces petites attentions qu’elle avait envers moi comme : me réveiller le matin avec un baiser, les petits plats à emporter au travail pour éviter que je ne me nourrisse de chips et de sandwiches, le soutien, quand cela se passait mal au boulot et, bien sûr, malgré les disputes, la tendresse dont elle a toujours fait preuve à mon égard.
C’est décidé, qu’importe l’endroit où j’arriverai, tout ce que je veux, c’est arriver au même endroit qu’Alice. Maintenant, je sais quelle partie du couloir suivre, car je sais laquelle elle choisirait. Tout en me dirigeant vers la lumière, j’avance lentement et juste avant d’entrer dans le passage lumineux, j’ai à l’esprit les derniers moments que j’ai passés avec elle, cette fameuse promenade près du canal.
On se prend vite au jeu et au mystère. Les trois premiers paragraphes sont un peu difficiles d’accès, en revanche la lecture de la suite est très fluide. Beau travail
Très belle histoire, j’ai beaucoup aimé.