Chapitre 2
La cérémonie est terminée. Mes mains me font souffrir et je décolle mes ongles de mes paumes. Je fixe les marques rouges qui dessinent des traits inégaux dans ma peau pâle et je reprends enfin mes esprits. En levant ma tête je réalise que les autres chevaliers me dépassent tous de plusieurs centimètres. Je sens leurs regards insistants, et n’ose pas y répondre, je ne connais personne. Heureusement les applaudissements reprennent et j’arrive à ignorer mon malaise en constatant que toute l’attention est reportée vers la porte du vieux fort. Deux sorties permettent la fluidité du passage, selon les vigiles il s’agit surtout de la sécurité des élus. Je me hisse sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir mes parents une dernière fois. Impossible de les repérer, il y a beaucoup trop de monde et je suis bousculée de gauche à droite. La masse n’est plus qu’une vague homogène de têtes coupées par les silhouettes me précédant. Une main attrape mon bras et me tire en arrière si brusquement que je trébuche et manque de tomber sur un groupe appartenant au clan des cultivateurs. Par chance, je me reprends à temps sur l’auteur de ma chute.
-Suis le groupe ! Hurle t-il pour couvrir le bruit des acclamations.
Ses yeux bleus sont perçants de colère et il disparaît aussitôt dans la foule des chevaliers. Mes joues chauffent. Honteuse, je me remets en marche oubliant la brûlure de ma gorge, le signal que je suis prête à fondre en larmes. Je m’efforce d’oublier mes parents et me concentre sur la bannière rouge qui se balance dans les airs.
Le vieux fort donne directement sur la gare dont le quai est déjà bondé d’élus. Je reconnais immédiatement la grande allure de la brune et je m’emploie à la rejoindre. Après quelques excuses inutiles pour passer, je m’avance jusqu’à elle et tente un sourire discret.
-Je m’appelle Mira. Déclare t-elle dans une expression de joie dévoilant ses dents blanches parfaitement alignées. Elle porte plusieurs piercings en haut d’un de ses sourcils et une boucle d’oreille d’un seul côté. Cette dernière m’informe que son ami Alex doit regrouper tous les novices avant que nous puissions monter à bord du train. Deux garçons arrivent à ce moment et semblent déjà connaître Mira. Ils se présentent à leur tour, le plus grand se prénomme Eli et l’autre Hunter. Ils sont plus petits que Mira mais je ne leur arrive qu’à la nuque. Quelques instants plus tard, le chevalier aux yeux bleus -Alex- apparaît en compagnie d’un groupe plus conséquent de novices. Je baisse mon regard vers mes chaussures, encore confuse de notre altercation. Je remarque qu’il y a une autre fille de mon âge accrochée aux bras d’un garçon plus frêle que les autres. Il vérifie que nous sommes tous présents et la châtain s’en va, les portes s’ouvrent. Eli et Hunter montent les premiers, je leur emboîte le pas. La rame est divisée en plusieurs compartiments de quatre ou deux places et les deux bruns m’invitent à les rejoindre. Les autres novices nous imitent dont un blond qui me dévisage et prend place dans un compartiment voisin au notre. Eli et Hunter grimacent vers moi, la mine désolée. J’évite de demander son identité de peur qu’il ne m’entende, mais l’un de ses camarades le mentionne. Nous entendons les portes se fermer automatiquement. Mira et Alex ne sont pas encore entrés. Ils attendent peut-être les chefs ou simplement le dernier moment. Youri se lève et hausse un de ses sourcils clairs. Son expression se change dans un sourire narquois.
-Alors, on a bien cru que la nouvelle Horton allait s’évanouir tout à l’heure. Articule-t-il dans un rictus.
Le silence est tombé aussi vite que mon cœur s’est mit à battre. Je ne sais pas quel mot a le eu plus d’effet, mais mon nom a retentit en moi pour la première fois avec autant d’importance. Je suis incapable de lui répondre. J’imagine déjà mes joues rougir et j’ai peur de me couvrir de ridicule à nouveau.
-Écrase, Youri. Répond Eli sans se lever.
J’entrouvre la bouche de surprise. Ma tête s’est tournée vers le brun avec des yeux ronds comme des billes, pourtant ce dernier n’a pas quitté l’autre garçon du regard
-Je te rappelle que vous avez le même statut dorénavant. Complète Hunter arborant un sourire fier en ma direction.
Youri serre si fort ses mâchoires que nous pouvons le distinguer de notre place.
-On verra bien. Répond-t-il avant de prévenir ses amis de quitter la rame.
Mes deux compagnons de bord attendent que les doubles portes se ferment et m’informent que Youri est originaire d’une autre royauté. Il est courant que les écoles d’élite accueille des recrues étrangères dans le cas où les parents déménagent. Hordary est la monarchie la plus éloignée géographiquement de Colande. Elle est connue pour sa politique d’élection stricte ouverte aux seuls enfants d’élus. Il n’est donc pas surprenant que Youri s’en prenne à moi en particulier. Hunter me rassure, il m’affirme que tous les élus ne sont pas comme lui et qu’en dépit de ce bilan les admis du dehors ont la capacité de réussir, à l’instar de mon frère. J’ai d’abord été stupéfaite d’entendre le prénom de mon aîné, heureuse même, mais les chevaliers envoyés pour la terre-libre peuvent être comptés sur les doigts de la main.
Le train démarre, les portes s’ouvrent à nouveau dans un bruit sourd. Mira et Alex sont suivis d’un troisième chevalier imposant dont les cheveux châtain terne lui tombent aux épaules. Ses yeux clairs barrés par ses sourcils droits ont l’air d’être plissés par l’agacement. Le trio reste debout adossé aux portes vitrées et je détourne mon regard vers ma propre vitre. Le paysage commence à défiler lentement, les maisons s’éloignent et la foule venue pour l’événement n’est plus qu’un souvenir bruyant effacé par le calme et la sûreté des coups régulier du fer contre les rails. Et puis le décor s’accélère offrant alors des suites de tableaux flous dans les teintes de verts et de gris. Les garçons sont immobiles, le visage également accroché à la fenêtre. L’ occasion pour nous de réfléchir. Je ne réalise pas encore que je suis élue, que j’intègre l’école des quatre clans à la suite de mon frère et de Shane. Mais je ne veux pas m’affoler, et bercée par la vibration des secousses, je pense à cette nouvelle vie qui commence.