Chapitre 1
Le printemps a toujours été ma saison favorite. Lorsque j’étais enfant, je me levais à l’aube et guettais les premiers rayons de soleil, je courais dans l’herbe humide en faisant voler la rosée du matin. Je m’amusais à défaire les toiles d’araignées qui semblaient être de fins dessins de cristaux flottant dans l’air frais. L’hiver nous avait fait oublier le son du chant des oiseaux et les jardins en fleurs coloraient les maisons de pierres grises.
C’est ainsi que débutait notre semaine nationale. Colande connaissait l’art du renouveau et la simple idée de l’élection nous sortait tous de la monotonie des dernières semaines.
Aujourd’hui, le goût du printemps a bien changé. La douceur a été remplacée par la haine. Les delator habitent nos maisons, les combats se multiplient entre le système et les révolutionnaires tandis que le sud ne tient plus les menaces croissantes.
Depuis ce temps là, mon frère et mon meilleur ami Shane ont été élu, à la suite de leur départ, ma vie au collège est devenue un désastre et ma mère rentre de plus en plus tard du conseil.
L’élection à lieu dans quelques heures. Je me suis levée tôt pour goûter une dernière fois à mes souvenirs. Mais le soleil n’est pas là, et le vent est sec. Les gouttes de rosée n’ont pas coulées sur les toiles de tissus fins et l’herbe fraîche n’a plus d’odeur. Cette époque n’existe plus, elle est révolue. La lumière s’est allumée dans la chambre de mes parents, et l’ éclairage traverse la vitre en formant un halo orange dans la végétation de la cour. Je traîne un peu avant de rentrer, si j’ai la chance de faire partie de l’école aujourd’hui, alors je me promets d’être une nouvelle personne, quelqu’un qui me plaît. Je rentre finalement à l’intérieur et ma mère me regarde avec ce sourire faux des jours où elle est triste. Des jours comme aujourd’hui. Mais c’est elle la plus forte. Elle ne pleurera pas à la cérémonie. Je n’ai pas faim, et me contente de la regarder calmement. Elle mélange du miel dans son thé et sa cuillère rencontre la tasse à rythme régulier. Je finis enfin par me lever et je me prépare en vitesse avant de faire le tour de la maison pour inspecter chaque pièces et vérifier que je n’ai rien oublié. Je m’arrête une minute devant les miroirs de la salle de bain. J’ai encore une tête d’enfant, c’est vrai. Mes joues sont gonflées naturellement et mes yeux en amandes sont plutôt grands. Ils sont verts mais virent parfois au gris et me donnent un air malade. Ce jeu contraste avec mes longs cheveux bruns. Je les tiens de ma mère.
-Tina, tu es prête ? Me demande-t-elle depuis la cuisine. Sa voix est posée, encore assez pour que je reconnaisse son intonation.
Je me presse et cette dernière tourne la clé dans la serrure. Ce tintement est si habituel, et la journée si spéciale que je commence à me demander si c’est une chose de plus qui va me manquer. Je claque la portière un peu fort mais mon père se retient de faire la remarque. Il est froid d’ordinaire, mais je sais qu’au fond il est anxieux. Il l’est tous les jours pour Ulysse et contrairement à moi son élection fut une surprise générale. Nous partons, le silence règne. Le paysage transporte souvent notre esprit assez loin pour oublier où l’on se trouve et même avec qui on voyage. Le trajet est long jusqu’à la ville du vieux fort. Et le calme paisible d’Obona va vite se transformer en cacophonie.
À peine sommes nous arrivés à l’entrée de la ville, que les cotillons pleuvent, les klaxons assourdissant se mêlent à la cohue des passants et les embouteillages nous freine. Mon père se gare avec peine et nous descendons aussitôt. La foule est nombreuse, nous avançons lentement et je marche sur des pieds inconnus en m’excusant aussitôt mais aux mauvais propriétaires qui me répondent avec des regards de travers. J’arrive à me hisser jusqu’aux places des candidats. Je ne reconnais personne pour l’instant, mais je décide de dire au revoir à mes parents tout de suite. Ils ne parlent pas, mon père me prend dans ses bras et ma mère l’imite. Ils agissent depuis des semaines comme si ce jour allait bel et bien nous séparer mais c’est faux, c’est à peine si Shane rentre tous les week-end. Pour mon frère évidemment c’est un peu différent puisqu’il a été envoyé en terre libre pour soutenir le gouvernement liberator.
Mes parents s’éloignent et se noient dans la foule. Le pire, c’est que je m’y vois déjà. Et pourtant c’est rare qu’un Obonais soit élu. Mais en général, dans les villes du dehors lorsqu’un membre d’une famille est admis le frère ou la sœur suit. Je l’ai imaginé tellement de fois que c’est impossible de penser que ma vie soit autrement que comme elle s’apprête à être . Je sais que je ne serais pas seule, et cette simple idée me pousse à penser que ma vie sera meilleure. Je m’assois dans un coin. La plupart des gens sont en groupes debout devant les estrades. Pour certains jeunes, toute leur famille a fait le déplacement. Moi je n’ai pas beaucoup de personnes dans la mienne. J’ai une grand-mère veuve dont je n’ai pas connu le mari et mes deux parents sont enfants unique.
En fait, Shane je peux compter, il habite presque chez nous. Ses deux parents travaillent au conseil de coordination internationale alors ils sont rarement chez eux.
Le maître de cérémonie prend place sur son parquet posé à même le sol. Seuls les candidats sont en surélévation pour éviter la cohue et faciliter la descendante des appelés. La place se trouve dans les ruines du vieux fort et les marches pour rejoindre les dalles de bois sont inégales et dangereuses. Mais ça n’empêche pas les enfants de les dévaler à toutes vitesses pour les remonter en faisant la course. Les vigiles préviennent la foule de s’écarter pour laisser tout le monde s’installer. Le niveau sonore s’amplifie un peu et la population devient plus homogène derrière les barrières hautement surveillées. Je distingue mes parents de loin mais ils discutent entre eux. Ils ne doivent pas se douter que je les vois, et c’est tant mieux. Les jeux de regards sont crève-cœur dans ces moments. Un groupe s’approche de ma rangée et la dernière fille s’assoit à côté de moi en me souriant. Je continue d’observer le reste des mouvements de la masse avant de m’arrêter sur la grande place vide nous faisant face, où se trouvait Devon Maxwell quelques instants plus tôt.
La cérémonie va commencer. Les discussions sont encore vives mais elles font partie de celles qui ne s’arrêteront pas. Presque toutes les têtes sont rivées sur l’homme au complet noir et blanc. Il doit avoir froid dans cette tenue. Il ajuste une dernière fois le micro en face de sa bouche et se racle la gorge. L’adrénaline commence à monter en moi, mes mains deviennent moites. Je prends enfin conscience des événements. Ma gorge se noue et je tente un coup d’œil furtif vers mes parents, geste qui me retourne l’estomac.
-Bonjour, mesdames, messieurs et mes chers enfants. Commence-t-il alors qu’un frissons d’impatience traverse mon corps.
Il continue
-Nous sommes ici pour célébrer et honorer la tradition de notre noble nation.L’élection légendaire des quatre clans. Il y a près de mille ans maintenant que l’école accueille les enfants de Colande pour la représenter. Chaque enfant a sa place mais seulement quarante d’entre vous auront cette chance…
Je m’arrête de l’écouter. Je connais son discours au mot près. Sa voix solennelle est aussi légendaire que l’école. Shane se moquait souvent de la façon dont il prononce ses phrases. Je n’ai connu que lui comme maître de cérémonie et c’est une vraie célébrité à Colande. C’est l’icône phare du vingt-et-un mars.
Les clans arrivent avec leur représentants sous les quatre bannières spécifiques et un déferlement d’applaudissements les couvrent. Les quatre chefs de clan se dissocient de leur groupe pour s’approcher de Maxwell. Ce dernier présente le chef des docteurs, Félix Harvey qui prend place à son tour.
– Merci. Dit-il. Il marque une pause pour faire taire les applaudissements incessants. Notre clan, reprend t-il, celui des docteurs à été crée pour accompagner toutes les innovations que notre royauté a fait naître.
Je décroche également au bout de quelques mots. Harvey est grand et très fin. Ses cheveux blond sont coiffés rigoureusement avec de la laque. Il porte des vêtements bleu et une veste de costume plus foncée. Une nouvelle vague d’applaudissements s’abat sur lui et il ouvre la fameuse enveloppe au cachet du roi devant nous.
-Paige Thomson, Lou White, Caleb Reyes, Layla Hughes, Jenny Gray, Addison Howard, Owen Flores…énumère t-il d’une seule traite pendant que tous les appelés rejoignent tour à tour le drapeau bleu des docteurs. Mon cœur bat à mille à l’heure et je presse mes poings humide à l’intérieur de mes poches. Je tente de respirer profondément mais la nausée refait surface. C’est le tour de Garent Moore, le chef des chevaliers. Le bruit devient sourd autour de moi et je plisse mon jean frénétiquement avec mes doigts. Impossible de l’écouter. Ma gorge est en feu et je tremble comme une feuille. La vague d’applaudissements est pour moi synonyme du dernier coup de tambour qui donne l’exécution des prisonniers.
-Hunter Green, Eli Blythe, Tina Horton…
C’est mon nom. C’est moi ! La panique me prends et comme si j’avais reçu une décharge électrique, je me lève d’un bond et mes jambes avancent d’elles même. Je regarde mes pieds consciencieusement pour ne pas tomber et rejoins le plus prestement possible les autres élus. Mon souffle se fait court. Mes poings sont encore serrés au maximum. Je sens que mes ongles rentrent dans ma peau mais c’est le seul moyen d’atténuer mon anxiété. J’ai beau ouvrir les yeux je ne vois qu’une foule imprécise qui gesticule. Les paroles autour de moi sont confuses et je ne bouge plus. Pourtant je sens bien que le bruit est plus fort, une main accroche mon épaule. Je me retourne et tombe nez à nez avec une grande fille mince aux cheveux très courts. Elle hoche la tête avec un sourire rassurant mais c’est difficile à distinguer. Je ne la connais pas et tout me paraît flou, comme si le temps s’était arrêté et que mon corps agissait tout seul. Statique, j’attends que les autres clans finissent leur appel. Je ne fais rien, mais j’applaudis mécaniquement. J’applaudis de plus en plus fort en entendant chaque chocs qui résonnent en moi comme pour me réveiller d’un mauvais rêve. Mais d’un rêve quand même.