Dernier vœux – Partie 2

3 mins

Campagne normande, 3 avril 1992

 – Dis papa, pourquoi les autres enfants à l’école disent que t’es un immigré ?

 – Sabes cariña, un immigré c’est simplement quelqu’un qui vient d’un autre pays. Y sabes que papa a grandi en Colombia no ?

 – Alors c’est pas méchant quand ils disent ça ?

 – No amor, c’est pas méchant.

 – Et dis papa, c’est aussi pour ça que tu parles mal le français ?

 – Exactamente, je n’ai pas appris el francès como tu, quand j’étais jeune, mais seulement quand je suis arrivé en France.

 – Tu peux me raconter l’histoire encore une fois ?

 – D’accord mi amor, pero despues, dodo !

Du haut de ses 6 ans, Catalina se posait beaucoup de questions. Elle se rendait bien compte que son père n’était pas comme les autres pères qu’elle voyait à l’école. Il n’avait pas un métier aussi noble, il n’était pas aussi bien habillé, et surtout il avait du mal à communiquer avec la maitresse. Souvent Cat devait lui traduire, ou répondait aux questions à sa place. Elle se rendait aussi compte que c’était la seule fille de son école de ne pas avoir de maman. Elle était jalouse de toutes les autres filles de son âge qui repartait avec leur mère. Non pas qu’elle n’aimait pas son père, au contraire, mais une présence féminine c’était forcément aussi bien. Alors Catalina demandait des histoires, tout les soirs, pour en savoir plus sur cette mère qu’elle n’a jamais connu et ne connaitrait jamais. Et puis le soir, dans ses rêves, son cerveau lui jouait des tours et elle avait l’impression de la connaître, de partager des moments privilégiés avec elle. Alors son père lui parla souvent de sa mère, en lui donnant de plus en plus de détail au fur et à mesure qu’elle grandissait.

Ce soir là, il lui racontait que sa maman n’avait pas pu monter à bord de l’avion, mais qu’elle tenait très fort à eux. Lorsqu’il est arrivé en France, ils logeait d’abord tous les deux dans un refuge pour immigrés. Puis il avait trouvé du travail dans une ferme, en Normandie. Il était tombé amoureux de cette région, si belle, si verte, qui lui inspirait la liberté qu’il était venu chercher en France. En tant qu’ancien fleuriste, il travailla avec bonheur et facilité dans le potager de la ferme, et donnait volontiers un coup de main avec les animaux. Au début, ils vivaient dans une dépendance de la ferme, puis était venu le moment pour eux d’acheter une petite maison, car Catalina grandissait. Il lui parla alors de la maison, dont Cat se rappelait bien, ainsi que de son entrée à l’école. Puis elle s’endormi.

 Aujourd’hui, elle savait que ses parents venaient de Colombie, un pays où la criminalité était très élevée dans les années 1980. Ils ne voulaient pas élever leur enfant dans cette société. Ils avaient tellement peur de la perdre, eux qui avaient eu tant de mal à avoir un enfant. Alors, quand ils ont su que Sofia, sa maman était enceinte, ils ont planifié leur départ. Ils ne savaient pas tellement où partir, mais ils quitteraient ce pays. Ils ont fini par se décider pour la France. Ils avaient tout planifié : ils partiraient tous les trois lorsque Catalina aurait 6 mois, et qu’elle serait apte à endurer un si long voyage sans que ce ne soit trop contraignant. Durant les six premiers mois de la jeune fille, ses parents sortaient le moins possible, et travaillaient autant que possible pour économiser de l’argent pour le voyage. C’était très fatiguant, mais ça en valait la peine.

 Et puis vint le moment de partir. Sofia et Eduardo étaient fatigués, épuisés même. Ils avaient prévu de partir au petit matin, pour éviter les dangers de la nuit. Ils avaient mal dormi, Catalina devait sentir leur anxiété car elle avait pleuré toute la nuit, elle qui dormait pourtant si bien d’ordinaire. Ils prirent le bus pour aller à l’aéroport. Sofia tenait Catalina dans ses bras, et Eduardo portait leurs valises. En descendant du bus, à quelques rues de l’aéroport, ils entendirent des coups de feu. Eduardo avait compris rapidement : il y avait un règlement de compte juste à côtés d’eux. Il ne fallait pas se faire remarquer. Sofia, affolée, tentait de courir vers l’aéroport. Elle fut projetée à terre rapidement, une balle l’ayant atteint dans la poitrine. Catalina se mit à crier, à hurler, elle était terrorisée mais n’était pas blessée. Eduardo ne réfléchi pas, il pris sa fille dans ses bras et se cacha, en tentant de la calmer pour ne pas se faire repérer. Il pleura en silence toutes les larmes de son corps, devant le corps sans vie de sa femme, allongé au milieu d’une mare de sang. Lorsque les coups de feu cessèrent, il se rendit à l’aéroport et entra dans l’avion avec précipitation, sans réellement considérer ce qui l’entourait.

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1 Commentaire
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Arnold Ewili
1 année il y a

C’est vraiment interesante

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