“Le facteur n’est pas passé ?”
Elle résonne dans ma tête, cette vilaine question ! Elle me l’a posé toute la semaine, cette foutue emmerdeuse. Et voilà que je me réveille les mains en sang, tremblant, et que j’ai oublié ce qui était arrivé.
Il y a une semaine, j’ai passé un entretien d’embauche, ce que je refusais de faire depuis un an. Ben quoi ? Le chômage, c’est quand même sympa. Ça permet de glander tout en touchant ce qu’on aurait gagné en travaillant. Fainéant comme je suis, j’y ai pas réfléchi à deux fois, j’ai adhéré au concept et constitué un dossier béton avec toutes mes expériences passées. Ça, c’était pas fun mais ça a permis de faire plaisir à l’indomptable tigresse qui se pavane chez moi.
Au début, on vivait un parfait amour. Elle aime les barbus et j’ai pas trop à envier les autres sur ce point. J’aime les bombes brunes pétillantes et intelligentes. Elle a pas trop à se plaindre, elle non plus. Puis, après deux ans de lubricité et de candeur, elle s’est installée. Et là, j’ai compris pourquoi tous les autres l’avaient viré au bout de six mois.
Elle est avocate. Cérébrale, ça, elle l’est mais elle est aussi manipulatrice, dominatrice et effrontée. Le jour où j’ai commencé à recevoir les aides, elle m’a lancé:
“C’est bien ! Maintenant, va falloir commencer à chercher du boulot.”
Et ça n’a fait que s’envenimer, elle me harcèle depuis un an. Une vraie chasseuse de tête. Elle cherche les annonces pour moi. Me fait la morale quand j’y répond pas et est même allée jusqu’à postuler à ma place. Quand je lui ai répondu un soir, qu’elle pouvait se mettre ces annonces où je le pense et que j’avais envie de profiter de mon chômage jusqu’au bout, elle m’a répondu:
“ T’es vraiment qu’un bon à rien. T’es vautré toute la journée devant ta télé à faire je sais pas quoi. Tu me dégoûtes !”
“Je fais pas rien, je profite de la vie. Je geeke, je regarde des animes.”
“De mieux en mieux…”
Pendant les six derniers mois, on s’est pris la tête et rabiboché un nombre incalculable de fois. Puis, hier, ça a dérapé.
Alors que ça fait une semaine que j’ai passé le fameux entretien, que j’entends “Le facteur n’est pas passé ?” et que je me dis qu’elle me lâchera pas tant qu’elle aura pas reçu une réponse positive à un de mes entretiens, j’ai trouvé une enveloppe étrange dans la boîte aux lettres.
Pas de timbre, pas de nom, ni même une adresse sur celle-ci, juste un smiley. Comme elle est avocate, elle m’interdit d’ouvrir ses courriers sans quoi je risquerais de lire “des choses confidentielles”.
Quand elle l’a vu, elle a fait comme si ça lui était égal mais j’ai bien vu que ça ne l’était pas. J ai tenté d’en savoir plus car si ça n’avait pas d’importance, c’est qu’elle savait ce que c’était mais impossible de lui tirer les vers du nez.
A force d’insister, on a fini par se fâcher et alors que je tentais de lui arracher la lettre des mains, elle a tiré si fort dessus que l’enveloppe s’est déchiré. J’ai eu le temps d’y voir des coeurs et les mots “Ma chérie”.
Et on est là, le lendemain matin, je suis debout dans le salon, les mains et mon t-shirt Led Zep plein de sang. De là où je suis sorti de mon black out, je vois l’heure. Il est à peine 7h du matin et je ne me souviens de rien.
Je fais le tour de l’appartement et arrivé à l’entrée, je m’aperçois que la porte est restée ouverte et tout me revient en mémoire. Hier soir, alors que je tirais sur l’enveloppe, elle céda.
La scène aurait pu s’appeler “déchirure” car la dispute qui en découla fut mémorable. Toute la nuit à se hurler dessus sans relâche, à se reprocher tous les mots du monde.
Puis, à 6h du matin, la sonnette a retenti et le facteur a déboulé comme chez lui dans notre appart’ près à en découdre avec l’invisible menace auquel il semblait s’attendre.
Dans ma tête, le sang n’a fait qu’un tour. J’ai tout compris en un éclair fulgurant. Le brouillard a fait place à l’illumination. J’étais cocu. Malgré cela, impossible de se rappeler de la suite des évènements et il était maintenant 7h15 sur la pendule.
Je me mis à trembler car je venais de voir les traces de sang qui recouvrait le sol comme si quelqu’un avait tenté de se traîner hors de l’appartement.
Je pose délicatement mes doigts sur la poignee de la porte pour la tirer tout aussi doucement vers moi.
Dans la pénombre du couloir gisent deux corps ensanglantés auxquels on a coupé les bras et les jambes. Elle se tient là penchée sur le cadavre du facteur, la femme au masque de démon. Exactement identique à ce conte que j’ai trouvé en manga la semaine dernière. Elle porte des vêtements si rapiécés qu’il cache à peine son corps squelettique. Ses cheveux sont des filaments grisatres et poisseux nouées au dessus de sa tête par une pique pleine de sang seché. Son masque en bois est un masque représentant un esprit vengeur aux cornes démoniaques du nom d’Hannya. Quand je m’aperçois que je me suis avancé lentement sans même m’en rendre compte, il est déjà trop tard. Des bruits viennent de l’escalier.
Des policiers font irruption dans le couloir. Juste le temps pour eux de voir Hannya, le démon tourmenté, se tourner vers moi en un cri hystérique et glisser dans ma direction pour réintégrer mon corps.
Le petit nouveau de l’équipe judiciaire, à la gachette facile, stoppe le scénario de film d’horreur en me tirant dans le ventre.
Allongé face à l’emmerdeuse démembrée, je pense à Hannya et je me dis que, franchement, je faisais vraiment quelque chose devant ma télé.
Ben oui quoi, tout le monde l’aurait pas trouvé celle-là de fin quand même: le facteur tué par un esprit vengeur. Y a qu’un otaku comme moi pour en arriver à, inconsciemment, générer un démon pour venger un affront.
Puis vlà que la police débarque et stoppe une scène de film d’horreur qui promettait d’être mémorable. Il est 7h45 sur la montre ensanglantée de mon avocate infidèle. Mon téléphone sonne à l’intérieur. Le répondeur m’informe que j’ai décroché le poste.
Jusqu’au bout, vieille mégère !
J’ai (vraiment) beaucoup aimé jusqu’à son problème de mémoire. Après, c’est moins dans mon registre, mais ça devrait plaire à certains. Si tu fais une version avec une fin différente, préviens-moi 😉
Sans faute!
Salut Aurore, J’ai pas bien saisi la fin (encore désolée). Pourquoi la police a débarqué, vu qu’il était en train de visionner ?
J’ai oublié de préciser : ce que j’avais apprécié le plus, c’est le côté naturel du gars. Pour lui, tout est simple. On lui donne de l’argent, autant en profiter. Il étouffe le côté moral par le désir de se réaliser. Seul compte son ego. Et puis il tombe sur quelqu’un qui le rappelle à ses responsabilités. On n’est pas qu’une bouche à nourrir, on est plus que ça. Et ça l’embête d’entendre ça. S’ensuivent des situations que tu parviens à rendre amusante, comme il est amusant de « l’entendre » raisonner.
En plus, le style se rapproche du langage parlé, c’est approprié, on est dans sa tête. Donc, encore une fois : belle page, plaisante à lire.
@Priscille Vanessa OFAKEM : L’anti-heros de l’histoire est un homme qui se réveille un matin et se rend compte qu’il n’a aucune iďée de pourquoi il est couvert de sang. Comme c’est un homme simple et un fan de filmographie japonaise, il commence à se remémorer les évènements en y mêlant un peu de son univers perso. Enfin peut-être, il y croit tellement que ça pourrait etre vrai ! ^^
En gros, il a probablement tué sa copine et son amant. Un voisin aura appelé la police en entendant les cris et à leur arrivée soit tu choisis de croire que c’est un esprit qu’ils voient, soit le policier tire parce que le meurtrier menaçant tient l’arme du crime. J’aime me dire que mes personnages sont un peu fêlés aussi.
@Nicolas : j’avais peur que ce soit trop familier justement alors j’ai modifié un peu la fin mais au final pour un meilleur rendu, je trouve. Merci pour ton commentaire !
Ah ça ! J’avais pas pigé. Je l’ai pourtant relu trois fois pour comprendre lol. Tu es très maligne. ( En passant en train de corriger avant de publier la suite).
Oh yeah!
Wow, l’humour et la logique des idées est très bonne. J’aime.
Merci Farel !