Une illustre promesse

9 mins

  “Un rêve sans étoiles est un rêve oublié.”

Paul Eluard

               Elle en rêvait depuis un moment déjà. Ce jour, ils lui en avaient tant parlé. Tel un mystérieux événement dont la majesté ferait trembler rien qu’à évoquer l’existence. Sa mère, avec ses caresses douces et répétées, lui susurrant des mots d’amour et de tendresse, lui avait promis qu’en ce jour, plus rien ne serait pareil. Elle avait, dans son univers clos et aseptisé, imaginé ce que serait l’après et souhaité un monde de bonheur comme son père lui promettait : Était-ce promesse en l’air?

                Les jours s’allongeaient, et ses parents, toujours plus câlins et pleins de bonnes intentions, lui parlaient de ce fameux jour dont elle ne voyait jamais venir l’avènement.

                A quoi bon s’imaginer les bienfaits de cette information quand on a pas la possibilité d’en avoir vécu les conséquences ? Elle commençait à s’ennuyer dans son salon de rose et de senteur. Privée de liberté, servie à domicile et dorlotée inlassablement, une question constante la turlupinait. Ses parents avaient mis des mots sur un évènement à venir sans vraiment lui expliquer les aboutissants. De quoi parlait-on au fond ? Ce jour, ce grand jour. Oui, ce beau jour dont ils lui parlaient tous deux avec joie et excitation. N’avaient-t-ils pas plus de précision à donner à son propos ? Ce moment la concernant, était-il obligé de rester si lointain, si incompréhensible ? Elle n’avait pas de mots à mettre sur son questionnement. Pas encore du moins. Elle ne comprenait pas bien de quoi on parlait. Sa maman lui avait dit, en frottant ses mains contre les siennes, un soir à travers la cloison, que ce jour, quelle que soit son échéance, leur permettraient à toutes les deux de se créer des liens bien plus réels que ceux qu’elles avaient en l’état actuel des choses. Tout de même, c’était compliqué pour elle de se faire une idée de ce que cela pouvait vouloir dire. On lui en demandait trop à cette petite. Si petite dans son isolement primaire. Elle était depuis plusieurs mois si seule sans l’être vraiment.
Il lui chantait des chansons à travers la cloison : son papa, à la voix si grave, dont elle rêvait de toucher le visage. L’attente était trop longue. Elle sentait des odeurs si agréables sans pouvoir toucher, ni partager rien de ce que ses parents vivaient. Elle était cloîtrée là, à écouter et espérer que ledit jour viendrait.

                Depuis quelques temps, elle se sentait comme oppressée. Elle tentait, par tous les moyens, de sortir de sa demeure primitive conçue pour la maintenir enfermée. Elle tapait dans les cloisons espérant que ses parents finiraient par précipiter le jour de sa libération. Mais rien ne se passait. Le poids de cette isolement devenait plus lourd à supporter lorsque les lumières extérieures s’estompaient. Elle les voyait s’éteindre à travers le voile de satin qui couvrait son domaine. A ce moment-là, s’activait dans son cerveau la douleur de la réclusion. Son papa lui racontait bien des choses pour l’occuper, et sa mère, dans des gestes de douceur sincères et insistants, avait fini par adoucir ce tempérament fougueux qui n’était dû qu’à l’enfermement.
Elle tournait en rond indéfiniment et se remémorait chaque jour l’indicible. Comment l’avaient-ils mise là ? Aucun des deux ne lui avaient expliqué ! Ils étaient si fiers qu’elle y soit pourtant. Ils étaient aimants, rassurants et présents mais pour quelle raison impérieuse la retenaient-ils enfermée contre son gré ? Elle criait de toute son âme ce que sa voix, dans sa prison de silence, ne pouvait absolument pas franchir.

                 Puis les jours passèrent, les heures, les nuits, les mois. Elle grandit et se trouva plus confinée encore.
De sa prison de candeur, elle envisageait des milliers de façon de s’enfuir. Quelque chose la retenait à chaque fois. La voix de sa mère, toujours plus aimante, résonnait dans sa tête. Elle lui racontait toutes les choses qu’elles seraient à même de faire quand tout cela serait passé et toutes les belles aventures qu’elle vivrait au dehors quand “le jour serait venu”.

               Ah, ce jour ! Il était toujours là à la narguer dans tous les mots proférés auprès d’elle.
Même sa famille, les tantes, les parents de ses parents qui venaient les voir et qu’elle entendait à travers le mur. Tous parlaient du jour de sa libération. Ce jour qui mettrait fin à sa séquestration. Elle les entendait derrière cette cloison dont elle sentait la texture. Elle avait beau l’avoir en horreur, elle l’aimait également car, malgré tout, elle la rassurait et elle la protégeait de ce qu’elle ne comprenait pas.

             Et si ce jour dont tout le monde parlait était un jour néfaste ? On en faisait tout un hymne dans lequel la délivrance serait son lot. Mais quel genre de délivrance ?
Après tout, elle n’en savait rien. Elle n’avait de regard ni sur le jour, ni sur les choix qu’elle ferait par la suite. On lui disait tout le temps que ce serait… ceci ou celà mais, au fond, lui avait-on demandé ce qu’elle voudrait que soit ce fameux moment ? Il serait ce qu’il serait mais est-ce que, comme pour son enfermement, elle n’aurait plus jamais son mot à dire ?
    
             Elle vivotait depuis des mois, étudiant ses doigts, sa bouche, ses membres tout entiers qui étaient sa seule compagnie. Saurait-elle affronter ce monde qu’on lui disait devoir rencontrer ? Avec ses doigts si frêles, ses membres légers et défaillants, elle s’interrogeait sur sa capacité à faire face à l’après. Avaient-ils pensé à cela, ceux qui, dans leur malveillance, l’avaient cloisonnée de l’extérieur?

Après tout, qui avait osé la mettre là ? Recommencerait-il après ça ? Une fois délivrée, aurait-il encore envie de l’y ramener ? Ses parents seraient-ils là pour la protéger ?
Une chanson derrière la cloison, une fois encore, la ramena à son calme habituel. Sa mère qui, à travers le mur, lui caressait les doigts, lui parla :
“Je serais toujours là pour toi et tu n’as pas à t’inquiéter !” Ces mots, elle les imprima.
C’était là une prémonition pour le futur car le lien qui les unissait était si archaïque qu’elle était sûr de pouvoir compter sur elle.

                Les mois qui suivirent furent longs mais elle avait fini par abdiquer. Ses parents étaient de plus en plus présents. Par leur mots, par leurs rires, par leurs bonheurs, elle vivait un bain de tendresse sans fin qui avait eu raison de ses angoisses. Une question silencieuse persistait encore, à laquelle aucun d’eux n’avait donné de réponse.  Elle aurait tant aimé savoir quand son isolement serait-il terminé. Elle s’était maintes et maintes fois demandé si peut-être, elle portait une maladie qui l’obligeait à rester en quarantaine derrière ces murs.
Après tout, on enferme pas les gens, contre leur gré, sans raison.

                Puis le temps avait laissé place à des simples bribes de questions et un végétement passablement contextuel puisque, plus elle grandissait plus le logement fourni commençait à se faire petit. Et de cette exiguïté ressortit une autre question. Etait-ce une punition ? Avait-elle fait quelque chose pour mériter une claustration si restrictive entre les murs de dentelles et la nourriture intangible ? Plus elle grandissait et plus les sons de son logis se faisaient présents. Une musique régulière faite de mélodies déconstruites et parfois de sons sans queue ni tête berçaient son quotidien monotone d’incantations fantaisistes. Les bruits du vivant. Au début, elle s’était demandée si ses parents jouaient de la musique mais les sons, qu’elle entendait, semblaient si proches d’elle, voire plus proches que ne l’étaient ses parents. Comme eux, semblait-t-il, elle avait fini par s’y habituer.
Mais les questions avaient repris le dessus. Les bruits et l’étroitesse avaient ravivé la sensation de contrainte. Elle avait retourné sa demeure dans tous les sens pour essayer de chercher quoi que ce soit qui puisse l’aider à comprendre. Mais à force de s’agiter, elle finit par se rendre compte que le sol bougeait. Rien d’inhabituel, en réalité, puisque c’était arrivé à plusieurs reprises. A bien y réfléchir, souvent quand elle s’agitait comme cela. Cependant, aujourd’hui, cela semblait différent.

Elle sentit que les murs se resserraient. La panique s’empara d’elle. Que se passait-il ? Avait-elle trouvé quelque chose qu’elle n’aurait pas dû ? Etait-ce une punition pour avoir tenté à nouveau l’évasion ? Son père, la veille, avait ronchonner sur elle, lui demandant de cesser d’empêcher Maman de dormir. Sans violence dans le ton, ni un quelconque énervement mais était-ce l’inconvénient occasionné par ce que son père semblait qualifier de simagrés ? Le sol avait toujours été étrange en ces lieux mais tout devenait comme une sorte d’étau. Elle supplia, aphone comme toujours, pour que ses parents l’aident. Rien. Pas même un petit bruit. Puis un vrombissement sourd la fit sursauter. Elle ne comprit pas bien ce qu’il se passait mais les murs, qui avaient tant comprimé son corps deux secondes plus tôt, s’étaient brusquement calmés. Les sons habituels de ses parents chantants, parlants et vivants, avaient laissé place à un roulement sonore et continu. Puis les murs encore, et sa mère qui criait derrière. Le stress monta en elle. Qu’arrivait-il enfin ? Que devait-elle faire ? Sa mère était, semble-t-il, en danger et voilà que cette entrave inextricable devenait à nouveau effroi pour le petit être fragile.

    Des minutes, des heures passèrent. Les parois de sa prison continuaient dans une fureur frénétique et à interval régulier, à lui marteler la chair, tentant de l’écraser. Elle crut qu’elle mourrait dans un enchevêtrement de chair et d’os quand soudain les contractions de sa demeure cessèrent. Il lui sembla un moment qu’elle était sauvée, que sa mère avait dû empêcher cette fin terrible que lui avait prévu le destin quand une lumière aveuglante vint la surprendre.

Une lumière qu’elle n’avait jamais vu. Des mains inconnues l’extirpèrent d’un endroit qu’elle ne pouvait distinguer, ses yeux refusant de s’ouvrir. Elle avait compris, tout de suite, pour les avoir senti maintes et maintes fois, que ces mains n’étaient pas les mains chaudes de sa mère ou les mains fortes de son père et elle se crut emporter par la terreur qui la saisit. Elle se mit à pleurer. Des pleurs ? Ce son ! C’était sa voix. Elle pleura deux minutes juste pour sortir ce bruit qu’elle avait tant de fois essayé d’émettre sans jamais y arriver. Elle réussissait enfin à exprimer les mots de son coeur. Elle pleurait pour se libérer de la frustration de cette enfant silencieuse qui tant de fois aurait voulu hurler. Elle pleurait pour prouver qu’elle existait sans entrave, sans mur.

    Quand l’individu qui l’avait délivrée eut fini de l’examiner sous toutes les coutures, elle réussit à ouvrir les yeux avec envie sur une multitude d’ombres. Elle n’avait pas peur mais elle pleurait car elle avait froid. Une sensation que jamais, auparavant, elle n’avait senti dans son monde protecteur.

    Son père la prit dans ses bras et sa chaleur la fit cesser de pleurer. Elle était en lieu sûr, elle le sentait au plus profond d’elle. Et pourtant quelque chose manquait.

Sa mère venait de mettre au monde une charmante petite fille. La position de l’enfant dans son logis utérin avait obligé sa maman à subir une opération sans quoi les complications auraient pu gâcher toutes les belles promesses faites précédemment.
La demeure de plusieurs mois n’était autre que le corps chaud et aimant de cette femme qui sacrifiait son bien-être à la naissance d’un angelot. Quand celle-ci revint de son épreuve plus heureuse que jamais, et qu’enfin elle prit la petit princesse aux mains de son homme, elle posa un regard ému sur la bénédiction qui lui était faite.
    
    C’était donc cela. La fillette avait traversé des mois de questionnement. Elle s’était inquiétée de savoir ce que les gens avaient contre elle pour la séquestrer de force. Maintenant qu’elle était en ce monde, elle se rendait compte à quel point son petit logement de galère semblait moins effrayant tout à coup.
Dans le ventre de sa maman, elle avait chaud.
Dans le ventre de sa maman, elle avait à manger quand elle le voulait.
Dans le ventre de sa maman, elle avait les câlins et les chansons qu’elle souhaitait. Elle sentit des pleurs venir et vit sa maman se diriger vers elle pour la prendre dans ses bras à  nouveau. De ses mains, elle eut chaleur et câlins. Elle eut, de son cœur et de son corps, la nourriture qui lui manquait et de ses paroles pleines d’amours, elle comprit que plus jamais, elle n’aurait peur:
“ Papa et moi, nous sommes là.”

Et ce jour divin, qu’on lui rabâchait sans cesse, avait enfin pris tout son sens. Oui, il était le jour de la délivrance. Oui, il s’agissait bien du jour le plus formidable au monde. Enfin, elle comprenait. Ce jour, qu’elle avait tant attendu et qu’elle avait tant détesté à la fois, n’était autre que sa naissance. Elle n’était pas punie. Elle n’était pas en confinement. Bien au contraire.
    Elle venait de rencontrer les personnes qui, toute sa vie durant, seraient là pour elle, en cas de coup dur, comme pour les moments câlins. Sa famille, son univers.

Bien sûr, tout n’était pas rose. Elle voyait bien que papa et maman étaient fatigués. Elle voyait bien qu’un monde de questions se bousculait dans le regard aimant des deux personnes qui l’observaient. Cependant, elle sentait que comme elle, les interrogations trouveraient leurs réponses en temps et en heure.

Elle avait entendu tant de fois “ce jour” et s’était posée tant de fois la question de savoir ce que ça pouvait bien signifier. Elle avait eu, durant les quelques jours qui suivirent sa naissance, auprès de ses parents la réponse à son interrogation. Si on a un jour dans sa vie, un jour qui soit à soi. Un seul qui vaille la peine d’être vécu pour les parents et un seul qui ait un sens pour soi, c’est le jour de notre venue au monde, bien sûr !
Et ce moment tant attendu pour l’enfant avait concrétisé une libération symbolique et affectueuse. Dans le corps de maman, les bras salvateurs de l’être aimé n’avaient jamais vraiment été présents. Dans le ventre de maman, les câlins bienveillants de son joli papa étaient inatteignables.
Ce jour avait transfiguré l’affection de ses parents dont elle n’avait jamais eu que les sons. Ce jour avait créé, pour le chérubin, un univers de joies palpables. Elle ne serait plus jamais seule. Elle ne serait plus jamais cloîtrée.

Un jour spécial, un jour inégalable de surcroît.

Dans sa famille, il y avait eu des naissances le 24 et le 25 Décembre. Deux enfants  formidables. Tous deux intrépides et heureux mais elle serait la plus originale. De sa prison de chair, elle avait tenté l’extirpation, un jour qui ne revient que tous les quatre ans. Un jour qui dorénavant serait fêté comme le jour saint où Zélie était née. Le 29 Février, alors que tous avaient prédit autre chose. Médecins, parents et amis qui avaient fait un drôle de pari. Aucun n’aurait imaginé que cette petite fée aurait décidé de sortir un 29 février. Cette petite, qui aurait un destin, comme ce jour, hors du commun, avait commencé sa vie sur une note extravagante, une note inédite, une note magique.

Nul doute que Zélie n’en serait pas moins unique.

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Michel Wine
3 années il y a

“Un rêve sans étoiles est un rêve oublié.” je mets en parallèle " … Dessine moi un mouton… " ^^ j’aime les rêves également ^^ les rêves de l’ordinaire ^^ tout ce qui sort du commun et qui semble normal ^^

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