Siv Livre premier L’éveil des anciens Guerriers Chapitre 5 Le Présager

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1.6. Le Présager

« Abandonne-toi aux ombres du crépuscule de tes songes, ou la mort t’escortera au petit matin. »I

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I

 — Ils quittent l’enceinte de la ville…, annonça Brand.

 Le voilà, assis, sur le coussiège situé en embrasure de l’une des fenêtres… Là, près du mur principal de la chambrée. Un banc de pierre revêtu d’une planche en bois épais et paré de diverses peaux de bête. Et il y garda une attitude aboulique… étrange somme toute, mais d’un regard contemplateur du petit groupe de cavaliers galopant sur le long chemin externe qui menait jusqu’aux abords nord de l’immense forêt de Kornlir.

 — Avisé… Ton idée de les faire accompagner de notre fils, assura Dame Alexa, la lippe souriante, tandis qu’elle se tenait auprès de la grande table en chêne.

 Elle saisit le pichet de vin et remplit une coupelle… Bien qu’en moitié, il s’en trouve vide.

 — Le vin leur a plu, dirait-on, déclara Alexa, les sourcils relevés et la moue badine. Au moins, avec Garath, nous nous garantissons de l’écoute d’une oreille bien ouverte. Et je crois que cela ne sera guère de trop, précisa-t-elle, l’œil orienté vers Brand.

 Il ne dit mot… obnubilé par les quatre cavaliers qui disparurent avec les ténèbres de la nuit.

 — Cela me paraissait… judicieux, formula Brand, le menton bas et l’air hagard.

 Silencieuse, Alexa saisit une seconde coupelle ainsi qu’un autre pichet. Et elle la remplit, d’un regard vers son époux, alors que sitôt après, elle en profita pour prendre quelques raisins de ses doigts. Droite avec les épaules légèrement décontractées, Alexa en croqua un premier. Et elle demeura avec l’esprit qui cogitait quasi tout autant. Mais à l’évidence… point pour les mêmes pensées. Car, elle décela une certaine langueur chez Brand, tandis qu’elle savourait de ses lèvres le jus du fruit qui les maculait. Ainsi, elle rejoignit son époux. Et elle prit place face à lui, adossée plaisamment sur le mur en pierre grisâtre. Sitôt, elle dirigea à nouveau son attention vers lui, qui, semble-t-il, ne pouvait se débarrasser de cette attitude pensive… Puis, il se pencha plus avant, songeur et taciturne même durant un long moment de mutité.

 — Que se passe-t-il ? Dis-moi ce qui t’oblige à cogiter ainsi, s’étonna Alexa. Quelques craintes occuperaient-elles ton esprit ? En serait-ce au sujet de nos projets ? demanda-t-elle, son air intrigué et ses sourcils froncés, tandis qu’elle tournoya sa coupe de vin entre les doigts. Ta confiance vacillerait-elle ?

 — La confiance… Un terme qui encense les oreilles à son entente, marmonna Brand, d’un pied posé sur le rebord du coussiège, tandis qu’il s’affala avec le regard évasif et le soupir bref. La confiance…, répéta-t-il. Pourtant, elle n’en demeure que le précepte des sots, assura-t-il avec un léger sourire soudain, pendant qu’il dévia son attention vers Alexa. Après tout…, ceux-là ne seront guère que les compagnons d’un temps.

 — Des obligés. La formule apparaît plus adéquate, répondit Alexa avec une flagrante ironie dans les yeux.

 — Mon incertitude se meut en une suspicion profonde envers un seul, je dirais… Il examine chaque moment, il raisonne ensuite. Puis il manipule les mots, il juge et enfin, il prévoit…, déclara-t-il tout en remuant la tête tel un métronome, son regard plissé et la lippe crispée. Sa manière de passer d’une argumentation à l’autre, de lier ses idées fait de lui quelqu’un de rusé, trop à mon gout, même. C’est un renard à l’affut ! Il se comporte comme une ombre toujours dans l’expectative d’une opportunité avant de frapper ! Et ainsi, son coup s’en voit des plus mortel ! Une sangsue agrippée à tout ce qui remue un tant soit peu… Et je hais ce pendard ! Ce cher Patricien… Il n’en demeure guère moins qu’un freux, famélique ! Celui qui affectionne la régence des consciences afin de les manœuvrer avec autant de tact que lorsqu’il conduit ses mots, expliqua-t-il, la lippe si méprisante que cela parut lui abîmer les traits jusque dans l’expression de son visage.

 — Et… as-tu consulté les runes ? demanda Alexa, qui posa sa coupe sur le rebord du coussiège, à côté d’elle.

 Et elle se leva, calme, souriant vers son époux alors qu’elle se dirigea vers la grande table en chêne.

 — Non, soupira-t-il, le regard bas.

 Et, nonchalamment, Alexa saisit quelques raisins dans l’assiette d’argent, là au mitan de celles qui servaient de plateaux à fruits. Sitôt, elle en mit un en bouche sans le mâcher. Et elle le croqua tout en délicatesse… Toutefois, le suc en causa un écoulement, qui se propagea et macula le haut de sa tunique… Effilé jusqu’au niveau du cœur.

 — L’esprit tourmenté pressent souvent les préludes à l’hostilité…, annonça-t-elle, son attention vers la tache envinée. Tu devrais le savoir depuis le temps, déclara-t-elle en frottant légèrement son habit du bout des doigts, son regard froncé et le soupir bref. Espérons que le pourpre du raisin ne devienne guère le plus infaillible des présages…, avisa-t-elle avec déplaisir. Carmin profond lorsqu’il coule, noirâtre quand il sèche et tout aussi irréversible que le sang…, ajouta Dame Alexa, absorbée à la vue de la souillure auréolée, tandis qu’elle dressa le visage vers Brand. Va donc le voir… Et même s’il ne t’enchante guère de le visiter, toutes tes incertitudes connaitront une réponse… Plaisante ou désolante… Il comprend leurs signes et interprète leur langage comme il se doit, assura-t-elle en s’approchant à nouveau de son époux.

 Et elle posa une main sur l’épaule de Brand, tandis qu’elle s’appuya de la sienne contre les pierres du mur. Sitôt, le silence régna tel un despote, singulier arbitre d’un ressenti pesant. Et seules, les flammes incandescentes de l’âtre osèrent se manifester dans quelques craquements bruyants et assourdissants. Ainsi, les ombres dansèrent… et celle qui en reflétait Dame Alexa parut remuer, avec étrangeté, sous les effets du halo luminescent. Et le bois embrasé crépita à nouveau… perturbateur soudain des songes instinctifs du roi. Et Brand inspira profondément, son menton dressé légèrement.

 — Alors… Peut-être devrais-je m’y rendre de ce pas ? affirma-t-il dans une expiration succincte, tandis qu’il se leva, calme, avant de se pencher vers son épouse. Nulle main assez chaste ne peut dénaturer les effets du sang, ajouta-t-il, d’un pouce qu’il frotta sur la salissure qui macule la tunique d’Alexa. Autant il vous souille, autant il sert de purges, fit-il remarquer en haussant le menton.

 — Ainsi, sans en être devins, nous pourrions déjà prétendre à d’ample assainissement, confirma Alexa, la lippe goguenarde.

 Brand y joignit un sourire, tandis qu’il offrit un doux baiser du bout des lèvres à son épouse. Et sans tergiverser plus longuement, il sortit de la pièce, pendant que Dame Alexa toisa de son regard la grappe de fruit qui se trouvait encore en ses mains. Et elle saisit un nouveau raisin, jouant avec celui-ci durant un court instant entre ses doigts :

 — Et il coulera comme les eaux tourmentées d’une rivière ! déclara-t-elle avec insistance dans sa voix, l’œil sombre et la moue grimaçante au visage.

II

 Sombre, lugubre…

 Voici une pièce étrange… Un endroit qui s’éclairait de quelques torches enflammées. Mais la luminosité émanait principalement d’une crédence. Celle faite en merisier rougeâtre, orné de règles en fer usé et muni de petits pics métalliques qui accueillaient une bonne centaine de bougies… Et elles étaient allumées, suintantes d’une cire qui dégoulinait et maculait le bois d’établi. Toutefois, elles accentuaient également le ton crépusculaire qui gouvernait les lieux. Et cela n’en dissimula guère l’ensemble d’étals disparates… Ils se situaient çà et là, sans réel rangement méthodique. Cependant, l’endroit regorgeait de fioles en tout genre, de clepsydres et de contenants étranges… Car, en vérité, voici une sorte de laboratoire d’alchimie. Un site sombre, encombré d’un fatras d’instruments et d’objets taillés dans le bois, le métal… et même quelques fragments osseux. De plus, la pièce semblait assez sèche, comme si l’on souhaitait la préserver d’une corrosion du fer ou en prémunir les sels présents d’une éventuelle déliquescence… Puis, les murs, pierreux, ne se garnissaient que d’une seule et unique fenêtre. Un verre opaque, bleui et bardé d’acier en son contour. Car en ces lieux, l’accès ne s’y prêtait que par une porte en Chêne-Noir… Aussi épaisse que la taille d’une main. Et non loin, aux abords de l’un des immenses murs ternis, un âtre de coin, large et fortement nourri. Il laissait crépiter ses bûches sous l’effervescence ardente et dansante des flammes. De la sorte, une chaleur, quasi excessive, embaumait la pièce. Et là, apposée sur un pan aux pierres plus claires, une carte représentative du Grand-Sud se découvrit. Mais l’on y distinguait que peu de détails, conséquemment aux effets assombris omniprésents… Toutefois, le descriptif d’une frontière avec le Grand-Nord ainsi que ceux de l’Est s’entrevoyait. Tout autant que le marquage de différentes villes, comme Nordir, Khordull, et même Azmarin qui se situait à la pointe sud.

 Survint alors une lumière aux tons pourpre, sur l’un des établis… Une lueur qui perturba le calme ténébreux des lieux. Sitôt, une silhouette y émergea sous son effet soudain. Un visage se discerna… celui d’un individu, paré d’une longue tunique en lin verdâtre et aux liserés d’or fin. Puis, il s’enfonça dans la pénombre… avant de réapparaître sous l’éclaircissement d’un petit pic-allumeur. L’homme donna vie à deux allume-feux situés sur le rebord d’un pupitre de bois ternis. Et il se laissa découvrir, cet inconnu à la chevelure courte et crayeuse. Car en vérité, sa crinière, somme toute ébouriffée, possédait des tons aussi pâles que sa peau. Un clair laiteux, blanc bleui comme un gel de glace. Et son regard en offrait les intonations d’un albinisme oculaire. Des yeux à l’iris vermeil et à la pupille grise, quasi démunie de pigments. Étrange et pourtant, si captivant… Pour sûr, les effets luminescents de la pièce lui donnaient une apparence vieillie.

 — « Bløeda oggir skyggher blandeas² », annonça-t-il d’une voix écorchée, tandis qu’il transvasa un liquide incolore dans une fiole placée face à lui.

 Méticuleux, il effectua son geste précautionneusement.

 Survint alors un bruit métallique, celui d’une clé infiltrant la serrure de porte. Et sitôt après son ouverture, le roi Brand fit irruption dans le local. Puis, d’un signe de tête vers les gardes, il referma la porte d’une main éthérée…

 — Messire, s’inclina l’homme à la chair laiteuse.

 — Bonsoir Goddir…, lança Brand, d’un regard bas. La nuit te reste plaisante…, et demeure-t-elle toujours ton unique royaume ? demanda-t-il d’un pas en avant, tandis qu’il se plaça face au personnage singulier. Qu’est-ce donc ? questionna-t-il avec un froncement dans son attention, alors qu’il empoigna la fameuse fiole sans prudence.

 Et l’homme étrange haussa le regard… Puis il se précipita vers Brand.

 — Non ! s’écria Goddir, replié sur lui-même après avoir saisi l’objet sans ménagement des mains du roi. C’est à moi ! déclara-t-il, les yeux hagards, pendant qu’il se cloitra non loin de l’âtre.

 — Je ne souhaitais guère te la prendre, avoua Brand. Je cherchais simplement à discerner son contenant… ni plus ni moins, précisa-t-il, l’air désolé.

 Et Goddir, de ses doigts qui triturent le flacon comme un véritable trésor, osa une attention vers le roi.

 — Un élixir…, annonça-t-il, méfiant. Une concoction qui permettra en définitive à ma chair d’affronter les splendeurs du jour, Messire… Nulle magie, nulle sorcellerie, clarifia-t-il en admirant la chose avant de déposer la fiole sur le rebord boisé du haut de l’âtre. Ainsi, mon regard se portera enfin sur la beauté d’un ciel illuminé, la pureté d’un sol éclatant et… tant d’autres…, déclara Goddir, l’air émerveillé.

 Et tandis que Brand en sourit légèrement, Goddir s’avança vers lui. Et il se maintint courbé, la vue basse, car désireux à nulle attention.

 — Mais… Que puis-je pour vous en ce début de nuit, Messire ? réclama Goddir avec une inclination de la tête.

 — Je t’ai autorisé à me prénommer. Pour quoi te conforter au titre de Messire ? demanda Brand, les sourcils froncés avec bienfaisance.

 — Un roi demeure un roi… Qu’importe le lien qui nous unit, Messire.

 À l’instant, Brand en soupira, les mains apposées à la taille, la lippe contractée.

 — Très bien… Mais l’heure s’en trouve assez grave. J’ai besoin que tu consultes les runes, que tu sois à nouveau le Présager en cette nuit.

 Un effet de dégluti, le regard apeuré et la bouche tremblante… Voici l’état de Goddir, sitôt après les dires du roi. Puis, d’un relevé du menton, il refusa avec la tête aussi agitée qu’un métronome aux mouvements incessants. Et il effectua les cent pas, se triturant les doigts, la respiration ahanante et l’inquiétude dans sa voix :

 — Non ! réitéra-t-il. En aucune façon ! Trop de sang ! s’écria-t-il, paralysé par l’anxiété.

 Et Brand tenta une approche, alors que Goddir se replia sur lui-même, agenouillé contre le pan de mur… tel un enfant retranché à l’éveil d’un cauchemar. Sitôt, Brand s’accroupit à son tour et doucement, il serra Goddir contre lui. Il le rasséréna sans mot dire, la main d’abord hésitante… puis câline sur la chevelure aux tons neigeux de Goddir.

 — Tout va bien…, promit Brand. Je resterais à tes côtés. Nous n’avons guère d’autres choix ! Trop… Bien trop de choses sont en jeu ! affirma Brand, tandis qu’il saisit le visage de Goddir de ses deux mains, en toute sincérité. Elle a besoin de toi ! Nous devons éclaircir son Destin, Goddir…

 — Alexa…, rétorqua Goddir d’une voix tremblante, l’air préoccupé.

 — Oui…, Alexa sollicite un regard aux runes sombres. Elle s’inquiète des Ombres. La laisseras-tu s’enliser dans leurs limbes ?

 — Nnon…

— Alors nous devons savoir ! Mon Destin accompagne celui d’Alexa… et le sien demeure inéluctablement lié au tien, insista Brand, son front posé contre celui de Goddir. Le Présager doit renaitre en ces lieux, Goddir… Pour Alexa ! Ses augures, ses égides et sa compréhension du Bas-Monde nous sont vitales ! Nous avons besoin de toi… Alexa a besoin de toi !

 Et d’un hochement de tête :

 — Alexa…, balbutia Goddir, songeur, l’œil brillant.

 Et l’homme acquiesça simplement, tandis qu’il se releva, son regard bas et orienté vers Brand :

 — … les runes sombres…

 — Oui, Goddir, assura Brand. Elles et leurs mots…

 Ainsi, Goddir invita le roi à s’assoir, d’un geste de la main qui désigna un petit tabouret en chêne. Là, non loin des abords de l’âtre, tandis que Goddir s’en alla quérir un grand baquet de bois dans la pénombre des lieux. Et Brand inspira profondément, sans quitter l’homme-enfant du regard…

 Et Goddir plaça l’objet face au roi, avant de saisir une auge emplie de sable, clair comme un reflet de lune, qu’il transvasa dans le récipient en bois noirâtre. Sitôt, avec un calme et une étrange manie à se contracter les doigts sans cesse, il se dirigea vers le fond de la pièce. Exactement là où trônait un bahut, ancien, imposant et taillé dans le Chêne-Noir. Il se figea durant un bref instant, l’œil brillant, et la lippe qui bougeait à tout va sans qu’il prononce un seul mot… Soudain, il dressa le menton :

 — Alexa…, marmonna-t-il.

 Absent d’esprit, de prime abord, il se ressaisit, d’un haussement des sourcils. Et méthodiquement, il ouvrit l’un des battants de l’armoire, sans hâte. Et il en sortit une escarcelle en cuir épais et bruni par le temps. Il parut prudent en la manipulant pendant qu’il déglutit, tandis que son regard remua en tout sens durant un moment.

 — Je la ferais mander auprès de toi, lorsque je lui aurai répété tes mots, annonça Brand.

 Et Goddir se montra ravi, d’un semblant de sourire. Ainsi, il retira de l’armoire la fameuse escarcelle, ceinturée d’un cordon rougeâtre qui se garnissait de deux sphères en argent. Sitôt, il revint auprès du roi, et il prit place face à lui, agenouillé à même le sol :

 — Vos mains, Messire, demanda-t-il, tandis que Brand les tendit au-dessus du baquet en bois.

 — Vos paumes vers les Ombres, Messire…

 Et Brand tourna celles-ci vers le sol, pendant que Goddir déposa son escarcelle sur le sable clair, avec délicatesse :

 — « Bløeda vil tala² », prononça Goddir, de sa voix éraillée. « Bløeda vil dømme² »…, annonça-t-il encore.

 Survint la brillance du fer, celui d’une dague que Goddir sortit de sa manche. Et lentement, il entailla les deux paumes du roi…, qui en afficha une grimace éthérée. Sitôt, le sang ruissela sur le sable clair et Goddir tint un silence. Puis, il ouvrit l’escarcelle et la plaça sous la coulée sanguine qui s’infiltra en son intérieur. Mais, Goddir la saisit à nouveau :

 — Vos paumes vers la lumière, Messire, demanda-t-il, tandis qu’il renversa le contenu au creux des mains du roi.

 Ainsi, neuf runes y tombèrent, rectangulaires et affublées chacune d’une effigie différente. Mais sitôt après, Goddir les enserra entre les paumes ensanglantées du roi :

 — « La de mørk snakke² », prononça Goddir en levant les mains du roi. Qu’il en advienne en conséquence, annonça Goddir, tandis que Brand laissa choir les runes dans le sable teinté de son sang.

 Survint un gémissement, celui de Goddir qui dressa le visage d’un mouvement vif. Et ses yeux se révulsèrent ! Puis ses traits se contractèrent, tandis qu’un râle étrange émergea de sa bouche ! Pour sûr, Brand en tressaillit ! Toutefois, il ne remua point… ni même un sourcil. Et sa respiration s’ahana, pendant que son regard observait celui révulsé de Goddir.

 Surgirent des images, des apparitions fugaces qui émergèrent comme des flashs incontrôlables et soudains, dans l’esprit de Goddir. Et il vit le feu ! Il entendit les cris ! Il aperçut le sang…

 — Des batailles, annonça-t-il, d’un état quasi en transe. Danghar est en flammes ! s’écria-t-il, apeuré.

 Et il se figea, tandis que son regard convulsé parut hébété. Sa bouche demeura entrouverte et d’un geste il tendit légèrement la main.

 — Il est revenu, déclara-t-il d’un air sidéré. Impossible ! Non ! hurla Goddir.

 — Que vois-tu ? demanda Brand sur un ton élevé.

 — Crins sombres et pâles se mêlent. Et lui… Lui, il les accompagne !

 — Qui ? De qui parles-tu ? Réponds ! vociféra Brand en saisissant Goddir par les épaules.

 Et Goddir émergea de sa transe, époumoné, opprimé tel un guerrier sans force après son combat. Il tint, cependant, une attitude pensive, tandis que Brand exhiba son impatience, tant dans les traits de son visage que dans l’intonation de sa voix… appuyée et quasi autoritaire.

 — Explique-toi sur tes dires ! Qui accompagne qui ? Goddir ! Qu’est-ce qui a bien pu t’effrayer de la sorte ?

 Et Goddir pencha la tête, obnubilé par les runes… Deux d’entre elles n’affichaient que le revers, lisse et sans aucune effigie. Quant aux autres, elles se chevauchaient, recouvertes de sang. Et l’érubescence qui maculait une bonne partie des signes ne laissait deviner que celle à la forme blanchâtre… d’une pointe de flèche. Sitôt, le regard aux tons étrange de Goddir s’écarquilla, son visage se ternit et sa bouche tremblota… Sous l’œil inquiet du roi.

 — Goddir…, intervint Brand, d’un langage plus amical et d’une attitude compatissante. Qu’as-tu vu ?

 « Cela ne se peut… », balbutia Goddir à mi-voix. Et il redressa le menton, d’une attention qu’il riva vers le pupitre en chêne. Aussi vite, il se leva et en approcha, pensif, soucieux et d’une anxiété pesante… Tout à la fois. « Non…, nnon ».

 — … explique-toi ! ordonna le roi.

 — Dissolution… Création… Apocalypse et renaissance !

 Et Brand s’affala sur lui-même, hagard et interloqué :

 — Tu me fais part des dires de la prophétesse… Ces prédictions viennent d’un autre monde ! Elles sont plus anciennes que les terres de Danghar elles-mêmes ! s’insurgea Brand.

 Mais Goddir ne sembla guère réagir, tandis qu’il ouvrit un livre apposé sur le pupitre en chêne. Et il chercha, d’un index qui parcourut ligne après ligne, page après page… Rapide et concentré. Puis il referma l’ouvrage et se précipita une nouvelle fois vers la grande armoire en Chêne-Noir. Et il fouilla entre chaque objet épars qui s’y trouvait.

 Sitôt, il se figea ! Il glissa le bout des doigts sur un grimoire, ancien, sombre et sans aucune écriture pour titre. Et en toute délicatesse, il le sortit de son emplacement, d’une main fébrile et malgré tout encline à le serrer contre sa poitrine durant un instant. Dès lors, il revint face au roi et s’agenouilla tout en posant l’ouvrage précautionneusement sur le sol. Goddir l’ouvrit et tourna les pages, les unes après les autres… Quant au roi… Hé bien, il ne quitta point cet air soucieux. Aussi impétueux qu’anxieux, à vrai dire. Pourtant, il se tut, patient cela dit. Et Goddir dressa le regard, tandis qu’il sembla réfléchir avant de prononcer ses mots.

 — Parle ! ordonna le roi, empressé.

 Et Goddir ne put qu’obéir. Car, il sursauta d’effroi face à l’énervement du roi.

 — Il éclot la vie… La vie de celui qui ne peut exister, annonça Goddir. Il marche déjà vers nous…

 — Explique-toi ! hurla Brand en saisissant Goddir par la nuque, avec véhémence.

 — La rune, rétorqua-t-il d’un index délateur vers le baquet en bois. L’effigie des suprêmes guerriers.

 Et Brand entrevit à son tour le symbole qui naquit entre les runes ensanglantées. Car il y réagit d’une incompréhension évidente dans son regard :

 — Qui sont ces guerriers… ?

 — Ils sont ténèbres ! Et ils émergent déjà des ombres ! Ils viendront au rythme d’une houle fracassante, portée par les vents qui mugiront sous les foulées du Chien de Lune, déclara-t-il en haussant le ton, apeuré et tremblotant.

 — Yilgir…

 — La bête renait ! ajouta Goddir, tandis que Brand se leva brusquement.

 Et le roi recula d’un pas, bouleversé, semble-t-il.

 — Tu te trompes…

 Sitôt, Goddir se figea. Il soupira fortement et se pencha plus avant, comme distrait par ses propres révélations… Car, sans attendre, il saisit toutes les runes entre ses mains, il cracha sur celles-ci à deux reprises, pour enfin les entremêler entre ses doigts : « Død ulvà² », implora-t-il en les jetant au sol. Ainsi, elles tombèrent à nouveau dans le baquet en bois sombres. Là, au mitan du sable maculé… Et les runes réapparurent imbriquées, se couvrant quasi les unes aux autres, sauf… une seule. Une à l’effigie d’un cercle blanchâtre. Et le roi en devint plus qu’impatient ! D’un geste âpre, il appréhenda le poignet de Goddir, avec force.

 — Vas-tu enfin m’apprendre leur dire ? Explique-toi sur la prophétie de Yilgir ! ordonna le roi avec fermeté et incertitude dans son regard.

 Goddir, l’air hagard, saisit la main du roi et la défit de son étreinte. Craintif, il recula, renfermé sur lui-même, tandis que ses doigts se crispèrent soudain.

 — La bête…, celle qui brisera ses deux chaînes, entama Goddir, apeuré et livide. La bête qui s’est nourrie de la main offerte. La bête qui anéantira le roi des rois lui-même…, annonça Goddir qui se maintint la tête et bascula étrangement de tout son corps. Elle arrive… « Overgi deg selv til skyggen av drømmenes skumring, ellers vil død eskort deg tidlig om morgena² », annonça Goddir.

 Et Brand en déglutit… Puis il se leva, comme essoufflé par la crainte et l’incompréhension. Toutefois, il effectua un pas vers la porte, continuellement intrigué d’un regard vers Goddir qui demeurait proscrit non loin de l’âtre. Et d’un élan prompt, Brand sortit de la pièce, tandis que Goddir s’en trouva esseulé, apeuré… jusqu’à frémir tel un enfant à l’éveil cauchemardesque d’une nuit troublée.

III

 Bien que les lieux demeurent obscurs, Goddir parut pensif… le roi l’a quitté depuis un bon moment maintenant. Mais, l’esprit de Goddir, lui, voyageait toujours… Au sein de songes enchevêtrés de rêveries étranges…

 Survint un bruit, assourdi. Celui qui émana de la porte, un grincement de ferraille qui tinta lors de son ouverture.

 Et Goddir, d’un regard qui mêla méfiance et espoir à la fois, détourna son attention vers le personnage qui pénétra à son tour en ces lieux :

 — Alexa…, se réjouit Goddir d’une voix douce et la lippe béate.

 — Bonsoir, Goddir…, lança Alexa, l’allure déconcertée.

 D’ailleurs, Goddir remarqua la chose et il en parut déstabilisé… Au point d’agir tel un enfant désireux de recéler une quelconque bévue. Car Dame Alexa demeura non loin de la porte durant un moment, le souffle succinct et la moue au visage.

 — Pourquoi ? demanda-t-elle, sans méchanceté, plutôt avec gentillesse à vrai dire. Tes mots ressortent avec bien trop de précision, Goddir.

 — Je ne puis dompter mes visions… Alexa, répondit Goddir, le regard bas.

 — Je sais…, soupira-t-elle. Mais ne t’avais-je pas recommandé ? Même, ordonnancé à la divulgation d’une stricte nécessité ?

 Et il baissa plus encore le visage, abattu par le mécontentement de Dame Alexa.

 — Elles m’ont réapparu… sans que je réussisse à les contrôler. Mes mots se sont étalés sans restriction possibles, regretta-t-il, tandis qu’Alexa s’approcha de lui.

 — Je suis aussi fautive, déclara-t-elle en s’accroupissant près de lui. J’aurais dû me trouver à tes côtés afin de minimiser, avoua-t-elle, ses bras tendus vers Goddir.

 Et sans attendre, il se précipita contre elle, tel un enfant face à l’appel d’une mère. Car, elle le câlina avec légèreté, d’une main sur sa chevelure et d’un doux bécot au front.

 — Je m’occupe de Brand, déclara-t-elle. Mais…, entama Alexa, son regard dirigé vers celui de Goddir. Mais te voilà sans autre possibilité…

 Sitôt, Goddir fronça les sourcils, et il remua les lèvres sans réellement prononcer les mots… Ceux que Dame Alexa lui affirma sans attendre :

 — … il doit être rasséréné avec le rite, précisa-t-elle.

 — Non, répondit Goddir, effrayer par la chose.

 — Tu n’as guère le choix ! Ou il te sera contraint à défier mon Destin…, annonça Alexa, le visage fermé.

 « Blodørn », marmonna Goddir, tandis que Dame Alexa acquiesça d’un bref mouvement de tête.

 — Je m’engage à le préparer, dit-elle. Durant la prochaine Lune, je te ramènerai un volontaire. Durant la prochaine Lune, les duplicités s’oublieront…

Et elle le serra contre elle, câline au toucher, douce à offrir un baiser sur sa chevelure aux teints des neiges.

 — Rien… Rien n’entravera le périple de mon Destin… je t’en fais le serment…, petit frère, annonça-t-elle, son regard froid comme la nuit.

IV

 La chaleur, douce… La luminosité, crépusculaire…

 Et là, sur la couche, des draps frais au toucher d’une main chercheuse… En vérité, Dame Alexa se réveilla avec calme et cependant, non moins troublée durant un court instant. Elle dressa le visage, d’un regard qui épia longuement cet espace vide. Toutefois, elle s’en trouva attirée par le bruit d’un liquide que l’on verse dans un récipient…

 Survint l’apparence sombre du roi… assis sur le coussiège du châssis principal, tandis qu’il se sert une coupelle de vin. Sitôt, Alexa émergea de sa couche et se revêtit de sa pelisse. Bien que le temps du lever ne semble guère une certitude, elle rejoignit Brand.

 — Déjà éveillé ? demanda-t-elle, le front plissé.

 Mais nulle réponse ne lui fut octroyée… Brand resta taciturne, paré de la même chemise en lin clair qu’il portait à la veille de cette nuit…, plutôt perturbante. Car, il parut songeur dans son regard et absent dans son attitude… Une quasi-léthargie. Puis, il soupira longuement et il avala une bonne rasade d’un vin dont il croyait encore possible de s’enivrer… avec le temps. Et il tritura sa coupelle, vide, d’entre ses doigts. Il la fit tournoyer, son attention éloignée de toute réalité…

 — Es-tu resté là depuis le début de nuit ? demanda Alexa, assise face à lui. Brand ? questionna-t-elle, soucieuse, alors qu’il réagit d’un bref mouvement de tête.

 Néanmoins, il sembla inlassablement accaparé par d’intenses introspections. Et à peine bu, il remplit sa coupelle d’un vin qu’il ne quittait guère. Le regard fixé vers Brand, Alexa se passa une main dans sa longue crinière brune. Et d’un soupir, elle se dirigea vers la grande table de chêne, le visage bas. Sitôt, elle saisit l’une des écuelles et la traina sur la table jusqu’à stopper vis-à-vis de la large corbeille. Puis, d’un index, elle désigna les divers fruits qui lui parurent adéquats à la dégustation. Et elle plaça ceux-ci dans l’assiette d’argent avant de rejoindre Brand. Pour sûr, de son côté, le roi n’y prêta guère attention… Car il demeura envouté par les pensées. Ainsi, sans paroles, assis tous deux l’un face à l’autre comme des inconnus, ils fournirent un royaume au silence…

 Calme, détendue, Alexa s’empara d’une baie de sureaux qu’elle croqua sans quitter son époux du regard. Puis, alors qu’elle profite d’une seconde baie, elle s’adossa nonchalamment et glissa un pied, tantôt refroidi, sur la cuisse du roi. Et d’une attitude désinvolte, elle câlina le cuir de culotte avec délicatesse… quasi lascive. Et Brand dressa le menton, la lippe affublée d’un sourire éthéré.

 — Enfin, tu daignes réagir…, déclara-t-elle, amusée. Te voilà bien troublé…

 — On le serait à moins ! Si seulement, tu l’avais vu ! Rien qu’en l’instant où il divagua dans ses rêves…, précisa-t-il, perturbé par le souvenir. Que ce soit lors du grand changement, ou pendant le concile des chefs, au grand jamais…, assura-t-il d’un regard froncé. Jamais, je n’ai connu une telle frayeur chez Goddir. D’autant plus qu’il évoque les augures de Yilgir ! Un oracle séculaire de plusieurs générations. Et encore décrit par d’anciennes prêtresses nostalgiques d’une époque où nos peuples vivaient en terre du vieux monde. Pourquoi invoquer de pareilles prophéties ? Et la bête qui renait… Le Chien de Lune ! déclara Brand avec nervosité. Que voulait-il donc signifier avec autant de dires ? Nos nécessités et convoitises nous mèneront là où nous devrions apparaître comme légitimes, toi et moi, Alexa ! Mais ce dont Goddir m’a fait part n’est autre qu’une fin des temps, s’écria-t-il, la lippe contractée.

 — Le Ragnarök… Utopie d’un Ancien Monde, déjà oublié de tous, s’amusa-t-elle avec ironie dans son attitude.

 — Ravi de voir que cela peut autant te divertir, Alexa !

 — Ta lisibilité de ce présage reste parcimonieuse, déclara Alexa d’un haussement de sourcils, tandis qu’elle savoura de nouveau l’une de ses baies.

 — Hé bien, explique-toi ! Et si pour une fois tu cessais ce dédain continuel, Alexa ! rétorqua-t-il, penché vers elle et l’air énervé. Être l’épouse d’un roi ne t’autorise guère à te croire reine !

Et elle baissa le regard, intelligemment… Pour sûr, elle en trouva la réplique amère ! Car elle en déglutit bien rapidement. Puis elle haussa la tête, tolérant envers certaines paroles… royales.

 — Très bien…, répondit-elle. Elles ne sont guères qu’images… Ne t’évertue pas à vouloir en identifier quelques présages particuliers. Goddir ne fait que les transmettre de son point de vue. Une perte de contrôle de sa part émerge parfois en une sorte… de panique, expliqua-t-elle avec sérieux. Si tu te remémores l’ensemble de ses propos et que tu les fusionnes avec ce qui surviendra irrémédiablement sur ces terres… Tu réaliseras aisément que celles-ci perdurent à notre avantage. Toutefois, il reste que le sujet de Yilgir demeure… plus qu’étrange, déclara-t-elle, songeuse. Alors, au lieu de maintenir cette posture maussade… et me préciser qui es le roi, parle avec ouverture, Brand. Je te conseille depuis quelques années, maintenant… Me serais-je trompé en quelques orientations prônées ? Ou même avec Goddir ? demanda-t-elle, son front plissé, tandis qu’elle prit appui de ses deux mains sur les cuisses de Brand.

 — … non…

 — Heureuse de constater ta franchise, dit-elle, la lippe souriante. Par ailleurs, re-prit-elle en se redressant et d’une légère inclination de la tête. Oui ! Cependant, si nous parlons de celle à qui je pense, quelques déplaisants… ennuis pourraient, en effet, émerger.

 — Quelques ennuis, réitéra Brand, d’un haussement de sourcils. Elle est un réel problème ! affirma-t-il.

 — Quand toi et moi sommes esseulés, l’ouverture à la discussion s’effectue avec naturel. Toutefois, devant tant d’autres, Goddir en outre, tu te dois à demeurer celui que tu es. Et je discours avec les sens d’une femme, épouse d’un roi et surtout, oreille de celui-ci, déclara-t-elle avec une attitude persuadée. Les soucis au même degré que les craintes, le scepticisme et les doutes ne doivent en aucun cas se révéler aux vues des tiers. Transparence, certitude et résolution apparaissent comme le panache d’un seigneur…, assura-t-elle, son regard froncé. Et pour le reste, quelques honneurs au combat afin d’en définir l’apothéose du titre te suffiront, finit-elle par dire tout en ingurgitant une baie. Demeure homme avec ta femme et arbore le roi auprès de tous, Brand. Certes ! Elle reste un problème… Et nous y remédierons comme il se doit, tu le sais. Mais, si tu viens à perdre encore une fois le contrôle face à des regards insidieux tels ceux de Magnus ou son prince… je n’attribuerai guère beaucoup d’espoirs à la suite des évènements ! … du moins en ce qui nous concerne.

 Et le roi glissa une main sur son visage d’un soupir succinct, tandis que son attention s’orienta vaguement au-dehors. Alors qu’il contempla, sans réelle conviction, une ville encore à moitié endormie :

 — Je suis au fait de l’attitude à garder devant un peuple, Alexa…, déclara-t-il en joignant son regard à celui de sa femme. Mais, j’avoue qu’en certains moments, je perds le contrôle. D’ailleurs, là apparaît le pourquoi de ta présence lors de pareils conciles. Mais…, me voici seul, en ta compagnie. Et ma réflexion s’en trouve légitime quand on sait sa capacité à entrevoir le fil des Destins.

 — Je n’en mentionne guère le contraire, Brand… Simplement, je n’explique pas pourquoi tu t’en tourmentes autant, dit-elle en déposant l’assiette à ses côtés, tandis que Brand expira un léger rire.

 — Ah oui…, alors comment traduis-tu les dires de Goddir ? exigea-t-il, penché vers l’avant. Passons outre les runes et agissons comme tu me l’as conseillé… Va pour le blodørn, approuva-t-il en levant les bras avec désinvolture. Si cela peut nous aider et conforter le Destin, n’hésitons pas !

 — En vérité…, la chose ne t’ennuie guère, Brand, certifia Dame Alexa, la lippe ironique et le sourire affiché. Non…, seul l’acte d’en désigner une victime te fâche, car celle-ci se doit notable, précisa-t-elle d’un hochement de tête. Toutefois, pour le bien de tous, elle se doit également avantageuse, dit-elle en saisissant la coupelle des mains du roi, tandis qu’elle prit ensuite le pichet posé à côté de son époux pour se servir une rasade de vin. Ce qui me rassure quant au choix de celui qui… conviendra largement à la chose, formula-t-elle avant de boire une gorgée.

 — Explique-toi…, demanda-t-il, l’air intrigué, tandis qu’il s’adossa tranquillement pendant qu’il croisa les bras en attente d’un éclaircissement sur les propos d’Alexa.

 Et elle afficha un mine de fierté. Pour sûr, elle la minimisa ! Puis, elle ingurgita un peu de vin et dressa le menton.

 — Viggo…, annonça-t-elle.

 — Serais-tu atteinte de démence au point d’en oublier qui est son père ? interrogea son époux d’un haussement du regard.

 — Nullement, répondit-elle. Cependant, nous ne bénéficierons que des répercussions positives… Vois plus loin ! Et réfléchi avant de t’emporter, rétorqua-t-elle avec aplomb, alors que le roi se redressa soudain et plongea immédiatement dans ses pensées.

 — Victime…, anticipa Brand en une intellection subite.

 — Précisément ! déclara-t-elle, en faisant tournoyer sa coupelle d’entre ses mains, son visage éclairé de contentement. Noble par le père…, non ? questionna-t-elle du regard.

 — Oui…, à un niveau modeste, il est vrai… Somme toute, il l’est ! accorda Brand d’un léger rictus.

 — Ainsi…, nous ne devrions qu’en persuader le père, annonça-t-elle, la mine songeuse à son tour. Le guider… nous-même, à la conception du pourquoi possible… sans omettre quelques explications profitables.

 — Des réponses qui se joindront à nos desseins, formula Brand, d’un air malicieux. Surtout que tout ceci en accentuerait d’autant plus sa hargne…, ironisa Brand.

 — Il commande une armée…, précisa-t-elle. Conséquemment, il les motivera au mieux de nos espérances. Et pendant que d’autres accèderont enfin au chemin de la compréhension, avec une dose d’amertume… Le choix de celui qui sera élu pour seigneur incontesté de Danghar n’en deviendra qu’évidence, assura-t-elle en s’agenouillant face à Brand, d’un geste de la main qui écarta les cuisses du roi avec délicatesse. Que du boni pour le Royaume du Grand-Sud, annonça Alexa en défaisant le haut de culotte de Brand.

 — Le tout… avec quelques bonnes paroles marquantes et révélations que je fournirais, précisa Brand d’un pincement des lèvres.

 — Que nous… le lui concéderons ! dit-elle d’un regard lascif. Les termes devront en être appropriés, certifia-t-elle d’un regard trainant. Quelques vérités au maintien et à la retenue de sa personne pour le bien de la cause seront une nécessité, expliqua-t-elle tout en caressant de sa main l’intime de Brand. Bien sûr, tu le joindras à bras ouvert dans son malheur…, avec ardeur, persuasion et authenticité. Ainsi, il n’en sera que plus empressé encore… Zélé et même probe en tout point à ton égard ! Chose utile pour la suite, garantit Dame Alexa d’un air radieux, tandis qu’elle entama un plaisir interdit de sa bouche, pendant que Brand en savoure toute la jouissance…

V

 Survint l’aurore, chaude et étincelant dans ses tons crépusculaires…

 Dans la chambre du roi, au sortir de sa couche, Dame Alexa se dirigea vers la grande table en chêne. Elle croisa le revers de sa pelisse d’une main éthérée. Et d’un regard amusé vers Brand qui sembla s’éveiller également. Sitôt, elle prit une pomme parmi les fruits. Le visage fermé, elle effectua un demi-tour bref vers son époux, l’air intrigué durant un instant.

 — Hier…, tu n’as fait aucune mention sur le fait d’un retour des trois guerriers de chez les anciens…

 — Ceux dont Garrath et Doran nous ont vanté l’assurance d’une besogne chez Asgeïr ? demanda Brand avec un front plissé qu’il triture de ses doigts.

 Et tandis qu’il se dressa afin de se vêtir, Dame Alexa ne fournit qu’un acquiescement de la tête en guise de réponse. Mais, elle maintint une certaine appréhension dans son attitude. Et Brand, de son côté, après en avoir dégluti légèrement, soupira longuement, sans quitter son épouse du regard :

 — Certes…, toutefois, nous n’en sommes encore qu’au petit matin, se rasséréna-t-il lui-même. Et puis, ils restent des guerriers… Une taverne, quelques femmes de joie…

 — Notre fils est rentré avec le prince au crépuscule et reparti en mitan de nuit…, dit-elle en toisant sa pomme d’entre ses doigts. De son retour de chez Asgeïr à ce matin, c’est bien assez pour que ses trois sbires nous reviennent de leur petite épuration, même en baisant au passage, non ?

 — Tu as raison, souffla-t-il, ennuyé. Crois-tu que cela nous susciterait quelques soucis en perspective ?

 Et Alexa soupira longuement, d’une bouche encombrée d’un morceau de fruit qu’elle croque avec nonchalance :

 — Nnon… Au contraire ! Voilà une occasion pour envoyer deux ou trois guerriers qui pourront déterminer la cause de leur manquement à la présence. Mais, ordonne un chef pour les accompagner… Ainsi, un homme tel que Viggo voyagerait à leur tête avec plaisir et honneur, déclara Dame Alexa, plus souriante.

 — Je commence à concevoir l’idée qui cogite en ton esprit, Alexa. Et surtout, j’en aperçois déjà l’essor ! Néanmoins… tu ne m’en voudras guère si je me concentre surtout sur le « pourquoi » de leur non-retour…, précisa-t-il, soucieux.

 À ces mots, Dame Alexa sembla plus encline à ouïr son époux, compréhensive instantanément d’un accroc qui comportait bien des interrogations. Car elle en hésita même à mordre la pomme qu’elle tenait en main, la réflexion envahissante une nouvelle fois :

 — La grogne souhaitée s’éveillerait-elle chez les anciens plus tôt que prévu ?

 — Maintenant, je vois que tu en saisis mon tourment soudain, assura Brand d’un regard vague et lointain.

 Et Dame Alexa se posa sur le siège du roi, les bras croisés et d’une main qui jouait avec le fruit. Somme toute, elle resta délicate et songeuse dans son attitude :

 — … dans une taverne à s’enivrer…, dit-elle d’une voix trainante. Toutefois, l’envoi de quelques guerriers se prévoyait déjà lorsque la nouvelle nous parviendrait…, non ? Donc, l’attente s’en trouvait inquiétante… Mais, elle se doit nécessaire au bon déroulement de ce qui nous intéresse principalement, affirma Dame Alexa.

 — Oui…, c’est plutôt bien pensé. Car le risque à courir demeurerait moindre que si nous nous précipitions sitôt dans la gueule du loup, certifia-t-il d’un pincement des lèvres. Tandis qu’en ce triste matin, le choix ne nous est plus permis ! Ainsi, restons sur nos positions ! Nous devrions entamer le chapitre Viggo, comme tu me l’as si bien suggéré, déclara Brand d’un hochement de tête et la lippe amusée.

 — Trois…

 — Pardon ? demanda Brand, son regard incompréhensif vers Alexa.

 — Fournis trois hommes au total, en plus de Viggo, afin de découvrir le pourquoi du manquement à l’appel des guerriers de Garrath. Ainsi, deux s’occuperont de Viggo après le blodørn et… un troisième qui se présentera comme narrateur d’un triste évènement. Le pauvre ! Et dire qu’il aura su nous faire part de l’héroïsme incroyable de Viggo… Là, juste avant de succomber lui-même à ses blessures.

 — Attends ! Tu me demandes d’éliminer trois guerriers ? En plus de Viggo ?

 — Non, affirma-t-elle, son œil malicieux vers Brand. Je te suggère d’assurer tes arrières en écartant trop de regards que tu désigneras à la besogne du sacrifice, dit-elle sereinement, pendant qu’elle croqua sa pomme à pleine dent. Et afin d’éviter quelques palabres gênantes. Celles qui se déploient en général sous l’enivrement d’une boisson ou encore entre les cuisses d’une donzelle qui ne sait guère tenir sa langue… Sauf, si tu brigues les risques plus que la raison…, rétorqua-t-elle d’un haussement de sourcil, tandis que Brand s’y refusa clairement d’un signe de tête et sans mot dire. Alors, disons que la traitrise et l’égard pour quelques anciens se seraient dévoilés… Acharnés, ils s’en prennent à Viggo, là-bas, aux lacs, sur les terres d’Asgeïr. Ils n’en seraient que de simples humains… Ceux à la morale charitable. Des guerriers indignés à l’exécution d’un immense guerrier. À l’assassinat d’un homme respecté… Ainsi, leur rébellion s’effectua en l’instant…

 — Et Viggo en pourfendit le premier, insista Brand, la lippe badine et l’attitude songeuse. Tandis qu’il dût combattre le second en même temps. Un personnage non moins traitre que le premier et abusif d’un dos tourné, continua le roi, amusé dans son regard. Bien sûr, notre narrateur ne réussit guère à agir, blessé aussi rapidement que Viggo en trépassa.

 — À l’évidence… Quant au second, il fut occis par celui-ci, malheureux de quelques plaies profondes et irrémédiables. Bien qu’il pût, avec courage, te satisfaire durant un court moment à l’explication des évènements, compléta Dame Alexa en croquant radicalement dans sa pomme, la lippe souriante. Pour le reste, laissons les runes nous dévoiler leurs dires après le blodørn, ajouta-t-elle, tandis que Brand la rejoignit et mordit à son tour dans le fruit juteux.

 — Nous avons deux jours pour se faire…, ma reine ! termina Brand, d’un baiser fougueux.

² « Bløeda oggir skyggher blandeas » : le sang et les ombres se mélangent (dérivé du vieux Norrois).

² « Bløeda vil tala » : le sang parlera (dérivé du vieux Norrois).

² « Bløeda vil dømme » : le sang jugera (dérivé du vieux Norrois).

² « La de mørk snakke » : que les sombres conversent (dérivé du vieux Norrois).

² « Død ulvà » : la mort du Loup (dérivé du vieux Norrois).

² Overgi deg selv til skyggen av drømmenes skumring, ellers vil død eskort deg tidlig om morge-na : Abandonne-toi aux ombres du crépuscule de tes songes, ou la mort t’escortera au petit matin (dérivé du vieux norrois.)

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