« Répète après moi, ma puce : TCHI.
-… OUI.
– Non. TCHI.
– OUI.
– Ne t’en fais pas. Elle n’a qu’un an. Elle a encore du mal à prononcer les syllabes appuyées.
– Oui, mais c’est important qu’elle sache dire son nom correctement dans sa langue maternelle, Makoto.
– Laisse-moi essayer d’accord.
– Tu crois qu’avec toi elle va réussir ?
– On va voir… »
Mes parents sont japonais. Ils ont déménagé aux États-Unis cinq ans avant ma naissance. Ils adorent ce pays. Mais bien que je sois américaine, ils tiennent à cœur que je prononce mon nom à la japonaise. Dès que j’ai su parler, ils ont essayé de me faire dire mon nom « correctement ». Mais paraît-il, je n’ai jamais réussi à prononcer celui-ci avant mes deux ans. Impossible pour moi de prononcer « TCHI » et « TSOU ». Quand mes parents me demandaient de répéter après eux, je disais « OUINASOU » au lieu de « TCHINATSOU ». Mes parents ont vite abandonné de me harceler toute la journée avec mon nom.
Je suis née dans une famille d’honnêtes citoyens. Je sais qu’avant moi, mes parents ont une fille, mais celle-ci est décédée peu de temps après sa naissance. Elle devait s’appeler Wixa. Son nom était écrit dans les Annales de notre famille. Cette dernière est très ancienne, vieille de plusieurs centaines d’années. Notre ancêtre est la première personne à avoir hérité d’une magie spirituelle, appelée la Wicca. Cette magie rassemble plusieurs facultés, comme les astres, les émotions, la botanique ou encore les divinités. Chaque siècle, cette magie est donnée à une fille de la lignée. Elle est appelée la Wiccane Suprême. Ma soeur était celle qui devait recevoir cette magie. Mais elle n’a jamais pu en hériter… Il faudra attendre cent ans avant de voir naître la prochaine Wiccane Suprême. En attendant, chaque fille de la famille hérite d’une magie ayant un rapport avec une des facultés de la Wicca. La Wicca vient de la famille de Chichi (père en japonais). La mère de Chichi a hérité de la botanique. Elle peut faire pousser des plantes médicinales en moins d’une minute. Chaque fois qu’elle vient nous voir, elle m’offre un mini rosier magnifique. Je n’ai jamais vu de si belles roses. J’adore Obāsan (grand-mère en japonais).
Mes parents ont attendu quatre ans avant de m’avoir. Depuis Obāsan, il n’y a pas eu de naissance féminine. Tout le monde était ravi que je sois une fille. Même si notre famille, séparée en plusieurs centaines de branches, est une des plus importantes, personne ne la connaît vraiment. Nous avons des vies normales. Haha (mère en japonais) est une scientifique assez reconnue aux États-Unis et Chichi est un héros background. Haha peut démultiplier ses bras et Chichi peut lire dans les pensées. Ces pouvoirs ne sont pas héréditaires, j’ai donc hérité de la magie des chakras. Je le sais grâce au test. Le test permet aux jeunes enfants entre trois et cinq ans, qui ne savent pas encore quelle est leur magie, de découvrir celle-ci, car elle ne s’est pas encore manifisté. J’ai beau savoir quelle est ma magie, l’utiliser est mission impossible. J’ai essayer plusieurs fois, la seule chose que je sais faire, c’est illuminer mes chakras. C’est pourquoi mes parents, mais surtout Haha, m’ont payé un professeur particulier pour m’aider. Celui-ci est un médecin, qui aide les personnes qui sont dans l’incapacité de comprendre et d’utiliser leur pouvoir. Il est extrêmement gentil et m’a beaucoup aidé. Je suis capable d’utiliser mes chakras sur un temps limité de cinq minutes. Ces cinq minutes qu’Evan, son fils, ne cesse de me faire remarquer. Evan est rapidement devenu une sorte de concurrent, pour moi. Il est orgueilleux, narcissique et pas du tout modeste. Je le détestais. Il se moquait de mon incapacité à utiliser mon pouvoir, tandis que lui pouvait déjà mouler la terre en ce qu’il voulait. Comment ne pas être jalouse ? C’est quelques mois plus tard, que j’ai découvert l’autre partie de sa personnalité. Cette partie que j’ai eu la chance de rencontrer. Alors que je m’entraînais, j’ai trébuché et je suis tombé. Je ne suis pas du genre à montrer mes émotions. Je n’étais pas censée pleurer. Mais la fatigue a eu raison de moi et j’ai fondu en larmes. Quand le médecin a accouru pour voir si j’allais bien, tout est sorti. J’ai hoqueté en répondant que je me trouvais nulle, qu’Evan était beaucoup plus impressionnant que moi et que j’étais fatiguée de me voir échouer tout le temps. Et j’ai redoublé en sanglot. C’est Evan qui m’a soudainement pris dans ses bras et qui s’est mis à pleurer avec moi, pour une raison, encore aujourd’hui inconnue. Son père a alors décidé de s’arrêter pour aujourd’hui, d’aller manger une glace et jouer au parc. Je n’ai pas lâché la main d’Evan de toute l’après-midi. Je ne lui ai jamais dit, mais je le considère comme le frère que je n’ai jamais eu…
Le brouhaha et le rassemblement au centre de la cours, me force à m’approcher. Des cris d’encouragement résonnent pendant que j’essaye de me frayer un chemin dans la foule de collégien. Quand j’arrive enfin à voir ce qui se passe, je distingue Evan se prenant un coup dans la mâchoire. Je grimace de douleur pour lui. Puis, alors qu’il est à terre, un pied s’écrase dans ses côtes. Il se roule sur le côté. Les coups pluivent sur lui. Il se protège du mieux qu’il peut. Ça ne sert à rien que j’essaye de les arrêter, Evan ne le permettra pas et les frappera pour continuer le « combat » (si on peut appeler ça un combat). Celui-ci dure encore quelques temps avant que les troisièmes contre qui Evan se battait le laisse par terre, le visage en sang, des ecchymoses sur les avants bras et les jambes, mais sûrement aussi sur tout le corps. Je me précipite vers lui.
” Tu es bien amoché…, commençais-je avant qu’il ne me coupe.
– Ouais, ils étaient balèzes. Si j’avais pu utiliser ma magie, ils ne s’en seraient pas sorti !
– Mais tu sais très bien que c’est interdit. Seulement en cas de légitime défense et je suis sûre que c’est toi qui les a provoqué.
– Ils se sont moqués de toi.”
Je soupire. Depuis la cinquième, à cause de mon acné assez envahissante, d’une soudaine prise de poids assez cosécante et de mes premières règles, beaucoup de garçons se sont moqués de moi. Et ne parlons pas des filles… de vraies harpies. Notre collège n’est pas très grand. Deux à trois classes maximum par niveau. Je suis rapidement devenu célèbre comme étant l’obèse calculatrice sur pattes. Evan n’a jamais laissé passer et il est souvent rentrer chez lui cabossé et en sang. Des fois victorieux, mais le plus souvent perdant. Ça dure depuis à peu près deux ans, maintenant. Nous sommes en fin de quatrième. Mon acné s’est calmé. Il reste juste quelques boutons et des marques de cicatrices qui, selon Haha, finiront par disparaître. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Je n’ai rien fait pour, au moins, limiter les dégâts. De plus, je suis d’assez petite taille. La presque totalité des filles me dépasse d’au moins une tête. Evan est plus grand que moi de deux têtes. Quand je lui parle, je suis obligée de lever la tête et lui de la baisser. On dirait qu’il parle à sa petite sœur. Dans les magasins, on m’a souvent dit que mon grand frère était super, parce qu’il me payait à boire et à manger. Evan et moi, nous en avons souvent rit. Pourtant, nous ne nous ressemblons absolument pas. Premièrement je suis japonaise, donc j’ai des doubles paupières. Evan est américain. Mais le divorce est une excuse de cette première (grosse) différence. Deuxième, j’ai les yeux noirs et les cheveux de la même couleur. Lui a les cheveux de couleur brun foncé et les yeux verts. Rien en commun. Mais encore une fois, une excuse est facilement trouvable. Une fratrie ne se ressemble pas forcément. La différence fondamentale entre nous, seul Evan et moi la décelons. Les hommes né dans la lignée des Wiccanes n’ont pas de magie. Les seuls qui auront de la magie sont ceux qui n’ont pas de soeur. Chichi a une magie parce qu’il est fils unique. Si Evan et moi étions frère et sœur, Evan n’aurait pas de magie. Or il peut modéliser la terre en ce qu’il veut. De plus, Evan est beaucoup plus beau que moi. Son acné n’a pas duré longtemps et il n’a eu que quelques boutons. Mais je n’étais absolument pas jalouse de lui, puisqu’il me défendait et me défend toujours, dès que quelqu’un fait une remarque sur mon physique peu avantageux. Evan plait à de nombreuses filles. Plusieurs sont venues me voir pour me demander de parler d’elle à Evan. Ce à quoi j’ai répondu qu’il ne s’intéresserait jamais à elles, car Evan est gay. Evan a compris qu’il était gay quand il était dans les vestiaires de son club de basket, entrain de se changer avant un match. Il est sorti en quatrième vitesse et a couru me demander ce qui lui arrivé. Je ne l’ai jamais jugé sur ce sujet. Comme la plupart des meilleurs amis, Evan et moi, encore petits, nous nous sommes embrassés. Ce que nous n’avons plus jamais fait. C’était horrible. Nous avons crié en même temps qu’on ne tomberait jamais amoureux l’un de l’autre. Le fait qu’Evan soit gay renforce cette sorte de promesse. Evan se fiche que tout le monde sache qu’il soit gay. Son frère aîné le taquine (gentiment, parce que sinon il se prend une tarte) quand ils marchent dans la rue.
Evan est amoureux d’un de ses coéquipiers de basket. Il est dans le même collège que nous. D’ailleurs voilà qu’il arrive dans notre direction.
« Ça va mec ? Ils t’ont pas loupé !
– Ouais, t’inquiète. J’ai l’habitude.
– T’as de la chance de l’avoir Chinatsu ! me dit-il.
– Ça c’est sûr, je réponds un sourire aux lèvres.
– Je dois vous laisser, mes potes m’attendent. J’espère que tu pourras venir ce soir.
– Bien sûr ! »
J’aide Evan à se relever et on se dirige vers un recoin de la cour. Je sors une trousse de mon sac d’où j’en sort un antiseptique et des pansements.
« Faut que t’arrête de toujours te jeter à corps perdu dans ce genre de choses. C’est pas bon pour toi. T’en reviens avec plein de blessures, dis-je pour une énièmes fois.
– Tout ça pour dire ?
– Pour dire que tu vas finir avec quelque chose cassé.
– Oui, mais au fond tu veux dire quoi ?
– Que c’est dangereux !
– Mais encore ?
– Que je pourrai pas toujours être là pour te soigner.
– Arrêtes de passer par quatre chemins pour dire ce que tu penses vraiment ! Je ne suis pas dans ton cerveau. Je peux pas deviner ce que tu veux dire.
– J’aime pas te voir revenir plein de sang ! J’aime pas te voir par terre, entrain de recevoir des coups, pour me défendre ! J’ai peur pour toi ! Et j’en ai marre que tu recommences à chaque fois comme si t’en avais rien à faire !
– Tu vois. La prochaine fois, dis-le tout de suite… »
Je soupire et continue de le soigner. Evan ne bronche pas. Je le sens frissonner de temps en temps.
« Natsu ?
– Hmm…
– Tu seras toujours là ? »
Je suspens mon geste. Je plonge mon regard dans le sien.
« Pourquoi cette question ?
– Je pensais que les personnes qui s’aimaient ne se quitteraient jamais.
– Et donc ?
– Mais mes parents se séparent. »
Je ne sais pas quoi dire. Mais c’est parce qu’il n’y a rien à dire. Alors je range ma trousse dans mon sac et je me serre contre lui. Il passe une main derrière mon dos et commence à caresser le haut de ma tête. Puis il laisse glisser sa tête sur mon crâne et sanglote silencieusement. Je me serre encore plus contre lui. Je n’ai jamais su quoi faire dans ces moments. Je ne sais jamais réconforter les gens correctement. Dire ce qu’ils attendent que je dise. Mais pour une fois, je pense avoir dit ce qu’il fallait.
« Je ne te quitterai jamais. »