Au printemps suivant, tandis que les petits zozios cuit-cuités dans les arbres refleurissant Pâquerette pesait environ une tonne…et ses bouses à peu près la même chose…et Amanda s’en occupait toujours aussi bien. Elle était tellement fière d’aller se promener dans les rues du village avec son amie, montant sur son dos, la tenant en laisse comme si elle était un chien d’à peine quelques kilos. Jamais Pâquerette ne tira d’un coup la petite fille, ne rua ou ne la brusqua d’une quelconque manière. Et s’occuper de cette vache, jouer avec elle, lui lire des histoires…eh oui c’est un gosse faut pas l’oublier, ça, hein !…avait rendu son beau sourire à Amanda qui ne réclamait plus celle qui était, pour elle, sa mère. Damian se disait alors qu’il avait bien fait d’acheter cette vache même s’il n’en était pas totalement convaincu…bon c’est vrai moi aussi je me suis attaché à elle, on va pas en faire toute une histoire…je crois qu’elle a comblé un vide dans mon cœur enfin, bien sûr, dans celui de Damian c’est évident, n’est-ce pas !
Mais dans la sombritude des ombres de ce petit village, enrageait une grogne sourde et aveugle, avide de ce délicieux pouvoir dont se sentent investies certaines personnes. Des crapauds baveux, des rats scélérats…je sais c’est facile celle-là…des oiseaux calomnieux…pour lesquels on fera un procès plus tard, parce que tout ça c’est une vraie ménagerie là dehors, qui pue et qui crie, bande de dégueulache…attendaient leur temps.
Et le temps fut venu. Ben en même temps, on va pas y passer des plombes surtout que tout le monde se doute de ce qui va se passer.
Un jour alors que, comme à leur habitude, Amanda et Pâquerette se promenaient dans les rues du village saluant les gens qu’elles croisaient, discutant parfois avec l’un ou l’autre des vieux sages, un horrible hurlement vint alors déchirer la paisible tranquillité de ce petit village de camp’hagne.
– « AAAAAAAAH ! AAAAAAAAAH ! A l’ATTENTAT ! A L’ATTENTAT ! AAAAAH ! ».
Ce fut alors que tout le village accourut au chevet de cette femme et de cet homme blessés, humiliés, meurtris.
Comme tous les autres, Amanda et Pâquerette accoururent pour voir ce qui arrivait à leurs amis, les réconforter d’un câlin ou d’une léchouille.
Mais elles n’eurent pas le temps de pointer le bout de leur nez et de leur museau qu’une voix stridente, méprisante hurla et caqueta :
– « AAAAAAAAH ! C’est elle ! C’est elle la petite salope qui a fait chier son…drôle de clébard devant mon portail ! AAAAAAH ! AAAAAAAAAAAAAAH ! Je me sens mal, mon ami ! Faites-la piquer ! Faut la piquer ! Je veux qu’on la pique ! AAAAAAH ! Si la voiture roule là-dedans faudra changer les pneus ! Piquez-la mon ami ! Je veux qu’on la pique ! J’vous en supplie ! AAAAAAAAAH ! ».
– « Boudiou… » s’exclama alors l’un des vieux sages du village désignant la mère l’Oie « c’est elle ste bestio qui faut piquer ! ».
Tous rigolèrent et tous s’en allèrent.
Mais alors qu’Amanda était rentrée chez elle pleurant à chaudes larmes parce que ceux qu’elle considérait comme ses amis voulaient tuer sa Pâquerette, se croyant responsable de tout, un coup de sonnette retentit dans toute la maison comme un glas.
Damian se dirigea vers le portail d’entrée, vers les deux gendarmes qui l’y attendaient.
– « B’soir, M’sieur ! Gendarmerie nationale papier siouplié !…Pardon l’habitude…il parait que vous avez un chien…bizarre…vraiment bizarre…d’après ce qu’on nous a dit… » dit alors le plus jeune des deux gendarmes en lisant les notes qu’il avait prises sur son calepin Clairefontaine spiralé « qui aurait déféqué excusez du terme hein ! Devant le portail de vos voisins provoquant…et là je cite « la pire attaque d’angoisse qu’une personne citoyenne et responsable eusse dû subir à cause d’une petite salope et de sa saloperie de clébard »…on peut voir le chien ? Vous avez les autorisations pour détenir ce chien ? De quelle race il est au fait ? On peut le voir s’il est toujours en votre possession ?
– Je suppose que vous voulez voir ses papiers lui rétorqua Damian.
– Ah ! On ne plaisante pas avec la Gendarmerie Nationale Monsieur ! Soyez corrects ! Nous ne vous agressons pas alors ne nous agressez pas ! Nous sommes des militaires ! Nous sommes assermentés !
– Elle est ici ».
Il emmena ces deux grands militaires de carrière…comme leur père probablement…vers Pâquerette qui lui sembla ce soir tellement triste comme si elle comprenait ce qui se passait et qu’elle s’en voulait de faire pleurer Amanda, de la rendre triste, de ne rien pouvoir faire pour elle.
– « WOoOh ! C’est quoi comme chien ça ! s’écria le plus jeune des deux gendarmes
– C’est une vache lui rétorqua Damian, commençant à être excédé par toutes ces simagrées, s’abstenant d’ajouter « du con ! »
– Oh, je vois où est le problème ! C’est bien ce qui me semblait. Vos voisins sont de la ville…vous savez mes parents étaient agriculteurs…bonne soirée Monsieur et désolé de vous avoir dérangé » sembla alors regretter le plus âgé des deux gendarmes.
Et alors qu’ils s’éloignaient refermant le portail derrière eux, Damian resta là regardant Pâquerette. Il sentait cette douleur grandir en lui. Une douleur, une souffrance, une envie de vengeance qui ne s’étaient imposées à lui depuis…quelques temps.
La jeune Amanda ne cessa de pleurer toute la soirée et une partie de la nuit jusqu’à ce qu’elle s’endorme enfin sanglotant de peur de perdre sa Pâquerette, de perdre encore l’une de ses amies.
Damian, lui, resta, éveillé, perdu dans la noirceur qui l’entourait. Fixant les photos de sa fille et de sa vache, il sentait cette colère grogner en lui comme les sanglots de sa fille contre sa poitrine.
A cause de deux horribles bestioles, Amanda souffrait. A cause de leur bêtise sans nom, elle avait mal et il ne pouvait rien y faire. Cela le mettait en colère. Tellement en colère. Il souhaita alors très, très, très fort que ces deux horribles oiseaux meurent de la manière la plus horrible qui soit.
Mais dans ce monde, il n’y avait pas de magie, pas de petits lutins ou de génie qui viendraient exaucer son souhait. Il finit alors par s’endormir Amanda blottie contre lui.
Mais dans la fraîcheur et la noirceur d’une nuit de printemps, il arrive parfois que les souhaits, malgré tout ce que l’on peut penser, soient exaucés.