Conte 4 : La Vieille Dame et la Grochicha – 3ème partie

6 mins

Alors, il prit congés. D’un pas précipité, il se hâta de repartir vers l’entrée. La fille le raccompagna, agitant sous son nez les deux melons qui lui servaient la plupart du temps de plateau repas. Elle l’assura et le rassura sur le fait qu’il serait généreusement récompensé pour avoir fait et encore faire tant et tant de ces belles choses qu’il avait faites pour elles. Pour elle. Elle lui prit alors la main, la serra très fort dans les siennes. Oh ! Mon Dieu, que sa peau était douce et chaude ! Tellement douce ! Tellement chaude ! Elle embrassa goulument sa main de ses grosses lèvres voluptueuses. Ah, mon Dieu ! Des grosses lèvres comme les siennes qui s’ouvraient sur ses doigts ! Ah, mon Dieu ! Cette humidité qu’elle avait laissée sur sa main. Ah, mon Dieu !

Le Père Paul ne put alors dire ne serait-ce qu’un mot tellement son branle-bas le faisait vaciller. Ah grand Dieu !…quel qu’il soit et où qu’il soit… jamais il ne trouverait la force de pédaler. Mais alors qu’il s’en croyait incapable, en moins de temps qu’il ne lui en aurait fallu pour le dire s’il avait pu parler, le Père Paul se retrouva comme par miracle dans son confessionnal, la vigueur de ses vingt ans lui maculant, de nouveau, les doigts. Quel miracle !…deux fois une seule journée pour un homme de son âge, y en a encore qui vont dire que les miracles ça n’existe pas ! Hérétiques !

Sans même prendre le temps de se laver les mains…dégueulasse, va !…car il aimait que l’odeur persiste sur ses doigts des jours entiers, qu’il puisse les lécher pendant l’office dominicale, le Père Paul se rua aussitôt sur son bigophone. Il appela à son tour les seuls au monde capables de trouver ce qu’il recherchait. Des mages incroyables autant d’improbables. De magnifiques ensorceleurs à la clairvoyance aveugle. Des sorciers pompeux et certainement pas miraculeux. Eux seuls pouvaient désormais l’aider dans sa quête. Il appela alors les conseillers des Pôles et des Bois.

– « Allôôôô !  lui beugla dessus une de ces conseillères, ancienne ménagère malmenée prête à l’envoyer balader.

Oui ici Le Père Paul… 

Ajouter « de Lampe-Loie » aurait pu être perçu comme une agression, une menace, une injure, voire même une provocation. Et il ne préférait pas le Père Paul. Car on entendait tant et tant de choses sur ces conseillers. De drôles de choses. Ils étaient capables de jeter de méchants sorts qui pouvaient vous propulser dans une merde noire. D’autres, vous traînez dans la boue jusqu’à ce vous rendiez les armes et acceptiez de faire ce qu’ils voulaient sans protester. Jamais. Jamais, il ne fallait contrarier l’un de ses conseillers au risque de subir moult souffrances et sévisses…ou finir en formation ou dans un atelier merdique animé par une grosse conne qui ne sait pas se servir d’un marqueur juste pour qu’elle puisse assouvir ses objectifs de merde.



– « HIIIIIN ! Allôôôô !!! Vous voulez quoi Monsieur ! HIIIIIN ! J’vous entends pas ! Vous z’avez qu’à rappeler d’un autre téléphone ! 

Ici, c’est le Père Paul j’aurai besoin de passer une annonce !  hurla-t-il dans son vieux bigo

Ah ?! Oh ! Vous êtes recruteur ! Que puis-je bien donc pour vous servir cher recruteur ! Soyez béni ! Saint Homme ! Saint Homme ! » s’agenouilla alors la conseillère derrière son écran embrassant son casque, le sol, éructant vers ses collègues qu’ils n’étaient que des pauvres cons de bons à rien. Formule préférée du conseiller(e) des Pôles et des Bois lorsque venait le temps de la pause clope parlant entre eux « chômeurs ». Dans le cas, de personnes percevant le RSA c’est toujours plus prosaïque que cela. Là, on parle alors de saloperies ou de pourritures accrochées à leur bouteille de rouge et à leur peignoir qu’on ferait mieux de crever…à la machette ça ferait des chômeurs en moins : ceux qu’on flingue bien sûr et ceux qu’on embaucherait pour les flinguer. Ces saloperies puantes ! Hilarant n’est-ce pas ! Et malheureusement véridique !

Alors le Père Paul expliqua à cette conseillère devenue subitement charmante ce qu’il recherchait. Je vous passe le détail du discours sur les compétences transférables, les propositions de mise en place de tout un tas d’outils qui ne servirait même pas à aider un menuisier manchot, dans la phase décisionnelle du recrutement du moins puisqu’à un moment où un autre il faudra de toute façon se rencontrer, discuter et donc passer par l’entretien…

Et tout comme les mages gardaient jalousement leurs secrets, ces conseillers-là, eux, dégainaient les cévés à qui voudraient bien les choper. Ils sont simplement, tout simplement et incroyablement miraculeux ces conseillers ET/OU conseillères !…Et en effet, à peine eut-il raccroché et le temps de se lécher un doigt, qu’un ding tinta. Dans sa boîte aux lettres électronique, le Père Paul recevit…euh…non c’est rien, faites pas gaffe vous êtes quand même passé à côté des autres alors !…déjà une première sélection de candidats. Mais très vite, il déchanta.

Dans tout ça, même avec la foi, comment trouver le parfait candidat ? Existait-il ? Se pouvait-il, même, qu’il n’existe pas ? Se pouvait-il que, pour s’en assurer, il doive lire tout ça !

Alors, d’un coup, le Père Paul eut une révélation : les cévés sans photos à la corbeille, ceux qui habitaient trop loin ou pas assez près : oups, c’est ballot : Corbeille ! Les cévés en couleur : corbeille !…il n’aimait pas ça la couleur le Père Paul, le blanc à la rigueur…ceux qui n’avaient pas de diplôme : corbeille ! Ceux qui en avaient trop : corbeille ! Pas d’expérience : corbeille !

Très vite, le Père Paul s’amusa comme un vrai petit fou. Un truc qui ne lui plaisait pas : corbeille, un autre : corbeille ! Quel doux plaisir d’être celui qui choisissait entre ceux dignes de survivre et ceux qui crèveraient la gueule grande ouverte. Quel doux plaisir de ressentir ce que Dieu, lui-même, devait ressentir quand il flinguait à tout-va et sans distinction partout sur la planète ! Et l’ordinateur, son vieil ordinateur, commença à ne plus suivre tellement le Père Paul cliquait avec vélocité, voracité et férocité. Il ne lisait même plus ni les noms, ni les adresses, ni les compétences, ni les formations, certainement pas cette connerie d’accroche. D’ailleurs, s’il y en avait une : CORBEILLE !

Mais très vite…et oui les bonnes choses ont toujours une fin surtout à ce rythme...le Père Paul n’eut plus qu’un seul cévé à mettre à la corbeille. La tentation fut tellement grande, tellement forte qu’il dut se mettre à genou et prier de toutes ses forces pour ne pas cliquer avec le mulot sur le petit bidule du haut. Ah ! Que cela fut dur ! Mais le Père Paul avait la foi. Grâce à elle rien ne pouvait lui résister. Avec elle, il était capable de résister à tout…sauf à la tentation, faut bien l’avouer…là, il se releva, déchira sa soutane quelque peu tâchée et n’écoutant que son courage, sa bravoure, il imprima ce dernier cévé. Bingo banco ! Le grand gagnant est : tada !

Ah ! se dit le Père Paul : un jeune homme. Bon, c’était toujours ça. Et puis c’était ce qu’elles voulaient donc…voilà…putain de destin de merde ! Il aurait sans doute préféré une jeune et belle jouvencelle élevée à la campagne, en plein air courant dans les champs et les prés pour se faire de belles et grosses cuisses…euh…oui…non…je sais je suis en manque…je dois me faire soigner je sais…pardon…pardon…en même temps : je vous emmerde !!!! J’ai envie de dire. On va quand même tous crever alors faites pas chier !

Mais bon il n’y avait plus que ce cévé-là donc…et oui j’ai toujours eu beaucoup de chance…enfin lui-là, le jeune homme de l’histoire. Pas moi. Non c’est une chose qui ne m’est jamais arrivée…on ne va pas remettre ça ! Hein ! S’il vous plait !…il y a un petit bout de temps que je n’ai pas eu de crise d’angoisse alors on va éviter ce sujet, hein ! Merci de votre compréhension.

Aussitôt, après avoir parcouru en moins de dix secondes, ce que ce jeune homme avait passé des années à faire, sans même imaginer les sacrifices, les difficultés ou le courage qu’il lui avait fallu, le Père Paul décrocha son bigophone. Il appela alors bravement la vieille dame et sa grosse fille. Dès qu’elles l’entendirent, dès qu’il leur parla de cet ange qu’il avait trouvé elles louèrent son courage, sa clairvoyance tout comme sa ferveur et son exaltation à leur venir en aide. Et pour tout cela, elles le dédommageraient. Bien sûr qu’il ne faisait pas cela pour cela. Mais, bien sûr, bon sang de bois !…Putain ! Je veux dire mais ça fait plus grossier…Il accepterait tout ce qu’elles pourraient et voudraient lui donner ! Et surtout du fric ! Du putain de fric, bordel !…un vrai héros de la république ce Père Paul ! Encore un !

Mais attention ! ATTENTION ! Le Père Paul n’allait pas laisser n’importe qui venir en aide à ses très, très, très chères amies. Il les prévint tout de suite : LUI, il le recevrait d’abord car quelques petits détails avaient attisé sa curiosité et son désir d’en savoir davantage à son sujet. Et jamais. JAMAIS ! Il ne permettrait qu’un malotru vienne les enquiquiner. L’époque était telle qu’aujourd’hui la confiance ne pouvait être donnée qu’avec parcimonie. Qui sait peut-être n’était-il que l’un de ces feignants parcourant les associations pour quémander quelques victuailles au lieu de chercher du travail. Un profiteur de l’aide sociale. Peut-être même l’un de ces vils sacripants adeptes des petits boulots pour conserver ces maudites allocations et profiter du système ! Non. NON ! Lui vivant, jamais il ne leur enverrait quelqu’un comme ça. Un perfide ! Autant que tous ces pédérastes ! Lui, aux décisions, il les foutrait tous au bûcher !

Non. NON ! Il lui parlerait d’abord, le jugerait alors. Et ensuite, seulement ensuite, IL leur présenterait ce potentiel candidat.

Et les louanges plurent autant qu’ils lui plurent. Le Père Paul était tellement satisfait de lui, tellement fier de lui, l’ego tellement gonflé…et oui vous me voyez venir, hein ! Petit vicieux, va ! On voit qu’on se connait bien maintenant hein !...qu’à peine eut-il raccroché qu’il se précipita dans son confessionnal…Ah ! Mon Dieu ! Trois fois cela faisait ! Ah ! Oui ! Mon Dieu ! Oui ! Soyez bénis !

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