Conte 5 : Belinda Ladhhyn et la Torche Magique – 4ème Partie

5 mins

La colère grondait en elle comme lui.

Elle aurait pris tout ce qui lui tombait sous la main et l’aurait envoyé là où ça voulait voler. Mais cela ne l’aurait pas calmée. Elle aurait voulu se dire qu’il avait raison qu’on avait toujours le choix. Mais elle, elle ne l’avait pas. Elle ne l’avait jamais eu. Ce connard de merde, il ne savait pas ce que c’était. Il ne savait pas ce que c’était que d’être condamnée à vivre une vie de soumission. Il ne savait pas ce que c’était que d’être rabaissée, que d’être humiliée, que d’être prise pour une moins que rien, pour une incapable, de ne pas avoir le droit de décider de sa propre vie et d’être terrorisée à l’idée du temps qui passe. De se dire chaque jour, que celui qui venait de passer la rapprochait de plus en plus de sa propre fin, que c’était un jour de moins à vivre et que quoi qu’elle fasse rien n’empêcherait ce jour qui commençait de finir. Il ne savait rien de tout ça. Il ne savait rien de la peur. La peur de cet avenir qui arriverait inexorablement et qui détruirait tout. Le peu de bon qu’il y avait. Il ne savait rien de ce qu’on ressentait à être humiliée, bafouée, avilie. D’être prise pour moins que rien. Un bout de viande. Juste bonne à être vendue. Il n’avait aucune idée de ce que c’était et il ne le saurait jamais. Jamais il ne comprendrait. Il ne le pourrait pas, il était un homme. 

Mais ce qu’il lui avait dit tourna en boucle dans sa tête tout le reste de cette journée…bien fait pour ta gueule salope !…euh…anh ! Merde ! Je vais pas m’excuser en plus !…

Cette phrase : « Dire qu’on n’a pas le choix c’est de la lâcheté » revenait en elle en permanence.

Enfin, sa journée prit fin. Enfin elle pourrait se changer les idées et se taper un bon quatre-vingt kilos de barbaque.

Mais, ce soir, il y avait quelque chose de différent. Ses mots résonnaient toujours en elle comme une ritournelle qui revenait et revenait et revenait, encore et encore…euh oui je sais que c’est le principe de la ritournelle…euh…pour quoi vous me prenez ? Je suis pas con hein ! Dans « ritournelle », y a « ritour » ce qui en arabe ça veut dire « retour ». Vous me prenez pour qui ! Y a pas que vous qui avez un peu culture générale !

Comme tous les soirs, elle prît une douche. Et, sans même manger quelque chose, elle se prépara à sortir, rejoindre un bar comme tous les autres soirs. Plus le moment de partir approchait, plus elle avait cette sensation de brûlure à l’estomac qui s’intensifiait. Ce n’était que du stress, un peu d’anxiété peut-être se disait-elle à cause de l’autre pauvre connard qui lui avait foutu la tête en vrac. Bien fait ! Vous remarquerez que je n’ai rien ajouté, j’essaie d’être poli. Pour vous, je fais des efforts. Pour vous je ferai tout ! Tout !

Elle savait ce qu’elle voulait. Elle savait ce qu’elle faisait et elle savait ce qui l’attendait. Rien ne l’aurait arrêtée. Mais alors qu’elle se maquillait, brusquement elle s’arrêta. Elle se regarda dans le miroir de sa salle de bains. Sa brosse à cil se mit à trembler dans sa main. Sa respiration faisait gonfler sa poitrine. Elle avait l’impression d’être serrée, que ses narines ne laissaient plus suffisamment passer l’air. Cet air tellement essentiel qui commençait à lui manquer.

– « Putain de salope ! » lança-t-elle à son reflet, agressive et froide.

Bien décidée, à rejoindre un bar, et se faire tringler par le premier mec qui passerait, elle descendit de chez elle, grimpa dans sa voiture et mit le contact. Mais elle ne démarra pas. D’un coup, elle sentit son cœur s’emballer. Elle n’arrivait plus du tout à respirer. Elle avait l’impression que tout s’accélérait autour d’elle, que tout tournait autour d’elle, qu’elle était en train de perdre le contrôle d’elle-même, de son corps, des événements, de sa vie. D’un coup, tout en elle se mit à trembler. Elle aurait voulu sortir de cette voiture, se réfugier chez elle, à l’abri. Mais jamais ses jambes n’auraient pu la supporter. Elle allait crever.

D’un coup, elle sentit cette douleur en elle exploser comme jamais elle ne l’avait fait. Ce mal qui avait grandi en elle toute cette après-midi, qui avait grandi en elle depuis tellement longtemps. Elle s’écroula sur son tableau de bord pleurant sa souffrance, hurlant sa détresse, sa colère frappa et frappa ce foutu de volant de m… j’ai été poli hein ? Vous êtes fier de moi ? Dites-le moi je vous en supplie ! J’ai tellement besoin qu’on me dise de gentilles choses.

Ce soir-là, comme les soirs suivants, elle ne sortit plus. Elle resta devant cette télé dans son appartement où il n’y avait que le strict nécessaire, un frigo, une table, une chaise, cette petite télé, un canapé, un lit. Les murs n’étaient ni peints ni tapissés ni même décorés. L’appartement de passage de quelqu’un qui n’était pas là pour rester. Son téléphone avait beau lui signaler que son profil était tagué, plusieurs fois, sur l’application de rencontre d’un soir qu’elle utilisait, elle s’en foutait. 

Ce pauvre connard de merde, il lui avait fait quelque chose. Ce qu’il lui avait dit, l’obsédait. Chaque jour, elle y pensait. Chaque jour, elle entendait sa voix prononcer ces mots. Chaque jour, elle le revoyait debout devant elle, la regardant. Ce regard qu’il avait eu sur elle à cet instant-là l’avait mise en colère, l’avait perturbée et la perturbait encore. Ce connard de merde, il lui avait fait quelque chose. Plusieurs fois, elle avait essayé de se remettre à sortir, à se trouver un mec, histoire de…Mais elle n’arrivait même plus à se faire baiser sans se mettre à chialer comme la grosse conne qu’elle était. J’interviens juste pour vous faire remarquer que ce n’est pas moi qui suis mal poli c’est elle…pas moi ! Si elle revoyait ce connard de merde, si elle le croisait dans un couloir, elle lui casserait sa putain de gueule. Il lui avait bousillé la tête, ce con !

La rentrée suivante, déjà, était là. Pour tous les élèves de cette école d’infirmière, pour tous les profs, et même les femmes de ménage ça n’avait pas d’importance, ce n’était que le temps qui passe. Mais pour elle, chaque jour la rapprochait de plus en plus de sa propre fin, c’était un jour de moins à vivre. Mais quel talent j’ai envie de dire ! Quelle tournure de phrase ! Allez-y vous ! Faites-en autant !…euh…nan j’ai pas dit ça, y a moins de deux minutes !…mais…mais je vous en dis, moi, des choses comme ça ! Pensez donc à Notre-Dame ça va vous calmer !…Comment vous pouvez me dire ça ! Moi qui fais tout pour vous divertir, vous faire oublier votre vie de merde, misérable, paumée dans un bled pourri ! Fini, je ne vous parle plus ! Fini ! Terminé ! Plus jamais de la vie ! Mais sachez que je souffre ! Je souffre terriblement et que vous en êtes responsable ! Adieu !…Et vous ne me retenez même pas ! C’est dégueulasse ! Dégueulasse !

Et un jour, comme ça, par le plus grand des hasards de la vie, du destin en allant chercher son café, elle croisa sur cette ancienne connaissance qu’elle avait réussi à éviter jusque-là. Elle ne lui planta pas son talon dans l’œil. Elle ne lui cassa pas sa putain de gueule. Le gobelet de café qu’elle tenait dans sa main se mit à trembler alors qu’il ne faisait rien d’autre que la croiser du regard. Et ce regard lui fit bien comprendre qu’il ne l’avait pas oubliée, lui non plus. Bien que le temps soit passé, il avait toujours cet effet sur elle, il la faisait trembler. Il lui foutait une boule à l’estomac et il lui donnait des envies de meurtre, ce pauvre connard.

Plusieurs fois, ils se croisèrent à ce distributeur, ce qui avait l’air de bien amusé cette connasse de Nadya Lacazias. Elle était con comme un balai, cette andouille. Heureusement que son père était pharmacien. Autrement, elle aurait fini pute sur un quai de gare en Espagne ! Cette connasse, elle avait toujours l’air de se foutre de sa gueule. Elle n’avait jamais vu personne se prendre un café ou quoi ! Et ce pauvre connard, il avait l’air d’être bien copain avec elle. Peut-être même plus qui sait ! Bande d’enfoirés ! Si elle l’avait pu, elle leur aurait sauté à la gorge. Deux cons ensemble ! Même si elle refusait de se l’avouer c’était bien ça qui la mettait en colère : qu’ils soient ensemble. Ça la…elle aurait…elle n’en savait rien. Mais ça l’emmerdait qu’ils soient ensemble ceux-là.

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