Conte 6 : Premier Commandement – 2ème Partie

6 mins

Une gamine de dix ans et quelques qui s’enfermait plus ou moins volontairement dans un mutisme plus ou moins sélectif à grands coups de jeux vidéo ultraviolents comme dans une certaine tendance à vouloir voir le monde brûler dans le gigantesque incendie qu’elle aurait volontiers allumé elle-même et sans la moindre hésitation. Des pensées qui lui donnaient envie de s’ouvrir les veines après avoir pris un bon gueuleton arrosé à l’huile de vidange, d’antigel et, pourquoi pas, d’une bonne liqueur de javel en guise de digestif. Et des nuits passées dans un EHPAD, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, accueillant des malades d’Alzheimer, un enfer où même le Diable en personne ne voudrait pas régner…enfin vaut mieux régner en enfer que servir au paradis moi je dis ça ! Je suis sûr que vous vous préféreriez servir en enfer !

– « Putain de vie de merde ! » se disait-il. Parfois. Comme ça, dans la journée. En se rendant à son boulot ou chercher sa gamine au collège. En faisant ses courses, en se douchant ou se brossant les dents. Parfois même, il se grognait ces quelques doux mots lorsqu’il était assis sur le trône comme un bon roi. Le roi des cons !

Comment il avait pu être aussi con que ça ! Croire à toutes ces conneries ! Comment il avait pu penser qu’un jour lui aussi, eux aussi, seraient heureux. Elle l’avait niqué et elle en avait profité pour niquer tout le reste de sa putain de vie de merde. Et elle s’était barrée comme ça. Sans aucune raison. Sans aucune explication autre que cette putain de lettre de merde dont il n’arrivait même pas à se séparer. « Je t’aime » lui avait-elle dit ! Tu parles ! Comment on peut abandonner ceux qu’on aime ! Comment ! Pourquoi ! Pourquoi, putain ?

Et c’était bien cela qui le faisait souffrir ce pourquoi sans réponse. Ce pourquoi qui le tourmentait en permanence, qui lui donnait le plus souvent envie de crever pour ne plus ressentir cette putain de douleur. Elle. Il était toujours là. Tous les jours…je sais c’est redondant…oui je connais ce genre de mots, et de maux aussi oui. Un peu comme vous en gros ! Vous la coincez pas dans la braguette surtout !…Toutes les heures. A chaque seconde de chaque minute. C’était toujours la même rengaine. Elle. Elle. Et encore Elle. Ce putain de pourquoi. Ce qu’elle faisait. Où elle était. Avec qui. Et pourquoi putain !…Oui, oui, oui, je suis d’accord avec votre fine analyse psychologique : il a besoin de tirer son coup le monsieur !

La colère se lisait dans son regard. La haine suintait dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses paroles lorsqu’il daignait ouvrir la bouche. Et ce n’était pas le tas de connes avec lesquelles il travaillait qui le distrairait un peu. Elles n’étaient bonnes qu’à deux choses, trois ou quatre si on incluait le domaine privé…la pipe et la branlette…euh…non en fait juste trois…on est jamais si bien servi que par soi-même, non ?…Foutre la merde et dire que ce n’était pas de leur faute était leur domaine de prédilection. Et putain ce qu’elles étaient douées dans ce domaine.

Elles excellaient à se bouffer le nez…la gueule pour parler français !…Pour une serviette mal pliée. Pour une petite cuillère mal lavée. Pour un paquet de café ou de frites congelées que l’une ou l’autre avait chouré. Elles passaient tellement de temps à se disputer les faveurs et le siège d’une directrice aussi affabulatrice qu’obèse…et quand je dis obèse, c’est obèse version Obélix à la puissance mille et je vous laisse imaginer la connerie qui va avec…qu’elles en oubliaient leur travail, leurs résidents livrés à eux-mêmes la plupart du temps.

Bien sûr, lorsque les familles arrivaient sur le coup de six heures le soir, histoire de se donner bonne conscience avant de partir en vacances ou pour la nouvelle voiture, comme par une sorte de magie miraculeuse, tout ce lieu de démence se transformait. Cette magie envahissait alors tout, tous et toutes. De hyènes assoiffées de chair et de sang, charognant le moindre morceau de bidoche passant à portée de leurs crocs jaunis, elles devenaient les plus grandes ambassadrices et défenseuses acharnées de ce drôle de concept nommé humanitudetraiter des humains même malades comme des humains que ce soit dans l’attitude ou dans les gestes…si ça c’est pas de la connerie, hein ? Inventer un concept de ce genre pour quelque chose qui devrait naturel, normal et complètement logique ! Moi là, je sais pas là. Je sais plus…Fallait oser pas vrai José !…De démons beuglant et hurlant, au regard rougeoyant et à la bouche écumant, elles devenaient des anges embarrassant et câlinant les pauvres…enfin pas trop pauvres non plus faut pas abuser, hein ! Trois mille boules par mois il faut les aligner quand même !...et les déments. Mais elles n’étaient que vent et rage, stupidité et avidité, arrogance et jalousie.

Et dès que les familles s’éloignaient jusqu’au lendemain…pour ceux qui avaient de la chance d’avoir de la visite tous les jours…alors elles redevenaient ce qu’elles n’avaient jamais cessé d’être : elles. Fausses et vides.

Damian les haïssait. Simplement. Purement. Incroyablement. Elles étaient incompétentes. En à peine de deux semaines de présence dans cet établissement, il avait assisté à trois décès. A chaque fois, l’obèse directrice s’était servie de sa voix stridente pour livrer un conte de fée aux familles : des arrêts cardiaques à la place de fausses routes causées par, une fois, une serviette en papier, une autre par un morceau de viande, avalée par l’une et l’autre résidente laissé sans surveillance ; un problème métabolique d’un autre résident au gabarit impressionnant. Les infirmières n’eurent qu’à augmenter les doses de ses médicaments pour ne plus être impressionnées et le faire hospitaliser…euh…oups ! Il est canné le vioc ! Pas not’ fôôôôôte !…Elles purent alors tranquillement retourner à leur crêpage de chignon quotidien pour leurs heures, leurs jours de repos, leurs indemnités et ce putain de planning qui ne leur convenait pas, qui ne leur convenait jamais.

Parfois en entrant dans son bureau, Damian retrouvait des médicaments sur le sol, des médicaments qui n’avaient pas été distribués ou qui, dans le meilleur des cas, le seraient le lendemain au mauvais résident. Ou même à des toilettes faites à poil bras et jambes écartés qui ressemblaient plus à des fouilles au corps au temps des nazis…d’ailleurs ce sont ces charmants gaillards plein d’amour qui ont quand même inventé le concept d’humanitude de Dachau à Struthof…euh…désolé hier soir j’ai zappé sur Cnews par erreur et voilà. Pardon…euh…ah ?! Ils ne sont pas racistes juste cons ! Ah, autant pour moi alors, j’avais mal compris !

Il aurait pu essayer d’améliorer les choses. Il aurait pu choisir de s’impliquer davantage, de, simplement, faire en sorte que cela aille mieux pour tout le monde. Mais pourquoi s’évertuer à montrer la lune à des imbéciles qui ne feraient que regarder son doigt se disait-il. Et certaines risquaient même de le lui arracher pour se le coller entre les jambes vu leur état de manque qui, certains jours, les poussait à être trop câlines…surtout des mains…durant les séances de bains avec certains résidents…dont le bigoudi n’était pas encore trop rabougris !

Non. Certainement pas. Damian ne s’impliquerait pas là, dans leur merde puante comme la chiasse d’un vieux en train de chier sur un radiateur. Il ne s’investirait pas dans leur connerie sans limites que toutes cherchaient inlassablement à repousser. Et il ne se laisserait pas compromettre dans ces mensonges qui arrangeaient tout le monde. Il était là pour le salaire. Uniquement pour le fric. En attendant de pouvoir dégager de cet asile de fou dont les plus sages étaient, sûrement, les résidents eux-mêmes.

Il les haïssait, elles, eux, ce boulot, leur gueule, cette putain de grosse vache de merde qui était censée les diriger mais qui prenait un plaisir sadique à les monter les uns contre les autres. Il lui aurait volontiers ouvert la panse. Mais il n’y aurait eu que de la merde pour lui couler du bide et en moins grande quantité que celle qui sortait en permanence de sa putain de gueule…oh, comme je suis d’accord avec toi, mon pote ! T’as pas idée ! Fous-lui-z’en un coup pour moi tu veux ? Hein, dis, hein ? Mon copain ! Un bon coup dans sa gueule !

Il aurait voulu les voir crever, les voir souffrir autant que lui souffrait toujours, chaque jour. Ces sales putes, ces ordures de merde. Elles devraient crever en souffrant pour ce qu’elles faisaient. C’était ce qu’elles méritaient. Tout ce qu’elles méritaient se disait-il en les regardant retourner chez elles joliment parées, se pavanant comme des déesses. Des déesses au cul plein de merde…et surtout d’autres choses bien gluantes aussi hein ! Faut pas se le cacher !

C’était pour tout ça qu’il avait choisi de travailler la nuit, ne pas les voir, ne les entendre, ne pas devoir les subir.

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