Conte 6 : Premier Commandement – 3ème partie

6 mins

Aujourd’hui, ce serait le bon jour, elle le sentait. C’était ce qu’elle se disait chaque matin. Enfin, elle pourrait montrer ce qu’elle valait…euh…non pas ‘’avalait’’, lisez attentivement nom d’un chien !…enfin, elle pourrait montrer ce qu’elle était réellement. Mais chaque jour, elle était cantonnée derrière un bureau, sur un rond-point ou une quelconque route de campagne. Chaque jour, elle ne faisait que servir son pays en servant un café…Et ce serait ti pas là que Charlie i’va appeler cette drôle de dame, dites donc !

Et chaque jour, elle devait rester motivée. Elle se disait qu’elle y arriverait, qu’elle leur montrerait à tous ces connards. Chaque jour, elle se battait contre leur hypocrisie. Chaque jour, elle s’en voulait ne pas parvenir à faire comprendre, accepter aux autres, à ses collègues qu’elle était, au moins, aussi capable qu’eux. Mais comment décrire le soleil à un aveugle ? Si ce n’était comme une énorme boule de gaz incandescente, éclatante et extrêmement chaude. Il pourra sentir la chaleur de ses rayons sur son visage. Mais jamais, jamais il ne pourra voir combien il est brillant. Mon Dieu, merci de m’avoir donné un tel don ! J’en pleurerai tellement j’écris bien ! Mon Dieu ! Mon Dieu !…Si vous voulez tout savoir je me suis fait pipi dessus tellement je suis content. On en partage des choses, hein ?

Et tout son problème était là. Elle était jeune. Elle était plutôt jolie. Et surtout, elle était la seule femme de cette petite caserne de campagne. Et la plupart de ses collègues ne voyaient que cela d’elle. Elle était, pour eux, comme la petite dernière de la famille, celle qui fallait absolument protéger.

Le temps passa immuable, effrayant, douloureux, épuisant…

Ce jour-là, comme chaque jour, elle s’était dit en se levant que ce serait son jour. Elle ne savait pas alors combien elle avait raison ni même à quel point elle se trompait. Jamais elle n’aurait pu se douter que, dans les semaines qui venaient, elle s’en voudrait et se reprocherait d’avoir tant désiré ce jour-là. Et ouais méfies-toi de ce que tu demandes au cas où tu l’obtiendrais…euh…oui la merde ça arrive aussi quand on prie. Demandez au Père Paul, tiens !

Ce jour-là, les membres d’un groupe de l’Unité Spéciale d’Intervention de la Gendarmerie Nationale étaient en visite dans cette petite caserne. Leur présence-là n’avait rien à voir avec une quelconque courtoisie fraternelle.

Depuis quelques mois, un nouveau groupe de trafiquants en tout genre s’était installé dans leur région comme dans d’autres avant. Personne ne savait exactement qu’ils étaient. Mais ils avaient déjà leur marque de fabrique. Dès leur arrivée, ils lançaient une OPA sauvage sur la concurrence autochtone. En général, de la manière la plus violente et agressive qui soit. Ce qui avait donné les jolies images diffusées en boucle sur les chaines d’infos. Ces motos et voitures qui roulaient comme des fusées pour finir en tonneau devant des dizaines de mecs armés, hurlant et beuglant comme des hommes des cavernes devant un bon gros mammouth en train de rendre son dernier souffle.

Durant ces quelques semaines, ils avaient déjà repris les marchés locaux et doublé les ventes au consommateur final, quel que soit le produit consommé : drogues, armes, argent, alcool, prostituées. Aujourd’hui, ils étaient déjà à la tête d’une véritable entreprise « Gafaesque »…oh, putain de ta mère ! J’ai inventé un mot et ça m’est venu comme ça, dis donc ! Je suis un vrai auteur maintenant ! Oh putain de ta mère ! Oh putain ! J’ai même pas un mouchoir en papier ! C’est rien du Sopalin ça ira aussi ! Oh putain que oui, ça ira ! Oh, oui ! Oh, oui !…qui brassait des millions de crypto-monnaie par semaine. L ’USIGN, sous l’impulsion du Chef d’Etat Major de la Gendarmerie Nationale, avait été mandatée pour créer une section spéciale destinée à surveiller, collecter des informations et à terme, peut-être, intervenir pour mettre fin aux activités de ces nouveaux trafiquants.

Et c’était pour ça qu’ils étaient là aujourd’hui : recruter.

Le chef de groupe, un homme d’une quarantaine d’année au bouc aussi pourvu que la chevelure, à l’imposante prestance et aux tatouages en tout genre, s’avança vers les gendarmes de cette caserne réunis pour l’occasion dans leur cantine.

– « Alors…leur demanda-t-il de sa voix roque, ça intéresse qui ? ».

Tous se regardèrent. Et tandis que s’installa un brouhaha typique d’une salle de réception en plein émoi, une main se leva et une voix fit taire toutes les autres.

– « Moi ! 

Et vous vous appelez ?

Carole… lui répondit-elle, Carole Denhame ».

Enfin. Son jour était venu.

Quelques heures plus tard, Damian était sous la douche quand il sentit une présence derrière lui. Il se retourna. A peine eut-il le de temps de voir son visage que Carole, nue, se pressa sur lui. Sans un mot, elle enfonça sa langue dans sa bouche, le caressa et lui fit l’amour. Comme toujours, elle ne fit que se servir de lui pour satisfaire son propre plaisir, sa propre envie.

Comme toujours, lorsqu’elle en eut fini, elle se sécha et se rhabilla, sans un mot, sans un baiser sans une caresse…Bon chien ! Il a fait une petite léchouille à sa mémère, hein !

Tandis qu‘elle remettait son uniforme, Damian la regardait. Elle n’avait rien à voir avec Belinda. Elle n’avait rien de sa douceur, rien de sa chaleur. Rien de sa façon d’aimer. Rien de sa force ni de sa délicatesse. Et pourtant le fait qu’elle agisse de cette façon avec lui, comme s’il n’était qu’un objet…un truc en plastique tu veux dire !...lui faisait mal. Même Amanda n’avait, pour elle, que l’intérêt d’être la fille de celui qu’elle venait baiser quand elle en avait envie. Et aucun autre.

Cette relation ne pouvait pas durer. Pas de cette façon. Il le savait. Probablement qu’elle aussi. Malgré cela, le fait de la perdre, de perdre encore quelqu’un, lui était intolérable. Rien qu’à l’idée de s’imaginer lui dire que c’était fini, ses tripes se retournaient dans cette drôle de sensation qu’il n’avait éprouvée que rarement jusqu’ici. Et cette sensation, il aurait fait n’importe quoi pour ne pas la ressentir encore. De nouveau.

Alors qu’elle finissait de se rhabiller, elle le regarda, sourit. Et comme toujours avant de partir elle lui donna un léger baiser, ses lèvres effleurant à peine les siennes. Damian resta là dans cette salle de bain à fixer son putain de reflet. Ses putains de couilles, il avait dû les ranger quelque part, dans un putain de tiroir dont il avait perdu la clef. Putain de connard de merde !

Une bonne vingtaine de minutes plus tard, Carole était de retour chez elle, dans ses sommaires quartiers à la caserne. Elle avait enlevé son uniforme, passé des habits civils et se préparait un large sac de voyage. Vu les vêtements et sous-vêtements qu’elle y enfournait, elle n’avait pas prévu de revenir d’aussi tôt…ouais tu m’étonnes ! Sale garce de bonne femme, va ! Ça se fait baiser et ça se casse. Putain ! C’est dingue ça ! Y en a pas une mais alors pas une pour racheter l’autre ! On pourrait se dire qu’au moins ce genre de bonnes femmes ce sont que des exceptions qui confirment la règle. Des espèces d’aberrations mathématiques. Mais non ce genre de bonnes femmes de merde c’est la règle ! Putain ! Et après on dit que c’est moi que j’ai un problème avec les femmes ! Je veux bien mais là franchement, ça ne vient pas de moi ! Hein ? Franchement ?…Bref…pensez ce que vous voulez, je pense la même chose que vous ! On est bien d’accord !

Soudain, on frappa à sa porte. Elle savait qui c’était…tu m’étonnes, salope va !…elle les attendait autant qu’elle avait attendu ce moment, avec impatience et excitation.

– « C’est ouvert ! ».

Le chef de groupe, l’homme aux tatouages, entra alors accompagné de deux autres hommes et deux autres femmes…putain de parité de merde ! Dans un monde parfait ça aurait été que des mecs...des baroudeurs comme lui qui avaient dû faire les quatre cent coups ensemble et pas toujours de la plus légale des façons. Cela se voyait à leur allure, à leur façon de se tenir, de marcher, de parler. Tout en eux respirait à l’arrogance de ceux qui en ont trop vu pour encore se taire devant les autres. Et ceux-là entraient là avec des pizzas et des kebabs.

Tandis qu’ils dinaient, ils discutèrent de tout, de rien, surtout de leurs expériences passées. Du bon vieux con qu’ils avaient, un jour, rencontré dans un bled paumé et qui devait être canné maintenant, de ce qu’ils comptaient faire. Après ça. Plus tard.

– « Et alors ça se passe comment maintenant ? leur demanda Carole

Elle est pressée la nouvelle ! s’écria alors l’une des autres femmes.

Je ne suis pas pressée j’ai seulement hâte de commencer.

Ouhalala ! s’écrièrent les autres en cœur.

Ok, Miss ! Tu veux y aller alors on va y aller !… » lui dit celui qui commandait ce petit groupe, essuyant la sauce blanche qui dégoulinait de sa barbe « T’as déjà entendu parler de la mafia iranienne ? Les Boudjema ? Les Akmalhi ? Ou les pires saloperies qui soient : les El-Keffhir ? ». Carole nia.

C’était normal. Après tout quel pékin de seconde classe pourrait dire qu’il connaissait la mafia de son pays…à part, bien sûr, celle qui passe son temps dans les journaux télés implorant à sa réélection…alors celle d’un autre, paumé au bout du monde, pour lequel la première image qui venait en tête était celle d’un mec rachitique et édenté, en djellaba et turban visé sur le crâne, en train de regarder, l’œil envieux, ses chèvres brouter les cailloux d’un sol sableux et aride. Alors qu’elle n’en ait jamais entendu parler n’était pas étonnant. Le contraire l’aurait été.

Cet homme lui expliqua qui étaient ces trafiquants ou plutôt qui il pensait qu’ils étaient.

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