Conte 6 : Premier Commandement – 6ème partie

6 mins

Une bonne vingtaine de minutes plus tard, sa vieille Ford Fiesta était stationnée sur le parking de la Gendarmerie du petit village d’à côté.

Assise aux côtés de son père, dans ce bureau où siégeait un gradé ventripotent, Amanda regardait partout autour d’elle. Elle sentait son cœur battre fort à ce « et si » qui naquit, d’un coup, dans sa jeune tête. Damian, lui, comme sa fille, sentait son cœur frapper et cogner à grands coups dans sa poitrine. Mais pas pour les mêmes raisons. Il n’écoutait pas ce qu’on lui racontait. L’histoire, il la connaissait par cœur. C’était toujours la même. Il n’avait le droit de rien. Pas le droit d’être heureux. Pas le droit d’être comme tout le monde. Pas le droit d’avoir une famille, d’en donner une à Amanda. Il n’avait que le droit de souffrir, de se battre en permanence, d’avoir mal, de devoir se sacrifier. Pour qui ? Pourquoi ? En espérant quoi ? Avoir de la merde. Il n’avait le droit qu’à ça. A cette putain de merde qui lui tombait en permanence sur le coin de la gueule alors qu’il ne faisait rien pour ça. Sauf de son mieux. Toujours de son mieux. De son mieux pour être quelqu’un de bien. De son mieux pour être un bon père. De son mieux pour qu’Amanda ne manque de rien. De son mieux pour tout le monde. Pour tout. Et lui qu’est-ce qu’il en retirait ? On lui crachait à la gueule. On le prenait pour un moins que rien. Pour un con. Un imbécile. Un abruti qu’on pouvait balancer comme ça. Comme une merde. Comme ce gros con bouffeur de gaufre liégeoise qui lui disait que tout irait bien, que c’était bien souvent comme ça que ça se passait dans le cadre de ces opérations-là. Mais, la vérité, ils la connaissaient déjà tous les deux. Ce gros veau ne se bougerait pas ou pas assez vite. Carole serait morte bien avant qu’il ne se soit levé le cul de son fauteuil s’il arrivait à l’en décoller.

– « On ne peut pas compter sur le Père Noël pour qu’il vous apporte des cadeaux le matin de Noel, si on en veut il faut se les acheter soi-même » se murmura Damian.

Amanda le regarda. Elle entendit cette phrase. Elle résonna en elle. Son cœur alors qui battait déjà tellement fort dans sa poitrine vint alors cogner comme il ne l’avait fait que rarement. Elle savait ce qu’il allait faire. Elle savait ce qu’il allait dire. Et elle savait ce qu’il n’hésiterait pas une seule seconde. Il avait dû abandonner Belinda comme elle l’avait perdue. Et elle savait que son père n’abandonnerait pas cette fois. Il n’abandonnait jamais. Ni personne. Et même Carole, il ne l’abandonnerait pas parce qu’il ne le pouvait pas. Il était comme ça.

Bien cordialement, il quitta ce bureau, ce parking, cette caserne où on l’avait assuré qu’on ferait tout ce qu’on pourrait et qu’à la moindre chose on le préviendrait. Ils savaient tous que c’était faux.

Assisse à ses côtés, sur le siège passager, Amanda le regardait, elle savait ce qu’il pensait et cela la terrorisait. Elle posa alors sa main sur la sienne. Il la regarda.

– « T’as bien réfléchis à ce que tu vas risquer et à ce que tu vas faire risquer à ceux qui sont autour de toi ? ».

Mais, à ce moment-là, Damian n’en avait rien à foutre de ce qu’il allait risquer ou faire risquer aux autres. Il était en colère. Il avait mal. Il voulait que les autres le sachent, qu’ils partagent sa souffrance, qu’ils ressentent sa douleur et la prennent comme la leur.

La nuit était tombée depuis longtemps. Le vent soufflait et criait entre les bâtiments pourris de cette zone industrielle laissée à l’abandon. Les lumières orangées, quant elles marchaient, tremblaient sous les rafales de vent. Les cliquetis des fils électriques contre les tôles ondulées des vieilles baraques de chantiers résonnaient partout.

Et, eux, ils étaient là. Déjà là. Bien avant que cette nuit ne soit tombée. Tout comme leurs respirations étaient étouffées par leur cagoule, leurs regards étaient dissimulés derrière des lunettes à vision nocturne et fixés sur cette vieille bâtisse délabrée.

Trouver cet endroit n’avait pas été compliqué. Il leur avait suffit d’être un peu persuasif et de sortir quelques billets. Tout le monde savait qu’ils étaient là, les biens informés du moins. Ils ne se cachaient pas. Pas plus que ça. Il n’y avait qu’un flic ou, là, un gendarme pour mettre trois plombes à trouver une telle pute dans un bordel comme ici.

Sous sa cagoule, Damian avait la bave aux lèvres. Il n’avait qu’une seule envie : sauter par cette lucarne devant lui et éclater ses fils de p… les voir crever. Les faire crever. Il ne voulait plus que ça. Il n’attendait que ça.

Mais l’homme masqué à ses côtés était loin de partager son appétit. Ils avaient fait beaucoup de choses ensemble. Avant. Mais ça, se mesurer à des mecs de ce genre, jamais ils ne l’avaient fait. Et lui, il considérait que cela ne s’improvisait pas. Ils couraient à la catastrophe.

Bien sûr, il savait et comprenait que Damian en avait bavé et pris plein la gueule ces derniers temps et que, maintenant, il voulait taper dans ce tas de merde pour se soulager. A sa place, il aurait sûrement fait la même chose. Peut-être même pire que ça. Certainement.

Mais il n’était pas à sa place. Il était à ses côtés comme un ami, un frère. C’était à lui de lui montrer que ce qu’il s’apprêtait à faire était extrêmement dangereux et bien trop risqué. Et peut-être qu’une connerie de miracle se produirait. Peut-être, même, parviendrait-il à le faire changer d’avis.

– « Faut qu’on sache ce qui nous attend, on ne peut pas…  lui dit alors cet homme au visage masqué

– Ce qui nous attend ? Je vais te le dire moi : un tas de cons armés qui ne s’attend pas à ce qu’on débarque. Et plus on attend, plus ils risquent de nous voir et on perdra l’effet de surprise  lui rétorqua Damian.

Sauf que la surprise risque d’être pour nous si on ne fait pas gaffe, tu le sais bien, tu le verrais si…

Si quoi ? 

Si tu prenais un peu de recul.

Tu veux pas y aller je t’oblige pas, j’oblige personne. Vous n’avez qu’à vous casser. Je vais me démerder tout seul ! J’ai l’habitude ! 

Et on dit quoi à Amanda, si son père ne revient pas ?  lui lança l’un des autres hommes masqués restés en retrait

On t’a jamais lâché et, putain, on ne le fera jamais ! Tu le sais bien, putain ! Mais on ne peut pas y aller sans savoir ce qu’il y a dans ce putain de bordel ! Et puis on ne sait même pas si Carole est encore là ou pas ! Et si elle est encore là, putain, on ne sait même pas où. Moi je dis qu’on doit aller voir, y a pas à chier putain ! » ajouta un autre.

Et tandis que ces cinq ombres-là discutaient entre elles, la sixième, elle, les regarda, les nia. Elle en avait assez de les entendre tergiverser, jacasser. Ils étaient pires que des bonnes femmes. S’ils étaient venus jusque-là, ce n’était pas pour repartir la queue entre les jambes. Carole était quelque par là-dedans. Ok ce n’était pas Belinda et elle n’était pas son amie. A dire vrai, cette ombre-là ne pouvait pas l’encadrer. Mais elle faisait partie de leur famille aujourd’hui. Plus ou moins. En tout cas, elle était avec Damian. Lui était là pour elle et cette ombre serait toujours là pour lui. Elle ne le laisserait pas tomber. Jamais. Alors terminer les palabres, il fallait y aller.

Eux finiraient par se faire voir et ça partirait en vrille. Comme toujours. Elle, cette ombre, les autres en face, ils ne la verraient jamais. Elle enleva alors son équipement, son gilet pare-balles, ses armes, tout ce qui ne ferait que la gêner et n’emporta avec qu’elle que son couteau et ses lunettes infrarouges. Elle disparut, alors, sans le moindre bruit. Sans le moindre remord.

Et pendant que, dans ce hangar, les discussions allaient bon train sur ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, entre ceux qui exécutaient et celui qui commandait, l’un d’entre eux se tourna et se mit en retrait des autres. Il alla ramasser ces armes sur le sol, les serra dans ses mains comme si elles avaient été un trésor.

– « Oh les mecs ! Putain ! Eh !… » s’exclama-t-il revenant vers eux avec ses armes dans les mains, leur tendant , elle est partie ».

Tous se turent. Tous savaient à qui appartenaient ces deux parabellum argentés. Tous se ruèrent vers l’une des lucarnes juste à temps pour voir cette fine et frêle ombre se faufiler entre les bâtiments corrodés, les poubelles cassées en évitant comme un fantôme et la peste ces quelques clodos au sac de couchage étrangement boursoufflés.

– « S’il lui arrive quelque chose…lui dit alors l’homme masqué à ses côtés, ce sera de ta faute ».

Damian détourna alors le regard de lui.

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