Carole essaya, elle aussi, de se relever. Mais elle n’y parvint pas.
– « Ça va ? lui demanda l’ombre.
– Mon bras…c’est rien…vas-y toi. Moi je vais rester là, ils ne vont pas tarder…faut bien que quelqu’un reste pour les accueillir ».
L’ombre la regarda. Pendant quelques secondes, elle fut tentée de la laisser là, seule. Mais elle ne le put pas. Elle n’avait pas fait tout ça pour la planter là comme un fardeau un peu trop encombrant. Elle arma alors ses parabellums argentés et s’agenouilla à ses côtés. Carole la regarda, d’une autre façon, à cet instant.
Quelques secondes plus tard, les quatre hommes masqués et Damian étaient à l’intérieur de l’un de ces box. Devant eux gisait une minuscule fraction de ce que tous ces putains de sacs poubelles contenaient. Des dizaines, des centaines peut-être, de liasses de billets de dix, vingt ou cinquante euros. Ils n’en avaient jamais vu autant. Et il y avait quatre box remplis jusqu’au plafond de ces sacs poubelles. Les deux autres contenaient des paquets de cocaïne et des armes.
Damian regarda l’homme masqué avec lui. La drogue et les armes, jamais ils n’y toucheraient. Mais l’argent…l’occasion était trop belle pour ne pas tenter de la saisir.
– « Ok. Vois ce que tu peux faire dit alors Damian au plus taiseux
– Moi ? Mais…
– C’est toi qui a les bonnes idées ! On le sait maintenant. Le coup du camion, c’était bien vu !…[même dissimulé derrière une cagoule, la fierté put se lire sur son visage, dans son regard]…Et ne dites rien à Carole, elle n’a pas besoin de savoir…et ouais…ne prenez pas tout. Laissez-en suffisamment pour que les gendarmes ne se posent pas trop de questions ».
Damian et l’homme masqué retournèrent alors près de Carole et de leur fidèle ombre.
– « On fait quoi alors ? demandèrent les deux dénicheurs de trésors en chœur au plus taiseux.
– Euh…[ses yeux se posèrent alors une ancienne bouche d’évacuation d’eau. Il réfléchit]…vos portables, donnez-les-moi !
– Naaaan ! s’écria l’un tandis que l’autre lui tendit le sien aussitôt.
– Tu vas pouvoir t’en payer des tas d’autres, pauv’ con ! Réfléchis pour une fois ! ». Lui le regarda, l’autre réfléchit une seconde.
– « Tiens !…Au fait, les mecs ! Le pauv’con, i’vous emmerde ! Vous le savez ça hein ?! ».
Une bonne dizaine de minutes, à peine, s’était écoulée quand tous furent enfin réunis. Tout était prêt. Tout avait été fait. Tous étaient à couvert quand ils entendirent la porte du local tomber et glisser sur le métal de l’escalier branlant. Ils entendirent les hommes du dessus entrer, leur pas, leur chuchotement, le cliquetis des sangles de leurs armes. Ils commencèrent à apercevoir leurs ombres se faufiler au loin.
D’un coup, ils débarquèrent, tirèrent. Damian et les autres restèrent à couvert, ne bougèrent pas, attendirent. Les autres avancèrent. Les flashs de leurs tirs faisaient ressembler ce corridor maintenant sombre à une boite de nuit aux lumières stroboscopiques. Leurs balles ricochaient sur son armature apparente, frappaient son béton, l’émiettaient.
Ils avancèrent doucement, lentement vers le milieu de ce corridor. Tout à coup, un pied claqua dans une sorte de flaque d’eau. L’un de ces hommes baissa la tête vers son pied, regarda. Tout à coup, il sentit l’odeur. Il se retourna, hurla. D’un coup, les lumières s’allumèrent. Les ampoules éclatèrent en gerbes d’étincelles brillantes, éblouissantes. D’un coup, toute cette partie du corridor s’embrasa. Une bonne moitié de ces hommes et des mercenaires prirent instantanément feu, hurlèrent. Les autres reculèrent. Les tirs reprirent. Cette fois Damian, Carole, l’ombre et les autres bondirent de leur cachette, tirèrent.
Les coups de feu s’échangèrent, flashèrent. Les balles ricochèrent, frappèrent. Les hommes du dessus et les mercenaires tombèrent, brûlèrent. Certains se sauvèrent. D’autres s’enfuirent.
Bientôt, il n’y eut plus un bruit, quelques gémissements tout au plus, quelques grognements sourds. Prudent, Damian fut le premier à sortir de sa cache. La transpiration ruisselait sur son visage dissimulé. L’œil concentré, son arme était prête. Il avança vers certains corps qui brûlaient. L’odeur était insoutenable. Il fut alors imité par les autres, par l’ombre soutenant Carole.
Tous avancèrent parmi ces corps à la peau fondue et noircie, sur leur garde, s’attendant à chaque seconde que l’un d’entre eux bondisse et leur tire dessus. Mais ils passèrent sans encombre. Ils arrivèrent à l’escalier, remontèrent.
Ils sortirent du local. Il n’y avait plus un bruit dans cet entrepôt, plus personne. Juste quelques rats.
Carole soutenue par l’ombre se laissa glisser contre un empilement de palettes pour s’asseoir au sol. Peu lui importait que ce soit au même endroit où l’autre garde avait voulu…elle n’en pouvait plus. Sa tête tournait. Son bras lui faisait de plus en plus mal comme tout son corps. Le stress, la fatigue, la douleur, elle avait besoin de récupérer quelques minutes. Les autres avancèrent de quelques pas, s’assurèrent que les alentours étaient plus ou moins sûrs.
L’ombre aida Carole à s’asseoir, la regarda, la recoiffa plus ou moins ce qui les firent sourire. D’un coup, le visage de la jeune gendarme se ferma, devint sombre. Son regard s’écarquilla. L’ombre comprit. Il se passait quelque chose derrière elle. Elle allait se retourner quant elle sentit quelque chose s’enrouler autour de son cou et serrer et serrer si fort qu’elle ne pouvait plus respirer.
Carole braqua son arme vers l’ombre derrière laquelle s’abritait l’homme en costume. Tous alors se retournèrent sentant qu’il se passait quelque chose dans leur dos.
Aussitôt, l’homme en costume se mit à crier, dans cette langue qu’aucun d’eux ne connaissait, braquant son arme sur l’un, sur l’autre plaçant l’ombre entre eux et lui. Il beuglait tellement fort qu’on aurait dit un chihuahua drogué au protoxyde d’azote.
Damian le regardait, l’observait. L’homme masqué à ses côtés était prêt à tirer comme les autres, comme Carole, dès qu’ils le pourraient.
Tout à coup, l’ombre se dégagea de son emprise. Elle lui envoya un coup de poing, essaya de le désarmer. Personne ne pouvait tirer sans risquer de la blesser. Tous les deux se battirent. Dans la lutte, l’ombre agrippa sa main armée, tenta de lui arracher l’arme. Le coup partit. Un coup de tonnerre. Tous s’en glacèrent. L’ombre recula. Elle s’affala sur le sol. Tous hurlèrent. Les coups de feu explosèrent. Les balles frappèrent le sol, les palettes de bois autour de l’homme en costume qui se sauvait. Carole se précipita vers l’ombre allongée sur le sol. La balle était entrée au niveau de la plaie qu’elle avait au ventre et n’en était pas ressortie. Aussitôt, les autres se précipitèrent tirant vers l’homme au costume qui filait. Ils se jetèrent tous au chevet de l’ombre. Carole leur ordonna alors de trouver un linge propre n’importe quoi pour compresser cette blessure qui saignait à flot.
– « Ça va aller, ça va aller…me fais pas ça ! ».
En retrait, Damian assista à toute cette scène comme si elle se déroulait au ralenti devant lui. Il sentit alors cette sensation indescriptible qui commença à lui brûler l’intérieur de la poitrine et en même temps à lui glacer chaque os, qui, comme un feu de brousse, se propagea à tout son corps. Une voix, alors, calme, forte, grave, lui commanda alors :
Chope-le cet enfoiré ! Chope-le !
Ses yeux le suivirent, fixés sur lui alors que cet homme en costume s’enfuyait.
D’un coup, Damian lâcha son arme, arracha sa cagoule, courut, poursuivit cet homme. Il avait l’impression de sentir chaque muscle de son corps, chaque fibre se contracter, se remplir de sang. Il avait l’impression que ses jambes n’étaient plus que des plumes, qu’elles venaient frapper le sol à toute vitesse comme les pattes d’un cheval lancé au galop. Il avait l’impression d’être subitement envahi d’une force incroyable et d’une férocité sans limite. Il avait l’impression d’être un prédateur lancé à la poursuite d’une proie qui ne pouvait lui échapper. La haine qu’il éprouva, à cet instant-là, pour cet homme n’avait pas de limites. Elle fit ressortir de lui toute la frustration, toute la douleur, toute la violence et cette brutalité qui s’étaient installées en lui ces derniers mois et qui avait affamé ses deux vieilles amies. Vengeance et Souffrance allaient, maintenant, être rassasiées.
L’homme au costume courait droit devant lui, se sauvait, s’enfuyait aussi vite qu’il le pouvait. Mais Damian courait plus vite porté par sa haine. Il sauta par-dessus l’un des empilements de palettes pour le plaquer au sol. Tous les deux y roulèrent. Tous les deux s’en relevèrent.
Carole laissa l’ombre entre les mains de l’un des hommes cagoulés, et malgré la douleur, courut avec les autres vers Damian.
Là, ils les virent tous les deux face à face. Damian leur tournait le dos. L’homme en costume les regarda, puis Damian. Son regard était si froid, si vide, tellement violent que cet homme essaya de lui dire quelque chose. Mais il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche. Damian l’attrapa par les cheveux, le frappa d’une violence qui fit résonner, dans tout cet entrepôt, l’impact de son poing sur la mâchoire de cet homme. Elle en craqua. L’homme au costume hurla, s’écroula, en une fraction de seconde, au sol. Son visage le frappa si violemment que le sang gicla de sa bouche. Il en fut abasourdi.
Durant quelques secondes, il resta allongé là sans vraiment bouger. Damian ne broncha pas. Il attendait qu’il se relève. Ce que cet homme finit par faire. Aussitôt, il essaya de frapper Damian qui bloqua son bras, le regarda. A ce moment-là, cet homme comprit, sut que devant lui la mort se tenait.
Tout en lui tordant le bras, Damian lui asséna un premier coup de poing, puis un second et encore un autre qui, chaque fois, claquèrent sur son visage et le déformèrent plus. L’homme, devant lui, n’essaya pas de se défendre. Sa volonté, son envie de se battre, s’était évaporée. Il n’y avait plus rien en lui. Plus une pensée, plus une envie. Plus rien. Il n’était plus qu’une enveloppe vide qui attendait de mourir. Damian le frappait et le frappait encore. Chacun de ses coups était plus violent que le précédent. Le visage de l’homme devenait de plus en plus difforme. Il rougissait du sang lui sortait du nez, de la bouche. Ses lèvres se déchirèrent. Ses yeux étaient tellement gonflés que l’on n’en distinguait plus les paupières. Et Damian continuait de le frapper.
L’homme était à genou devant lui. Damian qui respirait comme un bœuf s’arrêta quelques secondes, le regarda. Son visage, son odeur attisèrent plus encore sa haine. Il lui envoya un coup de genou en plein visage. Son nez le heurta et craqua si fort que Carole en ferma les yeux. Elle devait l’empêcher de continuer. Elle voulut l’en empêcher quand l’homme masqué la retint. Elle ne le devait pas. Elle ne devait pas intervenir. Cet homme était de toute façon déjà mort. Et dans cet état Damian risquait, malgré lui, de se retourner contre elle. Carole y renonça alors. Mais de le voir comme ça, de voir cet aspect de lui qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’aurait jamais imaginé, la terrifia d’une façon qu’elle n’aurait pu concevoir quelques minutes plus tôt.
Damian ramassa cet homme à demi-allongé sur ses genoux, le tira par le col de sa veste arrachée. Il se débattit à peine. Il le traina alors jusqu’à l’ombre allongée sur le sol. Là, Damian s’accroupit à ses côtés, lui releva la tête le tenant par ses cheveux. Il l’obligea à la regarder. Regarder ce qu’il avait fait s’il le pouvait encore.
Puis, il le regarda et sans un mot, se releva. Il le traina de nouveau vers l’une des poutres métalliques. L’homme ne bougeait pratiquement plus. Damian lui posa la tête sur le pourtour en béton de cette poutre, s’accroupit à ses côtés.
– « Il n’y aura aucune fée pour venir te border. Aucun lutin pour venir te faire un câlin. Il n’y a pas plus de monstre dans le placard qu’il y en a dans le noir. Ô mon grand, la peur, pourtant, te fait claquer des dents. Attention. Fais attention. Si la petite souris t’entend, elle te prendra toutes…» lui murmura Damian « tes putains de dents ».
D’un coup sec, froid, brutal, il lui fit ouvrir la bouche. D’un coup, il coinça sa bouche grande ouverte sur le pied en béton de cette poutre. L’homme comprit ce qu’il allait faire. Il se mit à hurler. Il se débattit de toutes les forces qui lui restaient. Mais Damian le tenait fermement, sûrement. Il le frappa d’un coup de poing à l’arrière de la tête. Ses dents crissèrent contre le béton, du sang commença à suinter à la commissure de ses lèvres. Damian le frappa encore, encore et encore. Ses dents craquèrent. Ses lèvres s’arrachèrent, laissèrent s’écouler son sang. Et il le frappa encore et encore. Déchaîné, bestial, mortel.
Tout à coup, Damian se redressa, se releva du sol où il était accroupi, regarda cet homme qui ne bougeait pratiquement plus. D’un coup, comme s’il essayait de lui écraser la nuque, il le frappa d’un coup de pied si violent que les dents de cet homme se brisèrent contre le béton de la poutre. Il hurla. Son sang jaillit de sa bouche, ruissela sous lui comme la pisse entre ses jambes. Damian le releva par le col de sa veste qui s’arracha. Son téléphone tomba de sa poche.
Il n’avait plus de visage. Il était complètement déformé, enflé, boursoufflé, bleui, rougi. Il n’avait plus rien d’humain. Damian le plaqua alors contre la poutre, regarda sa cravate, la desserra de son cou, la fit tourner. Un coup de feu retentit. L’arrière de la tête de l’homme en costume éclata. Du sang fut projeté sur le visage de Damian qui se retourna d‘un coup.
– « Ça suffit ! » lui dit alors l’homme masqué brandissant son arme encore fumante devant lui.