Conte 7 : Le Retour de la Reine – 2ème partie

6 mins

Comme bien souvent, ce jour-là, Amanda avait décidé de partir à l’aventure avec Pâquerette. Elle s’était préparée un sac avec des sandwichs, surtout, ses petits gâteaux…et surtout ses saletés de gâteaux secs autrement elle gueule mais elle gueule comme c’est pas permis…et c’est toujours sur moi qu’elle gueule…euh…oui je vous laisse lire tranquillement et j’arrête de me plaindre…c’est juste que j’aurai préféré avoir un chien certains jours…, de l’eau pour elle et sa grosse vache de copine et une dizaine d’euros pour se payer un bon gâteau à la pâtisserie ou un truc du genre si elle en avait envie. Elles partirent se promener dans les rues du village, aux alentours, dans les champs, la forêt.

Vers les midis, elles se trouvèrent un joli petit coin ombragé pour manger et se reposer un peu. Puis, elles poussèrent jusqu’au village d’à côté, histoire de changer un peu, de passer par les ruelles et les chemins qu’elles n’avaient pas encore empruntées.

L’heure du goûter arrivait et Amanda était de plus en plus tentée par cette alléchante patte d’ours qu’elle s’était achetée à la boulangerie. Elle décida de s’arrêter à la lisière de la forêt et engloutit cette bonne pâtisserie en quelques bouchées.

Attendant de digérer, elle profita du beau soleil et discuta avec Pâquerette de tout et de rien. Comme souvent, Amanda se confia à elle sur ce qu’elle ressentait depuis pas mal de temps maintenant. Ce manque, cette sensation de vide plus présente certains jours que d’autres mais qui était toujours là en elle. Cette tristesse aussi. Et tandis qu’elle lui parlait, elle serrait dans sa main ce pendentif monté sur cette chaine en or qui n’avait jamais quitté son cou toutes ces années.

Elle lui manquait tous les jours. Elle lui en voulait bien sûr. Mais aujourd’hui le manque était plus fort que la rancune ou la colère. Et il le serait toujours d’après elle. Elle prit alors son vieux portable, rafistolé de partout, et commença à regarder les quelques photos qu’elle avait d’elle.

Elles restèrent là encore un petit bout de temps, à ne rien faire d’autre que profiter du beau soleil. Il faisait bon. Il y avait cette agréable sensation de fraîcheur qui venait de la forêt, pas un bruit. Seulement quelques gazouillis d’oiseaux, quelques bourdonnements d’insectes et Pâquerette avait l’air de bien aimer l’herbe qui poussait là.

Mais bien vite, déjà, l’heure du retour arriva, Amanda se dit qu’elles reviendraient ici toutes les deux. Elle aimait bien cet endroit, elle s’y sentait bien. Après avoir pris soin de ramasser le papier de sa pâtisserie, sa bouteille d’eau et tout ce qu’elle aurait pu laisser trainer là, elles se remirent en route.

Longeant la forêt, Amanda remarqua un petit chemin de terre et de cailloux qu’elles n’avaient jamais emprunté. Elle décida alors de le prendre pour voir où il menait. Elles s’y enfoncèrent toutes les deux.

Elles y marchèrent un bon bout de temps sans apercevoir la moindre personne ni percevoir le moindre bruit. Soudain, la forêt commença à s’éclaircir et elles arrivèrent en vue d’une ferme. Le chemin y conduisait et s’y arrêtait. Amanda ne s’en approcha pas. Elle regarda seulement autour d’elle essayant de trouver un passage pour ne pas avoir à refaire chemin inverse. Mais visiblement, il n’y en avait pas. Elle en trouverait peut-être un la prochaine fois. Pour le moment, il commençait à se faire tard et elles avaient encore un bon bout de route à faire pour rentrer à la maison.

Amanda allait faire demi-tour, lorsque machinalement son regard fut attiré par une fine silhouette en combinaison de travail verte qui venait de derrière la bâtisse principale de cette ferme. Son regard alors se figea. Tout à coup, elle sentit son cœur s’emballer, ses mains, son corps se mettre à trembler. D’un coup, elle fut comme prise d’une envie de crier, d’hurler, de pleurer. Elle fut comme aspirée dans un tourbillon qui engloutissait tout autour d’elle comme tout ce qu’elle avait cru ou imaginé. Elle avait l’impression qu’elle ne comprenait pas ce qu’elle voyait. Elle eut alors le réflexe de sortir son portable et de prendre une photo.

Comme si elle avait senti sa présence, cette fine silhouette se retourna vers la forêt mais n’y vit que la pénombre des arbres. Amanda, alors, s’enfuît tirant derrière elle, cette pauvre Pâquerette.

Elle se mit à courir, à courir de plus en plus vite, aussi vite qu’elle le pouvait. Pâquerette avait dû mal à la suivre. Amanda courut et courut encore sentant cette douleur, cette souffrance en elle, cette cicatrice qui ne l’avait jamais quittée s’ouvrir de nouveau. Tandis qu‘elle courait, elle sentit les larmes couler sur ses joues, son souffle devenir de plus en plus court et saccadé. Elle aurait voulu hurler, crier, s’arrêter pour pleurer mais elle ne le pouvait pas. Elle ne le pouvait pas. Il fallait à tout prix qu’elle rentre chez elle, auprès de son père, qu’elle lui dise. Il le fallait. Il devait le savoir. Elle devait lui dire tout de suite !

Damian, ce soir-là, était rentré plus tôt. Il s’était douché, rasé. Il avait remisé son portable et les habits d’infirmier libéral qui lui étaient liés. Il n’aurait plus à les enfiler durant la bonne quinzaine de jours qui arrivaient. Pour fêter ça, il s’était senti de faire un barbecue pour lui et sa, désormais, grande fille. Il avait donc acheté tout ce qu’il fallait : quelques bonnes petites saucisses épicées, quelques bonnes petites côtelettes à la sauce piquante et s’était même laissé tenter par quelques bonnes brochettes qui passeraient toutes seules. Il avait préparé une bonne salade de belles tomates bien vinaigrées. Il était en train d’installer son barbecue et d’y verser le charbon de bois quand il entendit cette voix stridente hurler :

– « Papaaaaaaaaaa ! Papaaaaaaa ! »

Aussi fort qu’une vache meuglait, comme les putains de sirène d’alarme du Gondor :

– « Meuuuuuuuuuh ! Meuuuuuuuuuh ! »

Damian ferma alors les yeux, souffla, soupira et se mordit les lèvres. Quelle connerie elle avait bien pu faire pour gueuler de cette façon !…vous remarquerez que je n’ai rien dit. J’aurai pu. Mais je n’ai rien dit…je voulais juste vous le faire remarquer, c’est tout ! Mais je voulais déjà dit moi aussi j’existe…c’est tout…voilà…voilà…surtout me demandez pas ce que j’aurai dit…non…c’est méchant ce que vous dites en plus de ce vous pensez !

Qu’est-ce qu’elle allait, encore, lui ramener cette fois : un éléphant au cerveau lent et non volant ? Un chameau portant un chapeau et adepte du jeu de go ? Un hippopotame champion de slam à la recherche de sa grosse femme ? Quoi encore ?

Plus elle se rapprochait, plus les cris et les meuglements devinrent fort, plus Damian était tenté de se mettre à courir très vite et surtout très, très loin ou d’utiliser le couteau qu’il avait dans les mains pour s’ouvrir les veines.

Mais cela n’aurait rien changé. Elle l’aurait poursuivi jusqu’aux confins de la Terre et même jusqu’aux enfers. Alors il attendit là devant ce barbecue entendant ces :

– « Papaaaaaaa ! Papaaaaaaa ! ».

Et ces :

– « Meuuuuuuh ! Meuuuuuuh ! »

Et ces :

– « Papaaaaaaaaa ! Meuuuuuuuh ! Papaaaaaaaa ! Meuuuuuuuuh ! Papaaaaaa ! Meuuuuuuh ! ».

Euh…nan je dis rien. Plus rien !

Enfin, elles arrivèrent, jaillirent dans la cour intérieure de ce corps de ferme, meuglant et beuglant autant l’une que l’autre et aussi fort qu’elles le pouvaient. Damian prit alors une grande respiration et se tourna vers elles.

Mais son regard changea lorsqu’il vit l’état d’Amanda. Elle était en nage, ses joues étaient rouges et noircies. Elle pleurait et hurlait aussi fort que sa poitrine se soulevait et qu’elle peinait à respirer. Et cette pauvre Pâquerette était, elle, à bout de souffle. Elle se dirigea alors vers son box et s’y laissa tomber comme la grosse vache qu’elle était.

Damian, aussitôt, se dirigea vers la jeune fille, la fit s’asseoir, lui donna à boire. Elle ne cessait de parler mais ce qu’elle disait n’avait aucun sens. Elle mélangeait tout. Damian, alors, sentit son cœur de père s’emballer, le stress l’envahir. Elle était complètement retournée, paniquée, à l’ouest.

Il essaya de la calmer, lui dit de respirer doucement, d’attendre un peu avant d’essayer de parler, de reprendre sa respiration.

Au bout de quelques minutes, Amanda commença à se calmer. Mais le regard qu’elle avait, il ne lui avait vu qu’une seule fois. Il lui donna, encore, à boire, essaya de la rassurer. Mais que lui dire ? Il ne savait pas de quoi il s’agissait.

Enfin, Amanda recouvra une respiration plus normale et recommença à lui parler. Elle lui expliqua qu’elles se promenaient, qu’elle avait acheté un gâteau et qu’elle l’avait mangé et puis qu’elle l’avait vue. Elle l’avait vue. Mais pas elle. Elle ne l’avait pas vue, elle. Mais elle si, elle l’avait vue. Là, devant elle, comme elle le voyait lui.

– « T’as vu qui ? 

Belinda ! Je l’ai vue, Papa ! J’arrête pas de te le dire !…[Damian eut un moment d’absence, comme si son disjoncteur interne avait sauté à la suite d’une hausse brutale de tension]…Regarde ! Mais regarde ! » insista-t-elle en lui tendant son vieux portable.

Damian le prit et se figea de la voir sur cette photo. C’était bien elle. Il n’y avait aucun doute.

Et alors qu’il ne pouvait s’empêcher de regarder cette silhouette sur cette photo, d’un coup, Amanda renvoya, comme un geyser, la patte d’ours qu’elle avait engloutie quelques dizaines de minutes plus tôt.

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