Conte 7 : Le Retour de la Reine – 4ème Partie

6 mins

Après plusieurs minutes à échanger des banalités, avec ce mec très aimable, sur le temps de ces derniers jours et les fromages en général. Après en avoir acheté quelques-uns et quelques-uns de ces bons légumes qui finiraient la poubelle. Après les avoir payés. Ils discutèrent encore une bonne dizaine de minutes de la désertification médicale de nos pauvres campagnes, des récoltes plus difficiles, du manque d’eau ou du changement climatique. Des banalités auxquelles Belinda semblait extérieure. Ses yeux fixaient le sol même si parfois ils se risquaient, furtivement, vers Amanda qui arborait ce regard de Gremlins inquisiteur qu’elle avait, encore, parfois, lorsqu’elle était en colère ou stressée. Jamais elle ne baissa les yeux ni devant elle encore moins devant cet homme.

Avant de prendre congés, Damian leur dit que s’ils avaient besoin de masques, de gel hydroalcoolique ou de quoi que ce soit d’autres, ils pouvaient passer au cabinet ou lui passer un coup de fil. Quand il ferait sa tournée, il viendrait les leurs déposer. Puis, il tendit à cet homme qui le dépassait de deux bonnes têtes sa carte qui l’en remercia toujours bien aimablement et de plus en plus amicalement.

Après les avoir salués, ils s’en allèrent. Là encore, ni Amanda ni lui ne se retournèrent ou n’échangèrent le moindre mot avant d’être revenus à la voiture.

Là, Damian eut besoin de quelques minutes pour reprendre sa respiration. Amanda le regarda. Jamais, quelques minutes plus tôt, elle n’aurait pu imaginer qu’il était touché de la revoir, qu’il en était affecté. A la façon dont il avait parlé avec cet homme ou s’était comporté, cela ne s’était pas vu. Et si, elle, elle ne l’avait pas vu alors personne n’aurait pu le remarquer. Mais maintenant elle le voyait affecté comme rarement elle l’avait vu affecté. Elle posa alors sa main sur la sienne. Il la regarda.

– « Tu vas bien ?  lui demanda-t-elle avec cette fragilité dans la voix et cette souffrance dans son regard

Faudra bien…et toi ? ». Elle souleva les épaules.

Sur la route du retour, aucun d’eux n’échangea le moindre mot. Encore. Ils étaient enfermés dans leurs pensées. Chacun dans son coin. Chacun dans sa tête. Damian savait aujourd’hui que tout était fini, que cet espoir qu’il avait nourri ces quatre dernières années s’évaporait. Il n’y en avait plus aucun, désormais, de retrouver cette vie avec elle. Et cela lui était aussi douloureux que le jour où elle était partie. Cela n’avait jamais cessé de l’être. Et ça ne cesserait jamais de l’être. Il devrait désormais faire sans comme il avait fait avec, ces dernières années. Putain de vie de merde ! Ce n’était pas possible quand même ! Comment elle avait pu se mettre avec cet Homer Simpson version chameau et dromadaire. C’était pas possible ! Ça lui retournait le bide tout ça. C’était fini. Terminé ! Fini ! Mais putain, comment elle avait pu les laisser tomber pour finir comme ça ! Version belle des champs à traître des moutons ! Jamais il ne l’aurait imaginée comme ça. Là, dans une vie comme ça. Ça ne lui allait pas. Ce n’était pas une vie pour elle. Elle méritait mieux que ça. Tellement mieux. Tellement mieux qu’un génie de la lampe version Gargantua de chez Pantagruel. Putain de vie de merde ! Tout ça, ça allait le rendre malade s’il ne faisait pas attention. Il risquait, même, encore une fois faire des conneries. Pas cette fois ! Hors de questions ! Il devait penser à sa fille, il devait penser à Amanda, cette fois. Elle, lui, eux tous, c’était terminé ! Elle avait fait son choix ! Salope ! Qu’elle aille se faire foutre ! Qu’ils aillent tous se foutre ! Bande de cons, va ! Il aurait tellement voulu qu’elle soit là. Et elle était là à quelques kilomètres, tellement proche de lui que c’en était que plus douloureux. Tellement plus douloureux que si elle avait été aux confins du monde.

Amanda, elle, avait espéré que cela se passe différemment. En même temps, elle était tellement différente de la Nineda dont elle se souvenait. Elle avait tellement changé, maigri. Ce n’était plus elle. Belinda avait certainement quelque chose pour être aussi maigre que ça. Elle n’avait même pas eu un regard pour elle. Pas ce regard qu’elle espérait. Elle ne lui avait même pas dit bonjour. Elle ne lui avait même pas adressé la parole pour lui demander si ça allait.

Elle, elle avait dix mille questions à lui poser, dix mille choses à lui demander et à lui dire. Et elle n’avait pas pu. Et elle ne le pourrait peut-être plus jamais. Elle n’avait pas pu ouvrir la bouche. Elle avait cru, espéré que cela se passe différemment. La Belinda qu’elle avait connue n’existait plus. Plus jamais elle ne la reverrait. Et pourquoi elle ne lui avait pas dit bonjour ! Elle aurait bien pu ! Rien ne l’en empêchait. Elle n’avait jamais dû l’aimer. Elle avait dû se moquer d’eux. Mais pourquoi ? Et pourquoi est-ce qu’elle était partie comme ça ? Pourquoi est-ce qu’elle l’avait abandonnée de cette manière-là ?

Les larmes commencèrent à couler sur son visage. Damian la regarda, arrêta la voiture sur le bas côté et la prit dans ses bras.

– « Te rends pas malade pour ça, Princesse. Je sais bien que c’est difficile et que ça fait mal…mais…dis-toi que…c’est comme ça. Elle a fait son choix. On doit faire le nôtre maintenant…on ne peut pas continuer à l’attendre et à espérer. C’est terminé elle a refait sa vie, on doit faire la nôtre. Toi surtout, tu dois faire la tienne…sans elle…[Amanda se mit à pleurer à grosses larmes se serrant contre lui. Il pinça alors les lèvres car ce qu’il allait lui dire ne l’enchantait pas plus que ça]…écoute…quand tu seras prête, si tu as quelque chose à lui dire, écris-lui un mot ou retourne la voir pour lui dire ce que tu as sur le cœur…moi…je n’y retournerai plus…c’est terminé…je…je peux pas, je peux pas…ok ? 

Ok ».

Le soir venu, Belinda était derrière ses fourneaux en train de préparer le repas. Son mari lisait le journal assis à la table de cuisine. Buvant paisiblement un thé, il attendait qu’elle ne vienne le servir. Machinalement, il la regarda. Elle avait l’air d’être absente, absorbée par le faitout devant elle. Il se leva et se dirigea vers elle, pour venir se coller contre elle.

– « Tu as l’air bien loin ce soir…[elle ne lui répondit, le regarda seulement et esquissa un sourire]…c’est d’avoir vu cet homme et sa fille qui…te perturbent…[il caressa alors son front, ses longs cheveux noirs, sa joue, ses lèvres. D’un coup, il enfonça sa main dans son pantalon, entre ses jambes]…il te fait de l’effet, on dirait…huuuuum…beaucoup d’effet ».

Il la tira par le bras, la plaqua bras et jambes écartés sur cette table. Elle le laissa faire. Brutal, il la prit. Elle sentait sa tête, son visage, sa joue en racler le bois à chacun de ses assauts. Elle sentait l’odeur du papier journal posé à quelques centimètres d’elle, de la tasse thé devant son visage, du produit avec lequel elle la briquait. Et pourtant, elle n’était pas là. Elle était ailleurs. Là où elle allait toujours. Là où elle se réfugiait, chaque fois, dans cette sorte de rêve éveillé avec eux, avec lui jusqu’à ce que cela soit fini. Jusqu‘à ce qu’il en ait fini avec elle.

La soirée se passa comme beaucoup d’autres avant celle-là sauf qu’aujourd’hui ils savaient tous les deux qu’il n’y avait plus d’espoir de retrouver cette vie qu’ils avaient perdue. C’était si difficile à accepter. L’un comme l’autre avait toujours cru qu’elle reviendrait, qu’un jour ils la retrouveraient. Jamais ils n’avaient imaginé que cela se passerait comme ça. Qu’elle serait mariée à un mec qui n’avait pas l’air bien méchant, il fallait bien se l’avouer et qu’elle élèverait des bestioles en pleine cambrousse. Mais comme elle le lui avait dit un jour, c’était ce qu’elle avait toujours eu envie : reprendre la ferme de sa mère, la faire tourner avec son mari et y élever ses enfants comme elle y avait été élevée. Elle avait eu ce qu’elle voulait. Elle avait ce qu’elle voulait finalement. C’était tant mieux pour elle.

Damian avait l’impression d’être endeuillé encore une fois, de se sentir différent, plus encore à cet instant. Tout ça, c’était désormais derrière lui. Fini pour lui. Ça devait l’être pour Amanda, pour son bien. C’était elle qui comptait. Elle seule. Elle avait toute la vie devant elle. Et il fallait qu’elle soit belle. La sienne ne comptait plus, elle n’avait jamais vraiment compté se disait Damian. Mais il avait contribué à créer cette illusion que, peut-être, un jour Belinda reviendrait. Et cela n’avait fait que le faire souffrir lui et le plus grave cela avait fait et faisait, toujours, souffrir Amanda. Cela devait s’arrêter maintenant. Belinda avait fait son choix.

Leur nuit fut très longue. Ils ruminèrent, chacun allongé dans son lit. Et elle leur fut très longue cette nuit-là.

Amanda en passa une bonne partie à pleurer, seule, dans sa chambre, à repenser aux moments qu’elle avait passés avec Belinda, qu’elles avaient passés ensemble. Quand elles allaient manger au resto toutes les deux, au cinéma ou à la danse. Quand elle lui avait fait percer les oreilles. Quand elles allaient faire les boutiques ou qu’elles jouaient ensemble, qu’elle lui lisait une histoire ou qu’elle lui faisait un câlin. Et quand elle lui disait « je t’aime » est-ce qu’elle lui mentait ? Est-ce qu’elle avait fait tout ça juste pour se passer le temps ? Est-ce qu’elle l’avait aimée réellement ? Il y avait tellement de choses qu’elle voulait lui dire, lui demander, savoir, comprendre. Elle n’avait passé qu’un peu plus de trois ans avec elle. Mais elle était sa mère, la seule véritable mère qu’elle ait réellement connue, la seule qu’elle ait aimée. Elle devait savoir pourquoi elle était partie. Il le fallait.

Amanda attendit et attendit encore. Mille et une questions, mille et une suppositions lui passèrent dans la tête. Elle voulait savoir. Elle voulait lui parler, la voir, la regarder en face pour qu’elle lui explique. Il le lui fallait.

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