Conte 7 : Le Retour de la Reine – 9ème partie

9 mins

Une ombre blanche court dans une sombre forêt. Ses pas font craquer les feuilles mortes partout sur le sol. Des rires tout autour d’elle résonnent, ricochent contre les rochers recouverts de mousse, rebondissent sur le bois humide des arbres, voguent sur l’humidité du brouillard. Elle sent le froid. Elle sent cette humidité glaciale. Ces rires. Ils résonnent partout autour d’elle. Encore ces rires. Elle les entend. De plus en plus proches. Elle sent, elle entend sa propre respiration qui s’accélère. Elle sent cette étrange sensation l’envahir. Ces rires encore. Derrière elle. Elle se retourne. Quelque chose la touche. Une fine main à la peau blanche l’attire. Tout autour d’elle se met à tourner, le ciel gris, les arbres, les rochers, le sol recouvert de feuilles mortes qui semblent se mouvoir seules, ces rires. Tout tourne de plus en plus vite. Elle se sent prise de vertiges. Elle se sent sombrer. Elle se sent plonger dans l’obscurité qui, brusquement, envahit tout.

Tout est désormais sombre autour d’elle. Il n’y a pas la moindre lumière, pas le moindre bruit, pas le moindre souffle d’air. Rien. Rien d’autre que le noir total, absolu. Rien d’autre que cette sensation de froid glacial. Cette sensation d’être observée, surveillée, qu’il y a quelqu’un caché, là, quelque part, dans les ténèbres. Quelqu’un qui la guette, quelqu’un, là. Partout. Derrière. A droite. Derrière encore. Des bruissements. Des craquements. Partout.

Soudain, une petite et frêle ombre blanche auréolée dans un fin halo blanc se dresse devant elle. Elle ne la regarde pas. Elle ne lève pas le visage vers elle. Elle sanglote. Elle pleure. Elle a froid. Ses longs cheveux sont trempés. Sa peau incroyablement blanche est zébrée d’eau bouseuse gelée. Sa longue robe blanche est, elle, immaculée. Ses pieds, menus, sont recouverts de glaise séchée et de morceaux de feuilles mortes. Elle entend, comme un écho, sa propre voix lui dire :

– « Je suis là, n’aies pas peur, je suis là, je vais prendre soin de toi, n’aies pas peur, je vais prendre soin de toi… ».

La petite ombre blanche lève alors le visage vers elle. C’est Amanda. Elle la regarde, la prend dans ses bras. Elle lui caresse les cheveux, le visage. Sa peau est tellement froide, glacée. Elle la serre contre elle. Elle veut la réchauffer. Mais sa peau se couvre de gelée blanche, se craquelle. Le corps de la jeune fille devient si lourd, tellement lourd. Elle pèse de plus en plus sur elle. Elle ne peut la retenir.

Elle se retrouve à genoux sur un sol boueux et détrempé. Elle tient le corps d’Amanda dans ses bras. Elle croit qu’elle dort. Elle veut la réveiller. Mais elle ne se réveille pas. Elle lui caresse le visage, lui tapote les joues, sentant cette peur, cette souffrance, cette effroyable douleur grandir en elle. Mais elle ne se réveille pas. Sa peau incroyablement blanche s’effrite, craque, se déchire et s’arrache comme du papier à cigarette. La chair violacée de sa joue apparait et se désagrège de plus en plus. Des asticots s’en vomissent. Ils rampent sur son visage, entre dans son nez, roule sur sa langue. Ils la dévorent. Ses yeux s’ouvrent. Ils sont opaques. Elle lui attrape le visage. Du sang noir et visqueux lui ruissèle des yeux comme des larmes. Des insectes, des blattes, des vers, des coléoptères courent sur ses bras, déchirent sa peau, sa chair, rongent ses os.

Soudain, elle se dresse face à elle.

– « DEBOUT ! ».

Belinda s’éveilla en sursaut. Elle était allongée sur le sol de cette cave. L’odeur du bois humide, de moisi et de la peinture fraiche la prenaient à la gorge. Elle se mit à tousser.

Combien de temps avait-elle passé là ? Quelques minutes ? Des heures ? Elle était totalement incapable de le dire. Elle se releva du sol. Ses côtes, son visage, sa lèvre lui firent pousser un grognement de douleur. Ce n’était pas important.

– « Amanda… » réclama-t-elle « Amanda ».

Il fallait qu’elle sorte d’ici. Tout de suite. Elle se rua vers l’escalier, y grimpa pour foncer droit sur la porte en lattes de bois. Elle la frappa à coups de pied, la cogna à coups d’épaule, de plus en plus féroces. Mais cette porte refusa obstinément de s’ouvrir. Et elle ne céderait pas.

Belinda tomba alors à genoux. Elle était complètement, totalement incapable d’ouvrir cette connerie de porte. Elle avait cru protéger ceux qu’elle aimait toutes ces années. Mais elle n’avait fait que les fuir. Elle avait cru être à la hauteur. Elle s’était pensée forte alors qu’elle n’était qu’une salope, une petite fille fragile juste bonne à jouer avec son cul, une petite fille faible qui croyait être une femme. Elle n’était qu’une pauvre salope, en réalité. Et tout ça, elle le méritait. Elle aurait dû tout dire à Damian. Elle ne serait pas seule aujourd’hui, ils se seraient battus ensemble. Et à moins que lui aussi ne l’ait jetée comme une merde, elle ne serait pas là dans cette cave en train de chialer en attendant de se faire tringler par cette saloperie d’ordure. Et Amanda ne serait peut-être pas…

Comme par magie la porte de cette cave s’ouvrit alors. Elle leva ses yeux trempés de larmes.

– « Fais-moi à manger ! ».

Docilement, elle lui obéît. Elle n’était de toute façon plus bonne qu’à ça. Elle se leva, osant à peine le regarder. Elle passa à côté de lui. Il l’attrapa par le bras. Il renifla alors l’odeur de ses cheveux.

– « Après tu iras te doucher, tu pues ! ».

Elle sentit alors son cœur se mettre à battre, sa respiration s’accélérer. Elle avait envie de le tuer, de lui arracher ses yeux et de les lui faire bouffer, comme ses couilles, le peu qu’il en avait. Alors qu’elle se dirigeait vers sa gazinière pour y préparer le souper, à chacun de ses pas, elle sentit la colère naître en elle, grandir, devenir rage et haine.

Elle attrapa un couteau, quelques légumes qu’elle posa sur la planche à découper du plan de travail, les débita en morceaux.

Elle sentait cette rage courir en elle, dans chaque pore dans sa peau, dans chacune de ses veines, dans chacune de ses expirations, dans chacune de ses inspirations, dans chacun de ses battements de cœur, dans chaque clignement de ses paupières. Elle voulait le voir mort. Il devait crever cette pourriture de merde. Elle voulait le voir dégueuler son putain de sang par sa putain de gueule grande ouverte. Elle aurait tellement voulu lui ouvrir le bide et que ses putains de tripes en jaillissent. Elle aurait tellement voulu enfoncer ses doigts dans ses saloperies d’yeux jusqu’à son putain de cerveau. Elle aurait voulu l’entendre hurler, supplier, le voir se pisser dessus ce sans-couille de merde. S’il avait fait quelque chose à Amanda, Damian le lui ferait payer. Il le ferait crever en hurlant. Elle ne serait peut-être plus là pour le voir. Mais elle pouvait encore lui donner un coup de main.

Et alors que toutes ces pensées l’assaillaient, tout à coup, elle sursauta. Elle sentit sa main sur la sienne qui l’empêchait de faire claquer la lame de couteau sur le bois de la planche à découper. Elle le sentit se coller à elle. Sa chaleur la répugnait comme jamais. Elle sentit alors son sexe durcir contre ses fesses. Il lui caressa les cheveux.

– « Sois plus douce…[il caressa ses longs cheveux noirs, en respira l’odeur]…réflexion faite, tu iras prendre une douche plus tard ».

D’un coup sauvage, violent, il lui tira les cheveux, lui bascula la tête en arrière. Il commença alors à lui lécher le cou. Cela la répugnait qu’il la touche, son odeur, son haleine, sa queue. D’un coup, il l’embrassa, enfonça sa langue dans sa bouche. Tout à coup, il ouvrit grand les yeux, se recula, hurla. Elle tenait sa lèvre inférieure entre ses dents, serrant à se les casser. Il s’arracha à son emprise.

– « Sale pute ! » hurla-t-il en se tenant la bouche, le sang ruisselant entre ses doigts.

Elle se jeta sur lui, brandit le couteau qu’elle tenait et l’abattit sur lui. Mais il bloqua sa main, l’attrapa à la gorge, serra si fort, qu’elle n’eut plus d’air, la souleva du sol pour la claquer contre les éléments de cuisine. Sa tête heurta le bois de ces meubles si fort qu’elle eut l’impression d’être, tout à coup, en train de flotter dans une sorte de nasse ouatée. Il arracha alors le couteau de sa main, claqua sa tête contre le bois de ces meubles. Encore et encore. Elle entendait les coups sourds que sa tête provoquait en percutant le bois. Elle sentait la douleur de cette main qui se serrait sur sa gorge. Et elle n’avait qu’une idée en tête lui faire mal, très mal pour que lorsque Damian viendrait, il puisse l’éliminer comme une merde. Tout à coup, elle revint à cette réalité, attrapa une poêle, l’en frappa de toutes ses forces. Il eut le réflexe de se reculer. Elle en profita pour se dégager. Il la rattrapa par le haut de sa combinaison de travail qui se déchira, la tira en arrière. Elle trébucha, tomba. Aussitôt, il lui grimpa dessus à califourchon et commença à la frapper comme un possédé bavant écume et rage. La fureur s’était emparée de lui. Elle le guidait, le maniait. Il lui donna libre cours. Il la frappa encore et encore, le visage, dans les côtes, le ventre, le sexe, la poitrine, sans arrêt, sans cesse. Comme un fou furieux. Tout à coup, alors qu’il armait son bras, elle lui attrapa les couilles. D’un coup, elle serra, tira aussi fort qu’elle le pouvait. Il hurla. Elle se dégagea en le repoussant d’un coup de pied dans la poitrine. Il tomba en arrière. Elle se sauva. Elle se mit à courir vers sa porte d’entrée pour s’enfuir. Il se lança à sa poursuite, la rattrapa, la chargea, la coinça contre l’un des murs du salon bousculant les vieux fauteuils à l’armature en bois, la vieille télé à tube cathodique, le lampadaire dont l’ampoule sauta. Il plaça son avant-bras sur sa gorge et appuya. Elle, elle le frappait aussi fort qu’elle le pouvait mais ses coups n’avait pas suffisamment de force. Puis tandis qu’il pressait de plus en plus fort sur sa gorge avec son avant-bras, il commença à lui donner des coups de coude dans la tête, dans l’œil. Elle hurla, se débattit essayant d’attraper ce qu’elle pouvait. Mais elle n’avait plus d’air. Sa vision commençait à se brouiller. Ses doigts commencèrent à lécher, toucher un bibelot en verre. Elle essaya de le prendre, de s’en saisir alors que lui pressait de plus en plus sur sa gorge. Cette fois, il allait la tuer. Sa fureur, sa sauvagerie, sa violence n’avait plus de limites. Il voulait la tuer. Elle peinait à refermer ses doigts sur cette babiole. Dans un effort qui lui sembla démesuré, elle parvint à s’en saisir. Aussitôt, elle l’en frappa au crane. Le brimborion cassa sous la violence du coup. Il hurla, la lâcha une fois de plus. Elle tomba à genoux sur le sol. Aussitôt, comme si sa tête n’avait plus été qu’un vulgaire ballon, il la frappa d’un coup de pied. Elle sentit alors l’odeur de sa chaussure de sécurité, le cuir érafler et brûler sa joue, le plastique de sa semelle venir lui percuter le visage. Elle sentit ses mâchoires se claquer l’une contre l’autre, ses dents s’entrechoquer. Elle sentit sa tête partir sur le côté, se retourner, ses cervicales craquer. Sa bouche heurta le montant de la table basse. Elle sentit alors le sang en jaillir et couler dans sa gorge. Elle s’écroula, le flan sur le sol. Lui s’avança vers elle, la bave à la bouche, respirant, soufflant comme un forcené. Il la ramassa par la ceinture de sa combinaison qui commença à s’arracher, la traina sur le sol. Elle se débattit comme elle le pouvait. Elle essaya de se raccrocher à ce qu’elle pouvait. Aux meubles, aux plinthes, au tapis. Sans vraiment savoir comment, elle réussit à attraper les outils de cheminée, la pelle, le balai lui échappèrent des mains. Elle serra alors le tisonnier dans sa main. D’un coup, sans vraiment savoir, sans vraiment en avoir conscience, Elle réussit à se retourner et frappa devant elle de toutes les forces qui lui restaient encore. Le destin, la chance, le hasard fit en sorte que ce tisonnier le percute au genou. Il hurla, s’écroula sur le sol. Elle sut à ce moment-là que c’était sa dernière chance de rester en vie, sa seule chance de lui faire suffisamment mal pour se sauver. Pour, au moins, aider Damian. Elle rassembla alors toutes ses forces pour se relever du sol alors que lui tentait d’en faire autant, grognant, prêt à la charger et l’écraser. Mais elle fut plus rapide que lui. Aussitôt, elle le frappa, une première fois, aussi fort qu’elle le pouvait. Le tisonnier s’abattit sur le côté de sa tête. Sa pointe lui arracha la joue. Le sang en jaillit alors laissant apercevoir ses dents. Il sentit sa tête vriller ses épaules. Sonné, il se tourna vers elle, la regarda. Ahuri mais toujours possédé par cette même idée, il essaya de se relever, le sang coulant de sa bouche, de sa joue. Elle frappa de nouveau. Son crane marqua le coup. Elle recommença. Il s’enfonça. Son corps s’affala, percuta le sol. Elle frappa encore et encore. Elle frappa jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.

Elle resta là au milieu de ce salon retourné, chamboulé. Seule sa respiration roque brisait le silence. Elle resta là, debout devant ce corps sans vie, sans bouger, un long moment. Tout à coup et alors qu’elle peinait à tenir sur ses jambes, par automatisme, elle se mit à marcher chancelante jusqu’à sa cuisine. Son regard était vide. Elle en était absente. Elle voyait les meubles retournés, brisés, cassés, sa cuisine retournée. Elle sentait son corps qui lui faisait mal, ses vêtements arrachés, le tisonnier dans sa main. Elle le lâcha. Elle n’était pas là. Elle n’était plus là. Elle savait ce qui venait de se passer mais, pour elle, c’était comme si rien n’était arrivé. Rien n’était vrai. Elle commença à ramasser les morceaux légumes qui jonchaient le sol.

Tout à coup, elle s’écroula d’un coup. Elle se recroquevilla sur elle-même. En une fraction de seconde, elle se retrouva submergée par la peur, une peur indescriptible, une terreur insurmontable. Tout son corps se mit alors à trembler. Ses membres furent pris de soubresauts incontrôlables. Elle n’arrivait plus à respirer. Elle sentait son cœur comme pris de battements erratiques. Tout à coup, elle se sentit faible, tellement faible comme si toutes les forces qu’elle n’avait jamais eues l’abandonnaient d’un seul coup. Comme si elle se vidait de sa vie, comme si elle s’en allait d’elle peu à peu. Doucement. Lentement. Elle se sentit partir. Elle voulait l’entendre. Elle voulait entendre sa voix. Elle voulait savoir s’ils allaient bien. Elle voulait savoir si elle allait bien. Elle voulait…elle voulait…elle voulait…avant de…

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