Caelestis

6 mins

Entre mon âme, mon corps et ma tête, c’est toujours cette dernière qui prend les décisions. Cette première qui me rend qui je suis. Ce corps, quant à lui, n’est qu’éphémère. Mais lequel connaît-il vraiment le doux goût de la liberté ?

PROLOGUE

Mes frères, mes sœurs et moi appréhendions avec angoisse ce jour qui nous pendait au nez. Cette fraction de seconde qui allait une fois de plus changer définitivement le cours de nos vies. Nous étions tous impuissants devant ce phénomène. Nommé « Caelestis », il alignait notre destin quelque part dans le temps sans que nous ne puissions intervenir. Depuis des décennies, nous réincarnions des vies humaines déjà existantes sur terre en prenant leurs apparences et leurs savoir-faire. Caelum est le nom que porte notre famille, ce qui signifie le ciel. Nos pouvoirs sont sans limites. Voici notre histoire

ROMA, le 26 juin 2015

10h30

Assise face au miroir de ma coiffeuse, j’observais ma sœur Éridan me coiffer. Le vinyle du grand Ray Charles tournait en boucle dans ma chambre. Cette fascination virait à l’obsession. La musique, était la plus belle œuvre que l’être humain ait composé. Moi-même professeure de musique, j’enseignais le violon aux élèves du conservatoire de Rome. Ma sœur Éridan chantonnait à mon oreille le refrain enchanteur de cette douce mélodie. Elle dégageait quelque chose de beau et de mystérieux, tant que que je peinais à l’accompagner et que j’en était submergée d’émotions. Je regardais la photo encadrée dans laquelle j’apparaissais aux cotés de Matteo, l’homme que j’allais épouser en ce jour. Je me souviens encore de la joie qui me transporta lorsqu’il sortit de sa poche le petit écrin de joailliers dans ce charmant petit restaurant au pied du Colisée. Mon cœur s’emballa lorsqu’il posa son genou à terre. Des larmes de joie jaillirent de mes yeux et sans la moindre hésitation, j’acceptai de devenir sienne.

Hélas, cela n’était pas sans conséquences. Consciente du risque qui planait au-dessus de ma tête, consciente que ce bonheur pouvait à tout moment s’évaporer en un seul battement d’aile. L’idée qu’un jour je disparaisse de sa vie alors que lui ne s’en apercevrait même pas. m’anéantissait. J’enviais à en agoniser Emma, la femme qui allait récupérer son corps et sa vie que je lui avais empruntés, il y a déjà six ans de cela, déjà,

Comment oublier ce jour ?

Ce jour, qui restera à tout jamais marqué au fer rouge au plus profond de mon âme. Je me souviens de cette décharge électrique qui parcourut mon corps, suivie de ce douloureux frisson qui ne m’était pas inconnu. Mes membres se figèrent lorsque je sentis mon âme se détacher de l’enveloppe charnelle qui m’hébergeait. Ma force et mes pouvoirs se décuplèrent et mon esprit fut propulsé dans un tourbillon d’images reproduisant les flashs- back des vies antérieures que j’avais possédées. Quelques secondes plus tard, j’ouvris les yeux. Aveuglée par la lumière d’un néon suspendu au plafond, je me retrouvai assise sur une chaise face à une vingtaine d’élèves, un archer et un violon à la main. Je venais de me réincarner en une professeure de musique laissant derrière moi Anna, l’adolescente de quinze ans reprendre possession de son corps et de sa vie. Une sonnerie résonna dans tout l’établissement. À mon grand soulagement celle-ci annonçait la fin du cours. Une fois que les élèves sortirent de la classe, je me retrouvai seule dans cet endroit inconnu que je devais quitter sans plus attendre. Mais je fus coupée dans mon élan par l’intrusion d’un jeune homme qui surgit sur le pas de la porte. C’est à ce moment-là, que j’aperçus Matteo pour la toute première fois. Il me lança un sourire et d’une démarche nonchalante, il entra dans la salle et s’approcha de moi envahissant mon espace. Il fut le premier à briser le silence déstabilisant qui flottait entre nous.

-Allora signorina Gentile ! Pronta per questa serata al cinema ?

Lança-t-il en replaçant derrière mon oreille, une mèche rebelle qui tombait sur mon visage.

Surprise par son geste et intimidée par cette proximité. Je ne pus m’empêcher d’éviter ce mouvement de recul sur ma chaise. Incapable de lui répondre, je me contentai de hocher la tête en guise de réponse. Sous ma poitrine, mon cœur tapait comme un fou et mille et une question traversèrent alors mon esprit.

Quel était le rôle de cet homme, dans la vie de cette femme ?

La réponse ne se fit guerre attendre. Sans crier gare, il m’arracha un baiser. Stupéfaite, folle de rage, j’ouvris la bouche pour protester mais ses lèvres se plaquèrent sur les miennes, me réduisant au silence.

Comment osait-t-il !

L’envie de l’éjecter à l’aide de mes pouvoirs contre le tableau ardoise me démangea, mais je fis appel à mon bon sens et à mon self-control pour lui éviter une fin douloureuse. De toute évidence, les liens qui unissaient cette femme et cet homme n’étaient pas amicaux. Aux dépens de ma volonté, il fallait que je me mette rapidement dans la peau de cette jeune “Mademoiselle Gentile”.

-J’ai fini ! S’exclama Éridan à travers le miroir, me sortant de ma rêverie. Par tous les cieux Orion, tu es magnifique ! Ça te plaît ?

-Oui, répondis-je. C’est parfait !

Elle ressentit de la nervosité dans le timbre de ma voix, Éridan fit mine de rien et se contenta de glisser délicatement une rose blanche dans le chignon réalisé par ses mains de fée.

-Voila ! Maintenant c’est parfait ! Affirma-t-telle, satisfaite de sa création avant de me laisser en tête à tête avec mon reflet.

Ma sœur pénétra dans le dressing et en sortit avec ma robe de mariée. Elle la portait telle une mère qui porte son nouveau-né, par peur de la froisser. Ma robe était d’un blanc immaculé, parsemée de quelques pierres qui lui donnait une touche d’éclat. Elle était légère et virevoltante comme un souffle de printemps. Depuis la fenêtre on entendait le rire des invités qui se trouvaient dans le jardin ou la cérémonie allait se dérouler. Le pasteur Giacomo, un ami proche des parents de Matteo, célébrerai notre union. Quelqu’un frappa à la porte de ma chambre, ce n’était que mon autre sœur Pégase, qui venait aux nouvelle.

-Je peux ? demanda-t-elle timidement en ne laissant apparaître que le bout de son nez.

-Entre ma sœur ! répondit Éridan qui se précipita à sa rencontre. Pégase et Éridan s’efforcèrent de ne laisser échapper aucunes larmes de leurs yeux bien trop humides.

-Tu es magnifique Orion ! murmura Pégase d’une voix émue en me remettant mon bouquet de mariée composé principalement de tulipes blanches.

Cette fleur symbolisait à elle seule tout l’ amour extrême, sincère et idéaliste en lequel je plaçais ma confiance dans l’espoir qu’elle illumine cette journée. Mes sœurs, quant à elles, resplendissaient dans leurs tenues identiques de couleurs mauves. C’est avec fierté qu’elles acceptèrent d’être mes demoiselles d’honneur. D’un pied maladroit, du haut de mes talons, je tournai sur moi-même devant mon miroir pour contempler la femme que j’étais devenue. Tout cela me semblait surréel, voire surréaliste, mais les cieux en avaient voulu ainsi. Aujourd’hui je me marierai. Excitée à l’idée, Pégase frappa dans ses mains pour me presser le pas.

-Le futur marié s’impatiente Orion !

-Ces chaussures sont trop serrées et ce talon est beaucoup trop haut ! me lamentai-je. Étais-ce un signe de peur que je tentais de cacher en plaidant l’excuse des chaussures ?

-C’est trop tard ! s’exclama Éridan me coupant dans ma réflexion. Je t’avais dit de les porter plus souvent ! Elle suivit mon regard fixé sur ma paire de ballerines blanches posées près du lit. Elle leva les yeux au ciel et me saisit par le bras, me traînant en dehors de ma chambre.

-Je suis déjà grande ! me plaignis-je. Enfin Emma l’est ! rectifiai-je avec ironie. Mes ballerines auraient fait l’affaire sous cette longue robe.

Trop d’émotions m’assaillaient. Il fallait absolument que je me recueille quelques instants, seule.

-Allez-y ! leur ordonnai-je, je vous retrouve en bas de l’escalier dans deux petites minutes.

Mes sœurs cédèrent à ma requête, et descendirent les marches, tandis que je regagnai ma chambre, bien loin d’imaginer que je les voyais pour la dernière fois dans leur corps de « Maria et Francesca » les femmes qu’elles réincarnaient. Une fois la porte refermée, je m’appuyai contre celle-ci. J’admirai le diamant qui scintillait à mon doigt, et je répétai à voix basse :

-Madame, Madame Emma Gentile Costa! J’allais épouser Matteo l’homme avec qui je partageais ma vie depuis six ans.

La réalité me rattrapa cruellement, au moment où je m’apprêtais à rejoindre l’homme que j’aimais. Un étrange frisson parcourut mon corps et de petits fourmillements longèrent ma colonne vertébrale. Je compris alors, avec désarroi et frayeur, que le moment que je redoutais tant se produisait. J’ôtai mes souliers, et déposai mon bouquet de fleurs sur le lit. Soudain, retentit depuis la fenêtre la marche nuptiale. Tous mes espoirs se brisèrent sur les notes de cette mélodie. Malédiction. Je me sentis maudite par les cieux. Je fus prise de spasmes nerveux qui m’empêchèrent de respirer normalement. Mon cœur lui, battait à foison sous ma poitrine, me créant une boule d’angoisse à la gorge. Avec difficulté, j’inspirai et expirai lentement, tentant de me maintenir sur pied pour ne pas m’effondrer. Cachée derrière les rideaux, le souffle saccadé, je ne pus retenir le flot de larmes qui s’écoula sur mon visage lorsque j’aperçus Matteo. Plus beau que jamais, élégant dans un smoking noir taillé sur mesures. Il se tenait debout aux côtés de ses parents. Le Pasteur Giacomo prit la bible sur le petit autel orné lui aussi de petites fleurs blanches et invita les témoins et l’assemblée à se lever afin d’accueillir la future mariée. À cet instant je pris conscience, que je ne deviendrais jamais « Signora Costa ». Je fermai les yeux, tandis que Matteo se languissait bien loin de se douter de ce qui tramait.

C’est sur les dernières notes du titre qui répondait au nom de « E lucevan le stelle » que mon esprit quitta le corps de Emma Gentile bientôt Costa.

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