L’écho

14 mins

– Comment tu vas ?

Neuf mois après, dans le calme ponctué par le bip-bip de l’électrocardiogramme, les mots résonnent de manière ironique, comme un souvenir d’un autre temps. Cet étrange bruit électronique, c’est en fait ce que l’on appelle un monitoring. C’est-à-dire que l’appareil posé derrière moi, juste au dessus de ma tête rend compte de l’activité électrique de mon cœur grâce à des patchs sur mon corps à des emplacements précis, mais également de mon pouls, de ma tension et de ma saturation en oxygène par l’intermédiaire d’un dispositif relié à mon pouce. Il paraît que je n’ai pas à m’inquiéter,  que je suis entre de bonnes mains. Et ce son, perçant, régulier, est là pour me le rappeler en permanence.

Étendue sur ce lit d’hôpital, j’ai mal dans le haut du dos et il m’est impossible de me tourner. Bref, là, dans l’immédiat, je sais que c’est idiot, mais l’impression qu’un camion m’a roulé dessus est la seule expression que je trouve adéquate pour décrire cet état. L’infirmière me rassure, c’est ce que tout le monde ressent après ce genre d’opération, je ne dois pas m’inquiéter. Enfin, avec le recul, je préfère tout de même ne pas imaginer ce qui resterait de mon corps après le passage réel d’un 38 tonnes.

Plus tard dans la nuit, j’aperçois les blouses blanches traverser régulièrement la pièce à pas feutrés, nous veillant toujours, les autres inconnus et moi. Nous sommes plongés dans le noir tandis qu’une lumière faiblarde leur permet de travailler dans un espace séparé, les yeux rivés sur les écrans de contrôle, prêt à intervenir si besoin j’imagine. Certains sont debout, d’autres sont assis. Je ne me souviens plus de combien ils étaient. Ils se relaient pour soulager les douleurs, parfois en vain et ce matin, c’est leur relève qui s’occupe de la toilette, refait les pansements, enlève les sondes… Les soignants font leur job, difficile et je fais le mien, facile. Je n’ai pas vraiment guéri de quoi que ce soit. J’ai quelque chose de particulier, un problème qui ne se voit pas, ne se ressent presque pas. Alors je fais ce que j’ai à faire. Je subis, j’écoute. Je patiente. Je ne vais pas dire pour autant que je n’ai jamais pesté contre certaines personnes. J’avoue, je suis comme tout le monde, enfin je crois.

Parfois, je prends quelques libertés avec les traitements qui me sont prescrits. Je sais qu’il ne faut pas, même si par ma formation scientifique, j’ai quelques bases qui me permettent de ne pas faire n’importe quoi non plus. Je réalise que ce n’est pas une excuse, mais je ne suis qu’un être humain après tout. J’ai mes qualités, mes défauts et somme toute, de prime abord, j’ai plutôt tendance à faire confiance.
Car quelque soit sa spécialité, le personnel médical a sa propre expérience, et moi la mienne. Certains ont réussi neuf ans d’études ou plus, et moi non. Cela ne doit pas être pour rien. Mais j’avoue, je suis plus rassurée quand on peut discuter, quand on m’explique. J’ai entendu trop longtemps que je devrais prendre des vitamines, que j’étais une petite nature et non, je ne crois pas que ce soit vrai. Je me suis souvent battue comme une lionne, j’y ai toujours cru même quand ça ne servait peut-être plus à rien. J’ai même cru en ceux qui ne croyaient pas ou plus, en eux sûrement plus qu’en moi-même. Alors non,  je n’aime pas qu’on me serve de la psychologie à deux balles. Peut être que c’est une question de génération aussi, je ne sais pas. Ce serait trop simple d’être déjà blasée à trente ans.

– Comment veux tu que j’aille ?!
Voilà ce que j’avais répondu quand la goutte d’eau avait fait déborder le vase. J’aurais voulu ajouter un « pauvre con » mais je crois que je me suis retenue. En fait, je n’en suis plus tout à fait sûre à présent. C’est si loin tout ça.
A l’époque, on venait de rendre les clés de l’appartement à notre bailleur. Bailleur qui croyait que nous déménagions pour plus grand et à qui j’ai dû expliquer que non. Non. C’était plutôt tout le contraire. On quittait ce duplex qui avait vu les hauts et les bas de notre amour, ces murs devenus impersonnels et blancs, blancs comme ceux de l’hôpital dans lequel je ne savais pas encore que j’allais séjourner.
Ce jour-là, le jour des clés, cela faisait un peu plus de deux mois qu’il m’avait quittée. Et après notre rupture, pendant quinze jours, nous avions dormi côte à côte, dans ce lit qui occupait presque la moitié de l’étage, mais comme deux étrangers. Parce que je n’avais nulle part où aller et parce que « ce n’est pas parce que c’est moi qui décide que c’est à moi de m’en aller ». J’avais cru devenir folle. Quinze jours où je m’étais sentie encore moins qu’une colocataire, encore moins qu’une plante, encore moins que rien. Il était maladroit. On n’avait pas su communiquer pendant notre relation et ça ne s’arrangeait pas après. On était deux poissons d’une espèce différente dans le même aquarium. De celles qui se martyrisent entre elles.

Je me sens coupable. C’est facile de lui jeter la pierre alors que j’ai ma part de responsabilité dans ce désastre. Je ne suis pas moche, je pourrais même être jolie peut-être. Mais ce n’est pas quelque chose que je considère d’une grande importance et en conséquence, j’ai toujours eu du mal à prendre soin de moi. C’est plus fort que moi, je me suis toujours fiée à mon instinct plus qu’aux apparences. Peut-être aussi parce que j’ai toujours imaginé que les autres valaient mieux. Quoi qu’il en soit, je n’avais jamais été celle qu’on regarde parce que je n’ai jamais rien fait pour. Alors le jour où lui, il a cru en moi, j’ai tout quitté. Par amour, parce que j’avais des idéaux, des illusions. J’étais jeune, idiote peut-être. Je devais faire mon apprentissage. Bref, j’ai voulu croire à un conte de fées… à rien d’autre. Et il en a été ainsi.

C’est tout moi ça, j’ai toujours voulu faire bien ou alors je n’ai jamais voulu faire de mal, à personne, prenez-le dans le sens que vous voudrez. Je m’en rends compte, j’ai tout raté. Je suis en définitive aussi imparfaite que lui. J’avais pourtant essayé de faire des efforts afin que les choses s’arrangent, et lui aussi. On le percevait, ce malaise entre nous, on tentait même de l’apprivoiser. Mais on était trop fiers et au fond de moi, cela faisait des mois que je pressentais que ça finirait comme ça.

Pourtant, la confrontation à la réalité de la séparation, c’était encore autre chose. J’étais désemparée et seule. Surtout. C’était ma hantise, l’isolement. Toutes les nuits, ce mal me rongeait. Jusqu’à l’épuisement. Et la journée, j’essayais de donner le change…
Jusqu’à l’instant où je me suis effondrée pour de bon, comme une lavette usagée, entre les éprouvettes et les bouteilles de produits chimiques. Il ne manquait plus qu’à m’évacuer comme un vulgaire déchet d’activité de soin à risque infectieux, comme on dit dans mon jargon. Et je crois qu’à ce moment là, je ne demandais que ça. Je ne me sentais bonne à rien, sauf dans ce travail où je m’appliquais. Alors ce n’était que justice de tomber au combat après tout.
Je n’attendais plus rien de la vie. Cependant, je n’ai jamais aimé l’idée de caresser la mort volontairement. Je ne me résolus toujours pas à lui faire ce plaisir. Le jour où elle voudra m’emporter, faudra qu’elle vienne me chercher, c’est comme ça. A un moment, il faut prendre une décision. La vie entière est faite de choix et de coïncidences.

Après ma syncope, alors que je me réveillais doucement, l’un des sauveteur-secouriste de mon boulot m’a demandé si je voulais prendre rendez-vous chez mon docteur ou être conduite à l’hôpital le plus proche par les pompiers. J’ai répondu qu’il fallait suivre la procédure. Je suis basique. Je ne voulais causer de tort à personne. Et puis de toute façon je n’avais pas de médecin traitant et j’avais besoin de repos. Mon corps était à bout de force, il le faisait savoir.

Une fois arrivée aux urgences, je me souviens avoir été prise en charge rapidement. Dans un premier temps, c’est une infirmière qui s’est occupée de moi, elle a vérifié mes constantes et on m’a questionné. J’ai précisé que ce genre de situations m’arrivait de temps en temps mais que contrairement aux autres fois, j’étais très fatiguée et j’avais mal à l’épaule gauche. Alors tandis que l’interne a continué son examen, consciencieusement, l’infirmière m’a fait une prise de sang.

Une amie m’a expliqué que c’est une fois tous les éléments connus que la décision a été prise de continuer les investigations, en accord avec le senior, en clair le référent du service mais également en demandant l’avis d’un spécialiste cardiologue. Ma tension devait probablement être un peu basse, mon pouls trop rapide et mon taux de d-dimères pouvait laisser suspecter une embolie pulmonaire ou une thrombose veineuse. Pourtant, la matinée a passé comme ça, sans affolement.

Et tranquillement installée dans mon lit, c’est ensuite aux alentours de quatorze heures que j’ai entendu à nouveau la voix de mon « apprenti médecin » dans le couloir, discutant entre deux portes avec ses collègues. Il n’avait pas déjeuné, il parcourait l’hôpital à la recherche de l’écho portative. C’était sa première et sans jeu de mots, on sentait à l’intonation de sa voix, à son entêtement que ça lui tenait à cœur de l’effectuer. D’être là, d’acquérir des connaissances. Alors quand il est revenu et demandé s’il pouvait rester dans la salle pendant l’examen, j’ai souri. Comment j’aurais pu lui refuser ?

Durant l’après-midi, d’autres analyses se sont succédées : radio thoracique, scanner… Je me sentais si pâle, je me sentais si mal. Mais sereine. Dix ans que j’étais à bout de souffle et je n’avais jamais eu autant d’examens en une seule journée. Je me laissais faire. Installée près de la porte, j’observais les va-et-vient, j’entendais parfois encore des voix dans le couloir. Et cette activité incessante du personnel contrastait avec la tranquillité qui m’enveloppait, malgré la probable présence d’autres patients dans les espaces adjacents, derrière le rideau sur ma droite. Je me sentais cependant bien loin d’un épisode de Docteur House ou Grey’s anatomy et je décidais en début d’après-midi de me plonger dans le livre que m’avait laissé la personne qui avait eu la gentillesse de m’accompagner ce jour-là. « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Venus » de John Gray. Un peu tard pour le coup et question psycho à deux balles, j’étais servie. Mais bizarrement, je trouvais tout ça un peu vrai. Enfin… ça avait surtout le mérite de me sortir un peu de là. Alors je l’ai lu en diagonale.
Dans un tel environnement, je tente de ne pas être une pensionnaire trop pénible. Je reste dans mon coin, je ne demande rien sauf si c’est réellement nécessaire. Je voulais me faire discrète, d’autant plus que je ne souffrais pas énormément physiquement. Je ne me sentais donc pas en droit de me plaindre de mes petits tracas. Je n’ai jamais eu besoin d’avoir ce courage que j’ai toujours admiré chez d’autres, cette capacité et cette humilité face à l’épreuve, face à la douleur, face à l’injustice de la maladie, face à l’inacceptable de manière générale. Dans tous les cas, je me suis toujours dit que si j’avais mon histoire, les autres avaient la leur. Que quelque part, on essaie peut-être tous de se protéger derrière une façade mais qu’on a notre propre fardeau à porter.

A la fin de la journée, les médecins sont arrivés à la même conclusion que moi : j’avais fait un malaise vagal. Rien de grave alors. C’est chouette, non ? Pourtant ils m’ont quand même gardée. La petite surprise que je n’avais pas prévue, c’était la communication inter-auriculaire de type II qui atteignait environ 2 cm. Pour moi, le vocabulaire était familier mais peut-être que de votre côté, vous auriez eu envie de leur répondre « késako ? » et vous n’auriez pas eu tort. Alors tentons d’expliquer cela simplement.
Le cœur est une pompe scindée en deux cotés, chacun lui-même composé d’un ventricule et d’une oreillette : le droit récupère le sang appauvri par nos besoins physiologiques et se contracte pour le renvoyer vers les poumons qui vont l’oxygéner à nouveau tandis que le gauche va accueillir le sang provenant des dits-poumons pour le renvoyer dans la circulation afin d’alimenter en dioxygène toutes les parties du corps. Il va de soit que les deux côtés ne sont pas censés entrer en relation, pour ne pas mélanger les sangs pauvres et riches en dioxygène. Mais dans certains cas, environ 0,7 pour mille naissances, le foramen ovale, ouverture entre les deux oreillettes qui permet une circulation particulière durant la vie embryonnaire et doit s’obstruer pendant les premières années de vie, ne se referme pas.
Vous l’avez peut-être déjà compris, c’est ce qui m’était arrivée et c’est ainsi que j’ai appris de la bouche de monsieur le Professeur que je rejoignais les 1% de personnes environ qui sont atteints de cardiopathies congénitales. Pour ma part, rien de grave a priori. Je vivais avec depuis toujours, nous cohabitions bon an, mal an et j’aurai pu l’ignorer… jusqu’à mon décès. Parce qu’à force de compenser une activité défaillante, le cœur droit s’était dilaté alors peut-être bien qu’à un moment il aurait fini par lâcher, allez savoir. En tout cas, en connaissance de cause, il fallait opérer.

Je devais patienter quelques mois avant de pouvoir bénéficier de l’intervention. En attendant, j’essayais de refaire ma vie. Refaire sa vie, quelle drôle d’expression. Comme si je pouvais défaire ce que j’avais déjà fait. Comme si je pouvais arranger ce qui m’avait dérangé… J’ai préféré l’accepter. Et continuer. Tant bien que mal.

Il me semblait que j’avais passé mon existence au second plan, à essayer de privilégier le plaisir des autres avant le mien. Alors à présent, j’avais l’impression d’avoir attendu quelque chose qui n’était jamais arrivé, l’impression de devoir tout reprendre à zéro. Non pas que je regrette mais je ne crois pas que ce mode de vie en l’état était celui qui me convienne. 

Pourtant, je crois que certains ont du mal à comprendre parfois. Que je ne regrette pas. Mon passé, mon départ d’un bout de la France pour un autre… Mon ex. Je ne lui en veux pas. Le fait de réaliser que j’étais faillible, que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain m’a remis les choses en perspective. J’ai aimé quelqu’un, j’ai aimé ce que nous avons vécu. Je n’avais pas envie de perdre du temps à lui en vouloir. Oui j’aurais préféré comprendre. Oui j’ai parfois pleuré pendant qu’il dormait, je pensais à l’avenir et  les larmes glissaient sur mes joues en silence. Mais on a eu aussi tellement de beaux moments. J’ai parfois cette chanson en tête, celle qu’il me jouait à la guitare. Les cordes résonnent encore mais maintenant, c’est moi qui tient le manche. Today is gonna be the day that they’re gonna throw it back to you.

Au mois de septembre, j’ai été admise à l’hôpital. Cela devait durer à peine 3 jours. Trois jours et je serai une autre. Trois jours et cette histoire serait derrière moi. Je ne serais plus essoufflée. Je ne serai plus fatiguée. Je pourrais vivre la vie à cent à l’heure.

Je me dis souvent que la vie ne tient pas à grand chose. Je me dis « et si le médecin du travail avait été sur place et que je n’avais pas été aux urgences pour mon malaise » «  et si j’avais décidé d’aller voir le médecin traitant de ma collègue au lieu d’aller aux urgences » «  et si mon médecin de famille avait vu dans mon dossier ce souffle au cœur notifié à surveiller par son prédécesseur » «  et si aux urgences, j’étais tombé sur un autre interne, moins passionné, moins rigoureux peut-être » « et si j’avais ouvert mon carnet de santé au bon moment et demandé ce qu’était cette maladie de Roger griffoné page 45 » « et si j’avais délaissé quelques heures mes cours de pharma pour aller faire l’écho qui m’avait été prescrite mais qui de la bouche même de la généraliste ne servait à rien… » Et si… Et si… Vous voyez, je ne jette la pierre à personne. Car il me semble que le plus important est que je suis encore là, pour le moment.

Il fait plutôt beau pour un mois de septembre. Si je me souviens bien, j’avais été admise la veille au soir et j’étais partie au bloc dans la matinée. Pas tellement stressée. Ce type d’opération s’appelle le cathétérisme cardiaque interventionnel. Sous anesthésie générale, par l’artère fémorale puis l’aorte, on fait passer une prothèse sous forme repliée qui se déploiera tel un parapluie seulement arrivée jusqu’au niveau du fameux foramen ovale afin de refermer ce trou qui nous dérange tant. Un parapluie pour me protéger de futurs problèmes de cœur, je trouve ça joli. Pas vous ?
Mais avant ça, le même jour, il faut vérifier le diamètre de la communication pour choisir la bonne taille de prothèse. Et cela se fait par échographie transoesophagienne, en gonflant un ballon qui permet la mesure au niveau du cœur. Tout cela est non invasif, cela veut dire qu’on ne va pas m’ouvrir mais simplement passer une canule au niveau du pli de l’aisne. Après l’opération, l’ouverture persistante se referme et avec le temps, du tissu conjonctif vient recouvrir ce qui ne sera plus qu’un vilain souvenir. Ça paraît simple. Ça l’est. En théorie. Et cette technique permet au patient de récupérer plus vite.

Ça m’arrangeait, car c’était pour moi la période des oraux. Et bien oui, souvenez-vous, j’essayais de refaire ma vie. Et pour ça, je cherchais un nouveau travail. J’avais donc passé des concours pour tenter d’avoir un poste de technicien ou d’assistante dans différents organismes de recherche, dans divers coins de France. En conséquence, c’est pas moins d’une dizaine d’entretiens ou d’oraux que j’ai passé et une cinquantaine de CV envoyés pour tenter d’avoir un poste statutaire, en clair un poste à durée indéterminée. A Grenoble, à Marseille… Mais cette année là, je n’ai pas décroché de poste. Pourtant, c’était mal me connaître que de penser que j’allais arrêter de m’accrocher.

Quand j’ai ouvert les yeux dans cette première salle de réveil, j’ai tout de suite senti que quelque chose n’allait pas. J’ai mis cela sur le compte du stress. Cela faisait déjà quelques temps que je ne croyais pas au succès de cette opération, une sorte de mauvais pressentiment. Je me suis dit que je me faisais des idées et j’ai décidé de demander à l’infirmière qui passait à proximité de mon lit plus de renseignements.
– Ca va, ça a été ?
Je me souviens encore de sa réponse sèche et sans appel.
– Non.
– Non?
Non. Ca n’avait pas fonctionné. L’ouverture dont le diamètre était estimé à 28 mm par échographie cardiaque traditionnelle et devait permettre le passage de la prothèse s’élevait finalement à 40,6 mm avec la nouvelle méthode de mesure. Et un « parapluie » de cette taille-là, ça n’existe pas. C’est trop grand pour être introduit par l’artère, malheureusement. Mais ça, je ne l’ai su que deux heures après, dans ma chambre quand le médecin est passé.
Car non, l’infirmière n’avait rien dit de plus, l’infirmière avait fait une bêtise, peut-être et elle m’avait laissé en proie à mes doutes. J’ai dû faire face à ma famille qui m’attendait et se réjouissait de me voir revenir, en forme. Alors que moi, je savais très bien ce qui m’attendait. Je savais que deux mois plus tard, vous alliez me retrouver ici, à tergiverser dans cette salle de réveil, revenant d’entre les morts. Car puisque la première intervention s’était soldée par un échec, il fallait passer à autre chose. Et cette autre chose, c’était l’opération à cœur ouvert. Ouvrir, se retrouver directement à la source du problème et recoudre les parois de ce cœur comme on reprise une vieille chaussette.

Ainsi, j’ai envie de vous dire à présent que le principe de la circulation extracorporelle porte en elle quelque chose de magique et d’inquiétant tout à la fois, surtout quand c’est vous qui êtes sur le billard. Pendant quelques minutes, je ne sais pas combien, on avait mis en place ce système mécanique, stoppé  aussi l’activité de mes poumons puis on avait rafistolé mon principal organe vital. C’est quelque chose qui ne s’oublie pas, même si avec le temps, la cicatrice qui s’étend sur ma poitrine est devenue presque invisible. Si, je vous assure, la balafre de 15 cm des débuts s’estompe peu à peu. Le chirurgien a fait un joli point de surjet, avec du fil résorbable. Ils sont peu à savoir le faire à ce qu’il paraît, en tout cas dans cet hôpital. Ou alors, mon chirurgien voulait se la péter ? Je ne crois pas non. Je préfère penser que j’ai eu à faire à un grand couturier, le plus grand même de tous les grands couturiers de cœurs brisés. Quelle chance…

J’ai peu à peu retrouvé une existence plus paisible. Mon expérience personnelle m’a fait comprendre que de l’extérieur, l’herbe est toujours plus verte dans le pré d’à côté mais qu’à l’intérieur, certaines blessures ne s’effacent pas. Elles vous font grandir. Elles vous abreuvent d’un air nouveau. Vous laissent entrevoir une oasis au milieu du désert. Et parfois vous font retrouver des rêves que vous croyiez perdu.

Pendant les mois qui ont suivi, j’ai souvent pensé à ce 2 mars 2009. Ce jour-là, tout a changé. J’ai longtemps hésité à essayer de retrouver cet interne pour lui dire merci. Juste merci. Je n’ai jamais osé.
Croyez le ou pas, j’ai préféré lui inventer un prénom, mais peut-être bien était-ce le vrai ? Peut-être l’avais-je entendu ? Je ne sais plus. Est-ce que je le saurais un jour ? Est-ce que cela a vraiment de l’importance ? Qu’est-ce qui a vraiment de l’importance ? Je ne sais pas. Moi, j’aurais juste aimé qu’il sache, dans ces jours où tout va mal, dans ces jours où il doute peut-être, à quel point il a fait basculer ma vie. A quel point il a fait quelque chose de bien. À partir du moment où l’on a vu sur cette écho que mon cœur était un peu brisé quelque part. Qu’il fallait le réparer. A partir de ce moment où je me suis dit que je n’avais plus rien à perdre mais plutôt tout à gagner.

J’ai pensé à cet interne souvent, quand je passais en métro à la station porte de Valenciennes, quand je regardais l’hôpital en contrebas. Même si ça ne m’arrive plus d’y passer régulièrement, j’y pense encore mais jusqu’à aujourd’hui je n’avais pas trouvé les mots pour le dire. Pendant tant d’années, j’avais eu si peur de les retrouver, les mots, quelques qu’ils soient, peur de trouver ma voie. Ma voix.

Sept ans que je ne l’avais plus écrit. Que je n’avais plus pu. Que cette peur et ce besoin de me reconstruire remplissaient tout. J’avais tellement eu l’impression d’avoir tout gâché. Il m’a fallu sept ans pour accepter ce que j’étais devenue. Sept ans pour que je me rende compte à nouveau que l’amour existe, partout autour de nous. Sept ans pour enfin reprendre la plume, sans vraiment savoir pourquoi. Mais faut-il vraiment trouver une raison ? C’était le moment, voilà tout. Peut-être l’importance de savoir tomber m’a-t-elle aidé dans cette renaissance, comme elle a guidé Marcus dans « La vérité sur l’affaire Harry Québert » de Joël Dicker ? Qui sait… Dans tous les cas, aujourd’hui, je reprends confiance en moi. Et aujourd’hui je crois comprendre. J’ignore où le destin m’emmènera, qui il mettra sur mon chemin et ce que je pourrai lui apporter. Mais c’est décidé. Je vais juste essayer de savourer le présent.   


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Équipe WikiPen
Administrateur
5 années il y a

Bonjour Isabelle,
Votre Pen a été pris en compte pour le concours !

Équipe WikiPen
Administrateur
5 années il y a

Bonjour Isabelle,

Vous avez terminé à la seconde place du concours, félicitations pour votre Pen qui a eu un grand succès !

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