Partie 2 : L’écho
Chapitre 14
Une quinzaine de jours que ça a commencé mais j’essaie de me persuader que tout n’a pas été dit. Comme tous ceux qui ont lu les actualités, j’ai mon avis sur la question. Alors en réalité, je ne sais pas trop ce que j’attends mais il faut que je me rende compte par moi-même, que j’aille à la rencontre de ces gens.
Ce soir, j’ai pris soin de ne pas porter ma carte de presse. Ce soir, je suis là en observatrice et ce que je vois me paraît surréaliste. Une incroyable sérénité émane de ce rassemblement. Chacun s’écoute et se respecte. Chacun est capable. Chacun a le droit.
Moi, je fais partie des plus ou moins 90 % de population active qui a un emploi. Je ne suis peut-être pas assez bien payée mais est-ce important ? Je ne sais pas. Je fais ce que j’aime et j’aime ce que je fais. Je trouve ça déjà pas mal après tout. Alors, je suis sceptique.
Eux, qui sont-ils ? Des hommes, surtout. Vu l’heure, rien d’étonnant. Mais pas forcément que des jeunes. Les profils diffèrent. Des ouvriers, des chômeurs, des étudiants…
Certains se sentent trahis. D’autres se découvrent.
J’ai comme l’impression que tous ont besoin de se retrouver, de réfléchir, de se réapproprier leurs vies et ils ont choisi la rue pour l’exprimer. Envie de solidarité, d’engagement, de citoyenneté. Ras-le-bol des promesses en l’air. Marre de ce mépris. Le changement ? Y croient-ils encore ? Pourquoi ? Le monde va-t-il si mal ? Je voudrais m’entendre répondre : peu importe puisque ça fait du bien.
Au départ, ce qui les a unis, c’est le refus de cette loi qui leur semblait injuste. Le besoin d’être entendus.
Maintenant, cela va bien au-delà. Ici, pas de chef. Tout le monde peut prendre la parole, pendant un temps imparti. On fuit toute récupération politique et toute violence. Un système de médias a même été développé pour l’occasion.
Je découvre un mouvement structuré, avec son accueil, son infirmerie et sa cantine. Des assemblées générales, des débats, des commissions thématiques sont organisés. Des décisions sont votées.
Ce soir, j’ai devant moi un orchestre de centaines de personnes qui ne se connaissent pas tous mais qui s’accordent pour jouer la symphonie du nouveau monde de Dvorak. Ce soir, partout en France, des femmes et des hommes préparent des soupes et les partagent, d’autres font un potager en plein centre-ville.
Quelles sont leurs motivations ? À quoi rêvent-ils ? Quelle mouche les a piqués ? L’effet de mode va-t-il s’éteindre comme il s’est allumé ? Façon danse de l’été ? Ont-ils seulement la moindre idée de l’idéal qu’ils veulent poursuivre ?
Autant de questions auxquelles je veux essayer de trouver des réponses. Déceler ce que les autres n’ont pas su, accentuer ce qui ne leur a pas sauté aux yeux et tirer de ce petit rien une force. Votre force.
Derrière moi, j’entends un homme siffloter un air que je connais. La chanson a plus de 25 ans mais elle ne s’oublie pas, elle porte en elle l’espoir d’une génération et peut-être cette nuit, celui de ceux qui sont là, toujours debout.
Listening to the wind of change…
Inspiration : Wind of change, Scorpions
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