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– Vous allez a-do-rer, Monsieur Fabre ! Personnellement, j’ai eu un vrai coup de cœur ! La maison a été entièrement rénovée et dispose du confort dernier cri ! Tout a été aménagé avec goût sans entamer une once du charme typique de la longère ; le jardin est parfaitement entretenu et une grange a même été rénovée afin de servir de garage assez vaste pour accueillir deux voitures. Le village est à trois kilomètres seulement et vous pourrez vous y procurer l’essentiel : il y a une boucherie, une boulangerie et même un café qui fait aussi office d’épicerie ! Pour le reste, une grande surface se trouve à moins de vingt minutes du bourg. Et, cerise sur le gâteau, une forêt absolument magnifique jouxte la propriété. Vous qui souhaitez un lieu calme et retiré ! Ah, sans vouloir me vanter, Monsieur Fabre, je peux affirmer que je vous ai déniché la perle rare…
Au bout du fil, l’agent immobilier reprend son souffle un bref instant avant de poursuivre de plus belle sa logorrhée dont le débit surpasse largement celle d’un bonimenteur de foire aguerri. Mais son interlocuteur n’écoute plus, concentrant son attention sur les photographies que l’agent lui a transmises par email. Effectivement, la maison semble répondre parfaitement à ses aspirations : isolée, sans être trop loin des commerces, aucun vis-à-vis, pas de travaux, pas trop grande. Un havre de tranquillité. De plus, le prix demandé entre tout à fait dans son budget : la vente de son appartement est en bonne voie et l’offre qui lui en a été faite couvrira largement les frais occasionnés par l’acquisition de cette maison de campagne située dans un département où le coût du mètre carré n’est pas pris de frénésie galopante. Pour la première fois depuis de nombreux mois, Jérôme Fabre se prend à espérer pouvoir à nouveau se projeter dans le futur.
C’est sous un soleil radieux de fin octobre que Jérôme découvre enfin l’environnement qui sera désormais le sien. Premier contact avec le monde rural moderne : des champs à perte de vue, histoire de lui rappeler qu’il a demandé asile à un royaume où la culture céréalière est souveraine : un étirement plat, monotone jusqu’à la monochromie tout entier dédié à l’exploitation intensive de la moindre parcelle de terre. Le dieu du rendement, directement relié à ses apôtres modernes -les satellites- pointe son doigt impitoyable sur chaque grain de poussière afin qu’il accouche exponentiellement des plantes dont les grains nourriront l’homme ou son bétail. Cela fait un bon moment que le 4×4 avale ainsi le ruban de bitume sans croiser nul véhicule, voiture ou camion, pas même un tracteur. A croire que l’humain -même motorisé- n’a pas sa place ici. Mais Jérôme se sent si seul au milieu de ses congénères que ce désert agricole sans fin lui apparaît seulement comme la promesse d’un répit.
Et puis soudain, inattendue, incongrue et croissant comme une tache d’encre sur un buvard, une masse composée de mille couleurs chatoyantes se profile sur la ligne d’horizon : La Forêt. Etonnant qu’elle ait été préservée, alors que chaque parcelle est ici jalousement surexploitée ! Cette cathédrale sacrilège empiète ouvertement sur le territoire à haut rendement avec des airs de fronde : dressée, insondable, sauvage, irisée de tous ses feux de Bengale, comme pour détonner au maximum avec les champs étales, domptés, mornes et soumis.
Les premières colonnes de ce palais d’ocre et de rouille une fois dépassées, la route se noie dans une semi-pénombre, alors le conducteur lève le pied le temps de s’habituer. Il finit par rouler au pas et, dans le rétroviseur, il voit les bras ambrés de la Forêt qui se referment lentement derrière son véhicule. Les rayons du soleil ne trouvent décidément pas de chemin à travers les lourdes frondaisons, mais Jérôme n’allume pas les phares. Il aurait voulu que le temps soit suspendu, comme retenu par les forces telluriques et qu’il demeure ainsi éternellement, comme flottant entre deux mondes. Mais la Forêt recrache la voiture et il débouche à nouveau en pleine lumière. Le GPS l’oriente aussitôt après vers un chemin à gauche, une étroite voie herbeuse et défoncée, jonchée de feuilles carmines ou jaunes, comme si la Forêt tentait de grignoter encore un peu de terrain en y semant ses langues de feu. Il se gare devant la maison basse qui émerge enfin et coupe le moteur. Il est arrivé. Un cliquetis résonne alors dans sa tête et il sort de la voiture, oppressé, le souffle court.
La longère ne lui réserve aucune surprise, bonne ou mauvaise ; les photographies sont fidèles : cheminée d’agrément en pierre blanche, pièces basses mais bien agencées et une vue imprenable sur les alentours. La Forêt campe juste à côté de la bâtisse, tapie comme un animal chamarré et assoupi. Jérôme la scrute à travers la porte-fenêtre du salon, à nouveau abattu : l’automne était sa saison préférée, il y a un an, il y a un siècle… Il pérorait alors sur la palette infinie de ses couleurs. Aujourd’hui, elles sont pour lui celles du deuil de sa vie d’avant.
Le camion des déménageurs vient juste de disparaître au bout du chemin qu’il décide de laisser tout en plan pour aller faire un tour. Après avoir chaussé ses bottes et enfilé sa parka, il passe par la porte-fenêtre qu’il laisse entrebâillée et traverse le jardin pour gagner les abords de la Forêt. Celle-ci se fait docile, ne lui opposant ni fossés, ni ronces et il s’engouffre aisément dans les entrailles végétales, progressant au hasard, respirant à fond et faisant craquer les bois morts sous chacun de ses pas. Soudain, il s’immobilise et jette un coup d’œil par-dessus son épaule : la longère n’est plus visible et il n’y aucun sentier pour se repérer… Il ne manquerait plus qu’il se perde ! Il réalise alors que, pour la première fois depuis l’accident, une accalmie s’est invitée dans sa tête. Les images, les bruits qui n’arrêtaient pas de s’y bousculer l’ont laissé tranquille cinq bonnes minutes d’affilée, comme si cette sylve avait le pouvoir d’absorber ses obsessions. Il s’adosse contre un chêne moussu et ferme les yeux pour se perdre plus encore dans l’instant présent, suppliant les dieux sylvestres de lui accorder l’oubli. La Forêt n’est que silence et protection, douce et chaude comme un ventre maternel. L’espoir renaît enfin.
Le lendemain, il se rend au village pour acheter de quoi tenir quelques jours. Le bourg l’accueille sous un temps maussade : nuages de plomb et bruine tenace. La place de l’église est minuscule et Jérôme repère sans peine le café-épicerie, but de sa venue. Il se gare juste devant, attrape un sac à provisions dans le coffre et passe la porte d’entrée, faisant tinter une clochette antédiluvienne. Trois personnes sont présentes qui répondent plus ou moins distinctement à son bonjour : une femme rondelette entre deux âges, un vieil homme chauve avec un mégot de cigarette éteint soudé aux lèvres et le patron des lieux, petit et maigre, qui prend un air avenant pour ajouter :
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- Alors comme ça, c’est vous qui avez acheté « les Liserons » ?
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- Oui, j’ai emménagé hier. Je suis romancier, j’ai besoin de tranquillité.
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- Et vous êtes connu ?
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- Pas du grand public, j’écris des ouvrages… scientifiques.
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- Et je vis seul, ajoute-t-il pour devancer toute nouvelle question.
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- On vous a dit pourquoi qu’elle était en vente, la maison ?
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- Tonio, tout ça c’est des superstitions de bonnes femmes !
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- N’empêche que c’est à cause d’Elle que le jeune couple est parti du jour au lendemain. Y vous ont pas dit, alors ?
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- Après tous les travaux qu’y-s-ont faits, y s-ont décampé sans demander leur reste. Comme ça, du jour au lendemain. Faut croire qu’Elle les avait percés à jour !
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- Elle ? répète Jérôme, sans comprendre.
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- La Forêt des pendus ! Elle sait tout ! Y devaient pas être blanc comme neige pour s’être sauvés comme ça, pas vrai ?
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- L’écoutez-pas ! C’est juste une vieille légende locale ! Des foutaises, tout ça !
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- On a tous quelque chose à se reprocher ! Moi j’y mets jamais les pieds, dans cette foutue Forêt ! Elle sait lire dans le cœur de ceux qui ont un truc sur la conscience. Et dans ma jeunesse…
Bonjour Sophie DRON,
Dites-moi, s’agit-il là d’une nouvelle où d’un chapitre de roman ?
En tout cas, pour ce que je ressens de ce texte au demeurant accrocheur, j’avoue que son écriture témoigne d’une belle maîtrise ! de même que le style m’est apparu foncièrement vivant.
Il conviendrait peut-être d’aérer cependant, afin de favoriser la transition et notamment séparer la phrase pseudo dialoguée du corps de texte (première phrase). De même que l’abandon du tiret quadratin au profit du signe ° peut surprendre. Pour peaufiner, il se peut de remplacer le second ” rénovée ” (tout début du texte) par un synonyme.
Voilà, espérant m’être montré utile, je vous souhaite une excellante fin d’après-midi.
Bonjour,
Merci beaucoup pour ce retour.
Forêt est une nouvelle.
Je prends note de vos remarques et suis ravie d’avoir un avis aussi constructif.
Si d’aventure, vous souhaitiez jeter un coup d’œil à mes autres écrits, mon blog est https://sophie-dron.over-blog.com.
Y figurent des extraits de mes romans (publiés par Masque d’Or) et d’autres nouvelles.
Peut-être à bientôt donc.
SD