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Le chef avait demandé à son fils, de renvoyer sa seconde épouse chez les siens pendant quelques lunes, en leur signifiant les raisons de sa présence chez eux et que s’il s’avérait qu’à son retour il n’y avait pas d’amélioration dans son comportement, elle retournerait auprès d’eux pour de bon. Durant son absence les filles d’Obière furent confiées à leur mvam*, la première épouse du chef. Entre le travail aux champs et les tâches ménagères, elles n’avaient plus le loisir de se promener de maison en maison dans le village, comme elles en avaient pris l’habitude, ce qui n’était pas à leur goût.
L’ainée, Afup, avait même dit à une de ses sœurs de même père, que leur mvam les maltraitait, sa sœur et elle, parce que leur mère était absente. Ce à quoi sa sœur lui avait répondu, que si elle appelait ça être maltraité c’est qu’elle n’avait pas bien compris la leçon. Et que la prochaine fois qu’elle se plaindrait, le chef serait tenu informé de ses propos concernant sa femme, et les deux gifles qu’elle avait reçu serait multipliées par beaucoup. Ce qui eut pour effet de la faire taire.
De ses unions avec ses deux femmes, le chef avait eu cinq fils et aucune fille. Sa première épouse la mère d’Abiane et de Ntoum n’avait eu que ses deux-là, les trois plus jeune ; Minkare, Bidzo et Mefak étaient quant à eux les fils de la seconde épouse. Avec tous ces fils, on aurait pu parier qu’eux aussi auraient des fils, toutefois la nature surprend parfois d’une étrange manière les gens. Les cinq garçons étaient tous mariés, et certains comme Ntoum et Bidzo, avaient plusieurs épouses qui leur avaient fait des enfants et pourtant aucun d’entre eux n’avaient eu de fils.
Ce fut donc avec beaucoup de joie que le fils que venait de mettre au monde Otsira, fut accueilli. Le premier petit-fils du chef. Il était le portrait craché de son oncle Mefak, ce qui amusa beaucoup le chef. Il dit à Abiane que son fils avait préféré ressembler au plus doux de se ses cinq papas. En effet, du point de vu aspect physique, Bidzo était le plus beau, Abiane le plus imposant avec sa carrure de guerrier. Ntoum, peut-être parce que c’était l’ainé, était le plus sage et surtout le plus réservé mais, Mefak était d’une douceur infinie, on ne l’avait jamais entendu élever la voix, sur qui que ce soit dans le village, et préférait toujours le consensus à la force, ce qui ne faisait pas de lui le moindre des fils du chef, bien au contraire. C’était un chasseur expérimenté, d’une dextérité et d’une force peu commune, et lorsqu’il y était forcé, il pouvait faire preuve d’une extrême brutalité. Son père se réjouissait donc, de son goût pour la tempérance.
Et voilà que son neveu, avait choisi de copier les traits de son visage, sauf pour le physique, car bien que tout petit on pouvait voir les épaules droites et imposantes de son père, ainsi qu’une tâche de naissance qu’il partageait avec ce dernier et qui se situait dans le bas de son dos. Obière rejoignit son foyer alors qu’Akong Abiane allait sur ces neuf lunes, le petit garçon rampait déjà parfaitement, et on le voyait souvent en compagnie de son père et ou de sa grande sœur alors qu’Otsira avait repris depuis longtemps la route des champs.
La seconde épouse de Ntoum regardait l’enfant avec beaucoup de mépris, lorsqu’elle passait devant la case d’Abiane, et comme si la distance qui lui avait été infligée n’était qu’un détail, elle fit courir la rumeur dans le village que Mefak était le véritable père du petit garçon. Ce qui aurait pu se concevoir si ce dernier avait été proche de sa belle-sœur, or Mefak n’était pas ce qu’on pouvait appeler un homme à femme, c’était un passionné de chasse. Les trophées ornaient les murs de sa case devenue trop petite pour les exposer tous, il s’était marié par nécessité et non par amour, il passait le plus clair de son temps dans la forêt et ça depuis son enfance.
Cependant, cette rumeur prit une proportion telle que plusieurs irréductibles commères du village y ajoutèrent des détails croustillants. Dans certaines versions de l’histoire les deux amants se retrouvaient dans la brousse à la nuit tombée, dans d’autres on affirmait qu’Abiane était au courant de la chose et que d’ailleurs Oloun non plus n’était pas sa fille, que le jeune homme était stérile et que c’était la raison pour laquelle il avait tenu Otsira à distance pendant toutes ces saisons sèches. Car au départ, la jeune femme avait refusé de s’unir à son frère pour lui donner une descendance. Voilà désormais où en était les cancans du village.
La jeune Oloun avait maintenant neuf saisons sèches, et avait depuis peu l’autorisation de son père d’aller jusqu’au marché avec son petit frère. Un jour en sortant de la boutique de l’ancien Mbap’Engoang, où elle s’était arrêté pour acheter des friandises pour elle et son frère, elle surprit une étrange conversation entre deux femmes du village, Foul Meki fille de Meki Me Moro du village Egengeng Dzop, épouse de Milang Ekôt fils de l’ancien Ekôt Mbôt, et Ngone Obiang fille d’Obiang Ndong du village Nkore Etame et épouse de Ngom Ondo fils de l’ancien Ondo Zué et ami intime d’Abiane.
Les deux femmes semblaient débattre d’un sujet qui les concernait elle et son frère, la seconde affirmant à la première que les rumeurs qui couraient sur la pseudo stérilité d’Abiane n’étaient rien d’autre que des rumeurs et que s’il en avait été autrement en quoi cela regardait-il les villageois, puisqu’il s’agissait là d’un d’arrangement familiale :
– A é mônyiè*, si tu commences à écouter tout ce qui se dit comme bêtises dans ce village tant pis pour toi, beaucoup de gens ici manquent cruellement d’occupations et lorsqu’on manque d’occupation on se met à
– inventer aux autres des vies, tu devrais t’en souvenir la prochaine fois qu’on viendra te raconter une histoire pareille
– Mais c’est Oye Mvo’o la troisième épouse de l’ancien Okoure Milam qui m’a raconté ça, elle est quand même la femme d’un des anciens du village, elle doit quand même savoir de quoi elle parle
– Méfies-toi de toutes ces femmes, si tu ne veux pas perdre ton foyer, tu sais que ton mari n’aime déjà pas te voir les fréquenter, ajouta Ngone Obiang
En rentrant du marché, Oloun ne s’arrêta pas dans la case de son père, elle continua et alla se tenir devant le chef, assis seul dans son Aba’a, sa pipe à la main :
– Oloun ndza lé* ? S’enquit le chef en remarquant qu’elle tenait son petit frère serré dans ses bras et tremblait comme de colère
– Pepa tare
– Hum, m’a bè
– Est-ce que c’est vrai qu’Akong et moi ne sommes pas les enfants d’esaa ? Demanda l’enfant
Le chef sursauta en entendant cela, et faillit faire tomber sa pipe :
– Ndzi fe dzi* ? Qui t’a raconté des inepties pareilles ? Reprit le chef
– Se mbôt, j’ai entendu les femmes de pepa Ngom et de pepa Milang au marché qui parlaient de ça, répondit la fillette
– Et que disaient-elles ? Questionna le chef en faisant signe à la jeune fille de s’assoir en face de lui, alors qu’il lui prenait Akong des bras
Oloun raconta en détail la conversation des deux femmes à son grand-père. Le chef l’écoutait en silence, puis après l’avoir rassurée et demandé de rentrer chez elle en lui rendant son petit-frère, il lui demanda de dire à son père qu’il désirait le voir. Oloun obéit, et s’empressa de rentrer. Elle trouva Otsira dans sa cuisine, près du feu, occupée à préparer le repas du soir :
– Nyiè !
– Owé Oloun dis-moi,
– Tu sais que des gens dans le village racontent qu’essiè n’est pas le père d’Akong et moi, dit Oloun
– A ngone dzam* tu sais, en grandissant, tu vas vite te rendre compte que certaines personnes ne sont heureuses, que lorsqu’elles font du mal aux gens autour d’elles
– Pourquoi ?
– Je n’en sais rien, vas faire prendre son bain à ton frère et laves-toi aussi eswa sera de retour bientôt, il arrive de Nkene Oveng c’est loin, il sera fatigué il nous faudra donc manger tôt ce soir pour qu’il puisse aller se reposer
– Mais Pepa tare l’attend chez lui, souligna la jeune fille
– D’accord, je le lui dirais, keng
Abiane était arrivé depuis quelques minutes, mais en entendant la conversation qu’avaient les deux femmes il s’était figé derrière la porte de la cuisine, et n’y entra qu’une fois Oloun partit avec son frère. En le voyant entrer Otsira lui sourit, il avait vraiment l’air fatigué :
– Ton voyage s’est bien passé ?
– Owé, répondit-il en venant s’assoir en face de sa femme
– Tu devrais aller te laver j’ai terminé, il me faut juste dresser la table
Abiane ne bougea pas, il regardait maintenant sa femme dans les yeux, inquisiteur :
– Tu n’as rien à me dire ? Interrogea-t-il
– Si, mais je préfère que tu te laves d’abord, tu ne crois pas ?
– Kaa, m’a bè wa, fit l’homme
– Bien, tout d’abord ton ami Ngom était ici, il me fait te dire qu’il a besoin d’un coup de main dans un conflit qu’il a avec l’homme qui a épousé la jeune sœur de son épouse
– Encore ? s’exclama Abiane, ce type est vraiment un homme à palabre, je passerais voir Ngom demain, on va trouver un moyen d’en finir une bonne fois pour toute avec ce gars et s’il le faut nous aurons recours au chef, fit Abiane comme pour lui-même
– Et aussi tar’Engueng a lué wa Aba’a*
– Il a dit pourquoi ? S’enquit l’homme
– Kaa, et en réalité c’est la petite qui m’en a informé
– J’irais le voir après m’être lavé, dit Abiane
– Et encore une chose, Oloun est allé au marché aujourd’hui avec son frère, et il semble que quelqu’un lui ai dit, ou alors elle a entendu quelqu’un dire qu’Akong et elle, n’étaient pas tes enfants, encore une rumeur sans queue ni tête qu’une personne insensée a répandue dans le village
Abiane la regarda un moment encore sans rien dire :
– Tu sais que les ragots de ce genre il en nait tous les jours, et si tu y prête attention tu en souffre pour rien, fit Otsira
– Je sais tout ça Otsira, mais je commence à en avoir marre que tu en sois la cible, et maintenant voilà qu’ils se mettent à raconter ce genre de bêtises ouvertement, au point que la présence des enfants ne les dérange plus, soupira Abiane
– Wo o ne me ébane étame*, que nous soyons heureux tous ensemble, peu importe le reste, ne te tracasses pas pour ça, vas te laver et ensuite tu iras voir ton père, à ton retour on mangera tous ensemble, dit Otsira
L’homme se leva et avant de sortir de la cuisine, il alla s’accroupir à côté de sa femme :
– Ndza lé* ? lui fit Otsira
– Je veux juste un baiser avant d’aller me laver, pour la motivation,
– Ekiéé et depuis quand on doit te motiver pour que tu te laves ? fit-elle encore en riant
– Il y a une première fois à tout, répliqua Abiane en posant ses lèvres sur celles de la jeune femme
Otsira répondit à son baiser. Il posa la main sur sa nuque en l’embrassant, et semblait ne pas vouloir s’arrêter jusqu’à ce qu’il entende des bruits de pas dehors, et des rires d’enfant. Abiane se leva, et après avoir fait un clin d’œil à sa femme, il sortit de la cuisine au moment où Oloun et son petit frère entraient :
– Mbe ba ngore* Essiè
– Bonsoir Oloun, comment tu vas ?
– Moi ça va, mais toi tu as l’air fatigué
– Oui le voyage a été long, je vais me laver ensuite je vais répondre à l’appel d’esaa, je vous vois ton frère et toi après d’accord ?
– Owé,
Les deux enfants allèrent retrouver Otsira près du feu, Akong semblait vouloir faire ses premiers pas, mais ses jambes se dérobaient encore de temps en temps sous son imposante stature. La jeune femme s’amusait de le voir tenter de marcher vers sa sœur, et puis au final il abandonnait, pour la rejoindre en rampant.
Une fois dans l’Aba’a avec son père Abiane prit place à côté de lui, ce qui était inhabituel, en général il venait s’installer en face du chef, son père le regarda sans rien dire :
– Bonne arrivée moan wom !
– Akiba essiè !
– Ton voyage s’est bien passé ?
– Très bien, j’ai fait la connaissance du conseiller à la gestion du trésor royal, fit Abiane en souriant
– C’est un titre bien long, commenta le chef
– Owé, mais le jeune homme lui, est quelqu’un de très bien, assura Abiane
– Alors nous pouvons dormir tranquille, conclut l’homme
Abiane sourit :
– Vous vouliez me voir essiè ?
– Owé, j’en ai marre des rumeurs dans ce village, et lorsqu’elles touchent ma famille c’est encore pire. Les commères du village ont de nouveau lancées une rumeur sur toi, il paraitrait que tes enfants sont en réalité les enfants de ton jeune frère Mefack, ça commence à bien faire, alors pour que cela cesse, je vais faire un exemple, je vais mener des interrogatoires ici jusqu’à trouver l’origine de cette rumeur. Et celui qui la lancer va devoir payer, comme ça les villageois qui n’ont pour seul passe-temps que les commérages devront se trouver autre chose à faire
– O kal essiè, Otsira ne se plaint pas mais, moi je souffre de voir qu’elle continu à être la cible des mauvaises langues,
– Aka, voilà une chose entendue, tu restes manger avec moi ?
– Kaa, pas ce soir, j’ai promis à ma femme de rentrer manger avec les enfants et elle, elle risque de m’attendre
– D’accord on se verra demain alors, au fait Abiane, dit encore le vieil homme
– Hum essiè !
– Tu es heureux avec ta femme ?
L’homme fixa son père, il se demanda ce qu’il avait derrière la tête avec sa question :
– Owo essiè, très heureux pourquoi ?
– Parce que, lorsqu’on aime une personne, il faut savoir lui pardonner si elle a fait des erreurs et oublier, continua le chef
– Owé essiè, je le réalise, mais entre elle et moi, je suis celui qui s’est toujours trompé, et la pauvre a dû me pardonner encore et encore, dit-il en se passant la main sur le visage, je me suis trompé sur elle quand nous étions plus jeunes, ensuite je suis allé l’épouser parce que je l’aime mais, j’ai été incapable de l’assumé, et je l’ai encore fait souffrir et j’ai perdu tellement de temps à me tromper que, quand j’ai réalisé je n’ai pas osé lui demander pardon, à quoi cela aurait-il bien pu servir maintenant ?
– Les choses sont clarifiées entre vous désormais ?
– Owé essiè !
– Akiba, c’est tout ce qui compte, passes une bonne nuit et salues Otsira de ma part
Abiane hocha la tête et s’en alla. Pendant qu’il marchait en direction de sa case des pensées lui traversaient l’esprit, il se dit par exemple que s’il avait fait la paix avec Otsira depuis le début Akong serait déjà un grand garçon, cela le fit sourire. Décidément on perd souvent trop de temps en vaine colère, surtout entre époux, et au final à quoi cela sert-il ? A qui cela sert-il ? Il sourit encore. Oui il était heureux avec sa femme, et il n’y avait pas beaucoup d’homme qui pouvait en dire autant, non pas qu’ils n’aimaient pas leurs épouses, et là il pensait à son frère Ntoum, mais certaines femmes se révélaient bien difficile à comprendre et encore plus à satisfaire.