3
– Je comprends que tu sois réticente, mais je voudrais que cette fois, les choses se passent mieux entre nous, c’est vrai qu’après tout ça, c’est encore à toi de faire des efforts, mais accordes-moi d’essayer, encore une fois, suppliait Abiane
L’homme était assis sur le bord du lit où sa jeune épouse était allongée, elle lui tournait le dos et ne disait rien. Il lui caressait les cheveux tout doucement, pourtant, il la sentait crispée :
– Otsira, je t’en prie, regardes-moi
La jeune femme ne bougeait toujours pas. Il se déshabilla et s’allongea sous les couvertures près d’elle. Il la prit dans ses bras et murmurait maintenant à son oreille :
– De quoi tu as peur dis le moi ? Demanda Abiane en lui déposant un baiser sur l’épaule
– Je ne…
– Tu es toujours en colère après moi ? coupa l’homme
– Kaa,
– E de, ndza lé* ?
– Tu es le seul avec qui j’avais essayé, et depuis… je suis désolée… je ne sais pas… je ne sais pas du tout ce que tu attends de moi maintenant, je ne sais pas…
Abiane soupira. Il s’était tellement trompé à son sujet et tellement longtemps et maintenant… Otsira et lui s’étaient connu à l’adolescence, il lui avait fait la cour parce qu’il la trouvait coquine et très espiègle. Il avait pensé à cette époque, qu’elle n’était plus vierge, et lorsqu’elle s’était offerte à lui, il en avait conclu qu’elle faisait certainement ça avec tous les garçons du coin. Il n’avait lui-même jamais touché aucune autre femme, il n’avait pas donc pas compris qu’elle était encore pure. Le temps avait passé, et il l’aimait toujours, mais il était resté convaincu, qu’elle n’était qu’une dévergondée. Il la força à se tourner vers lui :
– N’aies pas peur, je ferais attention, je ne te traiterais plus jamais comme cette fois-là, tu entends ?
– Mais tu vas certainement me faire mal et…
Il la serra contre lui :
– Je t’ai promis tellement de chose, fit-il en l’embrassant sur le front, si je pouvais demander à Tare Eyo’o de m’accorder une faveur, une seule, je lui demanderais d’effacer tous ces mauvais souvenirs que tu as de moi, fit-il en la fixant dans les yeux
Il s’allongea sur le dos et posa la tête d’Otsira sur son torse, il lui caressait maintenant les cheveux :
– Dis-moi ce qu’il faut que je fasse pour que tu m’accorde ta confiance à nouveau, ajouta-t-il, et je le ferais, je t’en prie Otsira, j’ai besoin que tu me fasses confiance,
– Qu’est-ce que je suis pour toi Abiane ?
– O ne ngaa wom*, j’ai été un mari indigne jusque-là, mais tu as toujours été ma femme,
– Tu ne me renverras pas chez moi alors, tu me le promets, quoiqu’il arrive ?
– Je te le promets, de quoi est-ce que tu as si peur ? je n’ai jamais eu l’intention de te renvoyer, pourquoi tu penses encore à ça ?
– J’ai peur, dit-elle en larme, tu as tellement changé, et pourtant j’ai prié longtemps pour que tu m’aime un peu mais…
Abiane s’allongea sur elle, et l’embrassait maintenant tendrement, il sentait son cœur battre si fort, qu’il eut peur un instant, qu’il finisse par lui sortir de la poitrine. Elle était décidément trop sensible, mais c’est ainsi qu’il la voulait. Il cessa de supplier pour les faveurs de sa femme, elle ne le croirait de toutes les façons pas sur parole. Il lui écarta les jambes doucement mais résolument, puis il se fraya un chemin vers son intimité alors qu’elle se débattait entre ses bras.
Otsira hurla de douleur, mais l’homme ne s’arrêta pas, cependant, contrairement à la première fois, il prenait son temps, lui parlait tendrement, il la rassurait sur ses sentiments et cet instant qui avait commencé avec de la douleur devint pure plaisir. Elle appelait désormais ses caresses et réclamait ses baisers. Abiane savourait maintenant pleinement ce corps qui n’avait jamais été qu’à lui. Et c’était comme si toute cette douleur entre eux s’effaçait, il la regardait et désormais dans ses yeux il ne percevait plus que l’amour qu’elle avait toujours eu pour lui, balayé la peur, la frustration, le doute. Ils pouvaient dorénavant être heureux ensemble.
Au bout de quelques lunes les mauvaises langues s’étaient tuent, les injures et les humiliations aussi, bien sûr il y avait toujours quelques irréductibles, mais personne n’osait plus l’humilier en face. Malgré le fait que son époux lui avait fait son propre champ, elle continuait cependant, à aller aider régulièrement ses deux minki dans leurs plantations.
Elle continuait aussi à faire du commerce, mais cette fois, elle avait demandé à Abiane de lui construire une petite baraque de bois dur à l’endroit où se trouvait leur ancienne case, elle exposait là, quelques fois par semaines, les marchandises qu’elle ramenait du marché. Toutes les femmes du village ne pouvant pas s’y rendre régulièrement, c’était un soulagement pour elles de pouvoir avoir à portée de main des produits qu’on trouvait là-bas.
Parmi les irréductibles ennemis qu’elle avait, Obière était la pire, elle avait attendu son départ du village avec impatience, mais dès qu’elle avait compris qu’Otsira ne s’en irait pas et qu’au contraire son homme était revenu à de meilleurs sentiments, elle devint encore plus odieuse envers la jeune femme. Elle se mit à échafauder des plans de plus en plus tordus pour lui nuire. Un jour qu’Otsira était allé aux champs, avec la seconde épouse du chef, et qu’Abiane s’était rendu à la ville pour plusieurs jours, elle alla voir Oloun qui avait ouvert la boutique de sa mère et lui demanda de lui donner quelques produits à crédit.
Oloun était une jeune fille plutôt maline, elle se dit que la politesse de sa tante cachait nécessairement quelque chose. Elle qui d’habitude n’achetait jamais rien là, passait d’un coup prendre un crédit et cela le jour où ses deux parents étaient absents. Elle demanda à cette dernière de lui dire ce qu’elle voulait et qu’elle viendrait la livrer au retour de sa mère. Obière prit la mouche :
– Nyua han*! Nyua mbé*? Wa boun yè? Que je vais te voler ou quoi ? c’est l’éducation que ta soi-disant mère te donne ?
– Ô taa kobo nyiè abé*, je ne peux juste pas donner des articles à crédit sans son autorisation, c’est pour ça que je t’ai demandé d’attendre, répondit l’enfant
Obière rentra chez elle ce jour-là en colère, mais après son départ Oloun alla trouver son grand-père et lui relata la scène qui venait de se dérouler. Le chef prit acte. Quelques jours plus tard, alors qu’Abiane était revenu de son voyage, et faisait le compte rendu de celui-ci à son père, assis dans l’Aba’a. Il vit Obière venir vers lui, elle les salua son père et lui puis demanda à parler à Abiane :
– M’a tare mane kobo bia essiè*, je viendrais te voir plus tard, dit ce dernier
Elle retourna à sa cuisine en marmonnant. L’entrevue entre le père et fils se prolongea, malheureusement, jusque tard dans la nuit, Abiane se dit donc qu’il irait voir sa belle-sœur le lendemain matin. Malheureusement pour lui, les ancêtres avaient un tout autre programme pour sa journée du lendemain. Otsira avait passé une très mauvaise nuit, elle s’était plainte de douleurs dans le bas ventre et le bas du dos. Il préféra donc l’accompagner voir le guérisseur du village, l’ancien Oyem’Etam qui après avoir consulté la jeune femme lui dit que concernant le mal dont elle souffrait Oyane Edang la matrone en savait plus que lui, c’est donc elle que le jeune couple devait aller voir. Otsira et lui allèrent donc voir la vieille dame et passèrent une bonne partie de la journée chez elle :
– Ô ne abum*, mais tu travailles trop, il faut te ménager un peu sinon tu vas perdre ton bébé,
– Je ne dois plus travailler du tout ? Demanda Otsira inquiète
– Kaa, sinon ton enfant a ye bo ateghe*, mais il te faut éviter de porter des charges trop lourdes, et éviter les longues marches,
Abiane se tenait aux côtés de son épouse en silence, l’annonce de cette première grossesse le remplissait de fierté, mais il craignait pour la santé de sa jeune épouse. Il réfléchissait maintenant, lui aussi, au moyen à mettre en œuvre pour que sa femme stoppe certaines tâches :
– N’na*, dit-il, tu peux quand-même nous donner quelque chose pour les douleurs et pour l’aider à dormir, parce que certaines nuits elle a beaucoup de mal à s’endormir
– Oui bien sûr, et aussi il faut que tu te nourrisses mieux, avec ce que tu m’as dit ce n’est pas normal que ton ventre soit encore si petit, beaucoup de fruits, des légumes et n’aies pas honte de manger entre les repas
La jeune femme accepta sans broncher sous le regard sévère de son mari :
– J’espère que tu vas te conformer à ce qu’on te dit ici, ne vas pas me faire une fausse-couche,
– Nio n’nom é kal*, mais ne t’en fais pas, et en cas de problème ou si tu as simplement des questions, viens me voir, dit la vieille femme
Abiane prit congé de la vieille dame après avoir reçu les potions prescrites pour sa femme. Sur le chemin du retour Otsira affichait une mine réjouit alors que son mari la taquinait :
– Otsira la guerrière, tu es enceinte et c’est toi qui veux continuer à tout faire chez nous à quoi cela te sert-il d’avoir des servantes,
– M’a yeme*, mais je ne peux pas non plus rester les bras croisés
– Ecoutes-moi, fit Abiane en s’arrêtant et l’obligeant à faire de même, je comprends que tu ne veuilles pas rester inactive, mais tu veux vraiment avoir à choisir entre tes tâches ménagères et ton enfant ?
Elle redevint sérieuse, et secoua la tête :
– Alors tu dois te reposer, ce n’est pas négociable tu comprends ça ?
– Owé !
– Je ne vais pas non plus t’empêcher de travailler un minimum, alors en rentrant on va voir comment organiser tes journées, et moi j’irais dorénavant au marché pour toi, tu n’auras qu’à me faire une liste de ce dont tu as besoin, et me prévenir un jour à l’avance lorsque tu veux que j’aille acheter des choses pour toi, ça te va ? Questionna l’homme
– Owé, mais alors je ne pourrais plus aller aider mes minki aux champs, dit la jeune femme en soupirant
– Elles comprendront, et puis tu ne seras pas mbubume* toute la vie, c’est seulement pour quelques lunes encore
Otsira acquiesça, Abiane prit sa main dans la sienne et ils se remirent en marche. En approchant de leur case, ils constatèrent un attroupement devant l’échoppe d’Otsira qui était pourtant fermée. Abiane donna de la voix afin d’obtenir le silence, puis s’informa sur la situation, ce fut Oloun qui vint se placer devant lui, elle était en larme et couverte de poussière. Son père s’en étonna :
– Que s’est-il passé ? Questionna-t-il
– J’étais en train de balayer la cours ce matin après votre départ… c’est à ce moment que môadzang Afup est arrivée avec deux billets de cinq cent Miang, elle voulait acheter…
– Oh tu nous fatigue avec tes explications, coupa Obière, c’est ta mère Otsira qui t’apprends à m’insulter, aujourd’hui je t’ai corrigée, comme ton père, quand on lui demande de prendre connaissance d’une situation il…
– Obière tu la fermes, hurla Abiane le regard rougit par la colère, tu es encore chez moi ici, et chez, moi ma fille a le droit de m’expliquer ce qui s’est passé en mon absence
Le chef entendit la voix de son fils résonner au dehors, il sortit de sa case et vit l’attroupement devant la boutique de sa belle-fille. Il envoya donc un de ses ouvriers appeler son fils, son épouse, leur fille ainsi qu’Obière et sa fille. L’ouvrier s’exécuta. La foule se dissipa, et le chef se trouvait maintenant dans sa cour, avec ses deux épouses, ses deux premiers fils et leurs épouses ainsi que ses petites-filles :
– Il n’est pas concevable que dans la famille du keza le désordre règne, commença-t-il, aussi je vais juger cette affaire avec autant de sévérité que s’il s’agissait d’une affaire entre gens du village, Abiane les faits se déroulait chez toi, je t’écoute
– Hé bien voilà essiè, je suis sorti ce matin de bonheur avec Otsira, comme je vous l’ai expliqué en partant, elle a passé une très mauvaise nuit, nous sommes tout d’abord allés voir l’ancien qui nous a envoyer chez la matrone et nous y avons passés la journée, c’est en revenant de là-bas que nous avons trouvé un attroupement devant l’échoppe d’Otsira. J’ai demandé ce qui se passais et là je vois ma fille en larme et couverte de poussière, pendant qu’elle tente de m’expliquer ce qui s’est passé, Obière lui coupe la parole, c’est à ce moment que vous m’avez entendu hurler de colère, je lui ai dit que ma fille avait encore le droit de me faire le point de la situation, vu que c’est elle que j’ai laissée chez moi en sortant ce matin
– O kal*, affirma le chef, Oloun zaa va*, et dis-nous ce qui s’est passé
– Tita* Engueng, j’étais en train de balayer la cour, esaa be a nyiè be va kuin kikiri*, é ne môadzang Afup a so vè*, elle avait deux billets de cinq cent Miang et elle voulait acheter des ognons, mais nyiè ne m’avait pas laissé les clés de la boutique, ce que je lui ai dit, alors elle est reparti, quelques heures avant que nyiè ne soit revenue, mema Obière est venue me dire d’ouvrir la boutique, elle était avec Afup, je leur ai encore dit que je n’avais pas les clés, c’est là qu’elle a commencé à crier sur moi en disant que j’étais impolie et que c’était la deuxième fois que je la traitais de voleuse et puis elle a demandé à Afup de lui donner les billets avec lesquelles elle l’avait envoyée, mais Afup n’avait plus qu’un seul billet et elle a dit à mema Obière que c’est moi qui lui ai arraché le deuxième billet de cinq cent Miang qu’elle avait, et mema Obière m’a frappée en me traitant de voleuse, de fille d’olalu sans éducation et beaucoup d’autres choses c’est pour ça que je pleurais quand esaa be a nyiè be va so*
Le chef s’éclaircit la voix :
– Obière ?
– Pepa,
– Depuis quand achètes-tu des produits dans la boutique d’Otsira ?
– C’est parce que je n’ai pas eu le temps d’aller au marché ce matin…
– Et la dernière fois que tu as voulu prendre des articles à crédit, coupa le chef, alors que ni Otsira ni son mari n’étaient là, tu n’avais pas eu le temps d’aller au marché aussi ? Donc au marché il y a des commerçants qui te font crédit nga* ?
La femme se tut et baissa la tête, Ntoum son époux, qui n’était pas un homme à palabre, la fixait d’un air mauvais depuis que Oloun avait commencé à relater les faits :
– Afup ?
– Pepa tare* !
– Zaa va*
La jeune fille vint se placer devant son grand-père :
– Je t’écoute,
– C’est mema Obière qui m’a envoyée ce matin aller acheter des oignons chez Otsira
– E be za han* ? Demanda le chef le regard dur
– A la boutique d’Otsira
Le chef déposa une gifle sur la joue de la jeune fille qui s’écroula, puis se roulait maintenant parterre en larme et en se tordant de douleur, Obière regardait cette scène avec horreur, c’était à cause de cette moins que rien que sa fille se faisait battre :
– Esong é gne wua lè Otsira nga*? Et c’est ta mère qui traite Oloun de mal élevée, de fille d’olalu sans éducation, souligna le chef
Le chef se leva et alla saisir Afup, toujours allongée parterre, par le bras et lui infligea une seconde gifle cette fois dans le milieu du dos, puis il lui hurla de continuer son récit avant de retourner s’assoir. Abiane et son frère observaient tout ça choqués. Les deux frères s’étaient toujours très bien entendus et ils avaient toujours fait en sorte que leurs épouses même si elles ne s’entendaient pas au moins se respectent, mais apparemment avec Obière ils avaient raté quelque chose :
– C’est nyiè qui m’a envoyé acheter des oignons chez mema Otsira ce matin, reprit la jeune fille en larme, et quand je suis arrivée Oloun m’a dit qu’elle n’avait pas les clés de la boutique. En rentrant je l’ai dit à nyiè et je lui ai rendu l’argent, les deux billets, et puis tout à l’heure elle m’a appelé pour que je l’accompagne acheter encore des choses à la boutique de mema Otsira mais quand elle m’a donné de quoi acheter des produits il y avait un seul billet de Miang, c’est que je lui ai remis quand elle a commencé à insulter Oloun et à la taper j’ai cru qu’elle allait me taper aussi c’est pour ça que j’ai dit que c’est Oloun qui a pris le deuxième billet
– Ô dzô de nyua*, alors que tu savais qu’elle ne t’avait remis qu’un seul billet c’est ça ? insista le chef
– Owo, répondit la jeune fille
– Et pourquoi tu n’as pas dit à ta mère qu’elle ne t’a remis qu’un seul billet ?
– Parce que, elle m’aurait frappé aussi en disant que je l’ai traitée de menteuse, rétorqua la jeune fille
– Alors toi Afup, qui es plus âgée qu’Oloun de trois saisons sèches, tu es non seulement irrespectueuse, menteuse et lâche, voilà le résultat de l’éducation parfaite de ta mère, Ntoum moan wom, on en revient toujours là comme tu vois, je t’avais prévenu concernant cette femme que tu as fait rentrer dans ma famille
L’homme se tenait assis, les bras croisés sur la poitrine, le regard fixé sur sa seconde épouse. Il n’était pas homme à se laisser émouvoir par des explications tordues, et en voyant le regard de son époux, Obière ne comprit peut-être pas qu’elle était allé trop loin mais, elle comprit que ce que lui infligerait son beau-père n’était rien comparé à ce qu’allait lui faire son époux. Elle commença à se dire qu’elle n’aurait peut-être pas dû agir aussi ouvertement et surtout s’en prendre à Oloun.