Olivia Lisbeth Baxter, sept ans et demi, est confortablement assise à l’arrière de la vieille Golf noire de ses parents, Andrew et Nina.
De son siège, elle voit à peine le paysage qui défile à l’extérieur du véhicule.
Ce matin de novembre, le ciel est tristement gris et la pluie tombe à seau.
La petite pose le bout de ses doigt sur le carreau. Le regard perdu au loin, elle s’imprègne de toutes les sensations qui la submerge. Le froid et la légère vibration des gouttes de pluie sur la vitre et l’humidité provoquée par le mélange des températures.
Elle essuie la buée puis frotte ses doigts. Elle sourit. Elle adore l’effet de l’eau sur sa peau.
Olivia ne prête aucune attention à ses parents ni à leur énième dispute, préférant observer la nature dans ses moindres détails.
La voiture s’arrête. Olivia, fébrile, détache sa ceinture de sécurité et sort à toute vitesse manquant de s’étaler sur la pelouse trempée.
La porte s’ouvre sur une dame d’une cinquantaine d’années. La fillette se jette dans ses bras en éclatant de rire.
Annabel est une femme de taille moyenne avec des yeux bruns légèrement en amande, du vernis rouge passion sur ses ongles délicatement limés et un brushing à la Margaret Thatcher.
Elle travaille comme restauratrice d’oeuvres d’art à la Revival Gallery, située au centre-ville de Black Hallows.
Andrew et Nina entrent à leur tour dans la maison, chargés des affaires de leur fille.
Barrett Flynn, le père de Nina, les débarrasse. C’est un homme immense. Deux mètres et des poussières pour quatre- vingt douze kilos. Il a les cheveux grisonnant, coiffés à la Trump, des yeux verts fripés toujours dissimulés derrière une paire de lunettes vintage et un ventre énorme, sans doute gavé à la bière.
Depuis ses quatorze ans, il travaille comme menuisier dans un atelier de la zone industrielle de Black Hallows.
Les adultes discutent entre eux des dernières formalités puis le jeune couple quitte le domicile après l’étape bisou- câlin avec la petite Oz.
C’est la dernière fois qu’elle voit ses parents.
Après l’enterrement de ses parents, Olivia s’enferme dans une cage, elle même fermée à double tour dans un coin reculé de sa tête. Malgré l’attention et l’affection que lui portent ses grands- parents, la gamine se coupe entièrement du monde réel.
L’école n’est qu’une page lambda d’un cahier de brouillon. Elle arrive à l’heure, effectue avec assiduité le travail qu’on donne et elle rejoint sa grand- mère à la galerie après la classe. Elle s’entend bien avec ses camarades mais se contente de faire acte de présence.
Le silence, c’est sa première amie.
Les mois passent. Olivia grandit mais continue de se ternir de jours en jours. Un jour alors qu’ Annabel passe la chercher à la sortie de l’école pour aller manger une patisserie et boire un chocolat chaud dans un petit salon, Olivia pose délicatement sa tasse et fixe sa grand- mère.
― J’en ai marre de mes cheveux longs. Je veux les couper.
― Tu en es sûre?
― Oui.
Deux jours plus tard, la gamine déambule dans le jardin de la grande maison des Flynn avec un carré jusqu’aux épaules et une frange épaisse qui lui barre presque la vue.
Olivia s’assoit sur un banc au bord de l’étang creusé au fond du terrain. Elle contemple les poissons qui nagent au fond de l’eau en écoutant le vent qui fait siffler les feuilles des saules pleureurs.
Barrett vient s’installer à côté d’elle. Il passe sa grosse main dans son dos.
― Ca va? Lui demande- t’il.
― Ca va.
Olivia ne se sent pas à l’aise. Mais c’est son grand- père, s’il la touche de cette façon c’est sans doute pour la réconforter, pense-t-elle.
Elle se lève.
― J’ai des devoirs à faire.
― Tu les feras demain, tu n’as pas école! Reste encore un peu avec moi.
Elle obéit et se rassoit.
Il pose lentement, l’air de rien, ses doigts sur la cuisse de l’enfant. Puis il caresse son jean, sentant la maigreur de sa jambe à travers le tissu. Olivia tourne discrètement la tête vers lui. Le vieil homme costaud passait sa langue sur sa lèvre inférieure, ce qui enlève à Oz, une grimace de dégoût. Elle pousse sa main avec nonchalance et se dirige vers la maison d’un pas rapide.
Quelques gouttes de pluie commencent à tomber.
A l’intérieur, elle grimpe les marches quatre à quatre et s’enferme dans sa chambre.
Postée devant sa fenêtre, elle réfléchit.
Elle veut partir. Loin. Maintenant.