Le Dédale de Verre.

6 mins

Image par tunnelmotions de Pixabay 

Chaque individu de ce monde est introduit dans un couloir à l’âge adulte avec des règles implantées dans leur système cérébral. Les murs de ce corridor sont en verre épais, imbrisable et on ne peut rien voir de l’autre côté.

Il fait noir. Larguée comme un cobaye dans un boîte, Sarah est dépourvue de tout sens.

Soudain, la lumière d’un néon rouge vif fait éclat dans cette obscurité dérangeante.

Est- elle seule ? Est-ce qu’on l’observe ? Et si oui, d’où ? Qui ?

Mais toutes interrogations paraissent si dérisoires à côté de celle qui l’obsède depuis le Début.

Qui est-elle ? Est-elle humaine ? Une machine ?

Sarah prend conscience de sa respiration, de chaque membre qui assemble le corps filiforme auquel elle appartient. Une main sur sa poitrine lui prouve qu’un cœur bat là-dedans. Son rythme est rapide. Elle pense et écoute le son de sa conscience.

” Et mon son à moi ? “

Surprise par sa voix, elle enchaîne les mots découvrant qu’elle sait parler et, qui plus est, de façon cohérente. Une nouvelle révélation s’offre à elle.

” Sarah. Je m’appelle Sarah. “

La jeune femme voit pour la première fois son apparence dans la paroi de verre: De taille moyenne, adulte. Des cheveux gris mal coiffés glissent jusqu’à la taille et ses yeux couleurs de l’herbe en automne sont soulignés par un trait de charbon. Un jean noir usé dissimule des hanches saillantes. Elle porte aussi un débardeur gris, une chemise à carreaux et un blouson kaki à capuche. Ses rangers sont poussiéreuses mais ont l’air en bon état.

La jeune femme avance prudemment.

Difficile de savoir pendant combien de temps elle marche, ni dans quel but. Elle ne sait même pas d’où elle vient.

Règle numéro une : Ne jamais s’écarter du chemin.

L’annonce résonne dans la tête de Sarah comme un automate.

Comment pourrait-elle s’en écarter ? Ce n’est qu’un corridor droit, sans fin, silencieux et ténébreux.

Elle se tourne pour vérifier s’il y a une porte de sortie.

Règle numéro deux : Pas de retour possible.

Mais elle veut savoir. Y a-t-il quelqu’un derrière cette vitre ?

La jeune femme s’approche et pose ses mains autour de son visage. Rien. Elle recule d’un demi pas, la main toujours sur le verre froid. Un choc de l’autre côté la fait sursauter.

” Y A QUELQU’UN? HEHO ! “

Sarah frappe. Encore et encore. Mais aucune réponse ne lui parvient en dehors d’une légère vibration sur la baie sombre et opaque.

Au moment de reprendre son avancée son visage se cogne dans la paroi. Puis elle est comme projetée en arrière. Le sol plat devient une pente raide que Sarah dévale sans pouvoir se raccrocher à quelque chose.

Elle se relève malgré la douleur de sa première chute et tente de revenir sur ses pas mais un mur invisible l’en empêche.

” La première règle. Évidemment… “

La jeune humaine n’a d’autre choix que de poursuivre. Mais alors… Le couloir n’est pas droit ?! Ce n’est probablement pas réel…

” Comment ? Si ce n’est qu’une illusion, comment est-ce possible que j’existe ? “

Sarah accumule presque autant de chocs que de chutes.

” Ça ressemble plus à une route sinueuse et dangereuse qu’à un chemin banal et tranquille. “

La lourdeur de l’air l’oblige à abandonner sa veste.

Après une nouvelle dégringolade, Sarah atterrit sur un tapis de sable blanc et doux. De nouveau sur ses pieds, elle jette un oeil aux alentours. Les murs sont recouverts de lierre si dense qu’on ne distingue plus la surface cristallisée. Le rouge des néons s’estompe peu à peu pour laisser place à un éclairage bistré. Pourtant c’est toujours ce même dédale dépourvu de souffle frais.

Le spectre de la fatigue émerge peu à peu du vide. Sarah s’assoit par-terre dans un angle du tunnel éternel et se laisse aller dans un sommeil léger alors que ses doigts s’accrochent au feuillage.

Lorsque la petite souris revient à elle, le décor a encore changé.

La verdure s’est évaporée comme si jamais elle n’avait existé laissant sa cellule infinie à nue. Une lueur violette légèrement bleutée surplombe l’endroit.

Elle reste au sol, découragée.

Son regard se perd à travers la paroi sans chaleur. Un brin d’espoir voit le jour dans son cœur. Elle distingue enfin des silhouettes de chaque côté du couloir. Tout est encore très flou mais cet aperçu lui montre qu’elle n’est pas la seule à errer dans ce casse-tête grandeur nature.

Sarah donne quelques coups brefs sur le carreau tout en lançant un appel. Une fois encore elle se retrouve face à l’échec et à son reflet.

Les formes, elles, continuent d’avancer dans la même direction.

” Ils ne m’entendent pas… Pourquoi ne m’entendent-ils pas ? “

Son semblant d’optimisme se désagrège. Écœurée, la prisonnière s’accote au mur. Son souffle chaud s’étale et se mêle à la température marmoréenne de la façade, la couvrant de buée. Sans y attacher une quelconque attention, la captive trace les lettres H.E.L.P.

Elle espère de tout cœur que quelqu’un voit et comprenne ce mot.

Sarah se redresse avant de s’en aller vers une destination inconnue. La tristesse grignote morceau par morceau la lassitude qui encombre sa cage intérieure.

” J’en ai assez… J’en peux plus d’être enfermée… “

Le chagrin se fait sauvagement broyer par la détresse puis noyer par ses larmes. Une voix mécanique lui rappelle la première règle mais Sarah l’ignore et s’écroule contre la vitre secouée par des sanglots incessants.

Après cette purge salée, la prisonnière tente de reprendre ses esprits, essuie ses joues d’un revers de manche puis se remet debout, armée de quelques fragments de volonté laissé là par son espoir éventé.

Après un coup d’oeil machinal sur le carreau, Sarah tombe des nues.

” ICI. “

C’est inscrit de la même façon que le message envoyé plus tôt.

On lui a finalement répondu…

” Ici… Mais… Je ne vois personne ! “

Un souffle plus tard, la jeune femme répond simplement :
OU ?

La flamme de son espérance se serait-elle ranimée ? La lueur améthyste se mue en nitescence opaline sans pour autant rendre sa prison visible.


Elle laisse son message en suspens après quelques minutes et avance, le pas lourd et traînant. Une vague de mélancolie l’emporte.


Il a fallu un message écrit pour révéler sa présence. Pourtant tous demeurent aveugles et sourds.


Sarah se sent condamnée. Sa main glisse sur le rempart lisse de sa geôle sans fin. La jeune femme se laisse happer par cette sensation de froid. Il en devient presque enivrant. Peut-être est-ce la dernière chose qu’elle connaîtra?


” Y aura-t-il au moins une fin ? “


Les prémices de la colère gronde dans son antre. Elle lève la tête vers un ciel imaginaire.


” EST-CE QUE TU M’ENTENDS ? “


Rien.


Sarah utilise alors l’unique moyen de communication établi.


” EST-CE QUE TU ME VOIS ? “


Une longue vibration traverse la paroi. C’est comme un choc électrique au bout de ses doigts.


Le regard à nouveau rivé sur le carreaux, le souffle coupé…


” OUI. “


Un million de questions se heurtent les unes aux autres dans sa tête.


” IL Y A UNE SORTIE ? “


” JE NE SAIS PAS. “


La personne de l’autre côté doit être aussi perdue que Sarah à ce moment-là. Tout en marchant dans ce dédale, les deux individus font connaissance …


” Quel est ton nom? “


” Calvin. Toi ? “


” Sarah. “


… Jusqu’à être intercepté par la voix robotisée.


Règle numéro trois : Tout lien avec autrui est strictement interdit.


” Non… Ce n’est pas vrai ?! Ce… ce n’est pas possible ?! VOUS N’AVEZ PAS LE DROIT ! “


Mais après qui Sarah hurle-t-elle ? À part ce Calvin, aucune forme d’autorité ne s’est encore manifestée… Si on enlève le mode d’emploi cérébral.


Pourtant, la jeune femme se fait rebelle.


” Il faut qu’on sorte d’ici ! “


” Comment ? On est piégé ! “


En y réfléchissant bien, Sarah n’a survécu que grâce à ses émotions. Il en reste deux à adopter.


La première a fait une petite apparition juste avant l’entrée en scène de Calvin. Elle est d’ailleurs sur le point de refaire surface pour de bon. Face à son désir de liberté, la rebelle continue de laisser des messages à l’attention de l’autre prisonnier. Elle sent à l’intérieur d’elle que le monde l’appelle.


Alors, elle attrape sa boîte de Pandore dans laquelle sont entassés sa rancoeur, sa hargne et son dégoût et les libèrent.


Sarah ne craint pas ses émotions fortes et incontrôlables mais les laisse vivre en elle pour qu’ensemble ils brisent les murs de cette prison.


Ses poings martèlent les murs à les en faire saigner. Mais, elle ne s’arrête pas et s’attaque au sol comme une enragée.


La voix qui annonçait les règles revient au galop à chaque coup mais se court-circuite de plus en plus jusqu’à ne devenir qu’un long silence. Tout change.


Et enfin, un cri. LE cri qui sauve Sarah à jamais de son enfer.


La bête fait tomber les remparts et sa forteresse.


Toujours agenouillée, l’affranchie regarde autour d’elle. Aucun décor ni silhouette dans les environs mais un air pur qu’elle inhale comme si elle était restée en apnée pendant un long moment.


Sarah se lève. Des bruits de pas dans son dos attirent son attention.


Un ultime survivant à tout ce désastre: Calvin.



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