La salle du trône était pleine, des coussins étaient placés au sol devant des mets présentés dans de grands plats. Malgré ma mauvaise vue j’observais l’absence de couverts, les gens mangeaient avec leur main. Mon entrée fut annoncée et un silence plomba la salle. Ghalia prit mon bras et me fit avancer vers le Sultan qui était assis un peu en hauteur. Mon accompagnatrice me chuchota à l’oreille que je devais faire la révérence.
« Aaahhh voilà le joyau de mon spectacle, approche mon enfant, que je te regarde de plus près, n’ai pas peur je ne vais pas te manger. »
Son rire remplit la pièce, sa cours qui souhaitait lui plaire éclata de rire aussi. M’approchant de lui je me sentit trembler de tous mes membres. Haroun El Abadil était un homme plutôt gras et poilu, sa tenue était tissée de fils d’or et de pierres précieuses, il ne devait pas être grand mais il dégageait un charisme qui forçait le respect, sa voix était grave avec un fort accent. Il jouait avec la pointe de sa barbe qu’il enroulait autour de ses doigts, son regard perçant me rappelait celui de Camila, sombre et sans fond. Son inspection continua, soulevant quelques voiles de-ci de-là, il me tapa les fesses comme si j’étais une jument. Il finit par regarder mon visage et découvrit l’ampleur des dégâts. S’adressant à sa seconde épouse il lui demanda si elle pouvait faire quelque chose pour arranger çà. Elle lui répondit que oui à condition que nous aillions accès au harem.
« Ghalia, Ghalia, tu sais que tu finis toujours par obtenir ce que tu veux, c’est d’accord vous pourrez être libérées de votre cellule, mais ce soir ma jeune invitée partagera ma couche, il serait dommage qu’elle ne connaisse pas l’amour avant de mourir, tu seras gentille hein ? »
– Tu ne toucheras pas cette enfant !
Une femme venait d’entrer dans la pièce, elle était très belle, sa peau dorée et ses yeux bruns en amandes surlignés de noir captaient l’attention, sa démarche était presque irréelle, semblant flotter dans les airs, un parfum de jasmin emplit aussitôt la pièce. Elle vint s’asseoir près du Sultan et me jetant un regard dédaigneux, fit signe à Ghalia de m’emmener loin des mains de son mari. Avant de partir je la regardait une dernière fois et lui dit merci avec mes mains jointes. Ce n’est qu’une fois retournée dans le harem que je me rendis compte que ma vue s’était encore améliorée. Une servante me déposa un plateau devant moi, mon estomac se réveilla soudain, j’avais faim. La seconde épouse s’assit à côté de moi et amusée me regarda manger.
« On peut dire que tu as eu de la chance ce soir, grâce à ta rencontre avec la première épouse, Asma tu vas pouvoir dormir tranquille. Mais reste sur tes gardes, elle ne sera pas toujours là et le Sultan obtient toujours ce qu’il veut. »
Une fois mon assiette terminée je sombrais dans un profond sommeil sans rêves. Le lendemain à l’aube une voix qui résonnait comme un écho semblait réciter un texte, comme une plainte. Une jeune femme s’approcha de moi, elle me dit de me lever, il ne fallait pas manquer la prière du matin. Encore endormie je tentais de la suivre, toutes les femmes du harem étaient là, à genoux, le front au sol, il n’y avait aucun bruit à part l’homme qui prononçait des mots dans une langue qui m’étais complètement inconnue. Je profitais que personne ne me regarde pour observer mon environnement. La pièce était entourée de fenêtres décorées d’arabesques empêchant ainsi que les visiteurs puissent voir les femmes du harem. Ma vessie se rappelant à moi et il me fallait trouver un endroit plus approprié. Une fois dans le couloir, je longeais les murs la tête baissée. Je percutais de plein fouet le torse d’un homme, il semblait pressé et très énervé c’est à peine si il me prêta attention. Ma vision n’étant pas bonne j’avais développé d’autres sens et dans ce pays mon odorat était fortement sollicité. Cet homme avait une odeur sucrée et forte à la fois, du musc peut-être. Il continua son chemin sans rien dire, tant mieux pour moi.
Une fois la prière terminée Aïcha m’emmena une nouvelle fois prendre un bain, une fois habillée elle m’annonça que j’allais être examinée par Beya la femme qui faisait naître les bébés au palais. La panique se fît sentir au creux de mon ventre, qu’allait-il se passer quand elle découvrirait la vérité ? Serais-je exécutée sur le champs ? Après réflexion je préférais mourir rapidement plutôt que dévorée par les fauves. Le moment était venu, on m’installa sur une table en pierre, un drap blanc posé sur mes genoux, les femmes les plus influentes du harem étaient présentes. Ghalia apparut et fendant la foule elle vint à côté de moi et me prit la main.
« Ne t’inquiètes pas, tout va bien se passer, sois courageuse çà ne durera qu’un instant. »
Je tremblais de tout mon corps, les larmes coulaient malgré moi. Beya fît son entrée, elle ressemblait à une sainte avec son voile sur la tête, son visage était rond et dégageait de la douceur. Elle demanda qu’on lui laisse un peu d’espace pour pouvoir officier dans les meilleures conditions. Prenant un carré de tissu blanc dans ses mains, elle le montra à toute l’assemblée. Avant de commencer elle me demanda si j’étais prête, sa voix était douce et apaisante. Alors qu’elle soulevait le drap pour commencer son examen, elle s’arrêta net. Ghalia s’approcha et souleva le drap, à l’expression de son visage je compris que quelque chose n’allait pas.
« Mesdames, sortez toutes, Beya a besoin d’être au calme pour faire son examen, il y a trop de monde. Vous serez informées quand se sera finit. »
– Mais il faut des témoins le Sultan a été clair, nous avons toujours fait de cette façon il n’y a pas de raisons que cela change. Dit Aïcha.
Asma tapa dans ses mains à plusieurs reprises pour calmer tout le monde, elle invita les femmes à sortir un instant pour laisser le temps à Beya de se préparer tranquillement, elles pourront revenir pour le verdict final. Une fois la porte fermée la première épouse qui semblait contrariée s’approcha de la table pour comprendre ce qui venait de se passer. Après un rapide coup d’œil sous le drap, elle me demanda :
« Mais qui t’as fait ça ? »
J’éclatais en sanglots et tant bien que mal je racontais mon calvaire. Beya me prit dans ses bras pour me consoler. Les deux épouses s’éloignèrent pour parler dans leur langue. Après quelques minutes, Ghalia se coupa le bout du doigts et me déposa du sang sur l’intérieur de ma cuisse. L’interrogeant du regard elle m’expliqua que si le Sultan apprenait qu’il s’était fait dupé sur la marchandise il risquait de se mettre très en colère et ma mort serait plus lente et plus douloureuse que ma fin prévue avec les tigres. Asma et elle avaient peut-être trouvé un moyen pour retarder mon exécution voir même de m’éviter le pire. Haroun avait du mal à refuser ce qu’elles demandaient, elles pourraient profiter de cette faiblesse pour me faire gracier et me prendre à leur service. Les femmes reprirent leurs places autour de moi, Beya leur expliqua que lors de ma traversée j’avais attrapé quelques parasites et qu’il avait fallu me raser pour tout retirer et éviter la transmission auprès des autres occupantes du harem d’où le besoin de rester en petit nombre avec moi. Les femmes firent une moue de dégoût et reculèrent d’un pas. La cérémonie pouvait commencer. Ma complice passa le tissu immaculé sur le sang déposé par Ghalia, elle tendit devant toute l’assemblée féminine la preuve de ma fausse virginité. L’une d’elles se mit à pousser un cri qui ressemblait à un « youyou », les autres femmes l’accompagnèrent et elles se mirent à danser en chantant. On venait me féliciter et m’encourager, d’après elles Allah était grand et ne me laisserait pas seule dans l’épreuve qui m’attendait.
Ce soir-là alors que je contemplais les étoiles, Ghalia s’approcha de moi et me fit une proposition. En l’acceptant je ne pensais pas que cela changerait toute ma vie. Elle tenait de sa grand-mère un ancien texte, une sorte de pacte. Il suffisait de faire un rituel, dire quelques incantations, formuler un souhait, dans mon cas retrouver la vue et de faire don d’un peu de sang. En échange je jurais de ne jamais quitter ce continent. Je pris quelques minutes pour réfléchir, étant recherchée dans mon pays, mon père ayant fait son choix, la décision fût rapide, je choisissais de passer un accord avec le diable pour survivre dans un pays étranger. La mise en place fût rapide, dans une des cellules du harem, allongée par terre, des bougies et de l’encens allumés autour de moi, Ghalia marmonna des mots d’un autre temps, elle dessina des symboles dans les airs et sur le sol pour terminer la cérémonie elle me coupa l’intérieur de la main ainsi que la sienne, je fis une grimace, elle récupéra le liquide rouge dans un petit bol, du bout de son index elle mélangea nos sangs puit me dessina des lettres sur les paupières, posant ses mains sur mes yeux, une chaleur intense se fit sentir, j’avais l’impression de revivre ma brûlure, Ghalia me dit de me détendre et d’accepter la douleur, tant que je résiste la souffrance sera forte. Facile à dire, j’avais envie de la frapper et puis je finis par me détendre et là, comme par magie, la douleur s’estompa de plus en plus jusqu’à disparaître. Soudain derrière ma nuque une piqure me fit sursauter.
« C’est normal, à présent tu as la marque du démon sur ta nuque, ainsi il garde un œil sur toi, si tu ne tiens pas ta promesse tu connaîtras sa colère. »
Passant ma main à l’endroit de la marque, un petit scorpion était gravé dans ma chair. Je ne me rendis pas compte que mes yeux étaient grands ouverts et qu’à nouveau je pouvais voir normalement. La femme en face de moi devenait ma marraine, ma nouvelle famille, elle m’enlaça et me chuchota quelques mots arabes dans l’oreille. Épuisée je m’endormis dans ses bras et pour la première fois depuis des semaines je me sentis en sécurité. Cette nuit-là je fis beaucoup de cauchemars, mes souvenirs d’avant s’effaçaient et s’envolaient dans le vent, les visages de ma famille disparaissaient au loin dans le sable du désert. Un œil immense de couleur verte m’observait, je ne savais pas comment interpréter ce rêve, est-ce un bon présage ou au contraire une malédiction ? Au petit matin l’appel de la prière me sortit de mes tourments. Je me dirigeait vers la salle de prière, les femmes du Harem semblaient ne pas me reconnaître, certaines changeaient de direction en me voyant. Asma m’attrapa par le bras et m’escorta jusqu’à la salle, elle m’installa à côté d’elle. A la fin du rituel elle annonça aux femmes qu’à compter de ce jour je serais sa servante personnelle, l’annonce sera officielle ce soir au dîner. Un bruit attira mon attention, Aïcha venait de quitter la pièce en claquant la porte, il semblerait que ma nomination lui ai déplu, je venais sûrement de lui voler sa place. Quelques femmes posèrent des questions sur ma récente métamorphose, Asma expliqua que le Sultan avait demandé à ses alchimistes de trouver un remède, je ne pouvais pas être présentée aux tigres royaux avec un visage aussi abimé. Les scientifiques avaient fait des merveilles, Haroun El Abadil serait ravi du résultat. Mes nouvelles « sœurs » étaient convaincues par les explications de la première épouse, après tout son prénom signifiait « Sublime », sa voix et sa beauté était envoutantes et personne n’aurait remis sa parole en doute. Suite à cette annonce certaines femmes s’approchèrent de moi pour regarder et me toucher, séduites par le résultat elles firent venir les alchimistes « magiciens », ces derniers avaient été payés par la reine pour garder le silence sur la supercherie et devaient fournir quelques poudres dorées aux différentes épouses pour leur faire croire qu’elles aussi pouvaient profiter de leurs vertus pour retrouver leurs beauté d’antan.