Au dîner, Asma et Ghalia se placèrent autour du Sultan, lui chuchotant quelques mots doux au creux de l’oreille, l’une lui versait du vin dans sa coupe, l’autre lui déposait des grains de raisin dans la bouche. Faisant parti du personnel je ne pouvais pas m’asseoir à la table d’honneur, j’observais donc la scène de loin, une jeune femme s’approcha de moi, elle n’était pas très jolie, les traits du visage plutôt grossiers.
« Je m’appelle Jenna, je suis une des filles du Sultan, Tu es la nouvelle c’est ça ? Lucia ? »
Cette petite brune m’amusa beaucoup, elle était la première à ne pas me prendre de haut, j’aimais sa fraîcheur et sa bonne humeur communicative. Nous échangions quelques mots quand soudain des éclats de voix se firent entendre, la musique s’arrêta et 4 jeunes hommes entrèrent dans la salle. Deux d’entre eux semblaient se disputer, les deux autres les tenaient à distance l’un de l’autre. Haroun se leva contrarié que sa fête soit interrompue.
« Et bien, et bien, qui peut m’expliquer pourquoi mes fils se disputent alors que nous passons un bon moment ? »
Le plus âgé s’avança, il s’appelait Elias. Jenna m’expliqua rapidement la situation, une fois majeur les fils du Sultan devaient partir pour un voyage initiatique et revenir avec de nouveaux territoires. Elias l’ainé des frères faisait la fierté de son père, conquérant dans l’âme, il avait encore une multitudes de qualités ce qui énervait prodigieusement le plus jeune des frères, Hassan. Ce dernier ne s’intéressait pas au Royaume, son rêve était de prendre la mer pour aller découvrir d’autres pays, il voulait quitter la terre qui l’a vue naître. Yanis et Zaïm suivaient Elias comme son ombre, leurs vies étaient calqués sur celle de l’aîné, le petit dernier était plutôt rebelle et ne voulait pas entrer dans les pas de quelqu’un, il souhaitait faire ses propres traces. Je fis remarqué que Ghalia semblait tendue, Jenna m’expliqua que Hassan était le seul fils qui n’était pas de Asma, légitime mais mal accepté par les autres, Ghalia était sa mère son accouchement fut difficile, ne pouvant plus faire d’enfant, Hassan était la prunelle de ses yeux. Elias prit la parole.
« Père, il est temps pour mon frère Hassan de partir faire son voyage, mais il refuse, il n’accepte pas nos traditions et ne vous respecte pas. »
– Hassan, est-ce vrai ce que dit ton frère ? Tu souhaites faire l’impasse sur nos coutumes ?
Le jeune prince se dégagea de l’emprise de son demi-frère et regarda son père avec un air de défi. La tension était telle qu’on pouvait entendre les mouches voler. Sans m’en rendre compte je fis tomber une cruche d’eau avec fracas sur le sol, toute l’assistance se tourna vers moi. Le Sultan furieux me demanda d’approcher. Une fois devant lui je m’excusais pour ma maladresse. Son courroux semblait se dissiper en voyant les traits de mon visage.
« Tu es la fille qui va être sacrifiée ? Par quelle magie ton visage s’est-il transformé ? »
– Cher époux vous avez la mémoire courte, vous m’avez missionnée pour trouver une solution pour rendre cette petite plus présentable. Je ne vous cache pas qu’au vues du résultat je serais d’avis de la garder près de moi comme servante plutôt qu’elle finisse dans l’estomac de vos tigres. Son visage est la preuve que vos alchimistes sont les plus doués du monde, vous allez faire des jaloux c’est certain.
Asma avait parlé et une fois de plus la magie avait opérée, le Sultan comme hypnotisé avait acquiescer. Ghalia en profita pour prendre la parole.
« Majesté vous savez l’amour que j’ai pour vous et notre fils, n’y a-t-il pas une solution qui pourrait convenir à tout le monde ? Hassan n’est pas un guerrier, à quoi bon le faire partir sur des terres non hospitalières et de prendre le risque de le perdre ? Je vous en supplie mon aimé, il fera ce que vous lui ordonnerait, n’est-ce pas Hassan ? »
Elle se tourna vers son fils qui lui adressa un hochement discret de la tête. Le Sultan semblait bien embêté, il ne pouvait pas être trop gentil car on l’aura pris pour une marque de faiblesse et il n’avait pas envie d’être trop sévère car il avait beaucoup d’affection pour sa seconde épouse. Au bout de quelques minutes le verdict tomba.
« Très bien Hassan, tu ne souhaites pas partir faire ton voyage, pas de soucis en revanche tu viens de perdre ta liberté, dès demain tu travailleras pour moi, tu perds tous tes privilèges, tu me dois obéissance et comme je souhaite que mes employés soient des gens respectables, tu as un mois pour me présenter une épouse digne de ce nom, je déciderais si elle me convient ou pas. Tu n’auras plus accès aux appartements royaux et tes contacts avec tes frères et ta mère se limiteront aux repas de famille. Va, je te laisse la soirée pour profiter une dernière fois de ce que le palais peut offrir, demain, tu iras dormir dans les quartiers des esclaves. »
– Père, ne perdons pas de temps, vous souhaitez que j’épouse une femme, je prendrais votre nouvelle esclave, celle-ci ou une autre, au moins avec elle il y aura un peu de nouveauté, je n’ai jamais pratiqué avec une étrangère, vierge de surcroit, au moins je vais m’amuser un peu.
Aucun son ne sortit de ma bouche, j’étais tétanisée, mon regard chercha Ghalia, elle était déjà en train de plaider ma cause auprès du Sultan. Haroun El Abadil était un homme fier, ne voulant pas perdre la face il accepta la proposition de son fils. Jenna me prit par le bras et m’emmena, avant de quitter la pièce je sentis le regard de Hassan sur moi, un petit sourire cruel au coin des lèvres, je sus à ce moment-là que j’allais devoir me battre pour survivre. Jenna m’emmena faire un tours dans les jardins, elles se voulaient rassurante, elle connaissait son frère et il n’était pas si méchant qu’il voulait le laisser paraître. Je ne pouvais m’empêcher de trembler, j’avais peur et me sentais si seule. Ma future belle-sœur semblait plutôt contente du choix de son frère, et m’enviait pour ma future vie de femme mariée, elle attendait d’avoir l’âge pour enfin se marier, quitter le harem et la surveillance de ses parents. Sa vision du mariage était très romantique et je m’abstenais de lui ôter ses illusions. Ghalia apparut au détour d’un bosquet, elle demanda à Jenna de nous laisser seules.
« Je suis désolée, je n’ai rien pu faire. Mais ne t’inquiète pas je vais parler à mon fils il sera gentil avec toi, c’est ma chair et mon sang il ne peut pas être mauvais. J’aurais aimé te faire quitter le pays mais le pacte t’en empêche, tu es une fille intelligente tu trouveras le moyen de dompter mon fils, je ne dis pas que la tâche sera facile mais j’ai confiance en toi, tu es maligne. »