Terrimonium Chap. 1

Moi c’est Alex, j’ai 28 ans et je vis toujours chez mes parents, je suis ce qu’on appelle un “TanGeek” (mélange de Tanguy et de geek). Ma passion pour les jeux vidéo n’étant pas rentable pour le moment il a bien fallu que je trouve un boulot car la maison « c’est pas un hôtel » comme répète ma mère à longueur de temps. Après plusieurs petits boulots pas très gratifiants j’ai trouvé le poste parfait, une place à la bibliothèque municipale. A l’air du numérique ma mission est de scanner tous les vieux ouvrages pour en faire une version consultable sur tous les supports modernes. Mes horaires sont plutôt souples et vue le nombre de vieux livres qui prennent la poussière dans tous les recoins du bâtiment je ne suis pas prêt d’être au chômage.

Ça fait presque un an maintenant que je numérise jour après jour, pages après pages, l’avantage c’est que je n’ai pas trop à réfléchir et ce n’est pas trop fatiguant. Et puis un jour tout a changé, mon regard s’est arrêté sur une couverture avec une typo vieillotte et un dessin un peu kitsch d’un visage de femme hurlant, son titre “30 histoires vraies a vous faire frémir”. Moi qui n’ai jamais trop aimé la littérature, je suis plutôt attiré par les Mangas et autres bandes dessinées en général, j’ai mis le bouquin dans mon sac pour le feuilleter tranquillement chez moi car je suis curieux de voir si il tient ses promesses.

Mon dîner avalé en vitesse je prétexte une journée harassante pour aller m’isoler dans ma chambre. Sous ma couette avec pour seule lumière ma lampe de chevet je me plonge dans le vieux roman. Ce n’est qu’aux premières lueurs du jour que je le referme, je viens de passer une nuit à lire avidement toutes les histoires plus horribles les unes que les autres. Alors que je pose le pied par terre une idée me traverse l’esprit, les jeunes de maintenant ne prennent plus le temps de lire des histoires et ce serait dommage de ne pas partager ce chef d’œuvre du glauque complètement passé à l’as, je vais donc les raconter et les diffuser sur internet sous forme de podcast, je vais prémâcher le boulot en quelque sorte, ils n’auront qu’à mettre leurs écouteurs et c’est partit pour un voyage au pays de l’horreur.

La journée passe vite, je suis perdu dans mes pensées, il faut que je m’équipe, un micro, une table de mixage pour ajouter des effets sonores afin de mettre dans l’ambiance l’auditeur. Il faut aussi que je trouve un nom pour mon podcast, un truc dont les gens se rappellent facilement et qui donne le ton, je veux faire frémir. Après quelques hésitations je décide de garder “Terrimonium”, ça ne veut pas dire grand-chose mais comme ma génération ne parle pas latin les gens auront l’impression d’un mot ancien sortit tout droit d’un grimoire de sorcière.

Le reste de la semaine je synthétise chaque texte pour en faire une histoire qui ne dépasse pas les 20 minutes. Je crois que je n’ai jamais autant passé de temps le nez dans un bouquin et à ma grande surprise j’adore çà. Après avoir tout préparer, les textes, l’identité sonore, le graphisme, je me lance enfin pour l’enregistrement. Je ne pensais pas que je prendrais autant de temps mais je suis plutôt content du résultat, 30 histoires remises au goût du jour et vraiment flippantes, mon but est clairement de provoquer des insomnies pour marquer les esprits et pouvoir pourquoi pas en vivre par la suite, après tout je suis trop commun pour lancer ma chaîne Youtube et la concurrence est rude, je suis loin d’être un “beau gosse”, je préfère l’ombre à la lumière. En écoutant mes différentes prises j’ai la bonne surprise de découvrir que ma voix est plutôt agréable, pas trop grave et un peu cassée par moment je pense que je peux me démarquer.

Le matin de la première mise en ligne je suis surexcité, j’ai fait un peu de pub sur la plateforme où je joue aux jeux vidéo, les potes un peu septiques m’ont promis d’aller écouter mais je ne suis pas sûr qu’ils tiennent parole. A midi je n’ai qu’une dizaines de personnes qui sont passées sur mon profil, je me dis que c’est nouveau les gens ne connaissent pas il faut prendre mon mal en patience. Alors que j’allais rentrer chez moi, une jeune femme la vingtaine avec de longues tresses brunes me tapote l’épaule et me dit :

“Pas mal ton podcast, je n’aurais pas fait mourir la fille comme çà mais j’ai bien aimé.”

La surprise a dû se lire sur mon visage car elle a explosé de rire et m’a proposé d’aller boire un verre pour faire connaissance. Je ne vous cache pas que les rencards pour moi sont aussi rares que la neige en été. Elle semble sympa et puis ça ne me fera pas de mal de sortir un peu de ma routine. Je saisis mon téléphone.

“J’envoie juste un message et je te suis.”

Son visage se ferme aussitôt…

“Ah pardon tu as déjà quelqu’un, je ne veux pas t’attirer d’ennuis, on est pas obligé si tu es attendu, je ne sais pas ce qui m’a prise, je vais y aller, salut.”

Je n’ai pas eu le temps de m’expliquer qu’elle avait déjà traversé la rue et monte dans sa voiture. Je ne connais ni son prénom, ni son numéro, pour une fois qu’une jolie fille m’adresse la parole c’est vraiment pas de chance, surtout que mon message était destiné à ma communauté de gamers pour repousser notre rendez-vous quotidien. Finalement je serais à l’heure.

Mon esprit a été occupé toute la soirée, je me suis refait le film de l’échange avec la jeune fille aux tresses, ma première fan. Bon elle sait où je bosse elle reviendra peut-être, j’espère et cette fois-ci je serais prêt. Avant d’aller dormir je jette un œil sur les statistiques de mon podcast, je suis a une trentaine de vues çà monte doucement, j’ai quelques likes et des commentaires de mes potes qui se sont fendus d’un “C’est pas mal”, “sympa”… Le dernier commentaire était plutôt élogieux, le destinataire avait mis un pseudo :

“Enfin une histoire qui m’a fait frémir des pieds à la tête, hâte d’en entendre d’avantage”. Signé La Louve Solitaire.

Cette Louve est-elle la même fille que la demoiselle tressée? Je saisis l’occasion pour lui répondre et lui passer le message que je suis dispo, enfin célibataire.

“Merci pour ce retour très enthousiaste et encourageant, si tu veux en parler autour du verre que tu m’as proposé toute à l’heure çà sera avec plaisir.”

Après avoir relu une dizaine de fois mes deux lignes je tape sur le bouton “enter”, mon destin est en marche, on verra si elle répond favorablement à mon invitation. Cette nuit a été très longue et mon ventre s’est tortillé dans tous les sens à l’image des boyaux de ma tête, je me suis inventé mille scénarios, j’ai eu chaud, froid… N’y tenant plus je me suis levé dès que j’ai entendu les oiseaux chanté dans l’arbre face à ma chambre, je jette un rapide coup d’œil dehors et j’aperçois une silhouette sombre qui disparaît aussitôt derrière le tronc du châtaignier. Je frotte mes yeux j’ai du rêver…

To be continued…