« Je me rappelle ce jour où j’ai pour la première fois foulé le parquet.
La Danse m’a bercé d’émotions et de tendresse pendant toute mon enfance. Elle était la mère que je n’ai jamais eue, le père qui m’a toujours protégé. Belle et gracieuse, comme une colombe s’envolant aux aurores.
Quand j’ai enfilé mes premiers chaussons, je me demandais si je n’allais pas m’élever loin dans le ciel avec, alors je m’amusais à sauter, à tourner, toujours avec mon sourire candide et mes rires communicatifs. On m’adorait pour ma joie et ma passion, mais surtout grâce à mon don inné pour la Danse. Ma mère aussi, elle m’admirait à sa manière, à m’en détruire.
Les représentations et les concours étaient devenus un quotidien, une banalité écrasante. Quand est-ce que j’ai commencé à changer ? Qui m’a fait devenir comme ça ? Je ne me vois plus dans le miroir, ni dans le regard des autres. Du mépris, de la peur, de la haine, de la jalousie, était-ce ça que j’inspirais à mon entourage ? Je ne me souviens pas de la dernière fois où on m’a dit que j’avais tort sur toute la ligne, personne ne m’a prévenu. Personne n’a fait le bon choix. Ils auraient dû me frapper, cogner, hurler dessus. Peut-être que je n’en serais pas là, aujourd’hui, à attendre les conséquences de mes actes.
Mais tu étais différent des autres, tu m’as vu et tu m’as chéri. Peu importe ma force, mes insultes, tu restais, sans me comprendre mais sans me laisser faire. Je n’étais pas l’étoile montante de la Danse, j’étais moi, et seulement moi. Cette main, qui me caressait était celle qui m’avait manquée dans mon enfance. Ces paroles, qui me reprenaient et me rassuraient étaient arrivées bien trop tard. Je ne peux être sauvé, jamais, et tu le sais. Je suis lâche et égoïste, et tu le sais. Je me suis bercé d’illusions, et j’ai rejeté mes sentiments, jusqu’à les détruire. Je ne me sens plus être humain, juste une machine de guerre qui ne sait même plus ce qu’est danser. Je lutte chaque jour, contre l’angoisse et l’anxiété, la solitude et la dépression. Tu m’as aimé, je t’ai aimé. Maintenant ou après, je t’aimerai. Mais la seule différence, c’est que je ne suis pas ton pilier, alors que tu es ma raison d’être.
Je m’excuserai auprès de Cassandre, comme j’aurais dû le faire depuis longtemps, mais j’aurais aimé aussi le faire pour Sam, alors rends-moi un dernier service : remercie-le pour tout ce qu’il a fait, d’avoir été un parent, un mentor. Dis à mon père que ce n’était pas de sa faute, qu’il a été le meilleur, et a rempli son rôle à la perfection.
Excuse-moi, si la lettre est quelque peu froissée, c’est tout simplement car je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer. C’est dur de penser à toi, de penser à la vie que j’aurais voulu. Je voulais t’aimer jusqu’à mourir de vieillesse, mais la Vie en a décidé autrement. C’est difficile d’écrire quand mes yeux sont brouillés, et que mes sanglots me font trembler. Je suis un véritable boulet, hein ?
J’embrasse cette lettre, comme je le faisais pendant nos nuits d’amour. Promets-moi que tu ne me laisseras pas seul là-haut, que tu m’aimeras toujours.
Merci d’avoir essayé de prendre ma main, je te serai toujours reconnaissant. Promets-moi de ne pas pleurer, et de vivre la vie que tu as toujours rêvée.
Sois grand, sois beau, sois un Danseur, Noa.
Ton seul et unique Grégoire. »