– Maman…
Gabrielle, assise sur la table de la salle à manger, observait sa mère.
Elles se ressemblaient beaucoup.
Brunes, les yeux couleur miel et la peau pâle… Elles étaient presque identiques.
Sauf que sa mère aura cinquante ans dans quelques mois et qu’elle, elle atteignait tout juste ses seize ans.
– Mama… répéta-t-elle.
– Attends. Je travaille.
– Non, tu ne travaille pas, tu regarde des profils de jeunes célibataires sur internet. se moqua sa fille.
Gabrielle sourit, victorieuse, lorsque sa mère daigna enfin lever les yeux de son ordinateur.
– T’as gagné, grogna cette dernière, de quoi veux-tu me parler ?
La brunette sentit son courage s’évaporer.
– Euh… Comment dire… Je… Argh ! balbutiait-elle en se triturant les cheveux. Bon… Je… Je ne suis pas normale. Enfin, par normale… Je veux dire… Des gens comme moi, y en a plein… Mais ce n’est pas habituel…
Elle leva les yeux vers ceux de sa mère, qui ne semblait pas avoir comprit.
Une boule se forma dans son ventre. Une de celle qu’elle n’arrivait absolument pas à maîtriser.
– Que veux-tu dire ?
– Je… Tu sais, on a déjà parlé des différentes identités de genre…
Son angoisse augmenta en la voyant soupirer, visiblement exaspérée.
Et si elle ne comprenait pas ?
Et si elle la rejetait ?
Une larme traîtresse -bien vite essuyée- coula de son oeil.
– Maman… Je… Je ne suis pas une fille. enfin, pas complètement.
Ça y était. La bombe était lâchée.
– Pas une fille ? C’est à dire ?
Gabrielle déglutis péniblement.
– Je ne sais pas trop comment expliquer… Parce que je ressens plusieurs genres et…
– Plusieurs ? PLUSIEURS ? s’emporta sa mère, devenant toute rouge.
– Ou-Oui… Je suis…
Elle marqua un temps de pause et reprit :
– Je suis demigirl, aporagenre, humagenre et genderfluid. Donc je suis polygenre…
Elle se tordit légèrement les mains.
– Cela veut dire que je ne me sens qu’en partie fille. Que je me reconnais dans une sorte de troisième genre, à part… C’est assez difficile à expliquer… Cela veut dire que je me sens prête à tout pour les autres, et que je sens que ce n’est pas un genre binaire qui s’exprime dans ces moments-là… Et ces genres fluctuent assez. Voilà…
Elle baissa les yeux et regarda ses jambes se balancer dans le vide.
– Je ne vais pas t’obliger à utiliser un autre prénom que Gabrielle. De toute façon, je l’aime bien. Et je ne vais pas non plus te demander d’utiliser les pronoms iel ou ael. De toute façon, tu serais perdue… Alors elle, ça me va très bien. Je veux juste que tu m’acceptes comme je suis. C’est tout.
La boule dans son ventre semblait sur le point d’exploser. Mais elle savait que le cacher à sa mère était idiot.
Après tout, tout le monde était déjà au courant…
Elle entendit un bruit de déglutition à sa droite.
Sa mère venait de finir son verre d’eau, visiblement perturbée.
– Qui… Qui d’autre est au courant ?
Le feu aux joues, elle n’eu d’autre choix que d’avouer.
– Tout le monde. Mes amis, Dad, Gwen… Tout le monde…
Un silence s’installa entre les deux femmes.
La peur se dissipait un peu, au creux de son estomac, mais elle était toujours présente.
Qu’allait-il donc se passer ?
Pour se rassurer, comme lorsqu’elle était enfant, elle commença à compter les carreaux de carrelage au sol. Cela lui vidait l’esprit.
Mais une voix la sortit de son calme intérieur précaire.
– Il y a autre chose que je devrait savoir ?
L’angoisse revenait au grand galop.
– Je suis panromantique.
– Ce qui veut dire… ?
– Que je peux avoir des sentiments amoureux pour quelqu’un, sans me préoccuper de son genre. Que la personne soit homme, femme, ou autre…
Sa mère lui lança un regard qu’elle connaissait bien. Celui qui disait : “vous vous compliquez trop la vie, de nos jours”.
Mais la question qui suivit la désamorça complètement :
– Et quelle est la différence avec pansexuel ?
De rouge, la brune vira au blanc.
– Mais… Maman… Comment… ?
– Je ne vis pas dans une grotte, tout de même ! Alors ?
– La différence, c’est que cela ne concerne pas les relations sexuelles. Je… Je suis asexuelle, maman.
– A- quoi ?
– Je ne veux pas avoir de relations sexuelles. C’est comme ça. Et non, je n’ai jamais été violée, et non, ce n’est pas une mauvaise expérience, et non, je ne changerait pas d’avis.
– Je vois que tu me connaît bien… Mais es-tu certaine de… ?
– Oui, parfaitement.
Cette fois, le ton avait été sec.
Le genre, même si c’était compliqué, les gens comprenaient.
Ils comprenaient aussi que l’on puisse aimer sans se poser de questions.
Mais l’asexualité… Pourquoi était-ce aussi… incompris ?
Sa mère haussa les épaules.
– C’est ta vie. dit-elle simplement, à son grand soulagement.
Une main se posa sur son épaule.
– Mets tes révisions de côté ce soir, nous allons regarder un film.
Gabrielle sourit.
Un film.
Une tradition depuis le divorce de ses parents.
Un problème ? Un film.
Ce n’était pas plus compliqué que cela.
Mais elle le savait, il y avait autre chose.
– Maman ?
– Oui ? dit-elle en relevant la tête du lecteur DVD où elle venait déjà d’entrer leur film préféré.
– Je… Je suis en couple…
– Avec une fille ? Avec tout ce que tu viens de me dire, ça ne me surprend même plus !
– Non… A vrai dire… Même si le terme exact est trouple, nous, on se considère plus comme une triade…
Cette fois, sa mère releva la tête si vite qu’elle crue qu’elle allait s’arracher.
– Tu sors… Avec plusieurs personnes en même temps ? s’indigna-t-elle.
Ses cordes vocales refusant d’obéir, la jeune femme se contenta d’hocher la tête.
Elle la vit déglutir et marmonner qu’il leur faudrait sans doute deux films plutôt qu’un puis le générique de début commença.
Alors que la liste de la production défilait, son téléphone portable se mit à sonner.
Elle jeta un regard à sa mère avant de répondre :
– Amour ?
– Princesse ! Comment vas-tu ? Je suis avec Lily… Et on était plutôt inquiet… Tu nous as dit que tu nous appellerait ! Ne pas dis pas que ça s’est mal passé ! Si… ?
– Oh, ça va… Merci… J’ai réussi à tout faire passer. Elle sait tout. Pour mes genres, pour vous, pour ma sexualité… Pour tout ! Je crois que c’est encore un peu dur pour elle, mais tout va bien, je t’assure !
– Je suis content que tu ailles aussi bien ! Lily, arrête de fouiller dans mes affaires ! Au fait… Quand voudras-tu passer les vacances avec nous ? Tu nous manques ! Mais, enfin, Lily, qu’est-ce que tu fais ?
Gabrielle pouffa de rire. Sa petite amie était sans doute en train de l’embêter.
– Gaby ! hurla la voix de son amoureuse, je me suis inquiétée ! Je voulais t’appeler en premier, mais Môssieur Théodore n’a pas voulu ! J’ai cru comprendre que tout allais bien, c’est super ! Quand est-ce que l’on se voit pour les vacances ? Le lycée c’est pas assez ! Moi je vous veux tous les deux en même temps !
– Promis, je demande à ma mère si je peux vous voir !
– Au fait, fit la voix de son petit ami, je suis vraiment content que tu sois toi-même. Je dois avouer que j’en avais assez de rester caché derrière le portail tous les matins !
– Je suis fière, de moi, je peux vous le dire !
– Tu fais bien !
Son portable lui fut brusquement arraché des mains par sa mère.
– Maman ! Rends-moi mon téléphone !
– Oui, je suis la mère de Gabrielle… Tu es son copain, c’est ça ? Oh, et derrière, c’est ta soeur ? Votre copine à tous les deux… D’accord… Je vois… Oui… Oui… Oh, bien sûr… Evidemment !
Plus le sourire de sa mère grandissait, plus la panique de Gabrielle augmentait.
Puis elle vit sa mère raccrocher et lui tendre son téléphone.
– Tu as ordre d’allez chez Théo ce Week-end… Et de me les présenter. Oh, et si jamais tu reçois la moindre critique au lycée, n’oublie pas que tu es fière d’être toi-même.
– Oui… C’est la fierté !
Les deux femmes se sourirent et décidèrent de regarder un nouveau film.
Ce soir, là, Gabrielle s’endormit dans le canapé, soulagée.
Sa mère était fière d’elle.
C’était tout ce qui comptait.
merci pour ce texte qui est un miroir réel de la société d’aujourd’hui.. ????