En contre plongee Chapitre VIII

10 mins

Tandis qu’il récupérait doucement sous les doux draps en coton bleus ciel de l’hôpital Sainte Marie, Conrad s’occupait en lisant les nombreuses cartes de vœux de bon rétablissement qu’il avait reçu de son entourage. Il y en avait des centaines, il s’en étonna fortement, il ne pensait pas que qui se soit eu vraiment remarqué son absence ou s’en soit réellement inquiété, même si au fond, il l’avait espéré. En voyant jour après jour, défiler des cartes, des ballons et de la nourriture, il ressentit une caresse sur le cœur, comme un souffle chaud sur une plaie, et en fut sincèrement touché.

La plupart des cartes, qui encombraient sa petite table de chevet, ainsi que les quelques tiroirs qu’elle comptait, venaient d’élèves, professeurs, et responsables de son lycée, le reste, provenait de parents éloignés de sa mère, de voisins, et de collègues de son père, et… Elisée et Monica ? Il en resta sans voix. De la part d’Elisée, un tel acte de gentillesse était presqu’attendu, seul le contraire aurait pu le surprendre de la part de la jeune femme, mais, pour ce qui était de sa jeune sœur, Monica, il se serait attendu à une farce, mais certainement pas à ce qu’elle prenne de son temps pour lui écrire… Sa curiosité piquée, il se rua sur la carte en papier canson bleue, et l’ouvrit aussitôt pour voir de quelles sortes de sarcasmes et d’humour noir elle s’était servie cette fois.

Salut le grincheux,

 je sais qu’l y a peu de chances que tu lises cette carte étant donné qu’on n’est pas vraiment parti du bon pied tous les deux, mais si jamais par le plus grand des hasards tu la lisais, même par erreur, saches que je tiens à m’excuser pour tout ce que je me suis trouvé drôle à dire ou à insinuer sur toi, et par la même occasion, te souhaiter de vite te remettre.

Même si tu ne me croiras sans doute pas, je suis vraiment navrée de ce qui t’est arrivé et je veux vraiment que tu guérisses.

 Alors, Bonne Guérison !

                                                                                Monica

De la gentillesse, rien que ça ! Comme quoi… même Monica était capable de douceur, peut-être pas tout le temps, mais au moins, elle savait vraisemblablement choisir le moment. Il en fut à la fois surpris et ravi, dans l’état dans lequel il se trouvait, et toutes les choses qu’il venait de vivre, la dernière chose dont il avait besoin, était bien d’être provoqué. Il rangea soigneusement la petite carte dans l’une des poches du sac de sport en vinyle noir dans lequel son père lui avait apporté des vêtements de rechange, il ne voulait pas la mélanger avec les autres, sans trop savoir pourquoi.

S’attendant sans aucun doute à de la gentillesse à outrance de la part d’Elisée, il ne se risqua pas à lire sa carte, il était peut-être revenu d’entre les morts, mais certaines choses ne changeraient pas, à savoir que Conrad, ne supportait pas les effusions trop expressives d’amour et de tout ce qui s’y rapportait. Il voyait qu’elle lui avait envoyé une carte, il en était déjà touché, il ne voulait pas se risquer à la traiter de nouveau de nunuche sentimentale, même s’il n’aurait fait que le penser.

Il eut beau fouiller dans les piles de cartes colorées et parfumées, il ne tomba sur aucune carte provenant de Tommy. Tant pis. Il lut l’une après l’autre les cartes de vœux, des cartes bâclées par certains, aux cartes soignées et rédigées avec une réelle attention, telles que celles de Mme Either et d’une certaine Connie. Des rires aux sourcils froncés, il passa par tous les états en lisant la multitude de carte. Et n’eut fini qu’au bout de trente-six interminable minutes, il en fut si épuisé, qu’il s’endormit peu de temps après avoir lu la dernière, celle de Sarah Milton, le délégué de classe.

Les jours se succédaient imperceptiblement dans la petite chambre N° 255, Conrad se sentait mieux mais n’avait toujours pas le droit de se lever, la cicatrice atroce qui le marquait au torse n’avait pas fini de se refermer et risquait encore de se rouvrir au moindre geste brusque. De plus, son corps lui était péniblement inconfortable, comme un vêtement devenu trop petit, il restait alors assis sur son lit toute la journée, papotant avec les infirmières qui lui apportaient à manger et des médicaments, ou encore les internes qui changeaient ses perfusions, en attendant l’arrivée de son père. Depuis son réveil, un homme âgé assez original venait lui rendre visite, il lui parlait des minutes entières de sa vie, à tort et à travers, de ses conquêtes amoureuses, de ses chagrins, mais surtout, de sa passion pour le golf. Il pouvait, des heures durant lui raconter les si subtiles rebondissements d’une compétition de golf, sans omettre un seul détail. Pour Conrad qui n’avait pas connu ses grands-parents, les moments que lui offrait Mr Richard Smith étaient de réels moments de plaisir. Il était si « singulier », que les infirmières le laissaient rester même après l’heure du déjeuner, ce qui inquiétait souvent Conrad qui se demandait sans cesse si le vieil homme avait de la famille, quelqu’un rendait-il visite à cet extravaguant personnage ? Il se promit à lui-même de faire l’effort de venir le voir une fois sortit de l’hôpital. En attendant, il savourait ces moments à l’écouter parler de ses amours de jeunesses.

Un jour qu’une infirmière lui proposait de faire sa première sortie en fauteuil dans les couloirs de l’hôpital, il pensa à Mr Smith qui allait arriver sous peu et risquait de le manquer :

_ Oui, ce serait super, mais il faudra avertir Mr Smith, il risque de me chercher, vous lui direz de repasser plus tard s’il vous plaît.

_ Qui ça ?

_ Mr Smith, le vieil homme qui me rend si souvent visite dans ma chambre…

_ Je ne vois pas de qui il s’agit, tu dis qu’il s’appelle Smith ?

_ Oui, Richard Smith, il passe ici tous les jours depuis mon réveil, vous l’avez vu avant-hier quand vous m’avez apporté mon repas, il était assis à côté de moi sur le lit.

_ Avant-hier tu dis ?

_ Oui !

_ Mais tu étais seul à ce moment-là.

_ Quoi ? Non !

_ Bon je vais me renseigner d’accord ?

_ Très bien.

L’infirmière était revenue au bout d’une vingtaine de minutes, elle avait l’air secouée, peut-être même effrayée, elle regardait Conrad avec des yeux pleins d’un je ne sais quoi d’étrange, sa respiration était rapide, et semblait se forcer à garder ses distances avec le jeune homme. Elle resta là à le regarder longtemps sans rien dire, puis, un interne les rejoignit dans la chambrette, lui aussi avait cet air étrange air imprimé sur le visage, et ce regard… ils se regardèrent en biais, comme s’ils communiquaient sans se parler, et puis le jeune interne prit la parole :

_ Bonjour Conrad, je suis le docteur Stephen, l’infirmière m’a rapporté que tu disais discuter avec un certain Richard Smith, c’est vrai ?

_ Oui, Richard Smith, un vieil homme maigre, pas très grand…

_ Tu es sûr de son nom ?

_ Oui bien sûr, il me l’a dit lui-même.

L’infirmière et l’interne se regardèrent une fois de plus, apparemment surpris.

_ Conrad, est-ce qu’il s’agissait de cet homme ? lui demanda-t-il en lui montrant une photo.

_ Oui, c’est bien lui. Pourquoi ?

_ Conrad, c’est impossible que cet homme soit venu te voir dans ta chambre, il est mort il y a deux mois de cela.

_ …

Les yeux de Conrad s’étaient écarquillés, il n’en croyait pas ses oreilles, il n’avait pourtant pas rêvé, il avait écouté cet homme lui parler des heures durant ces deux dernières semaines, il avait senti son poids lorsqu’il s’était assis sur son lit, comment un homme qui était censé être mort des mois plus tôt avait pu lui rendre visite dans sa chambre, il n’y comprenait rien, et cela l’effrayait.

_ Non, ce n’est pas possible, vous vous trompez sûrement, vous avez certainement confondu, après tout, Smith est connu pour être le nom le plus populaire du monde.

_ Conrad tu l’as toi-même reconnu sur cette photo, s’il y a bien eu erreur, ce n’est pas à notre niveau.

Le jeune homme devait bien le reconnaitre, sur ce point, le docteur Stephen avait raison, il avait lui-même identifié l’homme sur la photo comme étant le Richard Smith qui le visitait tous les jours, mais comment était-ce possible ?

Sentant les regards inquiétés, et passablement interloqués, des deux individus face à lui, Conrad dû feindre d’avoir inventé toute l’histoire, des visites du vieil homme dans sa chambre, à leurs longues conversations, dans le but taquin de leur faire une blague, il se justifia en leur expliquant à quel point il s’ennuyait depuis son réveil et s’excusa de les avoir ainsi piégé. Il n’était pas sûr que cela fonctionnerait, ni même que son explication soit plausible à leurs yeux, et encore moins qu’elle soit accueillie chaleureusement, mais, en voyant l’infirmière succéder au jeune interne, qui passait la porte d’un pas lourd, le jeune homme ne put s’empêcher de se sentir soulager.

Il était désormais seul avec ses pensées, confuses, mais bien présentes, il se triturait les méninges afin de trouver une quelconque explication, rationnelle ou pas, à cette mésaventure, passant en revue toutes les possibilités qui s’offraient à lui. Cet événement n’était, certes pas le plus étrange qui lui eut été donné de vivre, mais néanmoins, pas le plus anodin. Il y était encore lorsqu’un événement lui asséna le coup de grâce. Alors qu’il se tenait le visage entre ses mains, allongé sur son lit, il entendit une voix familière qui lui glaça le sang, il se redressa aussitôt sur son séant :

_ Mr Smith ?!

_ Bonsoir petit, alors, comment tu te sens aujourd’hui ?

_ Heu, hum… bien, je vais bien…merci.

_ Tu en es sûr, tu m’as l’air bizarre ? Ils t’ont obligé à manger du tofu et tu le sens passer c’est ça ?

_ Heu, non… non, ce n’est pas ça.

_ Qu’est-ce que tu as alors ?

_ Je peux vous poser une question ?

_ Oui bien sûr, vas-y, pour une fois que tu participe à la conversation.

_ Mr Smith, depuis quand est-ce que vous arpenter les couloirs comme ça ?

_ Tu veux dire que je rends visite aux malades !

_ Oui, excusez-moi, que… vous rendez visite aux malades ?

_ Je n’en sais rien, quelques semaines je crois.

_ C’était quand la dernière fois qu’une infirmière vous a apporté votre repas ou vos médicaments, ou que votre famille vous a rendu visite ? Vous vous en souvenez ?

_ Pourquoi toutes ces questions, petit ? Tu es bien curieux aujourd’hui, je préférais nettement quand tu ne disais rien.

_ S’il vous plaît Mr Smith, répondez !

_ Et bien…, je ne m’en souviens pas, mais tu sais à mon âge…la mémoire est ce qui fonctionne le moins.

_ Monsieur Smith, j’ai parlé de vous à une infirmière aujourd’hui, elle est revenue avec un interne qui m’a affirmé que vous étiez mort il y a deux mois…

_ Elle n’est pas très drôle ta blague mon petit ! J’ai un grand sens de l’humour, mais ce n’est pas le genre de blague qu’on fait à un vieillard.

_ Ce n’est pas une blague… Je vous le promets.

_ Alors comment expliques-tu que je sois là, à discuter avec toi ?

_ Je n’en sais rien, mais l’interne m’a montré une photo de vous, et quand je vous ai reconnu, il m’a affirmé que vous étiez décédé il y a deux mois de cela.

 _ Ce n’est pas possible, quand ? Comment ?

_ Je n’ai malheureusement pas les réponses à ces questions Mr.

_ Mais si c’était vrai je m’en serai rendu compte non ?

_ Je ne pense pas, moi-même je n’ai eu que l’impression de dormir.

_ …Le vieil homme soupira.

L’expression d’habitude si enjouée du vieillard s’assombrit, il avait l’air non pas triste, mais résigné.

_ Si ce que tu dis est vrai, alors bon nombre de choses prennent du sens… dit-il pensif, comme s’il parcourait sa propre mémoire.

_ Ah bon ! Lesquelles ?!

_ Je m’en doutais, c’est donc pour ça qu’Emilie ne me rendait plus visite. Dit-il sans répondre à Conrad.

_ Qui est Emilie ?

_ Ma petite fille, elle passait tous les jours, avant le déjeuner, et après le repas, et même avant mon couché. Et l’infirmière Rita, qui me donnait des sucreries en cachette, ma mémoire a beau ne plus être ce qu’elle était, je n’aurai jamais oublié une de ces visites. Maintenant que j’y pense, je ne me souviens pas non plus de la dernière fois que j’ai dormie… mais oui, ça ne peut être que ça ! Je suis… mort…

_ Je suis vraiment désolé Mr Smith… je ne voulais pas…

_ Ne t’en fais donc pas mon petit, tu sais, tôt ou tard, on s’en va.

A peine avait-il prononcé ces paroles qu’il disparut, comme absorbé par une lumière irréelle, de cette même blancheur qu’il avait lui-même contemplé avec émerveillement, laissant Conrad sans voix et paralysé par ce qui venait de se produire juste devant ses yeux écarquillés de stupéfaction.

Depuis cette curieuse rencontre, Conrad se sentait étrangement moins « apprécié » par le personnel hospitalier, en effet, la nouvelle de sa pseudo rencontre avec le vieux Smith, avait fait le tour de l’hôpital, et, de l’entendre dire qu’il avait menti, avait écœuré plusieurs de ses soignants, qui ne le considéraient plus que comme un mauvais farceur. La situation, au-delà du simple mal aise, tournait au ridicule, certaines des infirmières, généralement les plus âgées, le toisaient dans les couloirs ou dans la cour durant sa promenade, le sermonnaient durement ou le réprimandaient inlassablement sur son comportement qu’elles jugeaient immature. Rien de plus exaspérant pour Conrad qui avait pris goût à leurs attentions et à leurs sourires tendres, sans compter les quantités de friandises qu’il leur arrivait de laisser circuler dans les chambres. Heureusement, il lui restait encore les sourires et félicitations des étudiants et stagiaires de passage qui avaient l’air d’apprécier ce genre d’humour. Quel dommage qu’ils n’aient pas de sucreries.

Désormais, le jeune homme n’avait même plus droit à des fruits confits, pas plus des infirmières que des autres patients, qui s’étaient jetés sur son histoire comme des rats sur du pain rassît. Cherchant une quelconque explication surnaturelle à ce qui lui était arrivé, et voyant en lui une sorte de miraculé. Il voyait dans les regards de certains que l’excuse de la blague n’avait pas fonctionné, mais aussi que s’il n’agissait pas rapidement, il ne tarderait pas à voir débarquer des journalistes dans sa chambre, ou pire, des proches du vieux Smith.

Lui qui tentait encore de comprendre les événements des derniers jours, devait en même temps supporter les discours lassants de ceux, dans l’hôpital, qui se donnaient trop souvent des airs d’érudits, et les regards trop insistants des autres. Seules les visites de cette charmante madame Suarez parvenaient à le mettre de bonne humeur, les délicieuses senteurs qu’elle posait dans sa chambre, les biscuits qu’elle partageait avec lui pendant qu’elle lui racontait les frasques de ses petits-fils, Matteo et Lucas, et sa si douce voix. En la regardant, Conrad pensait à sa mère, elle lui ressemblait tant dans sa manière si naturelle de rassurer, de consoler, et si souvent, d’amuser.

Malheureusement, même cette charmante vieille femme ne parvint pas à faire oublier au jeune homme l’oppressante attention dont il faisait l’objet. Il en fut bientôt à bout et supplia son père de le laisser rentrer chez eux, et bien qu’il n’en fut pas très enchanté au départ, Edouard accepta face à l’insistance du jeune homme. C’est ainsi qu’un mardi ensoleillé, en quittant son travail, Edouard avait récupéré Conrad, et avait entreprit de le ramené au nid familial.

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1 Commentaire
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bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Intrusion du surnaturel, c’est inattendu. Bravo Fani.

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