En contre plongee Chapitre XI

13 mins

Lui qui avait jusque-là été confiant et optimiste à l’idée de reprendre les cours, l’était maintenant un peu moins, il appréhendait moins bien le déroulement des événements de la journée à venir, après tant de semaines d’absence, il n’avait pas vraiment pensé à ce qu’allait devenir sa relation avec Tommy, était-ce réellement fini ? Et puis tant pis se disait-il, il avait maintenant de quoi et avec qui s’occuper l’esprit, il n’était plus aussi dépendant de leur amitié qu’au paravent. Si jamais leurs rapports s’amélioraient, tant mieux, sinon, cela ne lui semblait maintenant pas bien grave.

 Ce matin-là, alors qu’il passait sa plus belle chemise, longue manches, couleur ciel, il se figea brusquement, hypnotise par l’imposante cicatrice qui longeait son torse de la naissance de la poitrine au haut du bassin, il la scruta un long moment avant de se reprendre. Il n’oublierait jamais cette expérience, il en était sûr, mais il préférait garder le silence sur ce qu’il avait vécu pendant qu’il était mort, d’ailleurs, il n’en avait pas informé son père, il ne le croirait sans doute pas, pour dire vrai, il n’y croyait toujours pas lui-même. Il referma sa chemise et s’assura du parfait accord entre celle-ci et le pantalon en satin gris qu’il portait, avant de se chausser d’une paire de mocassins. Il avait toujours eu un certain plaisir à s’habiller, peu lui importait que les autres le trouvent ridicule ou le moque pour ses goûts vestimentaires, alors qu’eux s’inspiraient de vedettes de télé pour le choix de leur style, lui admirait la simplicité à la fois légère et esthétique avec laquelle son père s’apprêtait, et ce depuis son enfance. Derrière lui, le réveil affichait six heures trente, en se retournant pour prendre son sac sur son lit, il le vit et accéléra la cadence de ses mouvements, pas question d’être en retard son premier jour. En descendant dans le salon, il fut accueilli par le sourire enjoué de son père :

_ Alors champion, t’es prêt pour aujourd’hui ?

_ Oui, merci, je me sens bien, en fait, j’ai hâte d’y être.

_ Tu es sûre que ça ira, tu sais tu peux attendre encore un ou deux jours, tu as besoin de te reposer…

_ Mais non voyons, papa, arrêtes de t’en faire comme ça, tout se passera bien, je suis en pleine forme, je te raconterai tout ce soir, OK ?

_ OK, si tu vas aussi bien que tu le dis, tenta-t-il, dans ce cas, on peut y aller.

_ Allez, on risque d’être en retard !

Les deux hommes franchirent le seuil de leur maison cotes à côte dans une ambiance détendue qu’ils avaient tous les deux espéré retrouver tout ce temps.

Le trajet en voiture jusqu’au Lycée Georges Mayer se fit différemment des autres fois, Conrad discutait avec son père de choses et d’autres, notamment des changements qu’il souhaiterait voir survenir dans leur quotidien, à commencer par le mobilier du salon. Ils rirent un long moment de la décoration sordide de leur salle de séjour, alors que la voiture passait devant la bibliothèque. Les murs de l’établissement se distinguaient à peine à l’horizon lorsque Conrad salua son père et lui souhaita une agréable journée, il l’enlaça, le prenant ainsi de court et le laissant sans voix, avant de descendre du véhicule un sourire aux lèvres.

La cour du lycée n’avait pas changé, et pourtant, en la voyant, Conrad eu la sensation de la découvrir. En le voyant apparaître derrière le lourd portail bleu marine de l’entrée, tous les élèves présents avaient arrêté leurs conversations, ils le fixaient d’un air hébété comme s’il ne s’attendaient pas à le revoir de sitôt, ou qu’il serait un peu plus amoché après l’accident qu’on leur avait relaté et les nombreuses opérations qu’on leur avait dit qu’il avait subi. Conrad avançait dans la cour d’un pas nonchalant et assuré, la tête haute et les épaules droites, faisant mine de ne pas remarquer les millions d’yeux qui l’entouraient. Des chuchotements avaient vite faits de remplacer le silence de stupéfaction qui régnait quelques minutes plus tôt, tandis que des bruits de pas pressants résonnaient fortement autour de lui. Mais il ignora la foule qui s’était formé près de lui et qui bavardait, même lorsqu’il croisa les regards hautains et méprisants de Jim et Adam, alors que Jordy, Louis et Henry faisaient mine de ne pas l’avoir remarqué, les yeux fixés sur leurs chaussures, les mâchoires serrées. Il n’avait pas encore atteint l’escalier qui menait à son étage quand la voix de Mme Either l’interpella :

_ Conrad !

_ Oh bonjour Mme Either, comment allez-vous ?

_ Moi ? dit-elle réellement étonnée, Bien, merci. Tu reprends déjà les cours ? C’est un peu tôt non ? Comment vas-tu ?

_ Je vais bien, merci, depuis longtemps en fait. Il me tardait de revenir au lycée, j’en avait assez de rester chez moi à ne rien faire, et puis vous me manquiez !

Elle lui offrit le plus radieux des sourire ravi, il était heureux de ne plus y lire cette pitié récalcitrante, mais plutôt une sorte de soulagement, il lui rendit son sourire

_ Bon retour parmi nous Conrad, vous aussi vous m’avez manqué !

_ Merci Mme.

 Puis, non sans regrets, il prit congé d’elle après l’avoir longuement assuré qu’il se portait comme un charme. Il devait bien l’admettre, cette femme svelte aux longs cheveux roux et aux vêtements trop colorés lui avait manqué, elle était l’une des rares personnes qui s’étaient toujours souciées de lui, alors même qu’il faisait du mauvais esprit, il lui en serait toujours reconnaissant. Il continua assidûment son chemin jusqu’à sa classe. Dans le couloir du premier étage, à deux ou trois classes de la sienne, Conrad ignora de plus bel les regards indiscrets qui l’effleuraient de parts et d’autres, il se sentait d’humeur orgueilleuse, il ne parlerait qu’à ceux qui l’aborderaient. Justement, devant lui une brune à lunettes, les bras chargés de livres courait dans sa direction, elle revêtait une jolie robe à rayures rouge et noire, elle le regardait de ses yeux pleins d’excitation comme une petite fille qui croit avoir reconnu le père noël.

_ Conrad, Conrad !

_ Oui…

_ Salut, je m’appelle Sally Evans, tu ne dois pas me reconnaître, c’est normal, on est pas dans la même classe, en fait on l’a jamais été, je suis ta plus grande admiratrice !

_ Ma plus grande admiratrice ?

_ Oui, tu es une sorte de star maintenant, t’es celui qui est revenu d’entre les morts, j’ai tellement de question à te poser…

_ Heu, peut-être plus tard, pour le moment, je dois aller en cours.

_ Oh, OK, tout à l’heure à la pause alors ?

_ D’accord, si tu veux.

_ Super !

Loin d’être franchement ravi de cette curieuse rencontre, Conrad espérait qu’ils ne soient pas nombreux à avoir ce genre de comportement à son égard, toute cette énergie, et ce regard, il pouvait s’en passer. Heureusement, la sonnerie était de son avis, elle retentit au moment où Sally allait de nouveau faire effusion de sa bonne humeur. Il put donc s’en aller rejoindre sa classe où l’attendait son cours d’Histoire avec Mr Jefferson, ce sarcastique personnage dont le niveau d’intelligence faisait froid dans le dos.

Dans la salle de classe, comme partout ailleurs dans l’établissement, les regards étaient tournés vers lui, il laissait, à son passage, des nuées de murmures, à la différence qu’ici, il avait eu droit à des « Bonjour Conrad » et à des « Bon retour parmi nous », de personnes qui au paravent, l’ignoraient complètement, qui riaient quand il était humilié ou qui passaient tranquillement lorsqu’il était violenté, il ne répondit à aucun d’eux, les ignorant tout bonnement le visage fermé, l’hypocrisie le dégoûtait. Il souligna cependant que seuls ses anciens tortionnaires restaient silencieux, des yeux toujours aussi noirs de mépris posés sur lui, il valait mieux d’ailleurs, Conrad ne se sentait pas assez transfigurer pour leur pardonner, ni même pour les considérer comme de simples connaissances, il préférait ignorer jusqu’à leur existence, il était certes ressuscité, mais n’était pas Jésus pour autant. De toute façon, il sentait que les hostilités ne tarderaient pas à reprendre.

Mr Jefferson n’était pas encore arrivé, le jeune homme en fut quelque peu soulagé, il alla prendre place sur son siège au font de la pièce, ce n’est que lorsqu’il s’assit qu’il se rendit compte que Tommy n’était pas à la sienne, juste devant lui, d’ailleurs, il n’était nulle part dans la salle. Il le chercha du regard de longues minutes, mais ne le trouva pas, il eut beau fixer la porte s’attendant à le voir la passer, il ne vit arriver personne. Le voyant ainsi fouiller la salle du regard, l’un de ses camarades les plus antipathiques lui fit :

_ Si tu cherches ton petit copain, il n’est pas là, il est chez lui sous ses couvertures, malade comme un chien, tu devrais aller le réchauffer.

_ La ferme Scott, ton haleine rend les conneries qui sortent de ta bouche, encore moins supportables !

Un cri collectif de stupéfaction avait résonné dans la salle de classe, et pour cause, Conrad n’avait pas la réputation de regimber, il était plus du genre à détourner le regard et à la fermer. Après un court silence, les spectateurs avaient éclaté d’un rire communicatif que Scott n’était pas près de digérer, Conrad le savait. Enfin, l’arrivée de Mr Jefferson mit fin au raffut :

_ Heureux de vous savoir de bonne humeur, vous serez donc contents de savoir que je vous ai préparé une petite interrogation…

_ Mais monsieur, Conrad vient de revenir, il n’a pas lu le cours, il aura pas la moyenne, on devrait lui laisser le temps de se mettre à jour. Tenta une élève.

_ Oh vraiment ? Fit le professeur, feignant l’étonnement, Mr Davis, bon retour parmi nous !

_ Merci Mr.

_ Vous ne voyez aucun mal à ce que nous procédions à une évaluation, après tout si vous êtes parmi nous aujourd’hui c’est bien que vous êtes en pleine possession de vos facultés mentales.

_ En effet Mr, je me porte à merveille.

_ Par conséquent, seriez-vous d’accord pour prendre part à cette petite évaluation,

 _ Oui bien sûr, sans problème Mr.

_ Heureux de l’entendre, sortez tous une feuille blanche

Un soupir d’agacement parcouru l’ensemble de la classe, des regards de mécontentement fusaient autour de Conrad, ce dernier ni prêtait pas attention, il était fier de lui, il les narguait d’un sourire railleur en rangeant ses affaires. Peu lui importait d’avoir la moyenne ou pas, c’était son premier jour de reprise des cours, il serait toujours temps pour lui de se rattraper, mais les occasions comme celle-ci d’en faire baver ses camarades, il n’y en aurait pas des masses.

Le cours d’Histoire qui venait de se terminer avait mis Conrad de bonne humeur, il avançait dans les couloirs se dirigeant instinctivement vers son casier, d’un pas nonchalant. En l’ouvrant, il eut un choc, il était vide. A ce moment précis, Conrad réalisa la portée des événements récents, leur impact sur son quotidien allait bien plus loin que les cicatrices qui recouvraient son corps, bien plus loin que ses nouvelles facultés, rien ne serait plus jamais pareil désormais. Il soupira avant de le refermer. Secouant la tête pour chasser ses idées moroses, il reprit sa balade dans les couloirs.

Assis à sa table favorite à la cafeteria, les yeux plongés dans un classeur, Conrad relisait soigneusement ses notes et les détails importants de ses précédentes rencontres pour les besoins de ses histoires. Le plateau repas posé devant lui sur la table ne semblait pas l’intéresser outre mesure. Concentré sur ses papiers d’un air absorbé, il ne vit pas arriver Sally devant lui :

_ Hey Conrad!

_ Oh heu, re-bonjour, hum…

_ Sally!

_ Sally, oui, salut.

_ Qu’est-ce que tu lis ?

_ Rien d’important, je me mets à jour avec mes cours. Dit-il en refermant son classeur.

_ Oh ! Si tu veux je pourrais t’aider à les recopier, je suis super rapide.

_ Non, merci, ça va, je me débrouillerai. Mais dis-moi, tu n’avais pas des questions à me poser ? Dit-il pour détourner son attention du classeur posé entre eux sur la table.

_ Si, si ! Des tas de questions, en fait. Bon, par où commencer ?

 Une seconde ! dit-elle en sortant un carnet rose de son sac facteur.

Alors, il faut que tu saches, je suis une vraie dingue de paranormal, mes questions risquent d’être un peu… bizarre, alors, ne t’en vas surtout pas en courant.

_ Pas de problème, je t’écoute. Répondit-il en souriant.

_ Génial, alors… Première question : De quoi est-ce que tu te rappelles de ton accident ?

_ Rien de précis, je n’ai que des flashs

_ Et qu’est-ce que tu vois ?

_ Je me vois traverser la route sous la pluie…

_ Et ensuite ?

_ Ensuite plus rien !

_ D’accord ! Est-ce que ça t’a fait mal de mourir ?

_ Non, en fait je n’ai rien senti, ni les gens autour de moi, ni mon corps, je ne pouvais qu’entendre.

_ Comment tu as sus que tu étais mort ?

_ J’ai entendu les médecins déclarer mon décès.

_ Et après ? Qu’est-ce que tu as vu ?

_ Rien, les voix des médecins, puis le noir total, je me souviens juste m’être réveillé à l’hôpital.

_ Vraiment ? Rien, ni personne ?

_ Oui. Je n’ai pas vu Dieu si c’est ce que tu veux savoir.

_ OK… Lâcha-t-elle en écrivant dans son carnet, et depuis que tu es revenu, il ne t’est rien arrivé d’étrange. Lui demanda-t-elle les yeux exagérément exorbités.

_ Hum… non ! répondit-il en feignant la réflexion.

_ Tu en es sûr ?

_ Et bien rien que j’ai remarqué en tout cas.

_ Tu n’as senti aucune présence anormale près de toi ces derniers temps ? Pas d’absence ou de crises de somnambulisme ?

_ Non, rien de ce genre…

_ Dommage… soupira Sally la tête baissée.

_ Désolé de t’avoir déçu. Vraiment.

_ Non, ce n’est rien, c’est juste que je pensais que… laisses tomber, tu trouverais ça ridicule de toute manière.

Conrad regardait la jeune fille tristement, il s’en voulait d’être responsable de sa mine défaite, mais il savait pertinemment qu’il ne pouvait pas tout lui raconter. Il entreprit donc de la réconforter autant que possible. A ce moment, une meute de jeune filles trop maquillées surgit de nul part et vint s’arrêter juste à leur hauteur :

_ Hey salut Conrad ! lui lança l’une des jeunes filles qui se tenait à la tête du groupe.

_ Salut Sarah.

_ T’as reçu ma carte, je t’en écris une quand t’étais dans le coma.

_ Oui, je l’ai reçu, merci. Souffla-t-il.

_ Super ! C’est super cool que tu te sois réveillé, ça plaisir de te voir.

_ Merci beaucoup. Dit le jeune homme septique.

_ Je donne une fête pour mon anniversaire, tiens, elle lui tendit une carte, ce serait cool si tu venais. Tu peux amener quelqu’un si tu veux.

Il se tourna instinctivement vers Sally, l’invitation en elle-même ne l’intéressait pas, mais il s’en voulait de la peine qu’il avait fait à la jeune fille, il se dit qu’il lui devait au moins çà.

_ Sally, ça te dirais, pour me faire pardonner ?

_ Pour de vrai ? un large sourire illuminait son visage.

_ Hum, pas question qu’elle se pointe à ma fête, la règle d’or c’est pas de tarée. Tu peux venir avec quelqu’un d’autre. N’importe qui mais pas cette folle. Déclara-t-elle en toisant Sally.

En voyant l’expression de profonde tristesse que dissimulait mal Sally derrière sa crinière brune, Conrad se mit en colère.

_ Dans ce cas, ta foutu carte tu peux la reprendre parce qu’aucun de nous ne viendra à ta fête de merde. Il lui jeta la carte d’invitation qui retomba à terre.

_ Tu vas le regretter Davis ! Personne ne me parle comme ça.

Sarah poussa un cri furieux avant de tourner les talons, suivie par ses sbires, dans un bruit de pas sur talons aiguilles.

_ Tu n’aurais pas dû faire ça, tu avoir des ennuis à cause de moi.

_ Des ennuis j’en ai toujours eu, même sans les chercher, je m’en fiche de ce qu’elle pourrait me faire. Et puis, je n’ai pas pu me retenir, elle était vraiment vache.

_ Ce n’était rien par rapport à d’habitude, je suis habituée tu sais, tu n’étais pas obligé…

_ Non, j’en avais envie, la seule raison pour laquelle je ne lui ai pas lancé sa stupide carte plus tôt, c’est que je voulais t’inviter pour m’excuser de pas être aussi intéressant que tu le pensais.

_ C’est gentil, merci, mais tu n’as pas à te sentir coupable, ce n’est pas de ta faute.

_ Au fait, pourquoi elle t’a traité de tarée ?

_ Oh ça ? Je t’ai dit tout à l’heure que j’étais super fan de surnaturel, c’est à cause de ma grand-mère, elle en parlait tout le temps, elle disait qu’elle voyait des choses qui sortaient complètement de l’ordinaire, des fantômes, des esprits… moi j’aimais beaucoup ses histoires, et j’y croyais, j’y crois encore aujourd’hui, mais mes parents n’étaient pas de mon avis, ils l’ont fait enfermer dans un hôpital psychiatrique, et je ne l’ai plus revu depuis.

_ Je suis vraiment désolé.

_ Merci.

_ C’est arrivé quand ?

_ Il y a cinq ans. C’est depuis ce jour que je suis devenue la tarée du lycée.

En entendant son récit, Conrad se sentit encore plus mal, il n’appréciait guère son manque cuisant de self-control, ou ses fortes effusions de joie, mais il la trouvait néant moins gentille. Il aurait tant voulu lui dire qu’elle avait raison, que sa grand-mère n’était pas folle et elle non plus, lui raconter tout ce qu’il avait vécu, mais il ne le fit pas. Il resta là à la regarder, ne sachant que trop bien ce par quoi elle passait. Alors que ses yeux détaillaient les traits du visage de Sally, déformés par son amertume, il se surprit à la trouver jolie, ses yeux verts émeraude derrière sa petite paire de lunettes rondes, ses longs cheveux bruns à peine coiffés et ses fines lèvres roses. Il se rappelait avoir apprécié sa petite robe rayée au premier coup d’œil, il la trouvait attachante avec ses ballerines noires qui, associées à son ridicule mètre soixante-six la faisaient ressembler à une élève de collège. Il était si absorbé par sa contemplation, qu’il ne se rendit pas compte tout de suite qu’il souriait, ce n’est que lorsqu’elle l’interpella qu’il se reprit :

_ Tout va bien ?

_ Heu, oui, oui, pardon, j’étais ailleurs.

_ Oui, j’avais remarqué ! Bon, il faut que j’y aille, merci pour le temps que tu m’as accordé, c’était cool, à plus.

_ OK, on se voit bientôt, j’espère !

_ OUI ! elle avait répondu de loin alors qu’elle passait la porte de la cafeteria.

Conrad fixa la porte un long moment après que Sally l’ait franchi, perdu dans ses pensées. Il se demandait ce qu’il avait lieu de faire, il pesait le pour et le contre, il avait besoin de quelqu’un avec qui partager tout son vécu, il lui était de plus en plus difficile de le gérer seul, parfois même, de différencier les vivants des morts, et puis, elle savait tellement de choses, elle pourrait l’aider, et puis, elle avait aussi besoin de se rassurer qu’elle ne faisait pas fausse route, qu’elle et sa grand-mère étaient loin d’avoir perdu l’esprit. Mais voilà, pouvait-il réellement faire confiance à Sally ? Sa pire crainte était de lire le regard que lui avaient lancé l’infirmière et l’interne de l’hôpital, dans les yeux de son père si jamais toute cette histoire venait à éclater au grand jour, il fallait qu’il y réfléchisse mûrement avant de prendre une décision.

Le cours suivant était celui de musique, mais avant de s’y coller, Conrad avait une pressante envie de soulager sa vessie, il prit à gauche après l’allée des casiers de son étage et poussa la porte des toilettes réservés à la gente masculine. A l’intérieur, en face d’une rangée d’éviers au-dessus desquels des miroirs reflétaient les portes des commodités, un jeune homme sortit des toilettes, Conrad et lui s’ignorèrent en se dépassant. Il se rua aussitôt vers le vestiaire libre et s’y soulagea, il y était encore lorsqu’il entendit la porte s’ouvrir de nouveau. Soulagé, il sortit du toilette et se dirigea vers le lavabo en face mais s’arrêta net. Là, près des lavabos, Scott Stillman et deux de ses amis l’attendait, le jeune homme qu’avait croisé Conrad quelques minutes plus tôt avait apparemment donné l’alerte. Les trois adolescents le regardaient d’un air mauvais, il savait que la suite des événements ne lui plairait sans doute pas.

_ Alors Conrad, t’as cru que t’étais devenu une star c’est ça ? Que tu avais changé de statut dans « mon » lycée ? Que t’avais une réputation et que par conséquent tu pouvais te permettre de m’humilier ? Si c’est vraiment ce que tu t’es dit, tu ne t’es jamais autant gouré, tu n’es personne et tu ne seras jamais personne. Tu t’es fait des idées, on va te ramener à la réalité. Attrapez-le !

D’un coup, les deux jeunes hommes derrière Scott se ruèrent sur Conrad et firent pleuvoir sur lui des centaines de coups, l’étourdissant au point de le laisser au bord de l’évanouissement. Le nez et la bouche en sang, il avait du mal à respirer, la tête lui tournait et son corps tout entier était secoué de spasmes tandis que ses assaillants s’en allaient victorieux. Le retour en classe dans cet état n’était pas envisageable, il attendit que ses vertiges passent, adossé au mur des vestiaires, puis il se leva sur ses jambes en se tenant à la porte béante des toilettes. Une fois dans le couloir vide de monde, il lui fallut faire des efforts considérables pour se rendre à l’infirmerie. Une fois face à l’imposante infirmière Bertha, il prétexta une chute dans les escaliers en allant prendre place sur un petit lit blanc dans la petite salle climatisée, dont l’odeur lui rappelait sa chambre d’hôpital. Même une fois ses blessures pansées, Conrad n’éprouvait pas plus l’envie de rejoindre sa classe, profitant de l’absence du surveillant général près de la porte principale, il sortit de l’établissement et prit spontanément le chemin au parc.

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Nd Darlyn
Nd Darlyn
2 années il y a

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