Demain sera un autre jour, j’aurai de la visite et la livraison de maman. J’en suis à attendre les week-end pour espacer l’ennui, j’ai fini mon repas et je dois digérer tout ce que j’ai appris, ce que j’ai pu comprendre, ou bien ce que je crois. Sur la pointe des pieds, c’est ce que je vais faire, je vais tester doucement et chercher si c’est vrai. Trouver par petites touches, vérifier certaines choses il faut que je sache pourquoi je ne vois jamais la personne dans son rêve, mais surtout, et sans aller trop loin, prendre soin de mon corps, ne pas le fatiguer, j’ai bien compris que ce que je fais au loin je le ressens plus bas.
Je commence par me détendre, ne penser à rien, doucement glisser en fermant les yeux, ça c’est facile, et je repars vers mes tourbillons que je vois nettement maintenant, mes tempes battent une chamade que je reconnais bien. Si loin est une distance, je ne vais pas trop bouger, je ne vois que ces cônes qui se tordent et qui vibrent, chacun avec un rythme que je ressens et que je comprends mieux. J’ai lu fréquences, ce doit être cela qui engendre ces légers grésillement. Certains le font très vite, impossible d’y entrer, je les repère vite ils sont de couleur rouge, ceux qui sont pénétrables virent plutôt sur le bleu, je peux les traverser, mais ne m’y arrête pas, je tente de comprendre. Je ne vois pas mon corps, mais je sais qu’il est près, je ne m’éloigne pas, j’ai failli être mal plus tôt dans la journée.
J’entends des coups frappés à la porte de ma chambre, je peux ouvrir les yeux, je viens de redescendre.
« Bonsoir Monsieur, je viens récupérer le plateau, je suis désolée, je vous ai réveillé. »
Je n’ai pas eu le temps de réagir, elle est déjà partie, je viens de me rendre compte que si je ne suis pas loin du physique, je reviens instantanément. J’apprends, je commence à manier, je me sens un peu las, mais pas autant que si j’avais visité, je viens de gagner un point. Je repars, je sais faire, j’ai refermé les yeux, je n’ai pas le temps de m’éloigner, je vois un grand cône rouge qui s’éloigne de mon corps et qui en rejoint d’autres. Un article que j’ai lu me revient en mémoire, la fréquence des personnes éveillées est très élevée, l’esprit est occupé le cerveau se concentre. Je reste à mon niveau, je ne vois pas de murs, tout ce qui est solide ici n’existe pas, par contre beaucoup de rouges, et quelque peu éparse j’en aperçois des bleus, et ceux là restent stables, sans doute les hospitalisés en instance de sommeil
J’ai « Un Super Pouvoir », j’en suis sûr maintenant, mais je suis un peu fatigué, beaucoup de choses commencent à devenir nettes, mais j’ai besoin de me reposer, je vais avoir du temps pour pouvoir m’amuser, plus fort que mes jeux vidéos, et je glisse doucement dans un sommeil réparateur, je vois toujours mes tourbillons, mais je ne bouge plus, j’ai envie de dormir.
« Bonjour mon chéri, tu t’es bien reposé on dirait. »
Je commence juste à m’étirer, j’ouvre les yeux surpris en direction de la voix, maman est assise à côté de mon lit, elle pose son magazine et m’embrasse sur le front, je n’ai pas le temps de détester, je me redresse d’un coup.
« Pourquoi tu es là si tôt ? Il est quelle heure d’ailleurs ? »
« Pas loin de dix heures. Je t’ai envoyé un message hier soir pour dire qu’avec ton père on avait décidé de venir manger avec toi. Tu ne l’as pas lu on dirait. J’ai téléphoné ce matin avant d’arriver, ils m’ont dit que tu dormais encore. Au moins tu as fait le plein de sommeil. »
Les yeux ébouriffés, effectivement sur la table à côté, le petit déjeuner qui devrait être froid. Aucune importance, je me lève du lit et me jette sur la nourriture, quelques gâteaux en plus que je récupère dans le meuble, je me sens en meilleure forme.
« Ton père est parti fumer, il ne va pas tarder, j’ai demandé si on pouvait tous manger en bas, il n’y a aucuns problèmes, une infirmière va nous apporter tes cachets. »
Je suis content de voir papa, il est arrivé quelques minutes plus tard, ses senteurs de tabac dénotent mais me manquent dans ces odeurs cliniques. Il m’a serré longuement, c’est bien la première fois, on a plus des attitudes d’hommes quand il rentre le week-end. Même mon idiote de sœur me manque maintenant, bien qu’il soit est assez rare qu’un repas du dimanche se fasse tous ensemble, mais ce n’est pas le cadre. Le temps que je me lave, et m’habille dans la minuscule salle de bain, j’ai hâte de descendre avec eux et faire une démonstration de ma marche en béquilles. Bien sur, ce n’est pas la cuisine de maman, et tous ces gens autour, je me force à croire qu’on est parti manger dans un Mc Do, j’en ai oublié de faire mes exercices de marche quand nous sommes revenu dans la chambre, aprés ce vrai repas. Mon père est resté en bas, le temps d’une cigarette, il nous suivrait plus tard en ramenant un café à maman. Elle s’est assise sur un fauteuil, je me suis mis sur le lit, on attendait mon père, il y a bien longtemps que je n’ai si bien mangé depuis que je suis ici tout au moins. J’en profite pour saisir mon ordinateur, je vais lire mes messages en retard, je tape une ou deux phrase et je lève les yeux pour parler à ma mère. La tête sur le côté, elle s’endort doucement, le silence de la chambre et la température, je souris de la voir et je glisse lentement. Je vois des tourbillons tout autour mais plus loin, et celui de maman là ou je me situe. Il vire lentement d’une légère couleur rouge vers un sombre bleuté, je sais qui je vais voir, ça n’a rien de gênant.
Tout doucement je m’avance, je rentre dans le songe, tout est gris au début j’applique mes couleurs, j’entends un rire d’enfant, je ne crois pas me tromper, je vois notre maison, la porte d’entrée s’ouvre, des pas sur le gravier, je sais qu’il y a quelqu’un et je vois, oui c’est moi, je me vois franchir le seuil, quelle drôle de sensation, je cours après ces pas.
C’est maman, je le sais maintenant, je comprends tout, le rêveur est celui qui projette, il n’a pas besoin de se voir, il sait qu’il est là. Ma mère rêve de moi et je cours après elle.
« Maman, attend moi, ne te cache pas s’il te plaît. »
Les pas ont cessé de crisser le gravier, mon double s’arrête enfin, il se met à rétrécir, ou plutôt non, il devient un bébé qui s’envole dans les airs porté par des bras invisibles.
De légers coups frappés à la porte, je regagne mon corps au moment où le cône disparaît, j’ouvre des yeux embués, mon père apparaît un gobelet de café à la main.
« Je me suis perdu dans les étages, tous les couloirs sont pareils. »