Un jour j’ai eu douze ans, et j’ai rêvé de toi. 5/2

4 mins

Je tourne autour de mes créations, je viens de faire quelque chose et j’en ai le pouvoir, rêver dans cet endroit, un songe qui semble vide, je ne saisis pas très bien mais je m’amuse en meublant cette chambre à ma façon: un immense écran télé, j’ai un peu de mal je n’en ai pas vu souvent mais il est comme je le veux, deux autres plus petits à coté pour les jeux vidéos, une moto plus loin comme celle de l’abruti de ma sœur, et justement, je penserais à elle quand je serais chez nous, je ne la vois pas beaucoup. 
Je suis content de moi, je défais et refais sans arrêt selon mon bon vouloir, ça fait un peu fouillis, mais personne ne dit rien, j’ajoute un grand frigo de boissons préférées, un placard de gâteaux, des paquets de bonbons de toutes les couleurs.  Je fais plusieurs essais en créant des objets, le lit est toujours là mais autour ça varie, j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi certains n’y sont plus alors que je venais d’y penser juste avant, que des choses que j’aime bien comme la moto que je recrée de suite, je remet un frigo pour les boissons gazeuses, de nouveau un placard avec des confiseries, ça commence à m’énerver, je ne sais pas ce qu’il se passe, j’ai l’impression que rien ne tient, que tout est provisoire si je ne suis pas attentif à ce que je fais.
Certaines choses disparaissent parce que je n’y pense plus, d’autres pour faire le décor restent un peu dans le flou, quelque chose est en train de se passer, j’ai du mal à comprendre, mais un petit quelque chose commence à se faire jour, il faut que je me concentre sur ce que je veux. J’entasse divers objets, des trucs qui ne servent à rien, je pense sur le moment, ça devient n’importe quoi et n’importe ou, chaque place libre de la chambre je l’occupe avec ce qui me vient à l’esprit, je remarque également que l’espace s’agrandit en fonction de mes désirs volumineux, j’ai envie de voir des arbres, une forêt apparaît qui repousse les rebords de néant de ce rêve, mais ce n’est pas le mien, juste une place vide, ça je verrais plus tard, je suis en train de réaliser quelque chose, de mettre en forme un raisonnement, de faire la différence entre ce dont j’ai envie et ce dont j’ai besoin, je suis en train de saisir maladroitement ce qu’il manque, ou plutôt ce qu’il faut pour habiller un songe, l’accessoire n’a pas d’importance ce n’est que matériel, ce n’est pas ce dont j’ai envie, mais ce que j’ai envie d’être, je sais au fond de moi qu’il me faut une présence, des amis la famille, des gens qui pensent à moi, j’ai besoin d’un monde qui me considère pour faire vivre la scène.
Il me manque des potes, un peu de compagnie, quelques voisins de cours mais ce sera moi le chef de classe. Ils commencent tous à entrer dans la chambre, je les vois arriver qui se précipitent vers moi dans un joyeux brouhaha, content de me voir et me féliciter de je ne sais quoi, mais ce n’est pas grave, ils sont heureux d’être là, et tout le monde s’active soit à me faire plaisir ou à jouer avec moi.  Marie-Cécile est là aussi, elle me couve du regard, applaudit quand je gagne aux jeux vidéo, de temps en temps elle me frôle et se penche en avant, me montre sa dentelle, ici on est chez moi.
Mon corps fatigue en bas, mon cordon me le dit, je commence à avoir mal au physique, je vais revenir doucement de cet endroit magique en promettant de recommencer maintenant que je sais faire.

C’est arrivé d’un coup, juste en face de mon lit, je n’ai pas réagi j’étais en train de partir, j’ai vu l’apparition d’une carcasse éclatée, une voiture déchiquetée comme sur un accident, j’ai eu cette image brève et tout s’est arrêté, j’ai regagné mon corps qui était douloureux je sais que j’ai tardé, je me suis mis en boule pour me mettre à pleurer et je me suis endormi.
« Monsieur, Monsieur, vous allez bien ? »
Je crois entendre des voix dans un demi sommeil, je me sens fatigué.
« Monsieur, je vais chercher l’infirmière. »
Des pas dans le couloir, qui arrivent dans la chambre, je sais bien ou je suis, je sens qu’on me redresse, quelque chose serre mon bras, je vois une lumière qui éblouit mon œil, quelque chose m’a piqué, je sens un liquide froid, il faut que je leur dise de me laisser tranquille mais je n’ai pas la force, j’ai besoin de dormir.
« Sa tension est très basse, avertissez le patron, ça fait la deuxième fois. »
Tapi au fond de moi, je vois ce qui se passe, je les sens s’affairer, ils sont trois dans la chambre, je ne vais pas plus loin que distinguer leurs cônes, je sais encore une fois que j’ai passé ma limite, tout à ma découverte de ce dernier endroit, je n’ai pas entendu les besoins de mon corps, ce n’est pas la distance, j’en suis bien conscient maintenant, c’est tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai amené qui a dû me lasser, ce que je peux créer me pompe toute énergie et je paie le prix fort. 
Mais quand je suis parti de cet espace vide, quelqu’un ou quelque chose m’a envoyé ce tas de  ferraille, j’ai bien vu cet amas, une voiture éclatée au milieu de la chambre, soit on m’a deviné ou alors un autre fait la même chose que moi, je ne sais pas, je ne sais plus, mais j’ai ressenti une immense douleur, un sentiment d’avoir mal a imprégné ma fuite, je n’ai rien vu de plus, il faut que je me repose.

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