Un jour j’ai eu douze ans, et j’ai rêvé de toi. 8/4

4 mins

Il est presque onze heures trente, j’ai dû ouvrir cent fois la porte du couloir pour voir si je ne la voyais pas arriver, j’ai dû faire cinquante fois le chemin qui mène à l’ascenseur pour attendre devant, et quand il se déplace j’espère à chaque fois que son arrêt sera à cet étage avec maman dedans. Quelques minutes de plus, quelques minutes de moins, ce n’est pas important pour ceux qui sont dehors, elle avait dit onze heures, il est déjà midi, j’ai entendu deux fois le chariot des repas, je reste assis sur ma chaise, je grignote un gâteau, je ne veux pas regarder la porte, elle n’a pas oublié j’en suis sûr, mais le minimum aurait été de laisser un message, soit sur l’ordinateur soit à l’office, j’attends toujours et je suis en colère. Je suis en train de me forcer à l’excuser, un accident, mais je n’espère pas, la voiture qui tombe en panne c’est déjà arrivé, beaucoup de circulation, on est dimanche il n’y a personne, un problème dans la maison, on a déjà eu une fuite d’eau, je passe en revue des tas de raisons, tout me semble probable mais c’est moi qui suis là, assis sur une chaise et je ne fais qu’attendre sans savoir. Je me décide à prendre une feuille et j’écris quelques mots que je vais poser sur le lit : Je t’attends en bas sinon il n’y aura plus rien à manger, le temps que je plie le papier, j’entends frapper à la porte et maman entre enfin.
« Mon chéri, je suis désolée, j’ai fait aussi vite que j’ai pu quand je me suis aperçu de l’heure, viens on descend »
Je reste le dos tourné, je chiffonne mon papier et le jette violemment dans la poubelle.
« Mais qu’est-ce que tu fais mon chéri, viens on y va. Je sais, je suis en retard, je vais te raconter. »
Elle s’approche de moi, et m’embrasse la joue pour une fois, elle fronce les sourcils et fais une espèce de moue avec sa bouche, comme pour m’imiter.
« Toi je te connais, comme si tu étais mon fils, tu n’es pas content. Viens mon chéri, on y va, je vais tout te raconter pour me faire pardonner, tu vas voir, c’est assez long. »

Il y a encore du monde à cette heure, mais nous avons réussi à trouver un mange debout avec de hauts tabourets, je reste à garder la place, maman est partie chercher les plateaux, elle sait ce que je veux, steak frites salade une glace au chocolat et une boisson gazeuse, mon menu habituel.
« J’ai oublié ton sac dans la voiture, je me suis tellement dépêché, je n’y ai plus pensé. Vas-y, mange pendant que c’est chaud, tu dois avoir faim. »
Elle a réussi à tout ramener en un seul voyage, ma colère est toujours présente, mais j’ai faim, je n’ai pas dit un mot depuis que nous sommes partis, je reste sur ma position, je suis en train de manger, une autre bonne raison pour ne pas parler.
« Comme je te le  disais hier, j’ai appelé ton père ce matin, il a de gros ennuis, mais ce n’est pas de sa faute. Un camion a accroché un échafaudage sur son chantier, des ouvriers sont tombés et certains sont blessés. Comme tu dois le savoir, c’est lui qui dirige les travaux, il est aussi responsable de la sécurité, ça fait que tout le monde lui tombe dessus à cause de l’accident. Il m’a parlé de la police à cause des blessés, son entreprise qui cherche des responsables, les services de prévention extérieurs, les assureurs, quand je lui ai parlé, il était vraiment soucieux, il n’arrête pas d’être convoqué et de devoir s’expliquer, il est vraiment inquiet. Tout est arrêté pour l’instant, mais il pense rentrer demain ou après-demain. Tu vois, ce n’est pas simple, nous avons  parlé de toi également, et de cette drôle de clinique. »
Ce faisant, elle baisse le ton de sa voix en regardant autour et se rapproche un peu de moi comme pour une confidence. La chose que je remarque, c’est que je passe en second dans les sujets importants, je ne décolère toujours pas, mais je deviens plus attentif. Pour mon père, soit je change d’endroit, mais ce serait idiot puisque normalement je dois bientôt partir après un dernier examen, soit ça dure encore, et dans ce cas on demande à changer de médecin, quitte à voir la direction. Il n’est pas question qu’un docteur fou, c’est son terme, s’occupe encore de moi. J’ai compris aussi que l’étudiant qui a prévu de m’aider, est maintenant complètement disponible, il n’y a plus qu’à. L’IRM est programmée pour cette semaine, on va le savoir très vite.
Je me suis quelque peu apaisé, enfin on pense à moi, ou alors je me sens mieux d’avoir bien mangé. Nous sommes rentrés tranquillement, après avoir fait quelques pas dans le patio qui se vidait enfin, j’en avais assez de traîner la jambe même avec la béquille, de temps en temps elle me caresse la tête, je grogne à chaque fois.
« Mais arrête, c’est déjà pas joli ce qu’ils ont fait derrière. »
Je connais bien ma mère, c’est à chaque fois pareil, quand je boude ou refuse de parler, elle arrive toujours à ses fins pour que je me débloque, encore elle réussit, et pourtant je le sais.

Je me suis assis sur le lit, elle sur une des chaises, et me parle, de tout, de rien, comme pour m’occuper, des ennuis de papa, de mon futur départ, un peu de son travail, elle m’encourage à tenter de chercher, elle comprend bien que je n’ai rien à faire, si jamais ça existe, de voir si je peux reprendre le fil des cours sur internet, parce que je vais bientôt beaucoup moins rigoler dans quelques jours. Pour elle, tout va reprendre le fil normal et quelques petits aménagements, mais pour moi tout devient autre chose, j’ai un secret maintenant, j’aimerais tant lui parler, mais je ne dois pas, personne ne doit savoir. Nous avons passé un bel après-midi, je m’étais un peu plus déridé, maman s’occupe de moi, je crois qu’elle comprend mieux que je m’ennuie ici.
Quand l’infirmière est entrée pour livrer le plateau, nous nous sommes regardé surpris par l’heure tardive, elle s’est levée d’un coup.
« Mon Dieu, le temps passe vite, j’y vais mon chéri, si tu veux je repasse dans la semaine, tu m’envoies un message. »
Elle m’embrasse sur le front, cette fois je n’ai rien dit, m’envoie un baiser de la main juste en fermant la porte, j’avais juste un peu faim, mais tout y est passé, ce n’est sûrement pas ici que je vais grossir. Je vais bien dormir cette nuit, j’ai passé un bon moment. Je m’endors tranquillement, je souris bêtement en pensant à mes futurs devoirs, le pyjama idiot de mon imbécile de sœur, même elle je vais être content de la voir, je m’assieds d’un seul coup sur le lit, maman à oublié de me monter le sac à dos.

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