Un train peut en cacher un autre.

6 mins

Assis dans le fauteuil une clope à la main, le cendrier déborde, je devrais me lever pour me faire un café, je n’ai pas vraiment compté sans doute la dixième tasse, j’esquisse un sourire plutôt du genre crispé, le liquide  me donne l’envie d’aller pisser, je regardais en boucle sur l’écran de mon phone une petite vidéo, un endroit que je connais je ne dois pas dormir.

— Tu es lent ce matin, dépêche toi de me brancher ces câbles, on ne va pas y passer la journée.

C’était le chef de chantier, on avait récupéré un boulot de merde à équiper ce dépôt, le gros œuvre était déjà en retard, et sur qui ça retombe pour tenir les délais, c’était toujours pareil, sur les électriciens, les électrotechniques ceux qui arrivent à la fin une fois que les murs sont montés.

Avec mon pote Denis on courait les cachets, mais pas ceux du spectacle juste dans l’intérim, l’agence nous avait envoyé en urgence pour renforcer une équipe. Il nous fallait poser des boitiers de commande, des caméras de surveillance et relier l’ensemble au centre de contrôle, tout ce qu’il y a de plus facile à faire, mais ce qu’on ne savait pas, les travaux avaient pris du retard, on courait comme des fous pour tenir les délais, l’architecte et le chef de chantier étaient sans arrêt sur notre dos, heureusement que la paye était bonne, sinon il y a longtemps que j’aurais tout lâché, mais travailler comme ça j’avais peur de lire les plans de travers dans la précipitation.

— J’ai un problème de retour sur la caméra trois, tu peux venir m’aider.

Je connais Denis depuis des années, depuis que je suis rentré à l’agence ça doit bien faire cinq ans, on travaillait ensemble, le boulot ne manquait pas pour des professionnels, et nous étions des bons.

— Regarde la caméra, elle ne va pas jusqu’au bout, je ne comprends pas pourquoi, il me manque un morceau de la porte d’entrée.

J’ai approché une échelle et j’ai commencé à démonter le support pour tester le mouvement.

— Ça y est je viens de comprendre, il y a un point dur sur le micro-moteur, on n’en a plus en stock, aller on laisse tomber ça ne se verra pas trop, le reste du balayage est bon on ne dit rien à personne, il nous reste une semaine pour finir, je te laisse sur tes pupitres moi il faut que je finisse de raccorder l’ensemble.

Et tout était ainsi, quelques petits défauts, mais rien de bien important, les services S.A.V. il faut les occuper, nous on est là pour finir dans les temps.

— Il est pas loin de midi, on se fait le petit restaurant à coté, j’en ai marre des sandwichs on a une heure de pause je veux sortir d’ici sans que quelqu’un vienne me voir quand je mange.

Le petit village à coté, une ou deux fois déjà on y avait mangé, il ne payait pas de mine ce restaurant routier mais on y mangeait bien et un service rapide.

— On dirait que tu sors trop, si tu voyais tes yeux on dirait un mort-vivant.

— Arrête un peu, je suis trop fatigué pour penser à sortir, tu as vu comment on bosse, j’ai encore vu passer le chef de chantier, il m’a dit d’aller encore plus vite, et si on rate la prime, je me le fais à la fin de la semaine, c’est lui qui m’énerve à rester sur mon dos. Non, c’est pas ça, je dors mal ces temps-ci, depuis qu’on a commencé ici, ça doit me prendre la tête, et si je te raconte tu ne me croiras pas.

— Raconte tout à maman, tu sais que je suis là pour toi, ou c’est que tu as bobo, tu veux que je te fasse un câlin ?

— Mais tu es con Denis, qu’est ce que tu es con, des fois je me demande pourquoi on bosse ensemble.

Il est parti dans un fou rire que je connais bien de lui, on n’est pas des intimes, mais on s’entend vraiment bien, un très bon camarade un bon pote de chantier, il nous est arrivé de faire des petites sorties, ce n’est pas un ami mais quelqu’un de confiance, l’agence l’avait compris on ne travaillait qu’ensemble.

— C’est bon, allez raconte j’ai fini, je ne dirais plus rien, promis.

— Bon OK, tu la fermes et tu ne répètes rien à personne. Tous les soirs depuis presque une semaine, je fais le même rêve ou plutôt des cauchemars qui sont toujours pareils, un truc à épisodes, et chaque nuit j’ai la suite, je te résume toute l’histoire, et je te montrerai quelque chose tout à l’heure.

Je range le scanner dans la poche, je viens de déclencher le feu vert au feu rouge, le fourgon est obligé de s’arrêter, mon oreillette grésille.

— Ici numéro deux, je démarre et je fonce, c’est parti pour un strike.

Je regarde le gros camion poubelle, on l’a volé hier, traverser le croisement tout en accélérant, à cette heure peu de monde et l’endroit est tranquille, je commence moi aussi à courir, il faut que je m’approche au plus près et je fouille en même temps dans mon sac.

Le choc est d’une violence inouï, je ne m’attendais pas à ce que le fourgon se renverse, mais tant mieux une porte sera bloquée, un peu de boulot en moins j’adore gagner du temps. Les roues tournent encore dans le vide quand je m’approche  du pare-brise, je distingue vaguement une fine poussière blanche dans l’habitacle, je vois mal le conducteur caché derrière l’airbag, mais je distingue ses bras qui s’agitent, le passager à les paupières qui battent, il s’est débarrassé il est libre maintenant de prendre son arme, je ne sais pas s’il m’a vu, mais qu’importe je colle sur la vitre, qu’elle soit blindée ou pas une grenade à fusion, peu de bruit et une chaleur intense, aucun métal ne résiste, un blindage encore moins, je regarde derrière moi, numéro deux saute du camion poubelle et s’approche de sa cible, un trou béant comme du plastique fondu et y jette une grenade lacrymo, c’est sûr qu’à cette distance ça risque de brûler l’intérieur, il y a quelquefois des héros, dans le doute on supprime toute velléité.

J’appuie sur mon micro-audio dans l’oreille.

— Numéro trois, numéro quatre, numéro cinq en place.

Numéro deux reste vers l’avant du véhicule comme c’était convenu, il jette deux ou trois grenades fumigènes et assourdissantes, il n’y a rien de mieux pour faire fuir ceux qui voudraient regarder, la fumée et le bruit feraient courir n’importe qui, il nous reste cinq minutes avant que les flics n’arrivent, l’alarme a dû se déclencher, c’est largement suffisant.

Je m’approche de l’arrière du fourgon, numéro trois à déjà posé sa grenade à fusion sur un des gonds, la porte s’affaisse un peu mais tient encore son rôle, ce n’est pas grave j’avais prêvu le coup, je colle une des miennes sur le deuxième gond, numéro trois son arme à la main jette un assourdissant et une fumigène, il surveille mes arrières, la porte tombe enfin j’arme mon pistolet, quelqu’un sort en rampant, des sacs et des cassettes pendent derrière lui dans le vide, la procédure normale tout objet est reliè au fourgon par un câble blindé.

Numéro quatre et cinq se sont déjà garés en marche arrière, les portières et le coffre ouverts au plus près, ils saisissent chacun un coupe boulon et débarrassent les sacs pour charger les voitures, quelques fois il arrive, un héros inconnu ou bien un suicidaire, un mouvement sur le sol je vois du coin de l’œil j’ai un temps de retard, la balle me traverse au dessus de mon gilet pare-balles, je me tourne et je tire, la tête du convoyeur éclate, j’ai mal à l’épaule gauche, mais on n’a plus le temps, on monte dans les voitures il ne reste plus rien, chacun une direction pour affoler les flics, on partagera plus tard. J’ai prêvu quelque chose de plus gros, ce n’est que de la monnaie pour acheter des armes et du matériel consistant, ce sera pour dans un mois, j’enverrai une vidéo de la cible à chacun, ça voudra dire que ce sera pour le lendemain, une nuit suffira pour la préparation et éviter les fuites.

— Eh bien dis donc, c’est quel film ton histoire, tu me racontera la suite si tu es devenu riche. Bon, il est l’heure, on reprend le boulot, et éteins la télé avant de t’endormir.

— Je suis trop fatigué le soir, je n’allume pas la télé, je vais te montrer quelque chose quand on sera dans la voiture.

— Si c’est des liasses de billets, je prends, allez, on y va, c’est ton tour de payer puisque tu as les moyens.

Je n’ai rien répondu, même pas une grossièreté, j’ai enlevé ma veste pour lui montrer mon épaule qui commençait depuis quelques jours à me démanger.

— Qu’est ce que tu veux que je te dise, on dirait une cicatrice, tu as dû mélanger un rêve avec un vieil accident, tu essaies de me faire marcher, avoues que tu tentes de me mener en bateau.

— Je n’ai jamais eu d’accidents, même pas quand j’étais jeune, quelques coupures aux mains, mais ça c’est le boulot, bon allez, laisse tomber, on va finir ce chantier, il nous reste une semaine, mais après je vais prendre des vacances, je crois que j’en ai besoin.

On a touché notre prime, on a fini dans les temps et quelques heures supplémentaires, et j’ai pris des vacances, presque un mois.

Les cauchemars se calmaient, l’épaule me faisait mal, ça a repris cette nuit.

— J’ai récupéré quelques informations sûres, ils viennent de terminer le dépôt de la Brinks, le lundi qui arrive, toutes les recettes du week-end seront entreposées, quelques millions d’Euros, j’ai le plan des cameras et surtout celle de l’entrée, il y a un petit défaut, on ne voit pas entièrement, on force sur la porte ils ne nous verrons pas et on court à la salle de commande, je vais vous dessiner l’endroit, il y aura cinq vigiles très lourdement armés, vous me tuez tout le monde et on part en vacances. Que chacun écoute bien …

Je me suis réveillé en sursaut, on était dimanche soir, il ne faut pas que je m’endormes, je vais me faire un café et vider le cendrier, le journal sur la table parle de l’attaque d’un fourgon tirelire, deux morts et un blessé, le papier date de trois semaines en arrière.

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