Carnet de bal d’une femme en chambre (1)

Il y a plus de quarante ans, quarante cinq exactement, elle en avait dix-sept, une période heureuse une période malheureuse, elle a du mal à se souvenir. Il y a l’ami intime celui de la famille, qui vient presque tout le temps et qui mange avec eux, quelque chose de terrible, son esprit s’en souvient enfermé quelque part, protégé par des cachets qu’elle avale tous les jours, elle n’a jamais failli sur ses doses quotidiennes. Il y a sa petite sœur, il y a son frère ainé, sa mère qui se lève pour aller en cuisine, qui lui caresse les cheveux en passant derrière elle, ça c’est un bon souvenir, et puis il y a le père et puis il y a le frère un verre à la main, l’ami qui accompagne, ça c’est un peu moins bon quand ils se mettent à boire, ses rêves s’arrêtent là, ça ne va jamais plus loin, son psy ne sait pas tout. Elle y est chaque semaine pour ses sautes d’humeur, son manque d’intérêt ou ses moments de stress qui lui font tout ranger, tout laver, tout parfaire, elle raconte ce qu’elle veut tant qu’il signe l’ordonnance. Un ou deux ans plus tard, l’ami est devenu mari, dix ans de différence ça ne va pas chercher loin, son frère et sa sœur, il lui manque des morceaux, un terrible accident, sa mère qui décède de chagrin et douleur, son père en psychiatrie, son époux lui raconte, elle ne veux pas savoir ils ont déménagé, nouvelle vie nouveau temps le soleil lui changera les idées, le Midi est parfait.

Qu’importe son mari il continue à boire, il la force tous les soirs, elle se retrouve enceinte elle est mère à vingt ans, un petit peu de bonheur qui lui donne de l’espoir. Il a pris du galon au fil des années, il n’est pas souvent là, certaines obligations l’éloignent de la maison, et tant que l’argent rentre elle peut bien accepter certains de ses penchants, l’amour est devenu sa fille, sa seule  raison de vivre.

Dans un monde meilleur elle croyait approcher, mais un jour dans la rue, son mari et une fille qui sortent de l’hôtel, elle s’est mise à le suivre pendant quelques semaines, c’était toujours la même, la soirée fut houleuse, elle devait décider, ils feront chambre à part, plus question qu’il la touche, elle n’a dévié qu’une fois. Au fil des années il buvait de moins en moins, chaque soir un appel, chaque soir un message, il semblait assagi, il faisait des efforts pour devenir aimant, il rattrapait le temps qu’il disait oublié, tout devenait normal sauf le moment du coucher, quelques petits baiser, quelques petits câlins, mais chacun dans son lit, elle commençait à douter, peut-être dans quelques jours, ne pas l’avoir aimé, il le savait sans doute, il était le symbole de son ancienne vie le souvenir vivant de ce qu’elle a oublié, elle devait pardonner au père de sa fille.

Près de quinze ans de mariage il avait tout prêvu, les chandelles sur la table, un cadeau dans l’assiette, diner sur la terrasse, sa fille chez une amie, il s’était mis en frais. Que fallait-il penser, elle a surement eu tort, une griffe sur le contrat, une marque indélébile, il fallait avancer elle ferait un effort pour l’amour de sa fille.

Une paire de pendentifs, un collier en or fin avec un petit cœur, elle s’est mise à pleurer ni de joie ni de peine, elle pense à ces années ou elle s’est trouvé seule, petite fille dans un lit ou personne ne l’écoute, personne ne la câline,  personne ne l’a aimé, il n’a fait qu’abuser, c’est des larmes de colère qui montent à la surface, il se lève de sa chaise il interprète mal en lui prenant la main, il veut la caresser, il tente de l’embrasser, elle ressent son haleine elle ne l’a pas vu boire il faisait le service, allait chercher les plats, préparait les assiettes au fond dans la cuisine, son odeur la dégoute, elle vient juste de comprendre quand il tire sur sa robe, elle court jusque sa chambre, elle devient spectatrice, elle le regarde faire, elle vient de décider d’ouvrir un carnet de bal.