Je me suis affalé, le mot est incomplet sur une des dernières chaises qui restait, lui était sur un fauteuil qu’il rapprochait de la table avec un petit sourire, c’est là que je me suis souvenu d’une certaine époque, l’impression qu’il donnait comme s’il s’adressait à des ploucs, il me toisait de haut, maintenant je sais pourquoi, mais ça ne change rien.
— Regarde autour de toi et après je t’explique.
Un fauteuil de dentiste, je crois que je reconnais, il y a un casque accroché au dossier comme un vieux sèche cheveux de l’époque de ma mère, on dirait des ventouses partout et des fils qui en sortent, les ordinateurs je connais et des écrans partout, des micro-ondes ? surement pas, entassés l’un sur l’autre, ça ressemble, des fioles avec des liquides et il y a des trucs qui flottent, je vais m’arrêter là, je ne reconnais rien du reste, une idée me traverse l’esprit, l’antre d’un savant fou, j’ai failli en renverser le verre devant moi, il s’était rapproché comme pour me chuchoter.
— J’ai ramené certains outils pour pouvoir travailler, un petit peu comme toi quand tu dois réparer une cafetière ou un aspirateur, tu sais dans quel domaine je travaille ? je pense que ma mère t’en a touché deux mots.
— Je crois que tu es chirurgien du cerveau, je n’ai pas le mot exact.
J’ai susurré les mots parce qu’il était tout près, j’en avais oublié le mot exact que je n’utilise pas souvent.
— C’est tout à fait ça et juste un petit peu plus, je suis neurochirurgien et chercheur en neurosciences appliquées, je te passe les détails du reste, en gros je suis spécialiste des pensées que le cerveau génère, comme celles que tu as actuellement sur moi, je peux les modifier si tu veux.
Et là il se met à rire en me tapant sur l’épaule et il s’éloigne vers le fauteuil de dentiste.
— Tu vois ce fauteuil, c’est une table de lecture et une table d’opération, bien sur que je ne peux pas modifier tes pensées, quoique, mais ce n’est pas le sujet, ton domaine c’est tout ce qui est électrique, dans une certaine mesure je fais la même chose, je mesure les champs électriques que le cerveau génère quand il pense et je cherche de quelle partie ça vient. Je m’appuie sur des travaux, les miens bien sur, mais aussi sur ceux d’illustres prédécesseurs. Je ne suis pas loin du but que je me suis fixé, savoir gérer les émotions ainsi les sentiments qui ne sont que le prolongement des pensées. Je vois que je te perds avec mon charabia, pour faire simple les sentiments que tu as pour quelque chose ou quelqu’un ne sont qu’artificiels, il y a quelques endroits uniques que nous possédons tous dans le cerveau, ce sont les émotions. L’amygdale par exemple, non pas là, dans le cerveau, gère une partie de la peur, donc si tu es pétochard, je schématise bien sur, tu secrètes beaucoup trop on pourrait le réduire, c’est ainsi pour toutes les émotions, peur, dégoût, tristesse, joie, colère, et dans une moindre mesure la jalousie, l’envie, la fierté, la honte ou la frustration tout est référencé. Personne n’est équipé pareil, un petit peu comme les membres physiques d’une personne, ça peut se travailler, se remplacer, se fortifier, c’est là dessus que je travaille.
— Je n’ai pas bien tout compris, mais si je résume bien de ce que j’ai pu comprendre, en fait je n’ai rien compris du tout.
— Je m’en doutais un peu, je vais tenter de faire encore plus simple, chaque émotion est comme un ingrédient de cuisine, le résultat escompté sera ton plat final, donc un peu de tout en un savant mélange, pas trop de sel, pas trop de poivre, pas trop de viande, tu sens, tu vois, tu goutes, tu touches, le premier ressenti sera ton émotion du moment, voila un plat réussi à mon gout, ensuite le sentiment en découle parce que tu es fier de toi de ce que tu as accompli/cuisiné, et cela tu peux le faire durer aussi longtemps que tu le veux, même comme un souvenir, en parler que sais-je, le refaire, mais ça c’est artificiel parce que c’est une pensée/sentiment qui découle de ton émotion première. Ce que je veux dire, une émotion se travaille en fonction de ce que tu désires, tu serais ainsi passe-partout, un cuisinier qui s’adapte aux autres, peu en sont capables de nos jours et j’aimerai donner ce pouvoir à tout le monde ou tout au moins corriger certains extrêmes.
— La cuisine ça me parle, je crois avoir compris cette fois, tu n’as pas parlé de manger tout à l’heure, je commence à avoir faim.
— Tu as tout à fait raison, comme je ne sais pas trop faire la cuisine, j’ai acheté une boite, on fera une expérience en même temps, le temps de réchauffer tu vas mettre le casque et on va tout de suite voir si j’ai pris la bonne marque.
J’avais l’air ridicule avec cette chose sur la tête, un peu d’appréhension j’essaie de réfréner sinon il va voir tout de suite que j’ai peur. Quelques minutes après il a allumé ses écrans, m’a aidé a sangler le casque et j’ai pris une bouchée de ce que je crois être du veau au vin blanc.
— Tiens regardes, tu vois ces pics sur l’écran, il y a de la peur, un petit peu de dégout et un peu de frustration, et puis je vois ton regard, et donc ton sentiment ?
— C’est vraiment dégueulasse.
— Tu as raison je vais changer de marque.
On a passé la soirée à parler de son travail, ses projets, ses envies, sa manière d’aider le monde, je ne m’offusquais plus de l’entendre me parler comme si j’étais simplet, j’arrivais à saisir quelques mots au passage, j’étais vraiment hors domaine, je n’avais toujours pas compris ce qu’il voulait faire ici dans notre petit village, mais je m’en foutais un peu j’étais saoul, je crois que je me suis endormi dans le fauteuil du dentiste.
Je pose 1 et je retiens 2, à vrai dire je crois que je ne vais écrire que 3 portions de pizza, c’est largement suffisant pour arriver à la fin et puis je fatigue ^^.